Automne 1976 : punks
Un jour...
Lily et James ne se parlèrent plus les jours suivants, et pourtant, leurs silences avaient des accents d'évidence. Leur silence, en fait, unique et partagé où le regret se saisissait au vol comme un miroitement fugace : dans un regard désolé, un sourire triste qui doutait, une façon de s'approcher sans oser s'adresser la parole, un recul qui tend les bras. Quelque chose de plus fort encore que lorsqu'ils flirtaient, paradoxal, confondant de détresse, avec au fond une braise qui fait danser ses reflets.
Lily passait de l'inquiétude au regret, à la colère envers James, envers elle-même, envers Snape. Elle devinait, le cœur fendu et inquiet, que les moqueries isoleraient son ancien ami, et elle le maudissait d'avoir prononcé des mots plus irréparables qu'un maléfice. Depuis quand cette injure traînait-elle dans sa bouche ? Depuis quand lui était-elle destinée ?
Sirius, lui, scrutait - sans réussir à s'en empêcher, terrifié de savoir, inquiet de ne pas savoir - les sinistres apparitions de Snape et son frère, toujours fourrés avec la même bande de Serpentard. Quelques élèves des autres maisons gravitaient autour d'eux, fascinés, mais le noyau dur, élitiste et orgueilleux, c'était bien des Serpentard. Cherry Penn les fuyait avec horreur, Martin Lewis s'en éloignait, déçu. Ils aimaient ça, les futurs Mangemorts, se distinguer avec des airs d'initiés. Sirius ne savait plus s'il avait envie de les provoquer au combat ou de fuir, fuir le Château trop étroit, trop faible pour empêcher ces embrigadements, fuir les visions importunes de son frère, s'en débarrasser pour de bon. Il frappait les murs, terminait ses escapades à balai toujours un peu après l'heure, déshabillait Remus en haut de la tour d'Astronomie, doigt d'honneur au ciel de minuit. Ambiance cafardeuse dans le Château et on avait beau dépenser des fortunes en farces et attrapes, rivaliser d'ingéniosité pour s'effrayer, on n'arrivait pas à le mettre sur le compte d'Halloween, ni à se distraire. James et Sirius déjouèrent sans effort les trois quarts des farces que les autres élèves avaient préparées. « Vous êtes vraiment nazes, frimait James pour se remettre de ses émotions, vous allez voir ce que vous allez voir ! » Où trouvaient-ils le temps et l'énergie de traquer les farceurs en plus de leurs cours et des entraînements, nul ne le savait – excepté Remus sur les genoux de qui ils étaient venus se lamenter car il n'y avait absolument pas de réserve de Polynectar chez Slug, et qu'il avait été bien cruel de leur en donner tant envie. Mais de toute façon, Halloween tombait un dimanche, il n'y avait pas cours, pas de Dearborn.
« Naze » répéta James.
Remus lui donna un coup de coude. Le sort qu'il s'apprêtait à lancer dérapa sur un tableau. L'eau de la cascade qu'il représentait aspergea les élèves alentours. James haussa un sourcil qui disait : ce n'est pas ce que je voulais faire mais ça me convient.
« On se rattrapera le week-end suivant.
- C'est pas la pleine lune ?
- Naze, gronda Remus en enfouissant de nouveau sa tête dans ses bras. Mais, tu sais ce qui serait la meilleure blague ? De ne pas être là pour Halloween.
- N'essaie pas de me dissuader de fêter Halloween.
- J'ai pas dit qu'on ne le fêterait pas. »
James se tourna vers Remus dont le sourire s'allongeait, ligne parmi les lignes de ses fossettes, cascade dans les pommettes. Un frisson enchanteur couvrit son cœur d'une chair de poule inattendue et familière : anticipation ! Remus mutin, c'est celui que je préfère (qui s'en étonne ?).
« Tu as toute mon attention. »
« Jeez, voulut dire Sirius, mais sa voix s'éteignit dans sa gorge serrée, il n'en sortit qu'un petit chuintement comme un serpentin d'étincelles.
- Jeez, sourit Remus, les lueurs du serpentin dansant sur le visage.
- Cheers ! » glapit Peter en levant la main pour saluer Fleamont et Euphemia qui trinquaient, au fond du Chaudron Baveur.
Sirius éclata d'un grand rire, toujours aussi bruyant, mais moins grinçant : la lumière aussi sait se faire profonde.
« Qu'est-ce...
- Joyeux anniversaire !
- C'est mercredi, mon anniversaire.
- Oui, eh bien, de une, ce soir c'est Halloween, de deux, on avait déjà quelque chose de prévu, mercredi : pleine lune, tout ça...
- De trois, ajouta une jolie voix dans son dos, j'avais envie de le fêter avec vous mais je ne peux pas m'inviter à Poudlard.
- Emmeline ! »
Elle ouvrit les bras, il s'y précipita.
« C'est la meilleure farce de tous les temps !
- C'est une idée de Remus, précisa James.
- Noooon ?!
- McGo aurait même promis de ne pas révéler à Dearborn que nous sommes absents ce soir, pour qu'il stresse un peu plus. »
Remus fuit le regard ébahi de Sirius, avec une petite moue d'innocence, accroche-cœur sur l'œil levé au ciel. Sirius donna une pichenette à sa mèche rebelle.
« Je connais ton amour pour Londres, murmura-t-il, toute sa tendresse dans la voix à défaut de le prendre dans ses bras.
- On va vraiment à Londres ?
- Et comment ! »
Ils avancèrent dans les avenues, à la bouche une chanson à la mode que reprenaient en chœurs amusés les groupes d'adolescents déguisés qui noctambulaient partout. Les lumières artificielles éclaboussaient leurs visages, hypnotisés par les promesses des quartiers les plus tapageurs ; ils tournoyaient les bras ouverts au milieu de la brume et du bitume, dans les fragments des lampes.
Ils choisirent un bar pour son affiche qui annonçait un concert des Damned, et pour le public houleux qui se pressait déjà près de la scène minuscule, habillé de blousons à clous, les cheveux teints et hérissés. L'air gras collait aux poumons, saturé de fumée, de sueur et de cuir. Remus, le plus grand, évoluait aisément dans la foule, et James ne tarda pas à grimper sur son dos, tandis que Peter, Sirius et Emmeline se glissaient au premier rang pour danser comme des sauvages, chahutés de partout. Au milieu du spectacle, Vanian hurla un refrain au visage de Sirius. Il répondit avec plus de hargne encore. Le chanteur le saisit par le bras pour le hisser sur l'estrade, dix autres spectateurs éméchés le suivirent. Ils se déhanchèrent au son des premiers chants punks de l'histoire, tandis que Vanian se laissait porter par le public. James, dégoulinant de sueur sur les épaules de Remus, agitait son tee-shirt au-dessus de sa tête et prenait des photos dont la moitié tombait par terre.
Ils sortirent, hébétés, au grand soulagement de Fleamont et Euphemia qui les surveillaient de dehors. Emmeline et Sirius braillaient bras dessus bras dessus, stars auréolées de la lueur des lampadaires, les chaussettes trempées de pluie, les talons battant le trottoir, entichés d'inconnus bavards, amis d'un instant avec qui, en ce soir de déguisement, on échange une étreinte, une cigarette, une confidence ivre.
« Et Lily ? sourit Remus resté derrière avec James qui rêvait.
- Je... Je sais pas. L'histoire avec Snape, j'ai peur que ça ait tout gâché. Mais je n'arrive pas à regretter, affirma-t-il. Tu me croiras si je te dis que ça m'a fait vraiment mal pour elle de l'entendre dire ça ?
- Oui, murmura Remus, un peu taquin en passant son bras sous le sien. Oui, je pense que je peux le croire.»
James haussa les sourcils en continuant de sourire.
« Je... J'aime bien... hésita James avec une petite voix, avant de rire de lui-même. J'aime bien comme on est là, elle et moi. J'aime bien ce qu'on fait, ce qu'on devient, nos discussions. Elle me plaît depuis longtemps...
- Oh oui.
- Tu sais, je ne sais même pas si on sera bien ensemble. J'y ai trop pensé, on est trop différents. Peut-être qu'on se disputera tous les jours et que ça me rendra heureux. Peut-être qu'on ne sera pas longtemps ensemble, ou pas du tout. Mais j'ai l'impression que je comprends qui elle est seulement maintenant et c'est... Super exaltant. Où que ça nous mène. »
Devant eux, Sirius et Emmeline continuaient de parler de rock, collés de près par Peter, et se retournaient de temps en temps pour tirer la langue. James sourit, plein de méprise malicieuse :
« Il va falloir trouver d'autres stratagèmes pour que ces deux-là sortent plus souvent ensemble.
- C'est ce que je me disais, rit Remus, extrêmement mal à l'aise.
- Et toi, Moony chéri ? chuchota son ami en pressant son épaule plus fort.
- Ça va. Tout va bien. »
James le dévisagea, bourré de tendresse, bourré d'ivresse. Remus lui fit un clin d'œil. James avait envie de dire : t'es pas obligé d'être seul, mais c'était dur à dire quand aucune prétendante n'entourait cette adorable personne. Plus tard, peut-être, quand les effusions adolescentes se colleraient plus à l'âme qu'à la peau. Il venait à peine lui-même de discerner le concept de maturité.
« Je t'adore, Moony. »
Remus serra plus fort le bras autour de son épaule et souffla à son oreille, le cœur battant :
- T'es le meilleur des meilleurs, James. Un grand héros qui ne recule devant rien, loyal et fidèle à jamais. Rien ne t'effraie ni te repousse, ajouta-t-il en pressant son cœur de l'autre main. Le plus beau cadeau de ma vie, plus grand que tous mes rêves quand j'ai passé les portes de Poudlard.
- Tu as bu... Tu dis trop de bêtises. Je vais pleurer et ça sera pas beau ! »
Mais ils rigolaient comme des bécasses, inarrêtables, jusqu'à ce que leurs amis se retournent. Un petit rien de regard malicieux, leurs sourires qui pourfendent l'âme et c'est avec honneur qu'on se désarme. Il y a des moments rares où l'on sait ce que l'on est en train de vivre. Sceau de notre complicité, somme de notre histoire. Une nuit comme celle-là : je ne regrette rien.
« On va devoir rentrer, Patoune. »
Il fit un sourire triste à Emmeline qui les conduisit dans le métro jusqu'au pub passerelle. Lueurs blafardes sur les fronts et le plastique des sièges, un ivrogne beugle, la fête est finie. Sirius laissa tomber sa tête sur l'épaule de Remus qui lui fit un petit baiser dans les cheveux à l'odeur de brouillard. Il rougit, mais personne ne réagit. Dans la pénombre du Chaudron Baveur, leur amie sautilla vers la cheminée, envoyant des baisers de çà de là. L'instant d'après, elle avait disparu dans les flammes vertes.
Les parents de James étreignirent Sirius avec affection.
« Je vous en prie, allez-y, il se fait tard, à vôtre âge...
- Tu plaisantes, punk ? Tu crois qu'on va te quitter des yeux avant que tu ne sois rentré au Château ?
- Hum. Vous me connaissez trop bien.
- Comme si on t'avait fait. »
Sirius fit la grimace. Euphemia se demanda si ses paroles n'étaient pas trop intrusives. Mais c'était parce qu'il se souvenait de quelque chose tout à coup. Il s'écria : « Merci, au fait ! »
Le mercredi suivant la pleine lune, c'était le premier match de l'année. James et Sirius étaient un peu barbouillés à cause de leur nuit blanche, malgré les protestations de Remus qui avait affirmé pouvoir tenir pour une fois, sans eux. C'était aussi l'anniversaire de Sirius. Ils le lui souhaitèrent au milieu de la nuit, au cœur d'une bagarre entre animagi, puis le matin, à l'infirmerie, autour d'un petit déjeuner aux allures de pique nique, sur le lit de Remus.
« Comment tu te sens ?
- Tellement plus mature que vous, c'est vraiment une question de gamin.
- On sent la disparition de la Trace ?
- Non, pas vraiment. Pas ici, en tout cas, dehors peut-être. Maintenant, je pourrai vous protéger partout où on ira. »
Cette idée semblait le rassurer profondément.
James sortit de sa poche un petit écrin de velours et s'agenouilla. Sirius éclata de rire. Dans le coffret reposait une montre à gousset de bronze, au cabochon orné d'entrelacs dorés qui ne ressemblaient à rien de classique. Sirius connaissait ces dessins. Les mains tremblantes, il l'ouvrit. Dans le couvercle était gravé, sur un ruban : « Mischief Managed ! ». C'était les ornements de la Carte du Maraudeur, tels qu'il les avait dessinés. Il tomba à genoux devant James et déclara, avec une fougue dont rêvent tous les prétendants sans jamais la connaître, si brut que cela n'avait rien d'amusant : « Je le veux. » Ils s'écrasèrent tous les quatre sur le lit, en renversant la vaisselle. Quand ils eurent quitté la pièce pour se préparer, Sirius marmonna quelque chose et revint sur ses pas.« Je vais venir au match », promit Remus.
Sirius lui coupa la parole avec un baiser. Et puis un autre, plus passionné, plein de regrets, les doigts pressés dans l'épaule, la côte, les cheveux.
« Sirius... murmura-t-il.
- C'est toi qui m'as fait, Moony. »
Et le rideau se referma derrière lui.
L'anniversaire de Sirius fut acclamé avec fracas par les Gryffondor des tribunes, à la grande fureur de Regulus et des Serpentard. Remus l'entendit depuis l'infirmerie, dans son sommeil agité. Sirius avait appréhendé un peu ce match, la confrontation avec son frère qu'il n'avait pas approché depuis longtemps. Mais une fois dans les airs, tout puissant sur son balai, la seule chose à laquelle il réussissait à songer, c'était qu'il ne leur restait que ce jeu. Alors jouons ! Bousculons-le, coupons sa route, taquinons, stupéfions le public avec nos caracoles qui les font sursauter, nos concours de voltige et de piqués, les étincelles à chaque regard de haine,
Et...
Et quand Remus rouvrit les yeux, il les frotta, les écarquilla, secoua la tête, désapprobateur.
James souriait largement, le visage éclairé par un vif d'or qu'il tenait entre ses dents.
« James, comment est-ce que tu as pu...
- Ch'est Chiruch y a a'rapé.
- Pour te le donner », précisa le fautif.
James adressa un haussement de sourcils dubitatif à Remus. C'était l'ultime saleté qu'il avait pu infliger à son frère.
« Mais alors, vous avez perdu !
- Pas grave. On sait qu'on gagnera les prochains. »
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