Automne 1975 : non-dits


Un jour...


Les Maraudeurs serraient les dents aux jours anniversaires. Aucune nouvelle de leur parvenait des attentats perpétrés par les Mangemorts. McGonagall avait su alerter les autorités avec discrétion et n'en savait pas davantage. Pourtant quand des agents du Ministère enquêtèrent sur les crimes, ils découvrirent avec effroi que tous n'avaient pas été portés à leur connaissance. On touchait aux limites de leurs capacités. Il y avait trop d'incivilités qui leur échappaient, elles se multipliaient de partout, parfois sans qu'ils ne l'apprissent. Les provocations ostentatoires comme celle de Londres éclipsaient perfidement le bruissement de petites failles dans le secret, des failles creusées à coup de violence magique, de terreur insinuée dans le monde moldu. Ce ne fut qu'à l'occasion de se rendre dans les villages attaqués en commémoration de la Fantasque qu'ils s'alarmèrent face à l'ampleur de la tâche.

Les Mangemorts avaient compris qu'ils pouvaient en tirer avantage et multiplièrent les dupes et fausses alertes jusqu'à ce qu'une recrue particulièrement forcenée fût capturée par le Ministère. Il chantait à la gloire du Seigneur des Ténèbres en prétendant être un espion. C'était Tiny Tim. Il se défendit farouchement, ne voulait rien moucharder et lorsqu'on le soumit au Veritaserum, il se trouva qu'il ne savait rien de très intéressant. Ce fut Emmeline qui tint les Maraudeurs informés de ces derniers éléments ; la Gazette se targuait d'avoir un captif. Mais un scandale éclata bientôt. Tiny Tim était encore mineur. Le Ministère de Michum voulait l'enfermer à Azkaban afin de l'ériger en exemple. Nombre de sorciers se soulevèrent, horrifiés par l'usage de la potion de vérité sur un enfant ainsi que sa condamnation, et le peuple se divisa une nouvelle fois.

Ce qu'il était advenu de William, Sirius ne pouvait le savoir. Il s'inquiétait, il ne pouvait s'en empêcher, et pour Tiny Tim aussi finalement, même s'ils l'avaient malmené. Ils était paumés et Sirius avait horreur des paumés. Tim n'était pas si stupide, même s'il était ambitieux et affamé d'attention. Sous l'influence de quelle potion avait-il pu commettre une pareille bavure ?

Remus songeait à autre chose, en repliant sa Gazette. Il y avait pensé quelquefois sans le formuler vraiment, il y avait pensé de loin mais la chose le frappa ce matin-là. Il se demandait combien parmi les autres élèves de Poudlard disposaient d'informateurs dans leur entourage, comme lui avait la chance de pouvoir communiquer avec son père et Emmeline. Et combien de professeurs ? Rien n'était officiel, les uns démontaient les propos des autres et chacun campait sur ses positions. C'était une guerre secrète, guerre de Polichinelle dans laquelle rien ne se déclarait.

Les élèves quittèrent leur table et se dirigèrent vers les serres où avait lieu leur premier cours. En automne, ils aimaient bien traîner dans le matin frais, doré encore, les chaussures humides de rosée qui donnait de l'espoir à Sirius, la rosée qui servirait bientôt à sa potion. Des bogues de châtaignes roulaient jusqu'à eux, gorgées de fruits rebondis, que certains s'amusaient à ensorceler. Sirius faisait du « air quidditch » en les dégommant comme des cognards à coups de sortilèges. « Attention, Remus, glapit-il en faisant exprès d'en précipiter un vers lui pour mieux se jeter sur lui et le protéger in extremis. Aaaaah, tu m'en dois une ! »

Remus leva les yeux au ciel à son sourire charmeur. Il n'avait pas frémi d'un cheveu. A côté de lui, Lily se perdait dans la contemplation des fruits bruns brillants, profonds qu'elle venait de ramasser.

On dirait les yeux de James.

« Oups, désolé Snape... » grimaça ledit James qui venait d'en jeter une dans son dos, si vivement qu'elle restait accrochée par les piquants. Heureusement, c'était son écharpe. Lily ouvrit la main pour laisser tomber les châtaignes , elle en réserva une, la plus grosse, qu'elle lui jeta au crâne.

« Aïe ! Eh, qui a fait ça ? C'est toi Moony ? »

Remus s'étrangla, bouche-bée, scandalisé, pendant que Lily retenait son fou-rire à côté de lui.

Sa blessure finissait par guérir, lentement. Ce matin-là, sa paupière ne le gênait plus. Les plus jeunes, les nouveaux arrivés à Poudlard l'avaient dévisagé, d'autant plus qu'en raison de son rôle de préfet, il venait régulièrement à leur rencontre. Mais ce n'était rien face à

La retenue de Sirius ces derniers temps, depuis qu'il était revenu.

Sa tendresse n'avait pas faibli. Après la pleine lune, il avait embrassé les blessures de son visage, laissé le temps à Remus de se rétablir. Leurs mains se cherchaient toujours dès qu'ils pouvaient se cogner l'un à l'autre dans un couloir, ils continuaient d'échanger des regards en classe, de presser leurs genoux à table. Mais, grâce à deux excellentes excuses, Sirius avait manqué deux rendez-vous, et il n'en avait pas proposé d'autre. Un peu plus distant au moment de se coucher, et on ne s'accordait plus de sortie nocturne. Peut-être qu'il était las de garder le secret, ne se voir furtivement que pour ces baisers et caresses trop pressés ? Mais il ne s'agissait pas que de cela, si ? Ne partageaient-ils pas encore de longues confidences ? Est-ce que l'ardeur de Remus finissait par le dégoûter ? Ou que son corps... qu'il s'était rendu compte cette fois, que ce n'était pas quelque chose à prendre à la légère ? Peut-être que sa blessure le repoussait plus qu'il ne l'avait admis, ou sa mélancolie

Si Remus lui avait fait mal ?

Ou peur ?

S'il avait envie de quelqu'un d'autre ?

« Remus ?

- J'ai froid, c'est rien. »

Il se rua dans la serre qu'ouvrait tout juste Chourave, sans songer à Peter et Lily qu'il laissait un peu tomber derrière lui et dirigea toute son énergie dans ses mains qui tremblaient, ses yeux embués, travailla de son mieux à éloigner ses pensées parasites. Il y arriva assez pour trouver la force de demander tout bas à Sirius, en huilant leurs sécateurs : « Je peux te parler, tout à l'heure ? » Son ami hocha la tête et frotta doucement son pouce en prenant son outil.

« Tu ne ferais pas un peu de fièvre, toi ? s'inquiéta Lily.

- Ouais possible... » marmonna Remus en rougissant.



Pendant le déjeuner, Sirius se mordit la langue si violemment qu'il en saigna. Il en fit tout un scandale et se mordit de nouveau au même endroit quelques minutes plus tard tant elle avait enflé. Remus prétexta une tâche de préfet pour s'isoler dans les toilettes où il attendit Sirius, le suppliant de toute la force d'une magie émotionnelle qui l'atteindrait peut-être, il le supplia de ne pas faire faux-bond, pas cette fois-là. Il s'appuya au lavabo et toisa son reflet meurtri comme on appuie sur une ecchymose, jusqu'à en avoir les yeux brillants de rester ouverts si longtemps, jusqu'à ne plus voir que du blanc partout.

« Hey », murmura Sirius, dans la porte, et Remus s'accrocha à ses yeux.

Merde, il ne pensait pas être si anxieux de le voir, un jour.

Sirius essayait de ne pas demander stupidement : tu pleures ?

Ils essayaient de ne pas buter.

« Sirius, est-ce que tu vas bien ?

- J'ai mal à la langue.

- Vraiment ? »

Sirius fronça les sourcils, comme surpris, mais le regard fuyant. Sa langue dansait dans sa mâchoire, il glissa un doigt entre ses lèvres et le tendit, luisant et écarlate. « Cachu » Remus attrapa son poignet. « Tu étais censé arrêter ça »

Personne ne laissera de marque sur ma peau, à part toi

Pas même moi-même

Le visage de Sirius s'assombrit.

« J'ai fait exprès, tu crois ?

- Oui. »

Il s'assombrit encore. Poignets croisés, comme des baguettes. Je n'aime pas ce qui est en train d'arriver, tu détestes les mensonges, mais j'ai trop peur d'échouer, j'ai tant envie de te faire la surprise. J'ai peur que tu refuses. J'ai envie d'y arriver, et peur.

La prise de Remus se fit plus hésitante.

« Est-ce que... on est allés trop loin ? Tu regrettes ?

- Non !

- Tu n'as pas fait exprès de refuser les rendez-vous ?

- Remus, balbutia Sirius. Tout va bien.

- Tout va bien ? »

Sirius tira un peu sur son poignet qu'il brandissait de nouveau. Après une légère hésitation, un regard vers le couloir, Remus glissa le doigt souillé dans sa bouche. Animal. Il suça doucement, le parcourut de sa langue, et s'en lécha les lèvres. Le gémissement de Sirius sentait le sang qui brusquait dans son ventre. Remus délaissa son doigt et embrassa sa bouche avide qui répondit à chaque baiser, à en perdre le souffle. Sa langue buta sur les lèvres qui ne voulaient s'ouvrir.

« J'ai... La langue en feu, là... Dans... Dans quelques jours, ça ira, d'accord ? »

Depuis quand tu refuses que je t'embrasse jusqu'au sang ?

« C'est la même chose que l'année dernière ? Je me rappelle que tu n'avais plus envie de...

- Si, répliqua Sirius, le poing sur sa poitrine.

- Mais qu'est-ce qui se passe alors, bon sang, Sirius ? Je ne comprends rien. Qu'est-ce que je peux faire ? »

Le désarroi de Remus le mettait à la torture. Alors Sirius se métamorphosa, c'est à dire qu'il sourit.

« Attendre » répondit-il sur le ton de l'évidence, comme McGonagall.

Dans deux semaines, ce sera la fin du mois, et ensuite la mirifique surprise qui dégomme le secret aux oubliettes, tu verras !

« Attends avec moi, attendons ensemble !

Je te jure que ça va, et ça va aller toujours mieux

Attendons ensemble, je ne te quitterai plus jamais. »

Remus accusa un choc, bouleversé par cette promesse impromptue et enflammée. Il pressa la main de Sirius qui appuyait toujours sur son cœur et se délectait de chaque battement bouleversé.

Depuis quand manies-tu les mots ainsi ? Je sais que c'est pour mieux m'embobiner, mais tu n'as jamais été optimiste.

(Seigneur, je m'en rends compte aujourd'hui, tu n'as jamais été optimiste)

Qu'est-ce qui a changé ta colère en loyauté ? Est-ce que moi aussi, je pourrais bien croire en un secret ?

Sirius sentit sa décision sous sa main, d'un battement plus sourd car

La confiance aveugle donne un peu le vertige.

« Est-ce que je peux embrasser tes lèvres ? murmura Remus.

- J'ai très envie que tu m'embrasses... »




&


« Dis, Remus, quand est-ce que tu vas lancer ton patronus sur Sacarver ?

- Pardon ?

- Tu as raison, il a vraiment été infect avec toi, il mérite ton courroux.

- Je me porte mieux, merci.

- Tu sais qu'on marche derrière toi, ne crains rien.

- Mais Pas Du Tout.

- Tu es le meilleur d'entre nous, Moony. Et Sacarver le pire de tous. Tu vas nous délivrer et sauver nos âmes. »

Remus haussa à peine les sourcils, plongé dans un article ancien dont son père lui avait envoyé une copie. Il était bien le seul élève à résister à Sacarver : sa soif de connaissance forgeait des détours.

« On dirait un Serdaigle, marmonna Peter.

- Tu y comprends quelque chose ?

- Genre, tu peux nous faire des antisèches pour les prochains devoirs ?

- Non, grimaça Remus, je n'ai pas de meilleures notes que vous aux devoirs...

- Parce qu'il y a ton nom dessus, grommela encore Peter.

- C'est quoi, ce truc, alors ?

- Rien d'intéressant par rapport à ses cours, juste une intuition... Une piste que j'ai eu envie de suivre. »

À la lecture des textes anciens dont leur professeur mentionnait les titres au milieu de noms de savants méconnus, Remus commençait à discerner quelque chose, qu'il n'eût pas saisi sans Suliman, et même sans Sandmann, qui leur avaient appris à exploiter et canaliser leurs pouvoirs. Sacarver était obsédé par la magie, mais pas en tant que puissance, plutôt en tant que matière, ou peut-être onde, émanation, comment savoir ? L'essence même de la magie qu'il sentait vibrer dans son être.

« C'est vrai, dit Peter, tu as toujours été le plus sensible.

- Ouais, bah ça montre bien qu'il n'aurait pas dû être prof de Défense contre les Forces du Mal, son truc ça a plutôt l'air d'être les sortilèges... » méprisa Sirius.

Mais à côté de lui, James pâlissait.

« Moony ! Athenray ! Les Mangemorts ! Les Obscurus ! Tu sais, elle a rencontré des enfants qui étouffaient leur magie, à cause des Mangemorts qui leur ont mis la pression pour en faire des Obscurials et utiliser leur force...

- Je me rappelle, tu m'en as déjà parlé. Mais je n'imagine pas trop trop Dumbledore embaucher un Mangemort.

- Peut-être qu'il ne sait pas ! s'alarma Peter. Il faut aller lui dire !

- Eh mais descendez de vos tours, là, j'ai seulement remarqué que Sacarver s'intéresse à la magie, d'où vous sortez qu'il est là pour torturer des enfants ?

- Bah... Il ressemble quand même vachement à un détraqueur ? »

Remus plissa les yeux.

« Il a de quoi traumatiser les première année.

- Certes. Dumbledore est au courant pour les Obscurus.

- Alors il l'a embauché pour le tenir à l'oeil.

- Si tu le dis... Où vas-tu ?

- J'ai rendez-vous, après. Héhé.

- Héhé. »

Sirius leva les yeux au ciel. Peter ne cessait de soupirer après le travail, si bien qu'il l'envoya soupirer ailleurs. Remus continuait de lire, un discret sourire aux lèvres. Sirius tendit la jambe jusqu'à trouver son pied.

« Rosa centifolia, murmura Remus.

- Quoi ? répondit Sirius, intrigué.

- C'est... C'est le mot de passe de lasalledebainsdespréfets », balbutia-t-il en rosissant, la tête baissée.

Le cerveau de Sirius s'arrêta. La salle de bains. Luxe et... Volupté. Remus, lui, piscine, bulles, huiles de bain, nus parmi le marbre blanc, la chaleur de l'eau... Son cœur s'emballa si fort qu'il ne s'entendit pas demander :

« Quand ? »

Remus inspira.

« Ce soir ? Ou demain... ? »

Cachu, Remus, pourquoi maintenant. Je vais avoir envie de te

Et je ne pourrai pas complètement

Tu fais exprès, tu me testes ? Tu cherches les limites du secret, hein

Sa main s'avança vers celle de Remus.

« Qu'est ce que vous échangez comme farces encore... murmura Dorcas en posant un volume sur leur table.

- On fait du spiritisme, rétorqua Sirius.

- Tu peux pas, t'as pas d'esprit. »


Au cours de potion suivant, Sirius subtilisa des graines de Riskin, celles qui l'avaient rendu malade deux ans auparavant. Il les serra fort dans son poing toute la journée, et plus fort encore lors du dîner. Ne sois pas lâche et Ne lui fais pas de mal. Peut-être que tu peux enlever ta feuille, que James et Peter suffiront pour l'accompagner les premiers temps : ensuite le secret sera révélé, ce sera plus simple de lui expliquer. De toute façon, c'est l'automne, il n'y aura plus d'orage avant longtemps.

Non, tu sais que ce sont des excuses trop faciles.

À la nuit tombée, il s'enferma dans les toilettes, sortit les graines vénéneuses, les regarda, au creux de sa main.

S'il y a une bonne excuse pour ne pas venir à ce rendez-vous, ce sera plus simple que d'y aller et d'être étrange

 et moins douloureux que de refuser

Si simple.

Si douloureux

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