Automne 1974 : sphinx


Un jour...


Remus ne possédait qu'une tenue de soirée sobre, convenable, quoique déjà un peu trop courte au niveau des chevilles, ce qui l'embarrassait excessivement. Sirius le regardait, il faisait des grimaces quand Remus le remarquait, sinon il le regardait.

« Prends le temps de trouver des chaussettes assorties, au moins. Tu veux que je t'en prête ?

- Ne te laisse pas faire par Lily !

- Et t'as intérêt à écrabouiller Snape aux quizz !

- Il y aura des quizz ? s'inquiéta Remus qui affrontait péniblement son reflet.

- Aucune idée. Mais trouve un moyen d'écraser Snape. Nous, on va faire campagne pour notre club de papillons pendant ce temps.

- Je n'arrive toujours pas à croire que vous ouvriez un club de papillons...

- Dragonagall m'a dit que ça me ferait du bien de prendre des responsabilités, ce sera du temps en moins à passer en retenues.

- Mais des papillons ? Ça cache un truc.

- C'est pour les filles, expliqua Peter.

- Oh... soupira Remus en ébouriffant les cheveux qu'il n'arrivait pas à coiffer sans avoir l'air d'un communiant moldu. Très Gatsby comme technique. »

Il jeta un coup d'œil dans le miroir. Sirius ne le regardait plus.

« Vous n'avez pas besoin de ça, elles sont déjà toutes après vous.

- C'est toi que Lily a invité, souleva James.

- A une réunion chez Slug ? Ceci n'est pas un rendez-vous. » déduisit Remus sous les rires de ses amis.


Il fut néanmoins rassuré de ne croiser presque personne dans la salle commune où il devait retrouver son amie. En bas de l'escalier qui menait au dortoir des filles, il se demanda trop tard s'il eût dû prévoir des fleurs ou quelque chose d'un peu élégant, traditionnel tout du moins, derrière lequel se cacher. L'idée insidieuse de Sirius recommençait à lui tourner dans la tête.

« Tu vas y aller ? » demanda James.

Peter et Sirius ricanèrent tandis que Remus levait les yeux au ciel.

« Il faut que tu y ailles. On a besoin de chrysalides de Sphinx-tête-de-mort !

- Celles que Slug utilise en potions sont séchées. Il vous en faut des vivantes.

- Vi... vantes ? » souffla James, baigné de désespoir, au bord des larmes.

Il se tourna vers Sirius et chuchota, ébahi : « VIVANTES ?! »

Sirius haussa les épaules, le visage alarmé.

« Oui, mais c'est la saison, continua Remus, il me semble qu'ils pondent à la fin de l'été. On pourra aller en chercher dimanche. »

James, Sirius et Peter ne s'étaient pas du tout préparés à cette tournure des événements. Ruser, voler, duper un enseignant, marauder en somme, d'accord, ils savaient y faire et c'était excitant. Mais crapahuter dans la Forêt à la recherche de chenilles ? Pitié.

Il y eut un moment très curieux pendant lequel Remus, incrédule et indécis, fit face à ses trois amis tout aussi incrédules et indécis.

« Bon, ben on n'a plus qu'à retourner jouer dehors » soupira Peter.

Et ils firent demi-tour.

« Tu viens pas, Remus ?

- Mais ? La soirée ?

- Oh, laisse tomber !

- Hein ? mais... »

Les voix des filles se firent entendre à ce moment dans les escaliers.

« Cours, Remus, c'est ta dernière chance ! » glapit Sirius mais James s'arrêta près de la sortie, pour un prétexte que personne ne comprit, il déblatérait sur l'entraînement de Quidditch et les passes spectaculaires qu'il avait exécutées la veille avec Sirius, Ian avait vu Dumbledore lui-même passer la tête par sa fenêtre pour se perdre quelques minutes ans la contemplation de leurs prouesses. Il fallut à Sirius toute la puissance de sa loyauté pour ne pas s'effondrer, mortifié. Le sourire de Lily passa de James à Remus dont elle saisit familièrement le bras.

« Bon, les filles, clama Sirius à l'adresse de Marlene et Mary, sur une échelle de un à dix, où se situe votre intérêt pour les papillons ? C'est pour une étude. »

Lily et Remus quittèrent la tour en souriant. Remus eut fugacement envie de frimer un peu et de lui faire emprunter un toboggan secret mais il se retint.

« Allez, dis-moi la vérité : c'est pas vrai cette histoire de club de papillons, si ?

- Je suis aussi surpris que toi.

- Ça cache quelque chose, avoue... Tu ne me diras pas quoi, je sais, mais je t'en prie, ne les laisse pas faire quoi que ce soit d'illégal.

- Que veux-tu qu'ils fassent d'illégal ? sourit Remus.

- N'importe quoi. Je ne sais pas... Du trafic de substances illicites ?

- Ils se cacheraient derrière un club de papillons ? Il y a plus simple, non ?

- Un club de papillons. Qu'est-ce que ça peut cacher ? James Potter, quoi.

- Et Sirius Black. »

Ces deux noms résonnaient sous les voûtes du château et, quoi qu'en crût Lily, Remus savait qu'ils se gravaient ainsi pour des décennies et des décennies, que les âmes volantes de ces deux maraudeurs appartiendraient pour toujours à l'écho de leurs courses sur la pierre, au rire de Sirius qui ne savait sonner que là, aux légendes que James faisait fleurir à chaque pas, à Poudlard.

« Monsieur Lupin, quelle chaleureuse surprise ! Je serai ravi d'entendre des nouvelles de votre père, un chercheur remarquable, où se trouve-t-il donc ces derniers temps ? »

Autour de la table dressée dans le bureau de Slug, Remus reconnut d'abord Dirk Cresswell, un camarade de Poufsouffle né moldu. Il s'en voulut un peu de faire ce constat mais c'était rassurant. C'était le seul Poufsouffle. De Serdaigle venaient les jumelles MacDougal, Isobel et Katherine. Il y avait Snape, évidemment qui ignorait royalement Remus en essayant de discuter avec Lily, Taylor, le préfet-en-chef des Serpentard, Dorcas Meadowes de la même maison, ainsi que Regulus, de loin le plus jeune de l'assemblée. En plus de Lily et Remus, le troisième Gryffondor était Edgar, qui ne savait pas plus que Remus ce qu'il fabriquait là. Flume, le patron de Honeydukes, était venu faire goûter ses dernières spécialités à Slughorn, il pestait contre le couvre-feu imposé aux villageois :

« Un village mort, voilà ce que c'est... On ne traîne plus entre voisins, les milices sont venues vérifier nos origines, délivrer des autorisations de tenir des commerces... Manque plus qu'ils vérifient celles des clients, tiens ! Suspicion partout, innocence nulle part ! Il y a bien des associations qui nous défendent, mais où est la Brigade ? Où est le Ministère . »

Taylor et Regulus échangèrent un regard entendu à l'évocation de la milice, et Snape renifla bruyamment avec satisfaction. Slughorn servit un verre à Flume avant son départ, derrière le bureau. Les élèves se regardaient en chiens de faïence.

« Peut-être que ça l'arrange bien, le Ministère, que quelqu'un fasse enfin le travail qu'ils n'ont jamais osé mener, grinça Taylor.

- T'es au courant qu'il y a des nés moldus autour de cette table ? lança Cresswell.

- Ça tombe bien que tu le dises : c'est précisément ce que je voulais te faire comprendre ! nargua Taylor.

- On est invités par le prof. Si c'est pas supportable pour toi, tu as le droit de quitter la réunion, hein !

- Merlin, tu te prends pour qui la moldue ? Tu crois qu'on va laisser la moindre place devant toi ? C'est toi qui vas finir par te casser de là, on saura y faire ! »

Lily chercha le regard de Snape mais il gardait les yeux résolument baissés. Remus pouvait sentir la déception grimper en elle aussi clairement que s'il avait vu un détraqueur l'étouffer dans sa cape, il en conçut une colère terrible à l'encontre de Snape. Taylor et Regulus sourirent mielleusement à Slughorn qui revenait pour remplir leurs verres d'un cocktail odorant en discutant des dernières actualités sportives, un des rares derniers sujets qui n'étaient pas trop épineux. Mais hormis Regulus, personne ne s'y intéressait plus que cela, et ce dernier dissimulait de toutes ses forces sa passion pour le Quidditch. Slughorn demanda des nouvelles des parents auxquelles ils répondirent évasivement, certains tenus au secret professionnel, certains trop moldus, et la soirée prit fin dans la même hostilité qu'elle avait commencé. Les Gryffondor attendirent Remus pour remonter dans leur salle commune : « J'ai quelque chose à demander à Slug pour le stage, vous pouvez y aller sans moi, si vous voulez.

- On va t'attendre. »

Le visage de l'enseignant retrouva un peu de joie – la fin de soirée l'avait laissé désappointé : « Que vous arrive-t-il mon garçon auriez-vous oublié quelque chose ?

- Oui, je, non non, interrompit-il, voyant Slughorn inspecter la pièce. Je voulais savoir si monsieur Flume acceptait de recevoir des élèves en stage.

- C'est vrai ? La vente vous intéresserait ?

- Oh, plutôt les inventions en fait...

- Oh mais bien sûr, maintenant que je me rappelle, n'est-ce pas vous qui avez rapporté ces fameux chewing-gum à Ambrosius ? Bien sûr qu'il sera ravi de vous accueillir, je lui enverrai un hibou dès demain. »

Remus sourit, enjôleur. Il serait toujours temps de céder sa place à James et Sirius d'ici les vacances.






James, Sirius et Peter ne s'étaient pas dégonflés. S'il fallait chercher des chenilles, ils en chercheraient. James et Sirius avaient donc travaillé assez sérieusement pour brailler avec leurs directives aux nombreux volontaires, avec autorité et panache. James avait l'âme d'un leader : il forma les groupes, distribua des copies de gravures encyclopédiques, ayant compté sur Remus pour établir les associations plante/espèce et trouver un sort permettant de les dupliquer. Sirius avait même reçu l'autorisation de Chourave de disposer d'une vieille serre qu'il avait réparée avec des coéquipiers de Quidditch, et celle de Hagrid d'encadrer la sortie même si les papillons ne passionnaient pas le géant.

« Les orties abritent le Vulcain, la Petite Tortue, le Robert-le-Diable, le Paon-de-jour, la Belle-Dame. 

Les violettes sont les plantes hôtes du Petit Nacré et du Tabac d'Espagne.

La carotte sauvage et le fenouil sont les plantes hôtes du Machaon.
La primevère est une plante hôte pour la Lucine.
Le trèfle attire les Argus bleus qui veulent pondre.
Les
Argus verts, quant à eux, sont attirés par les ronces.

Le prunellier et l'aubépine sont les plantes hôtes du Flambé, du Gazé ou du Thècle du bouleau. »

Bien entendu, les Maraudeurs se réservèrent la traque des Sphinx :

« Les sphinx du chêne pondent leurs œufs fin mai jusqu'en juin. Les œufs éclosent après trois jours et les petites chenilles passent leur été à manger et à se développer avant de faire leur chrysalide en août ou septembre. Elles passent ensuite l'hiver dans un cocon avant d'en ressortir en mai ou juin sous forme de papillon pour pondre des œufs et recommencer le même cycle. »

Mais une fois que tout le monde fut dispersé, eh bien très vite les Maraudeurs se trouvèrent désœuvrés.

« Quand même ça fatigue de faire faire le travail par les autres !

- Devenez enseignant et vous comprendrez. »

C'était McGonagall. Sirius s'appliqua à ne pas croiser son regard en faisant semblant de veiller sur les opérations, James lui adressa son plus beau sourire.

« Et que comptez-vous faire de tous ces papillons ?

- S'en servir comme messagers secrets vers les sorciers des Pays Libres !

- Inventer de nouvelles potions, écrire une thèse et guérir Remus ! »

Remus rougit. McGonagall n'était pas sans soupçon. Peut-être qu'il faudrait convoquer ces trois-là et avoir une conversation sérieuse avec eux.

Mais, bon, pas ce week-end, parce que tout le monde s'amusait.

Les première année travaillaient avec le plus grand sérieux ; les deuxième année, détournés de leur mission, organisaient des combats de lucanes ; un groupe de filles de troisième année s'était pris de passion pour les coléoptères, voulait en ramener un spécimen de chaque et cherchait dans les grimoires apportées par Brûlopot comment construire le terrarium, le plus équilibré. « Nan mais on ne va pas ramener toute la Forêt dans la serre non plus. »

Si. A la fin de la journée, la pièce était devenue méconnaissable, des arbres avaient poussé, une petite rivière y coulait, façonnée par Sara. Lily avait couronné toutes ses amies des dernières fleurs de septembre. Les filles avaient inscrit les noms de James et Sirius en belles lettres pleines d'adoration sur les vitres de la serre, Lily avait ajouté celui de Remus qui rougit, retint son bras, se bagarra un peu avec elle mais la lâcha dès que sonnèrent les "oouuuh !" des camarades. Il lui demanda une couronne de lauriers et inscrivit le nom de Peter.

« Bon, il n'y a plus qu'à surveiller. On va instaurer un tour de garde. »

James s'y prit si bien, il avait suscité un tel engouement qu'il n'y eut plus de place dans les tours de garde pour lui, quel dommage. Il construisit encore avec Peter un petit carré d'herbe infranchissable sur lequel nul ne devait passer, puisque la potion pour devenir animagus réclamait une rosée pure. « On est bons, on est des bons » murmurait Peter extatique. 

&

Le lendemain, Remus était absent. C'était le 2 octobre, le lendemain de la pleine lune. Les Maraudeurs parlaient étonnamment peu et très bas et Sirius portait une couronne de lauriers.

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