Automne 1974 : Répressions

Un jour...


Sirius et Regulus attendaient, assis chacun à une extrémité du banc de pierre, face à la gargouille du bureau de Dumbledore, les bras croisés, la mine renfrognée, les épaules tournées – mais pas trop, pour se tenir à vue du coin de l'oeil. Ils prêtaient à sourire, dans leur image de banale dispute fraternelle. Remus se le permit en disant bonjour à Regulus. Le jeune Serpentard leva la tête avec méfiance au son de sa voix, si grave, pour le dévisager. Il avait vu son frère changer à son approche : se tendre, se redresser un peu, nerveux, et les boucles comme une couronne sur le front. Lui, alors ? C'est bien lui ? Les deux aînés se saluaient à présent, tout bas, une douceur folle dans le regard et la parole. Remus s'assit au milieu. Regulus tourna un peu plus le dos. Ils chuchotaient. Sirius marmonnait des regrets, Remus répondait bas pour le rassurer. Le silence s'étala de nouveau sur eux. Est-ce qu'ils se tenaient la main ? Regulus sentait des humiliations imprécises se masser dans son ventre et sa gorge. Mais Sirius ne tenait pas la main de Remus. Il se tenait le plus loin possible parce qu'avait peur. Regulus allait rapporter à leurs parents. A côté de cela, se faire réprimander par Dumbledore pour une bagarre, c'était insignifiant. Remus, isolé au milieu du banc avec les deux frères aux toutes extrémités, tirait sur les fils des manches de son pull. Peter lui avait vaguement raconté les événements mais il n'était pas certain de la raison de sa convocation.

« Regulus Black, monsieur le Directeur souhaiterait vous entendre en premier » annonça la gargouille qui gardait la porte du bureau.

Quelques minutes plus tard, elle appela Sirius. Lorsqu'il arriva en haut des escaliers, son frère attendait à la porte.

« Monsieur Black, j'ai écouté ce que votre jeune frère avait à me dire, je souhaite maintenant entendre votre version : monsieur Taylor et monsieur Snape m'ont affirmé vous avoir trouvés en train de vous battre dans le Parc, confirmez-vous ? »

Sirius hocha la tête brièvement, après une longue hésitation.

« Vous souvenez-vous bien que le règlement de cette école ne tolère pas de tels agissements ? »

Sirius haussa les épaules.

« Avez-vous quelque chose à me dire sur ce qui vous a amenés à vous conduire ainsi ?

- ... C'est personnel », marmonna Sirius.

Dumbledore eut un petit rire.

« Votre frère m'a répondu en ces mêmes termes. »

Sirius leva les yeux au ciel.

« Aussi douloureux que puissent être les conflits familiaux qui nous déchirent entre loyauté et conviction, j'ai le regret de vous rappeler qu'aucun d'entre eux n'a jamais été résolu par la force et je crains que cela ne puisse jamais arriver... car écraser n'est pas convaincre. »

Sirius songea fugacement à expliquer que c'était son frère qui avait commencé mais il était déjà trop las, qu'est-ce que cela changerait. Il n'était pas une balance. Il répliqua, avant d'avoir eu le temps d'y songer :

« Ils utilisent la force, eux, pour nous écraser et nous soumettre. Ils s'en fichent qu'on soit convaincus. »

Dumbledore acquiesça gravement :

« Je le vois chaque jour, et c'est de plus en plus préoccupant, surtout depuis l'été dernier. Les élèves qui ont participé aux camps sont devenus plus insolents et belliqueux. Je n'ai pas manqué de rappeler le règlement à monsieur Taylor, d'ailleurs. Je me dois donc de demeurer intransigeant : interdire ces comportements dans mon école, et continuer de leur montrer l'exemple d'un lieu sans maléfice, dans lequel vous apprenez à cohabiter – même s'il faut parfois taper du poing sur la table pour se faire écouter.

- Ça ne marche pas, ça ne change rien. D'ailleurs, ils vont dans une autre école l'été, ça montre bien qu'ils ne sont pas d'accord avec vous. »

Le mage hocha la tête.

« Mais êtes-vous d'accord avec eux ? Non. Alors nous n'emploierons pas leurs méthodes. Nous vous enseignons à vous défendre contre les Forces du Mal. Vos forces ne sont pas moindres, elles sont multipliées par tous les biais que nous vous proposons et le dialogue n'est pas la plus négligeable. »

Sirius leva les yeux au ciel.

« Il vous a parlé, à vous, mon frère ? »

Les yeux de Dumbledore pétillèrent et il haussa un sourcil pour indiquer que la conversation n'avait pas été florissante.

« Continuons de montrer l'exemple. Aujourd'hui, il est précieux. Le dialogue suivra peut-être, un jour.

- J'ai essayé... » souffla le jeune homme.

Le directeur attendit un peu mais son élève ne se décidait pas à parler, aussi rappela-t-il Regulus.

« Messieurs, je conçois tout à fait que vous soyez en conflit, c'est une chose plutôt saine dans une relation fraternelle (les Black haussèrent les sourcils en même temps) et dans le développement de votre personne. Néanmoins il n'y en aucune qui justifie de vous comporter de la sorte : enfreindre le règlement en quittant le Château la nuit et surtout vous battre, vous exposant volontairement au danger.

Pour cette raison, vous serez placés ce soir en retenue, chacun avec votre directeur de maison. J'enlève cinquante points aux Serpentard et aux Gryffondor. »

Les frères acceptèrent sans broncher. Sirius s'en fichait. Regulus sentait la honte faire trembler ses mains moites mais refusait de le montrer.

« Monsieur Regulus Black, encore une chose : des rumeurs sont montées à mes oreilles, nous sommes bien d'accord qu'elles vont cesser dès que vous aurez passé cette porte ? »

Et c'était comme s'il avait lancé un sort de langue de plomb à Regulus.

« Je vous libère donc. J'ai besoin de m'entretenir avec votre frère et son ami : auriez-vous l'obligeance de demander à monsieur Lupin de nous rejoindre ? »

Regulus acquiesça, l'air suspicieux. Le temps qu'il descendît les escaliers et que Remus les montât, la dernière parole du directeur s'amplifia dans l'air jusqu'à faire bourdonner les oreilles de Sirius. Il fredonnait, l'innocent, en chatouillant son incroyable phénix.

« Ah, bonjour monsieur Lupin, comment vous portez-vous ? Je vous demande pardon de vous avoir fait déranger si tôt après la pleine lune mais il me fallait tirer quelques éléments au clair. »

Remus se laissa tomber dans son fauteuil, balbutiant que ce n'était rien, qu'il allait bien. Le regard bleu de Dumbledore le sonda. Le teint cireux, des cernes épouvantables et pourtant, il rayonnait, c'est vrai. Le directeur en eut le cœur serré en commençant son pénible discours :

« Jeunes gens, comme je l'ai dit à monsieur Black, des rumeurs concernant vos agissements lors de votre dernière sauterie ont circulé dans l'école. »

Remus se recroquevilla dans son fauteuil, mortifié, cachant son visage. Sirius, bravache, installé au fond du siège, les jambes bien écartées, fusillait le directeur du regard.

« Elles disent que vous avez échangé une danse et... un baiser.

- Et vous nous convoquez pour ça ? On en arrive vraiment là ? Non, mais c'était qu'un jeu, ça va, on déconnait, c'est pas notre faute s'ils sont tous...

- Monsieur Black, restez assis, écoutez-moi attentivement. Cela n'a rien de ludique. Vous n'êtes pas sans ignorer qu'une telle attitude est inconvenante et tout cela peut vous mener à ces considérations très désagréables que nous souhaitons tous éviter. Ai-je besoin de vous rappeler comment Melvil Stone a été déchu de son statut de Manitou ? Ou Deborah Ash, qui ne peut plus exercer ses pouvoirs de guérisseuse ? Si j'ai déjà défendu monsieur Lupin de certaines personnes qui avaient des doutes sur sa santé, à coup de sorts de confusion et, parfois, d'amnésie, je ne veux pas avoir en plus à régler vos provocations. »

Sirius fusillait le directeur du regard.

« C'est ça, montrer l'exemple ? Je ne vous demande pas de me défendre à coups de sortilèges, seulement que les élèves de votre école acceptent les loups-garous, et... tout ça. On n'y arrivera pas si tout le monde ferme les yeux, même avec toute la force de caractère du monde !

- Stone et Ash n'y sont pas arrivés, en dépit de leur érudition inégalable. Que pensez-vous qu'il serait arrivé à monsieur Lupin si je n'étais pas intervenu ? »

Remus n'avait jamais su que Dumbledore avait employé des sorts pour garantir sa sécurité et il sentit la reconnaissance et la honte nouer son coeur.

« Vous êtes fier, monsieur Black. Impétueux et révolté. Ce monde ne bouge pas ses lignes aussi vite que vous le souhaitez, il ne vous donne pas raison, pourtant c'est celui dans lequel vous devrez vivre. L'acceptation, oui, je l'espère, à force de patience et d'éducation, mais je refuse que cela se fasse en sacrifiant qui que ce soit. »

Sirius maronna un juron indistinct quoique éloquent quant à son avis sur la situation. Remus se consumait de culpabilité. Étudier, aimer, et vivre, pour peut-être finir enfermé. N'en demande pas trop, parce que tu es malade et que ça ne pardonne pas, ni toi, ni ton entourage.

Le directeur ferma les yeux. Pendant cette seconde où son regard ne les transperçait pas, Remus et Sirius réalisèrent combien il était insondable.

« La rumeur va disparaître. Ce sera la seule fois que j'interviendrais, le reste vous appartient. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Les jeunes hommes descendirent l'escalier en colimaçon dans le silence. Sirius frottait son poing sur la pierre froide et humide. Il s'arrêta. Remus, qui avait descendu quelques marches de plus, se retourna. Il fusillait le mur du regard.

« Si je t'avais... commença-t-il, la voix étouffée, si je t'avais vraiment jeté un sort comme disait la chanson, personne n'aurait rien dit. Regarde mes cousins : impunité complète ! Mais pour ça, on nous convoque chez le directeur. »

Il se tourna vers Remus.

Tu regrettes ? n'osaient-ils demander.

Son ami haussa les épaules.

Avons-nous le choix.

« Sans doute. Un sort est plus facile à lancer et à contrer. »

Plus facile que.

Remus remonta une marche. Il prit la main de Sirius, un peu écorchée à cause de la pierre. Il passa ses grands pouces froids sur les phalanges rougies, il en sentait presque le goût sur la langue. Comme dans les cauchemars et.

Tu sais, tu le savais déjà.

« Oublions. Viens maintenant. »


&


McGonagall et Suliman passaient dans les galeries du troisième étage, elles n'eurent qu'à baisser les yeux pour les voir sortir du bureau, puis elles s'accoudèrent à la rambarde, attirées sans y prendre garde par le rire de James qui accourait avec Peter, venus de nulle part.

« Les Maraudeurs, c'est bien cela ? demanda Suliman. J'ai vu le jeune Black remettre des feuilles de mandragore à James Potter. C'était avant qu'il ne se batte avec son frère, le soir d'Halloween. »

McGonagall considéra sa collègue, interdite. Suliman impassible, poursuivit :

« C'était un curieux manège. Potter a tenu les paroles amusantes de rigueur, pendant peut-être une minute, avant de papillonner et de s'enfuir vers d'autres conquêtes. Black semblait venir à contre-coeur, il ne le regardait pas mais quelque chose le retenait, c'était... très étrange à regarder, ces deux ennemis, qui partagent un frère. Et, manifestement, un secret.

- Remus ! Ton bras ! »

Elles se penchèrent. Une plaie de Remus s'était rouverte et tachait le coton blanc de sa chemise. James se dépêcha de lui donner sa cape pour le cacher. « Ça va, ça ne fait pas mal. » Sirius fit une plaisanterie inaudible à ce sujet, Suliman tiqua de frustration car ils en riaient aux éclats, même Remus.

« Laissez-les donc faire le bien, en tutoyant le mal » murmura-t-elle à sa consœur.

McGonagall acquiesça avec une grimace. Elle crut d'abord qu'elle s'était laissé amadouer alors qu'elle ressentait en fait un grand soulagement. Elle proposa un biscuit à Suliman en tournant la tête, de manière impeccablement coordonnée avec sa voisine, vers Edgar qui accourait maladroitement.

« Eh, James. Est-ce que tu as gardé les documents de mon père que je t'avais prêtés ?

- Hein ? Oh non, je n'en avais plus besoin. »

Edgar blêmit.

« C'est moi qui les ai, assura Remus en fusillant du regard un James hilare.

- Oh, tant mieux... fit-il en se rattrapant à la balustrade. Écoutez : mon père a été perquisitionné à l'hôpital, dans son bureau... Avec ses autres collègues qui travaillent sur les Êtres non sorciers. Ils ont tout pris, et détruit certains dossiers... Heureusement, il avait des copies des trucs les plus importants, mais pas de tout.

- Oh ben merde, constata Peter.

- Mais qui, quoi, pourquoi ? demanda Remus.

- Une milice obscure, il n'a pas bien compris, mais ils avaient un mandat officiel. Il a retenu leurs noms : Crabbe et Goyle.

- On va les mettre sur notre liste noire, assura James pour consoler Edgar. Ton père a toujours son travail au moins ?

- Il ne sait pas trop quoi en penser. Sa place à l'hôpital est toujours assurée mais s'il ne peut pas travailler sur sa spécialité, il va déprimer. Il se demande si on va le forcer à publier des rapports erronés, s'il va devoir changer de domaine de recherches... »

Edgar haussa les épaules, démuni.

« C'est rude, là », compatit James.

Ils restèrent silencieux un moment.

« Bon, moi j'ai manqué l'entraînement de ce matin, est-ce que ça t'intéresse de taper dans des balles, Edgar ? Je vais y aller maintenant.

- C'est sympa mais ça me fait vraiment peur les cognards. Je peux venir te regarder.

- Comme tu veux mais ne te sens pas obligé.

- Remus, tu y vas ? »

Papa James fit les gros yeux. Remus chancelait mais il ne voulait pas dormir. Il avait envie d'aller dans les gradins avec Edgar, sous la pluie battante, de parler avec lui de toutes ces choses inquiétantes en regardant Sirius, les cheveux attachés en bun un peu flou, les bras nus prodigieusement dessinés, l'énergie brute éclaboussée au visage.


&


« Eh, Sirius ? Tu m'as dit que tu avais trouvé un sortilège pour la Carte, tu te souviens ?

- C'est vrai. C'est juste qu'il vient d'un livre de mon père. J'avais oublié jusqu'à ce que tu m'en reparles. C'est sûrement de la magie noire. Illégale. »

Remus eut un soupir déçu. James fit pointer, dans sa moue dubitative, l'extrémité noire de la feuille de mandragore qu'il y cachait pour dire : oh vraiment ?

« ... Et donc, je veux dire, sans doute difficile.

- Tu es le meilleur en sortilèges. »

Sirius prit une grande inspiration :

« Vous voulez le faire ? »

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