Je m'appelle Ray Greene. J'ai 18 ans. Je travaille comme guide chez Hallowed Grounds depuis 7 mois. Je monte des chevaux depuis toujours. Jusqu'à récemment, je montais à cru, mais dans mon travail ici il m'arrive de monter sur selle. Les étriers me gênent un peu, alors qu'avant je pouvais me hisser à dos de cheval d'un seul bond, mais l'avantage, c'est que j'ai des sacoches pour ramasser les détritus que les touristes laissent tomber. La plupart du temps, des bouteilles d'eau plus ou moins pleines, ou des tubes de crème solaire. Il n'y a que nous les Navajos qui entretenons la vallée, on ne peut pas laisser les touristes transformer notre terre en décharge.

Chez nous, les chevaux sont bien traités et bien nourris. Ils sont curieux et viennent voir les clients qui s'approchent du paddock. Pas comme chez mon père. Dans le paddock de Troy Greene, les mustangs ont les côtes saillantes et l'œil vitreux. J'ai travaillé pour lui depuis l'âge de 12 ans, j'emmenais les touristes voir les paysages de la vallée. Les chevaux étaient dressés à la dure, cassés. Il picolait. Il tabassait ma mère, aussi. L'année dernière, on est partis, ma mère et moi. On a emmené avec nous Morning Star, la jument de ma mère, une robe pie marron et blanc. Mon père a eu son troisième divorce, et il aura bientôt son quatrième mariage.

On voit beaucoup d'animaux différents par ici. Quand j'étais petit, ma grand-mère m'a montré comment apprivoiser un lynx. On les utilise pour faire protéger les chevaux des autres prédateurs. Il y en a pas mal dans le coin. Une fois, j'ai trouvé un petit que j'aurais pu garder, mais il était trop jeune et pas encore sevré, j'ai dû le relâcher. J'aurais vraiment aimé avoir un lynx rien qu'à moi.

Le seul que je crains vraiment, c'est le couguar. J'ai bien failli y rester pendant une promenade avec un ami. On chevauchait au pas dans un canyon quand on a entendu un feulement au-dessus de nous. On a levé les yeux, et on a vu deux couguars sur la rive du canyon. On est partis au triple galop, poursuivis par les deux couguars qui ne nous lâchaient pas. On a bifurqué en espérant qu'ils n'arriveraient pas à sauter sur l'autre rive, et on ne s'est pas retournés avant d'avoir parcouru au moins la distance d'un terrain de foot. Mais les couguars n'avaient pas abandonné. Ils étaient descendus dans le fond du canyon et couraient vers nous à toute vitesse. On est repartis en trombe, et heureusement on est arrivés à une clôture avec un portail. On l'a franchie et on a fermé le portail derrière nous. Les couguars auraient pu sauter les barbelés, mais l'odeur de tout un groupe d'hommes les a fait faire demi-tour. Depuis, je fais toujours attention de monter un cheval que je connais bien quand je vais explorer un peu loin des habitations. On ne prend pas de risques avec le couguar.

Dans les montagnes, j'ai repéré un renard. Ça fait quelques semaines, alors maintenant il me reconnaît. Quand je l'appelle, il sort de son terrier et m'observe d'en haut, sauf s'il est occupé à chasser. Je l'appelle Lil Red, parce que c'est un petit rouquin. Avec un peu de temps, j'espère arriver à l'approcher. Il faut savoir être patient avec les animaux sauvages.

Je viens juste de terminer le lycée. C'est plutôt un soulagement pour moi, parce que ça m'imposait un gros rythme de vie. Je sais qu'il faut aller à l'école et qu'on y apprend plein de trucs utiles, mais j'ai d'autres choses à faire. Pendant l'année scolaire, je divise mon temps entre le lycée, le soin des chevaux et un petit boulot. C'est plutôt lourd, mais je n'ai pas vraiment le choix. Il faut bien ramener un peu d'argent pour vivre.

Les autres élèves de l'école s'inquiétaient beaucoup pour la suite du lycée, mais pas moi. La plupart de mes copains bossaient dur pour être acceptés dans une bonne université, ils essayaient de s'inscrire à des clubs, ou ils faisaient partie de l'équipe de foot, de basket ou de baseball, en espérant que ça leur permettrait de décrocher une bourse. Moi déjà je n'avais pas le temps pour ces machins, et en plus je savais pertinemment que jamais je ne trouverais l'argent pour une université, ni même une banque qui me prête 30000$ pour 3 ans d'études. De toute façon, on a besoin de moi ici.

Alors j'ai décidé de m'engager dans l'armée. Il y en a pour 5 ans. C'est une éducation comme une autre, et je suis certain que ça m'apprendra plein de choses qui me seront utiles. Mon oncle m'a fait remarquer que c'est exactement ce que mon père a fait, et que ça ne lui a pas trop réussi. Il paraît que pendant ses années en Afghanistan et en Irak il a vu des trucs pas cools, et que ça lui a monté à la tête. Il paraît que c'est pour ça qu'il peut pas se passer de sa bouteille de whisky, et que ça le rend violent. Je lui réponds que je ne suis pas comme mon père. Alors même si c'est pour moi un mauvais exemple, c'est un exemple quand même, et je ne veux pas finir comme lui.

En plus, je vais bientôt avoir de nouvelles responsabilités. Il y a cette fille du lycée avec qui j'ai couché. Elle m'a appelé le mois dernier pour me dire qu'elle est enceinte. D'un mois. Elle va le garder. Je suis sûr que je serai un père génial. C'est vrai que je ne serai pas trop là au début, rapport à l'armée, mais je reviendrai et je m'occuperai bien de mon bébé et de sa mère.

Pour marquer le coup, j'ai bien envie de me faire un tatouage. C'est pas franchement accepté chez les anciens, parce que ça ne fait pas partie de nos coutumes, mais je m'en fiche. Avant chez les Navajos, quand on devenait un homme, on recevait une protection d'avant-bras. Ça sert pour le tir à l'arc. Sans ça, on peut méchamment s'arracher la peau en tirant une flèche. C'est un symbole de passage à l'âge adulte. On n'offre plus trop ce genre de cadeau, de nos jours, mais je me disais que je pourrais me tatouer un dessin qui y ressemble sur l'avant-bras, bien stylé avec les décoration traditionnelles. Comme du cuir, mais sur ma peau.

Voilà, j'espère que vous avez aimé la balade. Vous pouvez laisser votre cheval près du paddock, on s'en occupera plus tard. N'oubliez pas que les guides sont rémunérés au pourboire. Revenez nous voir bientôt.