Automne 1974 : la Tempête

ART : une incroyable broderie de Kathrin Marchenko


Un jour...


« Hello Moony. 

- Hello Starlight. »

Les autres vont s'éveiller dans quelques instants, une poignée de minutes fuyantes comme le plus fin des sables entre les doigts. Remus a creusé l'oreiller, griffé couleur de honte,  cauchemars d'amour qui mord, d'amour et de mort. Sirius torse nu est empêtré dans les draps tordus, son corps de dunes blanches sous la lune, la mer écumeuse, un point violet dans le cou. Remus n'a pas oublié l'autre, tout petit, noir sur le poignet. Ils se saluent dans un murmure et se contemplent jusqu'à ce que James baille, qu'Achille clame le bonjour. Mais ça ne s'arrête pas là, toute la matinée, c'est la même étrange communion, une valse qui dure, du sable d'or invisible passé de main à main qui s'effleurent à la place des regards qui s'évitent. Quand les yeux se croisent, ça crépite sur la table et fait demander « quoi ? » tout autour d'eux. Le ventre trop noué pour déjeuner, trop rempli par des frémissements d'urgence indistincte. Comme avant : toute la constellation des gestes qui savent tout et sont défendus de dire. Envisager un coin, renoncer aussitôt par peur des mensonges, crainte de mal faire dans la précipitation, et en même temps sourire d'avoir eu la même idée, la même envie. Les cours, les sorts, les jeux, le sport, la pleine lune approche.

« On va aller dans la salle de Suliman. »

Remus acquiesça, il se dispenserait volontiers de descendre dans le vent glacial pour la récréation.

« Je peux rester seul, les gars... murmura-t-il.

- Et nous, on peut bien faire une récré au calme – si si, je te jure ! » rétorqua James.

Généralement, il n'était pas autorisé de rester dans le Château pendant les pauses mais pour Remus, il y avait des tolérances, même quand il était entouré des Maraudeurs ; la loyauté de ces derniers était assez fiable pour que les enseignants pussent compter sur leur bonne conduite. Ils montèrent tranquillement au troisième étage. Les élèves de deuxième année n'étaient pas encore sortis, on entendait Suliman les rappeler à l'ordre, ce qui amusait beaucoup James. Remus s'assit sur un banc, Sirius tourna, fit mine de le rejoindre, se ravisa, ne sachant plus à quelle distance se porter et lança finalement une balle à rebonds aléatoires à James. Ils échangèrent quelques passes, plutôt silencieusement, mais elle fonça soudain vers Remus qui plongea de justesse pour l'éviter.

« Sirius ! s'écria James.

- Mais c'est pas moi ! »

Un ricanement sonna au fond du couloir. C'était Snape, accompagné d'une demie douzaine de Serpentard. Remus s'empressa de ramasser la balle pendant que James s'excusait tacitement auprès de son ami.

« Sympa Snivellus, mais si tu veux nous entraîner je te rappelle que les joueurs de Quidditch, ici, c'est Sirius et moi ! »

Remus serra d'autant plus fort la balle, cachée sous ses manches longues. La tension montait, cran à cran plantait son métal dans l'air, et il espérait que Suliman libérerait rapidement ses élèves, qu'ils pussent entrer dans sa salle et ne pas causer de trouble sérieux.

« Qui vous a permis de rester dans les couloirs ? » interrogea Dorcas.

Elle était sympa pourtant, ils avaient fait des parties de Quidditch amicales avec elle pendant les vacances mais quelque chose en elle se durcissait dès qu'elle revêtait les couleurs de sa maison. Dorcas n'avait pas participé aux camps, elle ne fréquentait pourtant plus que la petite bande autoritaire de Taylor, qui défiait les professeurs et qui lançait des sortilèges.

« Suliman et McGonagall », répondit Remus, clairement.

Ils firent une moue circonspecte, arrivés au milieu du couloir. Sirius revint lui prendre la balle des mains, il fallait choisir vite entre toucher ses doigts ou lui offrir un sourire, pas les deux à la fois, ce serait trop, alors chacun fit l'un des deux, le temps d'un battement de cils. Remus ouvrit un livre pour se donner contenance. Des bribes de la conversation qui reprenait montaient à ses oreilles, emmêlées dans les jeux de James et Sirius qui attiraient des regards méprisants.

« Décidément, elle n'apprendra donc jamais ?

- Elle n'a qu'à renoncer à ses pouvoirs si ça lui fait tant plaisir ! Nous, on ne va pas en rougir, on ne va pas en avoir honte !

- C'est peut-être injuste mais on ne peut pas faire comme si ça n'existait pas, cette différence.

- Il s'est passé quoi, cette fois ?

- Son truc habituel : elle a porté assistance à un groupe de moldus, dans le village de Brenalann.

- Il y a encore des moldus, là-bas ?

- Eh bien, justement, oui quelques uns, les derniers des derniers quoi, on était prêts à les exproprier, on aurait fait ça bien, ça serait devenu un village entièrement sorcier et ça aurait été plus simple à gérer, mais il a fallu qu'elle prenne le parti des moldus. »

Remus posa la tête sur la pierre, taquina Sirius du regard, sous ses paupières mi-closes d'enfiévré, le mit au défi de croiser ses yeux d'ambre. Sirius rivalisait d'adresse avec James, sortait un petit bout de langue et ne réussissait à retenir un sourire fier quand il se sentait ainsi chatouillé. 

Les deuxième année sortirent enfin, en pestant contre le retard de Suliman qui leur avait fait manquer la récréation, elle pestait plus fort encore que leur brouhaha pour rappeler que ce qui n'était pas terminé en classe devait être terminé après la classe. Regulus qui s'était retourné vers la professeure continua d'avancer, sans regarder, droit sur James.

« Hello, toi ! »

Il sursauta, rougit, blêmit, se maudit, pendant que James faisait sonner son rire à réveiller toutes les épouvantes. Il n'était même pas en train de se moquer et c'était encore pire. Regulus rejoignit la petite troupe de Serpentard qui n'attendait que lui depuis le début. Ils eurent un regard mauvais pour Sirius et s'en allèrent.

C'était presque la fin de la récréation, Suliman les laissa entrer, une grande tasse fumante à la main, plus échevelée que jamais.

« Ils sont comment les deuxième année ? demanda James sans vergogne.

- Passionnants, répondit-elle d'un ton très sincère mais qui coupait court aux autres questions. Est-ce que je peux m'absenter pendant les cinq minutes qui restent et espérer retrouver ma salle en bon état quand je reviendrai ?

- Oh ben oui, quand même ! » s'indigna Sirius.

Suliman et Remus firent la même moue dubitative au même moment, il n'y eut que Peter pour le voir mais il s'en amusa assez pour les quatre autres. Remus les fit asseoir au premier rang, par plaisanterie, à laquelle ses trois amis obéirent de bonne grâce avec une étrange satisfaction. Il fit semblant de n'avoir pas réussi à éviter le pied de Sirius qui traînait trop loin de sa table et s'accouda au bureau pendant que James rabrouait ce dernier. Il les pointa du doigt un par un, le regard plissé. C'était amusant et touchant de le voir gagner en assurance, comme ça, prendre la tête du jeu.

« Franchement, je le répète, ça te va bien, "professeur Lupin". » déclara James.

Il sourit et baissa les yeux. Il n'aimait pas qu'on parlât d'avenir, de carrière. Il n'y avait qu'un écran noir, derrière Poudlard, la fin du film, merci, au revoir, je ne salue même pas, je suis de l'autre côté, c'était fini avant de commencer.

« Vous êtes-vous entraîné au Patronus, monsieur Potter ?

- Chaque jour, à chaque instant. Lui et moi c'est pour la vie, et après, je le léguerai à mes enfants.

- Quel animal est-ce que ce sera ? sourit Peter. Un lion ?

- Un lion, ce serait classe... murmura James songeur en ébouriffant ses cheveux.

- Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! »

C'était McGonagall qui se tenait dans l'encoignure de la porte, un demi sourire aux lèvres. Remus glapit et sauta de l'estrade.

« Le professeur Suliman n'est pas là ?

- Pardon madame ? Quel professeur Suliman ?

- Il n'y a jamais eu de professeur Suliman. »

La directrice leva les yeux au ciel et James reçut une pichenette invisible. Elle fit entrer les élèves de leur classe si prestement que les Maraudeurs n'eurent pas le temps de quitter les places du premier rang. Suliman revenait de l'arrière-salle, McGonagall lui demanda cinq minutes, la professeure fit un grand geste généreux qui signifiait : prends tout le temps que tu veux, et disparut de nouveau.

« Vous savez peut-être que les élèves qui suivent l'option "Étude des Moldus" du professeur Quirell participent à une excursion en milieu moldu qui aura lieu au début du printemps. Cependant, les récents événements ont amené certaines familles à se raviser, aussi dix places se sont-elles libérées. »

A « places », James avait déjà levé la main, Peter de même, Sirius aussi, le cœur battant. Il jeta un regard insistant à Remus, essuya deux fois un refus perplexe puis finit par lui prendre le poignet pour le lever par-dessus sa tête. Lily le dévisagea, incrédule: « mais tu es moldu ! » Il haussa les épaules, l'air de dire : « Qu'y puis-je ? » McGonagall observa attentivement les volontaires.

« Une réunion d'information aura lieu la semaine prochaine, mercredi midi. Vous recevrez une circulaire contenant le règlement et le programme à faire signer par vos familles pendant les vacances de Yule. »

Elle ne s'attarda par sur Sirius, mais il avait bien compris.

Au bout d'une demie heure à s'entraîner au Patronus, Remus vit le sien prendre sa forme corporelle. Il n'était pas prêt. Suliman l'était ; elle avait gardé l'oeil sur lui, elle savait que c'était imminent. Il prit sa forme tout à coup, après deux rebonds, se tourna vers Remus pour le saluer d'un mouvement majestueux de la tête et disparut. Le jeune homme accusa le coup, interdit, les dents serrées. « Il est magnifique » murmura la professeure. Il pinça les lèvres, encore. C'est vrai, son contour avait tous les détails du pelage, son regard brillait de noblesse, et même l'image de sa forme n'avait pas réussi à dissiper l'aura de puissance qui était née avec lui. « Comment est-ce possible ? » balbutia-t-il. Elle hocha la tête gravement. « Félicitations. C'est un loup.

- Cachu.

- Langage... » sourit-elle, en pressant son épaule avant de s'éloigner.

Remus s'adossa sur le rebord de la fenêtre. Il adressa un discret signe à Sirius qui le rejoignit, osa même tirer le bout de sa manche.

« Avez-vous besoin d'aller à l'infirmerie, monsieur Lupin ? » proposa discrètement Sulimane.

Mille soleils au fond des yeux gris de Sirius.

« Je peux demander à mademoiselle Evans de vous accompagner. »

Si un regard avait pu stupéfier, Suliman ne se fût pas relevée. Mais comme Sirius ne pouvait pas, elle lui adressa un petit rictus espiègle.

« Oh, mais non madame, je vais bien. » assura Remus.

Il assura toute la journée, jusqu'à la fin du cours de potions. James proposa de prendre un chocolat dans les cuisines en sortant, avant son départ à l'infirmerie, puis Sirius se fit punir ridiculement pour une histoire vague de chaudron mal récuré et nettement de mauvaise foi. Une retenue le vendredi soir, ça empiétait sur le week-end, pire chose du monde. Un week-end de pleine lune, manquer les derniers instants avec Remus. Il torcha rapidement sa sanction, prit la fuite sans attendre l'autorisation de Slughorn, reçut un avertissement du Baron Sanglant et, dans sa course, le traversa sans scrupule, se jeta à corps perdu, dans les escaliers. Ceux qu'il croisaient crurent à un jeu, lui disaient où était James, il glissa sur les rambardes, cavala. Il se cacha derrière un pilier pour reprendre son souffle, les yeux fermés, suppliant, tira sur ses cheveux. Pourvu qu'il soit encore là, qu'il ne soit pas déjà seul dans cette triste cabane. Il songeait que dès le lendemain, il aurait une nouvelle feuille dans la bouche. Son coeur ne se calmait pas. Il entra sans frapper, Pomfresh poussa une exclamation réprobatrice. Sirius ne voyait, n'entendait rien, il n'avait jamais été dans un tel état, enfin si, mais pour des choses mauvaises, jamais pour des urgences si belles. Il trouva enfin Remus couché dans son alcôve, agacé, ça se voyait aux draps, à ses cheveux en bazar d'avoir trop fourragé dedans. Mais quand il vit Sirius, ce fut une nervosité plus intense, mélangée à un peu plus de confusion, de crainte et d'émerveillement. Sirius se jeta à son chevet sans un mot, un parchemin dans la main fébrile pour lui montrer un prétexte, penché trop près sur son visage, attentif au regard fuyant de Remus qui cligna tout à coup : ça voulait dire qu'elle ne les voyait pas. Il plongea dans sa profondeur gris clair sans retenue, Toi, un instant avant cet élan qui dit "vas-y", plongea sur sa bouche, pressé, maladroit, fougueux, désespéré.

&


« Bon sang, Sirius, perdre ta feuille la semaine de la pleine lune...

- Ouais c'est bon, moi je ne l'ai pas crachée en me brossant les dents !

- J'ai appris de mes erreurs : jamais plus cela n'arrivera. Jamais plus je ne me brosserai les dents.

- Où est-ce que tu l'as eue, cette nouvelle feuille ?

- Un de mes nombreux admirateurs !

- S'il y a une prochaine fois, c'est moi qui m'en chargerai. Je ne veux pas éveiller les soupçons.

- Les gars, j'adore Remus mais... J'ai le droit de dire que je commence à en avoir marre ?

- Ben oui, Peter, bien sûr. Moi aussi j'en ai marre.

- Pourtant, je sais que quand je le verrai revenir tout misérable, demain, je ne me poserai même pas la question. »

&

C'était la tempête au dehors.

La nuit est longue, la nuit est si longue, les pages de parchemin se noircissent de dessins et le temps passe à peine. La tempête hurle avec le déchirant d'un cri de loup, son corps est couvert de chair de poule. Il veut hurler lui aussi, il dessine ses cris à l'encre noire sur les papiers, il en sent la brûlure qui roule dans la gorge, épaisse comme du sang d'encre, il faut le retrouver, briser sa solitude, leurs solitudes. C'est comme si l'urgence avait craqué, comme si les jours étaient comptés, comme s'ils n'avaient jamais dû naître séparés et que l'erreur venait à peine d'être réparée. Tout est erreur, comment ce miracle d'amour inouï et si impétueux a-t-il pu nous tomber dessus ? Rien ne va comme il faut mais moi, je ne maudis pas cet amour maudit. Sirius dessine des tempêtes et des galaxies, il y a de l'encre partout sur le lit de Remus, sur ses paupières, les elfes vont encore se fâcher. Il se laisse tomber en arrière, sur l'oreiller trop moelleux, les bras sur les yeux, ses doigts pressent le bleu laissé par Remus, le noir de l'encre s'y mélange, et ça lui arrache un frisson si grand, qui naît du fond des entrailles, galvanise le cœur et fait tourner la tête en perdant pied, que les larmes percent.

Reviens cet amour m'étouffe

reviens que je n'aie pas rêvé

reviens

&


Remus se réveilla en sursaut d'un mauvais sommeil, sur le point de sombrer. Les chandelles ne parvenaient pas à percer l'obscurité, à éclairer plus qu'un halo gris humide, verdâtre, il crut un instant qu'il était encore dans le cauchemar, qu'il se noyait au fond du lac. Son bras tomba au sol et il se laissa divaguer, la nausée collée à l'estomac. Respire, ne vomis pas, respire. Il se laissa couler. Une rafale plus brusque que les autres fit claquer les vitraux. Il sursauta, toussa, grimaça, accablé par une migraine.

« Bois, tu dois te réhydrater, insistait Pomfresh, fantômatique.

- Qu'est-ce qui se passe ? »

L'eau grinçait, rouillait dans son estomac et ses intestins vides.

« Depuis combien de temps tu n'as pas mangé sérieusement ?

- Vous savez déjà, non ? grimaça-t-il

- Tiens... Je ne te connaissais pas ce caractère sarcastique. »

Remus ne put s'excuser. Elle fit surgir des oeufs brouillés, du porridge aux amandes, une purée de légumes à la crème et une mousse au chocolat :

« Je sais que tu ne manges pas de viande. Déjeune avant de partir. »

Cela sentait bon et soulevait le cœur. Les fenêtres claquaient toujours, les nuages semblaient se presser en foule juste derrière. La bouche sèche, Remus porta une cuillerée d'oeufs à ses lèvres qu'il n'arrivait pas à desserrer. Il soupira profondément. Ouvrit. Le beau jaune gras coula sur sa langue. Sa tête tournait, les joues délaissées par le sang, il crut qu'il allait encore vomir. Comme si son corps avait perdu le réflexe d'avaler et s'y refusait dans l'appréhension d'un poison.

« Ça va aller » sourit Pomfresh qui revenait. Remus ne savait pas si elle parlait de la quantité qu'il avait réussi à ingérer ou de la vie en général. Elle refit des pansements. « Du repos, maintenant. Avec ce temps, de toute façons, personne n'a le droit de sortir. Je te recommande de rester au calme dans le dortoir ou la bibliothèque, évite la salle commune, les halls. Il... 

Il te met à rude épreuve en ce moment. »

&


C'était la tempête au-dehors.

Combien de pleines lunes avaient passé

Une seule, vraiment ?

Sirius fendait la foule, devant lui, « Tu me suis, hein ? », il le tirait par la manche parfois sans oser prendre sa main, Remus chancelait, bousculé, les oreilles agressées par le vacarme dans tout le château. La pluie se fracassait sur les vitraux, les hurlements du vent indigné vrillaient

La colère de Dieu, le Déluge,

Chaos de fin du monde

Il entendait d'autres cris monter à ses oreilles, ceux des élèves dont les robes noires et visages livides dans la pénombre se confondaient. Les cours étaient perturbés, les récréations ingérables. Surexcités ou effrayés, les jeunes sorciers étaient intenables.

Wagtail, Bones, Dumbledore,

des cris étouffés, des secrets, de l'indignation, là aussi qui monte comme les bourrasques

Qu'est-ce qui se passe ?

Je te raconterai après.

Sirius était fébrile, il avançait péniblement, essayait de se soustraire aux amis qui le saluaient, aux regards vers Remus, blafard. Ils étaient pleins de sollicitude, voulaient aider ; ils voulaient sans doute savoir aussi

Tiens bon on arrive.

Enfin un bout de couloir désert. Sirius fit entrer Remus dans le conduit des Elfes et se glissa à sa suite. Ils s'adossèrent aux parois de pierre, haletant, recroquevillés. Remus ferma les yeux. Il y avait moins de bruit. Sirius le regardait à la lueur de sa baguette, n'osait rien dire, ni bouger, le cœur secrètement réjoui comme s'il venait de retrouver un cadeau.

Qu'est-ce qui se passe.

Plus tard, suis-moi, on va dans les combles de l'aile ouest, personne ne traîne par là en ce moment.

Ils avancèrent en silence, Remus devant. Sirius allait à son rythme, à quatre pattes, il posait sa main sur la tête de Remus de justesse pour le prévenir d'une aspérité. Ils évoluaient dans de minuscules escaliers et se rappelaient Alice au Pays des Merveilles. 

Il y a à peine assez de moi pour faire une personne entière.

Les éléments furieux faisaient craquer les poutres, grincer les pierres du minuscule réduit où Remus et Sirius s'étaient réfugiés. L'air était gris sombre, épais comme la mélancolie mais il ne faisait pas vraiment froid. C'était bien qu'il fît sombre, la tempête empêchait d'entendre ce qui se passait dans le château, elle faisait passer l'envie de hurler, ou se faisait passer pour elle, et c'était pareil. Remus avança vers la lucarne, toujours à genoux. Le vent gifla la vitre, on eût dit qu'il cherchait à les atteindre. Sirius lui tira la langue. Ils attendirent de reprendre leurs esprits mais c'était vain, se ressaisir ? impensable. Plus ils attendent et plus les bourdonnements les pressent hors d'eux-mêmes. Sirius bougea le premier, il tendit les doigts vers sa main froide, sa main bleue, blanche, rose et verte, sa main vivante, la main du pacte. Il passa sur les reliefs du dos, tendons veines, bizarre harmonie, glissa entre les phalanges, retourna la paume, retrouva sa forme. Il la souleva, jusqu'à ses lèvres, étonné lui-même par cette tendresse qu'il ne se soupçonnait pas, qu'il n'imitait même pas, qu'il n'avait jamais connue, qu'il découvrait au moment où elle déferlait. La main de Remus lui échappa, fondit dans une caresse sur sa joue, effleura ses lèvres, esquiva une morsure, épousa sa nuque. Les bras de Sirius entourèrent la taille de Remus, remontèrent sur son thorax pour le serrer plus fort contre lui. Mon trésor, oh mon trésor. Respire. La main de Remus quitta sa nuque à mesure que sa tête dodelinait, en arrière pour venir s'abandonner sur son épaule. Il recouvrit son visage de ses mains. Sirius pressa son nez et ses lèvres sur les articulations rondes et froides en murmurant, vent sur les galets de la grève, le rire étouffé de Remus faisait un son d'écume, et les larmes salées avaient le goût de tout l'océan. Sirius se glissa entre ses deux mains pour trouver sa bouche, coquillage sacré, la perle secrète de ses lèvres. Soupirs, rougeurs qui montent en partage, pressions maladroites des mains qui s'égarent et voudraient tout recouvrir, tout le corps, cet océan tout entier qui fait déferler ses vagues.

Il est toujours pressé dans son dos, la tempête devant les yeux.

Remus attrapa un pan de sa cape pour les enrouler dedans tous les deux, en souriant, espiègle, des petites fossettes, gravures célestes, les yeux fermés.

« Vesper Wagtail a encore été arrêtée. Tu te rappelles ? C'est déjà arrivé plusieurs fois, elle est accusée d'avoir protégé et défendu des moldus. Ils ont cherché un mot pour son crime, ils ont appelé ça le Délit d'Assistance au détriment du Secret.

- Délit d'Assistance ? »

Sirius leva les mains en signe d'impuissance.

« C'est ça qui agite tellement l'école ?

- Non. »

Une rafale.

« C'est ça. 

Il n'y a rien à faire, les profs ont essayé des sorts insonorisants, rien. Ce n'est pas une tempête normale. Ça a commencé après ton départ. Dans la soirée, Dumbledore a signé un rapport dénonçant le harcèlement juridique qui entoure Wagtail. Il a été établi par plusieurs directeurs d'associations et observatoires, et quelques membres du Ministère l'ont signé, et quelques personnes influentes comme le directeur. Quirell n'a pas voulu s'y joindre. Le procès aura lieu en décembre, ils n'ont pas donné de date exacte. On a entendu le nom de son avocate, Amelia Bones, elle est toute jeune, elle débute. Je suppose que les candidats ne se pressaient pas.

Depuis, c'est la tempête. »

Remus ferma les yeux.

Le noir, là-dedans

La tempête, au-dehors

La fureur intarissable du monde sorcier, divisé par le procès Wagtail qui cristallise toutes les autres furies

Rien ne peut les faire taire, pas même les sorts des professeurs les plus éminents

C'est la fin d'un monde.

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