Automne 1975 : un voeu


Un jour...


« Hmm... Sirius... c'est toi ? demanda James, vaguement éveillé.

- Affirmatif.

- Je t'ai entendu partir mais j'arrivais pas à me lever...

- Je crois que je suis allergique à la chatte d'Achille, j'avais la gorge qui grattait.

- Ça m'a semblé long...

- Je sais pas, un peu, mais si tu dormais à moitié aussi.. »

Il renifla, encore sous le coup de son "allergie".

« Merde.

- T'as été contaminé par Snivellus. On va devoir t'achever, c'est dommage, je t'aimais bi... YAOUATCH ! cria-t-il, percuté par un traversin.

- Bouse de troll, les gars ! » s'emporta Achille.

Remus, inconscient, entra à ce moment-là.

« Eh, t'étais dehors, toi ? s'étonna Sirius. Comment ça se fait que je t'aie pas croisé ?

- Comment ça se fait que vous ayez besoin de vous agiter même la nuit ? grogna Achille.

- Tout le monde dort, répliqua Remus, c'est le meilleur moment pour accomplir ses méfaits.

- TOI ! s'indigna Achille. J'le savais que t'étais le pire ! McGo n'aurait jamais dû te faire confiance, c'est à moi que revenait le titre de préfet !

- Ça va, Moony ? s'enquit Peter.

- Oui, j'ai reçu un signal de Flitwick qui me demandait de vérifier le couloir du septième.

C'était Mowgli..., ajouta-t-il en douce à James.

- Oh la flemme de se lever la nuit pour les méfaits des autres, j'te laisse le titre... »

Ils se recouchèrent en riant.

C'est nul de devoir atterrir comme ça, balayer les émotions ne pas simplement s'engloutir dedans comme dans un tapis de neige, s'effondrer à l'infini. Au contraire, et même si elles tapissent encore le cœur, devoir les mélanger aux blagues graveleuses des autres garçons, se faire légèrement interroger aussi, malgré toutes les précautions. Il n'y a pas d'intimité dans ces dortoirs, il va sans dire que James et Achille s'absentent parfois eux aussi, restent sous la douche après les autres, recommencent à fermer les rideaux de leurs baldaquins, et tout ce qu'on peut imaginer en raillant. Mais peut-être que ces sorties nocturnes à deux, coïncidence douteuse, dépassent l'imagination et la plaisanterie. Sirius tendit le bras. Remus effleura ses doigts, encore un peu fripés du bain. Il avait envie de tirer déraisonnablement sur sa main, l'attirer dans son lit, recommencer à le mordre, s'endormir avec sa chair chaude sous le nez, dans la bouche, sa respiration lourde embrassée sous le corps. Mon corps déjà froid, déserté par toute l'intensité que toi seul sais lui insuffler. C'est comme s'il y avait deux personnes en moi, et l'une des deux fuit la lumière parce que je ne suis pas prêt à révéler le secret,

à le diluer

Est-ce que tu comprendras

Le réveil claironna, une poignée d'instants plus tard, leur arrachant à tous les cinq une belle harmonie polyphonique de grognements sur la même gamme.

« Jeez, geignit Sirius en pressant ses yeux. On commence par Dema.

- Bleuarg », répondit James en feignant de vomir.

Remus se laissa dramatiquement tomber du lit et Peter s'était déjà rendormi.

Sirius fit exprès de bousculer Remus en entrant dans la salle, pour le plaisir de se frotter à peine à lui. « Mais quelle brute, souffla Marlene, pas étonnant qu'il soit batteur... » Remus sourit rêveusement. Il était toujours au fond, Sirius toujours devant, ils se cherchaient du regard le plus discrètement possible, l'un après l'autre, jamais en même temps, ce serait trop voyant, seulement on se devine du coin de l'oeil et on sourit, des éclairs dérobés, voleurs de foudre.

« Pettigrow » siffla Sacarver sans raison, au milieu du cours.

Peter blêmit, acheva sans discrétion de changer de place à la feuille de Mandrgore qui lui irritait la joue droite.

« Mais j'ai rien d...

- Qu'est-ce que vous êtes en train de manger ? »

Sirius et James sentirent leurs entrailles se nouer. Ils échangèrent furtivement le même regard panico-furieux, pétrifiés sur leur plume.

Jeez, Peter. Tu n'as pas intérêt à tout faire rater.

« R... ien... balbutia leur ami.

- Eh, mais sale menteur, il te restait des chewing-gum ! Tu as dit hier que... »

James s'étrangla sous le coup d'un sort de mutisme. Quelques élèves dans la classe étouffèrent leurs hoquets indignés : jamais encore un professeur n'avait osé recourir à ce sort pour faire autorité. Sirius posa une main compatissante sur son bras et James lui ordonna silencieusement : fais ce qu'il faut.

Oh, je sais déjà !

« Accio ! » ordonna Sacarver.

La feuille de mandragore quitta la bouche de Peter transi, toute noire, luisante de salive. Il y eut un petit frisson de dégoût dans la classe.

« Qu'est-ce que...

- Uuuun...mari ? pari ! » déchiffra Peter sur les lèvres de Sirius, complètement terrorisé par son professeur.

Ce dernier se tourna dans la direction dans laquelle il regardait. Sirius tenait sa baguette dans sa robe.

« Vos mains sur la table. »

Le regard noir, la mâchoire serrée, Sirius obtempéra. Sacarver déplia le reliquat de feuille mâchonnée qui voletait toujours.

« Mandragore ? »

Est-ce qu'il sait ? fusait la tête de James. Uniquement s'il est animagus lui aussi, ce qui semblait n'être pas le cas. A moins qu'il ne mûrît sa sentence sous ce visage impassible...

« J'enlève vingt-cinq points à votre maison pour insolence. »

James écarquilla les yeux. Vingt-cinq ! C'était complètement disproportionné. Il leva la main pour demander à son professeur d'annuler le sort, mais Sacarver l'ignora, reprit le fil de sa leçon sur les Harpies.

« Eh, professeur ! interpela Sirius. Vous avez oubl... »

Un claquement méprisant des doigts et Sirius se retrouva mutique lui aussi.

« Manifestement VOUS avez oublié la politesse élémentaire. Maintenant, notez, vous n'avez pas besoin de parler pour copier le cours, ce sera d'autant plus rapide et efficace. »

A la sortie de la classe, après avoir prestement et silencieusement passé l'angle d'une statue car Sacarver ne manquait pas de sanctionner ceux qui osaient parler dans « son » couloir, le groupe d'élèves entoura Peter, écarlate. Quoique muets, James et Sirius, face à lui, le clouèrent sur place de leurs regards sentencieux, bras croisés, épaule contre épaule. Ne dis pas de connerie. Ne trahis pas. Le visage de James se métamorphosa l'instant d'après pour adopter la même mine moqueuse que leurs camarades.

« Qu'est-ce que tu fichais avec une feuille dans la bouche ?! » rit Edgar.

Peter s'empêtrait dans ses mensonges :

« Non, mais c'est Sirius et James qui... »

Remus croisa les bras à son tour et toisa ses deux amis, atterré.

« Ils m'ont dit que ça exaucerait un vœu...

- T'as fait ça, Sirius ? »

Sirius secoua la tête et les bras en riant silencieusement, James faisait mine que ce n'était pas une si grosse bêtise. Il désigna Peter en haussant les sourcils puis les épaules.

« C'est pas parce qu'il est un peu naïf qu'on doit en profiter ! Il s'est fait punir et ridiculiser, vous devriez culpabiliser ou compatir un petit peu ! »

Sirius et James se regardèrent ingénument, parfaits reflets, secouèrent la tête, démunis : je ne vois pas où est le problème, il y a un problème ?

« C'est pas grave, Moony, plaida Peter, viens, on va chercher McGonagall pour qu'elle lève ce sort.

- Je ne sais pas si j'en ai envie, marmonna Remus en les rabrouant encore du regard. Leurs langues de vipères sont... Aïe ! Eh oui, si vous les utilisez comme des cancrelards, j'ai bien le droit de dire ça ! Vous n'avez qu'à vous comporter en Gryffondor ! »

Sirius leva les yeux au ciel mais passa quand même un bras sur son épaule pour avancer vers le bureau de leur directrice. James le retint par la manche. Ses trois amis se retournèrent vers lui. Il secouait vivement la tête.

« Comment, non ? s'étonna Remus. J'ai pas spécialement envie de t'entendre brailler à nouveau mais je ne peux pas te laisser comme ça... »

James tira à nouveau la manche de Sirius. Il y eut un échange de regards et de grimaces plutôt mystérieux, mais assez éloquent pour que Sirius se frappât le front également et fît non de la tête, campé sur ses pieds à côté de James.

Si Sacarver rapportait à McGonagall, en leur présence, cette histoire de feuille arrachée à la bouche de Peter, elle ne pourrait plus faire semblant de ne pas savoir. Alors peut-être qu'il finirait par cafter, mais hors de question de se jeter dans la gueule de la lionne.

Remus interrogea Peter du regard. « Tu y comprends quelque chose ?

- Non, ben non, je vois pas ! »

Sirius saisit Peter par le bras, James prit Remus par le cou et ils les conduisirent dans les toilettes où ils leur firent signe de lever le sort.

« Eeeh, déconnez pas, la magie de Sacarver est plus puissante que la mienne. »

James le supplia du regard : essaie quand même !

« Tu me diras pourquoi vous n'êtes pas allés voir McGo ? Elle ne vous punirait pas, pas pour ça ! »

James haussa les épaules, sourire espiègle, regard fuyant. Remus soupira, las, le poing sur la hanche. Encore... Encore un secret, n'est-ce pas ? Les méfaits, ça va un peu, mais pas trop avec le préfet. La face maussade, il leva sa baguette en direction de Sirius et clama sèchement : « FINITE ! »

Toute la brutalité de leur professeur claqua dans l'air quand son sortilège se brisa et propulsa son ami sur le mur. Il toussa. Mauvais souvenir.

« Ah Jeez, Rem...

- Arrête de dire Jeez à tout bout de champ. »

Il se tourna vers James qui se cramponnait déjà au lavabo. Le contre-sort fusa comme une gifle, lui ébouriffa les cheveux un peu plus et le fit saigner du nez.

« Foutu Sacarver », grogna-t-il.

Devant les serres, Peter faisait basse figure, mortifié d'avoir perdu sa feuille. James bavardait avec des camarades. Sirius attrapa un fil de la manche de Remus, à défaut de pouvoir lui prendre la main.

« Pardon »

Hum. Sirius ne demandait jamais pardon.

« Pourquoi ?

- Pour... T'avoir mis en colère ? » répondit-il.

Il broda un peu, en continuant de jouer avec sa manche, près du poignet :

« J'avais pas envie que McGo en rajoute.

- Vous abusez avec Peter, toi et James.

- Mais on lui a jamais demandé de rien faire ! C'est James qui a trouvé ça dans un magazine moldu de Marlene, Sabrina l'apprentie sorcière ! En plus, on se moquait de ces croyances moldues ! Je ne sais pas ce qui lui a pris. »

Remus secoua la tête, une fossette retenue au coin des lèvres.

« Il n'y a que lui pour tomber dans le panneau ! s'enhardit Sirius.

- C'était quoi le sort ?

- Garder une feuille de mandragore dans la bouche toute la journée, après avoir écrit son vœu dessus. Franchement, qui croirait à ça ? »

Le sourire de Remus se fit plus... Lointain frais, comme la brume blanche sur le ciel bleu, les matins d'hiver.

« Si c'était un vœu très important, moi aussi, je me donnerais toutes mes chances, même les plus absurdes.

- Tu veux qu'on essaie ?

- Hum, ce serait contrariant pour...

- Pour ? »

L'œil de Sirius s'éclaira une demie seconde trop tard, il le détourna aussitôt de son ami. Remus plissa les yeux, chatouillé par une intuition :

« Sirius. Est-ce que tu as une feuille dans la bouche ?

- Non mais tu crois que je suis si con ? »

Remus haussa les épaules.

« Je crois que tu me prends pour un con. »




&


« Ce serait quoi ton vœu ? Celui pour lequel tu ferais des trucs absurdes. »

Le décor a changé. Une semaine a passé, depuis que Peter a perdu sa feuille. James et Sirius n'ont pas renoncé, tant pis pour lui. De toute façon, on est en automne, qui sait quand aura lieu le prochain orage ?

Remus et lui ont essayé de se retrouver la nuit précédente. James a entendu Sirius, qui a fait semblant de réveiller Remus qui a fait semblant de râler. Ils sont allés dans la salle commune, échanger une cigarette à deux pendant que leur ami se lamentait sur, à tour de rôle, McGonagall et ses devoirs, Evans qui n'avait pas voulu lui donner un coup de main, le prochain match de Quidditch, Evans qui louait les qualités de son adversaire, Nichols, comme par hasard, comme pour le narguer, son jouet confisqué par Slughorn et Evans qui l'avait traité de gamin.

« Il était vachement réussi... se lamenta-t-il.

- Quelle magie, admira Remus.

- C'est merveilleux, le déni, renchérit Sirius.

- Eh, c'est PAS du déni, bande de caves. Je sais bien. Laissez-moi dire du mal d'elle le plus possible parce qu'elle adore toujours Snivellus et il faut que je me convainque qu'on ne va pas bien ensemble.

- Oh, elle en est déjà convaincue, t'as qu'à lui demander.

- T'es pas très fort pour dire du mal d'elle. Tu ne fais que te plaindre. Tu déprimes, mais moi je t'aimerai toujours ! »

Sirius alluma une deuxième cigarette et la tendit à Remus qui somnolait, en boule, sur le canapé. James effleura ses cheveux.

« Eh, le vieux couple, je ne suis pas votre bébé » marmonna-t-il.


&


« Ce serait quoi ton vœu ? » demande Sirius.

Remus hausse les épaules. Probablement n'avoir jamais été mordu, c'est évident, mais peut-être que Sirius veut s'en assurer, peut-être qu'il espère autre chose. Pourtant, souhaiter d'être avec toi pour toujours, ça sonnerait comme une malédiction. Si je ne te tenais pas dans mes bras, je n'oserais même pas souhaiter t'y enfermer, toi.

Liberté, liberté chérie, 

qu'ils chantent...

« La question est bête... » se méprend Sirius, face à son silence.

Remus lève la tête pour l'embrasser encore.

« Peut-être pas tant que ça. Et toi ? »

Il dessine sur la peau fine de ses avant-bras en réfléchissant. Il y a trop d'éléments et de conséquences intriquées. T'aimer simplement et perdre tout le désespoir de notre amour, urgent, épuisant ; pépites d'un or plus brillant et pur que les autres, arraché à la terre de nos mains sales, suintant en rubis dans nos balafres qui pleurent, maudits. Épuisant

Insolent et 

Merveilleux pied de nez à la face de la lune immortelle, je n'y voudrais rien changer. Je souhaiterais seulement ne pas t'emprisonner dans ce secret.

Il dessine des runes du bout des doigts. Celle de l'homme. Celle de l'union. La protection aussi. Et enfin la liberté. Il embrasse ses veines, mord un peu. Remus rit dans un souffle et revient l'enlacer. Il aime bien quand il fait rire Remus, rire vraiment, à perdre un peu le contrôle : dans ces moments-là, il est fier de son esprit, son genre de magie. Mais Remus ne rit déjà plus, il le tient seulement fort, là, dans ses bras. Il murmure une ode à sa beauté, à son parfum, il murmure quelque chose qui roule sur toute sa peau, un vêtement, cape d'invisibilité pour rester seuls au monde. Des vœux, et pour quoi faire ? Un vœu, ça ne change pas le passé ; quant à l'avenir, on n'en parle jamais, il ne sert jamais qu'à réparer imparfaitement. On n'a pas besoin de ça pour s'aimer ici maintenant inconditionnellement absolument. Il y a des vœux qui se sont exaucés au hasard, de travers, et pourtant, je te tiens, émerveillé, sans savoir si c'est une malédiction ou une bénédiction.





Cette semaine, on remercie Pierre (Peter en anglais) qui a nié trois fois être en train de manger un chewing gum et m'a fait regretter de ne pas pouvoir employer de sort d'attraction. Il m'aura donc aussi inspiré cet anecdotique chapitre.




Et demain, on re-regarde "1917"


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