Automne 1974 : Violences
illustration : teeething (deviantart)
AVERTISSEMENT violence·s
(précision en commentaire afin de limiter le spoil, âmes sensibles, préservez-vous)
Un jour...
Poudlard surplombait le monde sorcier du haut des monts écossais, espace protégé par la main implacable d'Albus Dumbledore. Il n'y avait pas à discuter et les ténèbres mouvantes de Londres et du monde magique se cognaient sur ses portes. Mais par les brèches dans les murs et les fissures du bois, les rumeurs s'immisçaient. Elles circulaient de celui qui recevait des nouvelles de sa famille impliquée à celui qui se fiait à la Gazette tiède, d'autres élaboraient des théories au sujet des professeurs silencieux qui se montraient toutefois, comme Flitwick, plus tendus et plus exigeants. Un jour, Dumbledore s'absenta. Cela coïncida avec la réception, par Sirius d'une lettre qui ne venait pas du Square Grimmaurd. Sur le cachet de cire, le logo d'Aerosmith était gravé à la main. Un coup violent secoua son crâne. Il se rappelait de la figure rieuse d'Emmeline avec joie mais la chape de malheur du camp emplit soudain son cœur de bile amère. James siffla, effronté. Sirius lui colla de la marmelade sur le nez.
« Get your wings, mister Black !
J'espère que cette lettre te parviendra et tu as intérêt à rapidement me répondre pour me le confirmer. Depuis la fin de l'été, mes parents m'ont fait venir en France. Ils travaillent. Je me sens seule et je m'ennuie TERRIBLEMENT. Je m'ennuie tellement que je vais te recopier toutes les paroles de ma chanson préférée d'Aerosmith, le titre est "movin' out" et je te conseille de l'écouter dès que possible, en chantant bien les paroles :
We all live in the edge of town
Where we live is not (imperie) empire
People start a-comin'
All we do is gathering
Said we gotta move out
'Cause the city's changing
Tell me who you know
And I'll tell you "not anymore"
Go see my friends and they'll set you free
Go see the head they'll hide the face
Tell me what you see and
Maybe I can help too
No one knows the way but maybe we
Nobody goes there
Nobody shows where
Nobody knows where you can find them, yeah
« Good mornin' glory, hallelujah to you »
That's our story, what we've been through
Livin' for a lord in the fear of the land
But we sing like gods in a rock n' roll band
Oh, Lordy, Lordy, Lordy...
Level with God
And you're in touch with the real world
Talk with others
And you'll hear what you wanna know
Gotta rise above
'Cause below it's only gettin' worse
crime 'n disguise
Will take you where you wanna go
Le seul point positif c'est que j'habite près de la tour dont tu m'as tant parlé, ça me fait penser à toi et à la MERVEILLEUSE camaraderie qu'il y avait aux camps.
Réponds-moi vite,
Emmeline. »
Sirius leva la tête. James avait le regard perplexe et plein de compassion.
« Elle était déjà bizarre comme ça, ta copine ?
- James...
- Non mais je ne suis pas con, je comprends bien... qu'il y a quelque chose à comprendre. Par exemple, je sais qu'il y a une tour Eiffel à Paris !
- Eiffel ! » hoqueta Peter si fort qu'il fut pris d'une quinte de toux épouvantable. James lui frappa dans le dos et il finit par se dégager brutalement la gorge dans sa serviette de table. "Et merde", songea Sirius.
« Est-ce qu'elle parle de la personne ou de la tour ? réfléchit Remus. Difficile de savoir...
- Message codé égale danger, non ?
- Égale surtout qu'elle s'ennuie beaucoup. Sa famille est moldue. Elle va à l'école moldue. Elle dit bien qu'elle n'est pas mêlée au monde magique.
- Ça ne l'empêche pas d'être en danger si les partisans de tu-sais-qui traquent les nés-moldus.
- Ils n'en sont pas là, quand même, dédramatisa Peter.
- Tu sais, ils attaquent même les moldus qui n'ont pas de pouvoirs magiques, je les ai vus, gronda Sirius.
- Elle doit s'en rendre compte, de quelque façon que ce soit...
- Il y a un rassemblement, c'est ce que dit la chanson, indiqua Remus qui relisait le courrier.
- Un rassemblement à Paris ?
- Dumbledore est absent.
- "Mes amis te libéreront", répéta Sirius qui s'était levé pour lire avec Remus. Peut-être un rassemblement destiné à lutter contre Vous Savez Qui ? "La ville change"... "Ceux que nous connaissons, plus maintenant", "Va voir la tête, elle cache le visage "?
- Merde, Sirius, il faut qu'on y aille ! »
McGonagall s'approchait en effet : tout le monde, ou presque, avait quitté la Grande Salle et les cours allaient débuter.
« PU... ! » s'écria Sirius qui détestait que quelque chose lui résistât.
James avait pressé sa main sur sa bouche juste à temps. Remus glissa la lettre dans la poche de Sirius et l'entraîna vers la salle de Défense Contre les Forces du Mal avant que leur directrice n'eût pu les sermonner.
C'était le jour de leur exposé. James et Remus passaient en dernier et James garda la main sur son coude jusqu'au moment de se lever. Il avait lu le rapport de Wilk avec Peter et Sirius, pas en secret mais à l'écart du regard déjà accablé de Remus. Tant mieux parce que quand ils avaient relevé la tête, ils étaient complètement sonnés, à s'en pincer le nez en soupirant profondément.
Remus hésitait franchement à se faire porter pâle, cela permettrait à la fois de dissiper les théories sur la fréquence trop régulière de ses absences et de lui épargner cette épreuve. Quelle folie. Tout le monde allait comprendre, et en plus, la révélation viendrait de lui. Il se tourna vers Sirius qui avait sûrement dans la poche une fiole remplie d'une potion à l'effet fulgurant. Il avait la main perdue dans ses boucles pour soutenir sa tête et il semblait s'ennuyer prodigieusement, avec toute l'élégance d'un Lord décadent. Son visage s'illumina quand il croisa le regard de Remus et il lui envoya un faux baiser. Fulguré, Remus se retourna pour écouter la fin du travail de Félicie sur les Géants, les yeux fermés, la tête entre les mains, James pressa un peu plus fort sur son bras. Et puis ce fut son tour. Les premières minutes, il avait l'impression d'être largué loin de son corps : il n'entendait pas ce qu'il disait, ses mains tremblaient, le monde semblait tourner au ralenti. Edgar souriait de loin, encourageant. Sirius savait déjà tout car ils avaient répété - il avait bien sûr soupiré, jugeant inutile de répéter - mais il faisait quand même l'effort de l'écouter - "Tu me rendras un bisou pour me remercier"-. James fit un effort pour ne pas employer trop d'ironie, pour se tenir bien droit, et pour la première fois ce ne fut pas sa désinvolture chic mais son sérieux qui captiva tout le monde. Enfin, ils retournèrent à leurs places, Suliman félicitait la finesse de leurs propos.
« Et je me permets de reprendre votre conclusion car c'est précisément là que je voulais en arriver : les lycanthropes, les Géants, Gobelins, Harpies et tous ceux que l'on nomme Créatures sur lesquels je vous ai fait travailler, n'oubliez jamais que vous ne pouvez les considérer qu'à travers votre regard de sorcier, à travers ce regard que des siècles de civilisation sorcière ont forgé. Ce sont les sorciers qui ont établi ce classement et cette hiérarchie. Il est temps de se demander s'il est bon, et juste.
- Mais madame, on a tous eu à traiter des créatures qui font du mal...
- Et les sorciers sont tous naturellement portés à faire le bien ?
- Ce n'est pas pareil. Par exemple, on sait que Greyback est... Ben, méchant, quoi.
- Greyback est un spécimen, il ne représente pas tous les loups-garous. Nous connaissons malheureusement des sorciers qui font également du mal aux enfants, et monsieur Potter a évoqué avec pertinence les nombreux lycanthropes qui mettent tout en oeuvre pour ne pas être dangereux.
- Mais par leur condition ils sont portés à faire le mal, les soirs de pleine lune. Que se passerait-il si les lycanthropes n'étaient pas enfermés ces soirs-là ?
- La seule chose qui compte n'est-elle pas que l'humain en eux accepte de se laisser enfermer ?
- Ça va contre sa nature, il souffre.
- La souffrance fait partie de la vie...
- Et c'est juste une nuit par mois, renchérit James. C'est mieux que de vivre trente jours avec le poids des fautes d'une seule nuit.
- ... Nous luttons nous aussi contre notre possessivité comme les Gobelins, notre jalousie comme les Harpies, notre agressivité. Votre amie Marlene McKinnon a judicieusement relevé d'ailleurs que ces créatures sont connues des moldus, et employées métaphoriquement pour désigner des vices communs à tous les êtres. Ce qui compte, c'est ce qui nous permet, à tous, eux comme nous, d'accepter de diriger ces émotions. Si nous donnons à chacun une bonne raison de ne pas faire de mal, nous préservons la bienveillance de ces créatures.
- Mais c'est leur nature ! »
Suliman prit le temps de réfléchir. Elle le faisait rarement, toujours pressée par la foule de réponses qu'elle se dépêchait de donner aux élèves pour ne pas les laisser dans le doute, l'ignorance.
« Une part d'eux, une part humaine, réside inévitablement et pour toujours en eux, et c'est celle-là qui mérite notre compassion et nos efforts. C'est aussi leur nature.
- Comment faire ?
- Je ne sais pas. Je ne sais pas parce que ce n'est pas mon métier.
- C'est un métier ?
- Non, et selon moi, tout le problème est là, sourit-elle, espiègle. Avez-vous entendu ce que Remus Lupin a dit au sujet de l'état de détresse dans lequel les lycaons sont plongés ? Il y a bien des sorciers malveillants aujourd'hui qui tireraient grand profit de la terreur dans laquelle les Trolls, Géants et Lycanthropes sauraient nous entraîner si on laissait leur part viciée prendre le dessus. Mon métier, c'est de prévenir cela.
- Vous parlez de Vous Savez Qui ? »
La classe retenait son souffle, impressionnée par l'audace de Sirius. Jamais le sujet n'avait été touché de si près. Il y eut quelques protestations discrètes de la part de ceux qui ne s'opposaient pas à ses idéaux.
« "Défense contre les Forces du Mal", m'a-t-on dit, mais où est le Mal ? Je vous ai posé la question la première fois que nous nous sommes rencontrés. Je ne peux légalement pas prononcer d'opinion personnelle sur les sujets politiques.
- Non mais c'est bon, vous venez de le faire, grinça un élève au fond de la classe.
- L'ordre du monde est en train de changer. Oui, c'est déstabilisant, et inquiétant. Les éléments que les sorciers avaient agencés et qui semblaient fonctionner harmonieusement se fissurent et bientôt des forces entravées vont se libérer. Réfléchissez bien à ce que vous voulez en faire, de ces énergies qui ne demandent qu'à entrer dans le mouvement du monde.»
&
Poudlard fut bientôt décoré de citrouilles et de lanternes extraordinaires. Peeves se donnait à cœur joie de faire sursauter les élèves et James et Sirius, presque aussi invisibles que le spectre quand ils se cachaient dans des niches secrètes, décidèrent de compter les points jusqu'au 31. HoneyDukes fut dévalisé et les Maraudeurs obtinrent l'autorisation d'organiser une - petite - soirée le week-end précédant Halloween, officiellement pour ne pas faire de concurrence à la soirée du 31 qui réunirait toute l'école dans la Grande Salle. Les Gryffondor étaient assez naïfs et impatients d'organiser une fête pour que ce prétexte passât sans soulever la moindre question.
Une nuit, Sirius fut tiré du sommeil sans savoir par quoi. Il crut que c'était son anxiété mais il comprit ce qui était arrivé en entendant la respiration de Remus s'interrompre à nouveau comme un hoquet face au danger. Lentement, terriblement lentement, son ami expira, inspira de nouveau et retrouva petit à petit sa tranquillité. Sirius referma les yeux, disposé à se rendormir. Mais voilà que le rythme accélérait et devenait erratique. Il hésitait à réveiller Remus, il espérait qu'il finirait par se calmer et poursuivrait son somme, il ne voulait pas le plonger dans l'embarras. Mais quand les cris étouffés s'intensifièrent, mêlés de grognements, comme s'il était pris dans une lutte, l'inquiétude monta en flèche.
« Hey, Moony... » appela-t-il doucement.
Pour ne pas que ses autres camarades ne se réveillassent, il avança vers le chevet de son ami. Les mains de Remus étaient si crispées sur son drap que les jointures étaient toutes blanches. Sirius y posa sa main, pressa son épaule.
« Moony, Moony, réveille-toi ! »
Remus ouvrit les yeux, noirs un instant, dorés dès qu'il reconnut Sirius. Aussitôt, il les dissimula derrière ses bras repliés, la honte au ventre. Péniblement comme à contre-cœur, suppliant, il se dressa, repoussa un peu Sirius, secoué de longs frissons fiévreux. Il respirait à grandes gorgées qui avaient le son de sanglots étouffés, écrasés sur des lèvres closes. Le regret dans les yeux, d'avoir été surpris. Sirius n'attendait rien tant qu'il fondît en larmes, prêt à lui donner son épaule, et tout irait mieux.
« Qu'est-ce que j'ai dit ? grogna Remus de sa voix rauque.
- Quoi ?
- En dormant, j'ai parlé ?
- Mais non. Non. »
Remus souffla péniblement.
« On devrait fermer nos rideaux, la nuit. »
Sirius voulut se récrier mais il n'y arriva pas. Ça faisait mal mais, en fait, pas pour lui-même. Sa main tenait le poignet de Remus. C'est tout ce que tu peux faire, ça et attendre. Ils ne bougeaient pas, assis côte à côte au bord du lit, au bord. Remus ne pleurait pas, c'était une émotion toute sèche, comme résignée. Morte. Il toussota, au bout d'un moment, avant de tirer un peu sur son tee-shirt moite sans oser l'enlever. Sirius se leva. Il enfila un tee-shirt, ferma le rideau côté James puis contourna le lit pour ouvrir la fenêtre. Remus grogna :
« J'aime pas qu'on me dorlote.
- Je te dorlote pas, je suis en train de te faire aller mieux.
- Reviens. »
Il se rassit en tailleurs en face de lui. Les genoux, les orteils, les mains un peu agitées sur les jambes croisées, tout se cherchait et se craignait comme des papillons de nuit attirés par la lumière. Trop proches, trop lointains, de toute façon l'insondable entre les deux.
« Tu veux savoir ? murmura Remus, tête baissée dans le noir.
- Seulement si tu veux raconter, chuchota Sirius.
- Oui. Je crois que je peux y arriver. »
« J'avais quatre ans, presque cinq. On préparait mon anniversaire, le printemps était arrivé tôt cette année-là et Greyback est entré par ma fenêtre. »
Le père de Remus avait tenu un discours très virulent la semaine précédente, Greyback avait riposté et les paroles avaient atteint l'impardonnable.
"créatures dépourvues d'âme, diaboliques. Ils ne méritent que la mort"
Il était entré par la fenêtre, le voleur d'enfants.
« J'étais pétrifié. Je me rendais compte que c'était bizarre que quelqu'un arrive par la fenêtre. Mais c'était maman qui l'avait laissée ouverte, ça ne pouvait pas être dangereux, il devait y avoir une raison. A cet âge-là, j'avais encore un genre de pensée magique et puis je ne savais pas ce que c'était un loup-garou. Bien sûr, j'étais terrifié et je n'osais pas bouger mais je me disais que c'était une erreur, qu'il finirait par partir, qu'il ne pouvait pas me faire de mal parce que j'étais tout petit, je ne pouvais pas être intéressant.
Tout irait bien. »
Les mots tombaient de la bouche de Remus, lourds et ronds comme des pierres.
« Il m'a trouvé dans mon lit. Il cachait toute la lumière, il était si grand, si lourd. Il disait que ce n'était qu'un mauvais moment à passer, je n'avais qu'à me laisser faire. Tout irait bien. Je pouvais courir : il me rattraperait. En réalité, je n'aurais même pas pu m'échapper, il était beaucoup trop grand, il m'écrasait déjà.
C'était d'abord son nez qui furetait partout en moi. Quand je me lave parfois, c'est comme s'il était encore là. J'ai fait un eczéma affreux jusqu'à mes dix ans, quand... Eh bien quand Dumbledore est venu me proposer de venir à Poudlard, en fait. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans ma tête après ça mais ça nous a au moins épargné les plaques rouges en plus des cicatrices.
Ses poils se frottaient sur ma peau, ses mains griffues, calleuses, elles éraflaient mes bras ; sa puissance me réduisait à néant alors qu'il n'avait même pas vraiment commencé à faire mal. Son nez allait partout, sous mon pyjama, dans les endroits cachés, secrets
honteux
Et son odeur à lui. Il sentait la sueur, le vieux sang et... tu sais... le... le
- Sexe.
- ... Mâle. »
Ils avaient parlé en même temps. Remus acquiesça la tête baissée.
« Et après, quand il a commencé, il me disait de rester sage. Que je ne voulais pas que mes parents me voient comme ça. Et c'était vrai, je ne voulais pas, je ne voulais plus qu'ils viennent. Je me laissais faire, ils ne pouvaient pas voir ça, c'était trop humiliant, ces parties de mon corps, il me tordait dans tous les sens, moi qui n'arrivais même pas à dire non
plus ça allait plus il était animal au souffle court et puant et violent
il grognait, poussait comme s'il cherchait quelque chose en moi
Et au dernier moment, à la fin, quand il a tout eu, après le dernier soupir de brute, il m'a mordu. »
Remus leva la tête. Sirius fit de même, croisa son regard. Ne cilla pas. Oh seigneur, l'humanité dans ces deux regards. Remus leva lentement les bras, il attrapa le col de son tee-shirt et l'enleva. On y voyait un peu, à la lueur de la lune bientôt pleine. Sa main tremblait inconsidérément quand il prit la main de Sirius pour la guider vers la pire des cicatrices.
« A l'épaule, Remus...
- Il était derrière moi. Tu as compris, hein, dis-moi ? »
Il laissa leurs mains retomber entre eux, celle de Remus, glacée, toujours accrochée aux doigts chauds de Sirius qui ne demandaient que cela.
« Et après il m'a griffé au visage pour laisser ma honte apparaître aux yeux de tous.
Je suis resté couché
Mon sang coulait partout
Peut-être que je me suis endormi à un moment, ou que j'ai perdu la tête
J'étais tellement égaré
Et ça coulait...
Ça coulait tellement, j'ai eu peur de mourir. J'a eu plus peur que honte, alors je suis allé voir mes parents.
Je me rappelle chaque seconde. J'arrivais à peine à marcher, je ne savais pas comment ne pas tacher le sol, je ne savais pas quoi dire pour les réveiller et après, raconter ça, comment ? La lune les éclairait. Je me rappelle que maman avait son bras autour de l'épaule de mon père. Ils se sont réveillés en m'entendant entrer, tranquilles encore, hébétés au sortir du sommeil, tout était normal, je me rappelle de l'instant où ça a basculé. »
Remus pressa un poing sur son visage.
« Le regard de ma mère me hante. »
Leurs doigts serraient si fort que ça faisait mal.
« Je veux le tuer.
- Ne fais pas ça.
- Je le kidnapperai et je te l'offrirai pour que tu te venges. »
Remus souffla sans rire vraiment, comme si c'était une plaisanterie. Sirius avait voulu dire quelque chose et il savait qu'il n'y arriverait pas, il ne trouverait rien dans ses pauvres et tristes mots de sorcier qui ne connaissait pas la poésie. Mais est ce que la poésie existe même à ce moment-là ?
Sirius regardait le torse nu de Remus. Il voyait son plexus s'épanouir et se fermer au rythme de sa respiration, comme une danse intime. A force de regarder, il voyait aussi les pulsations du coeur faire vibrer la peau. Musique de l'éternel. N'arrête jamais. Avec émotion, il songeait, n'arrête jamais, j'en mourrais. Il se dressa sur ses genoux. Remus baissa délicatement la tête pour le laisser regarder. Les doigts de Sirius vinrent redessiner la morsure hideuse, ses doigts d'artiste. Remus frissonnait. La main caressa son cou, une vraie caresse enveloppante, oublieuse des cicatrices. Une veine palpitait sous la peau de Remus, comme une langue curieuse. Ses doigts découvrirent la clavicule, contournèrent la poitrine pour que la paume vînt embrasser les côtes, où le coeur battait pour la rejoindre, la hanche, les doigts sur la chute de l'os iliaque jusqu'à son duvet blond...
Remus le repoussa, le cœur affolé.
« Pardon, souffla Sirius épouvanté.
Pardon. »
Remus n'osait bouger, même pour rabattre sa couverture sur le trouble évident, partagé, qu'ils prenaient soin d'ignorer.
« Merci d'avoir écouté, souffla-t-il au bout d'un moment.
- C'est mon privilège.
Remus...
Remus, tu veux que... On dort ensemble ? On peut dormir par terre si le lit est trop petit.
- J'ai soif, tu viens avec moi ? »
Ils descendirent dans la salle commune moins pour se désaltérer que pour dessécher les cauchemars dans la contemplation du feu. Ils partagèrent une cigarette. La nuit les couvrait de près, comme le drap tendu d'une cabane enfantine. Deux jeunes hommes, en tee-shirts de rock, qui foulaient les désastres pieds nus, le corps et l'âme couverts de cicatrices, et la musique venait du fond de leurs entrailles brûlantes. Des nuées de désir les bouleversaient, ils les laissaient venir, ne les ignoraient pas mais ne leur répondaient pas non plus. Ils n'avaient pas la tête à s'entrechoquer, même si les corps le réclamaient.
Pour raconter autre chose, ils répondirent à la lettre d'Emmeline, Sirius dessinant le logo d'Aerosmith, Remus copiant les paroles de Immigrant song choisie un peu par hasard.
A la toute fin de la nuit, ils remontèrent au dortoir, même si ce n'était que pour une heure. C'était un miracle que les autres ne se fussent pas réveillés ; la nuit est bien faite, parfois. Sirius se glissait dans son lit quand Remus prit sa main.
Chacun sa place, les planètes et tout ça ?
N'importe quoi, disait la nuit. C'est le chaos, un trou noir sublime où n'existent ni le temps ni l'espace, et ton cœur se laisse engloutir dans ce gouffre sans fin.
Les yeux de Sirius brillaient dans le noir
Remus n'avait pas lâché son bras
Il s'y était endormi
La tête sur son bras
Sirius regardait.
Il respirait
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