5. Hayden Valley
Truman Everts a déjà 54 ans, un âge auquel on ne se risque plus à partir en expédition dans des contrées sauvages. Les autres membres de l'expédition Washburn ont facilement 15 ans de moins que lui, y compris les notables comme Henry Washburn, arpenteur général du Montana ou Nathaniel P. Lagnford, percepteur général du Montana. Sans oublier l'escorte armée, commandée par Gustavus C. Doane, lieutenant de la Seconde cavalerie de Fort Ellis. Ce sont peut-être des grosses pontes, mais ce sont aussi des hommes dans la fleur de l'âge, qui de plus ont servi dans l'armée, pendant la Guerre de Sécession. Everts n'a clairement pas le profil d'un explorateur, mais en tant qu'employé du trésor dans l'état du Montana, ses prérogatives imposent sa participation à l'expédition qui part de Fort Ellis le 22 août 1870. Neuf civils, six militaires, deux cuistots, et deux porteurs partent à cheval en remontant la rivière Yellowstone.
Ils passent les jours suivants à explorer la région et à baptiser les particularités géographiques qu'ils rencontrent. Le Mont Washburn, bien sûr, puis logiquement les mont Langford et Doane. Ils découvrent le Grand Canyon de la Yellowstone le 29 août, et ne manquent pas de s'extasier devant la beauté des chutes qu'ils atteignent le lendemain. Explorer n'est pas aussi simple qu'il y paraît, et contrairement à ce que l'on peut croire les cavaliers ne restent pas groupés. Au contraire, la formation est très dispersée, et on se contente de rester à portée de voix des autres explorateurs, ce qui permet de couvrir plus de terrain. Truman Everts semble enclin à s'aventurer seul pendant de longues périodes. Les jours passant, le groupe s'habitue à cette manie, et ne s'inquiète pas outre mesure, d'autant que le vieil homme retrouve le campement chaque soir. Ce n'est qu'au soir du 9 septembre que le groupe constate que Truman Everts s'est perdu.
Truman s'est éloigné pour chercher un passage d'une crête, et pensant avoir trouvé, s'y est engagé. Il a pris soin de lancer des cris d'appel pour être certain de ne pas trop se séparer du groupe, mais il ne s'est pas rendu compte que la voix qui lui répondait n'était rien d'autre que l'écho de la sienne.
Voilà donc Truman perdu en pleine forêt et séparé de ses compagnons. Il cherche un point de vue pour s'orienter, et s'arrête fréquemment pour chercher des traces de passage de ses amis. Alors qu'il est justement occupé à examiner une possible piste, son cheval se dit brusquement que ce type est un peu louche, qu'il n'y a rien de bon à rester en sa compagnie, et que l'occasion est trop bonne pour la laisser filer. Truman a juste le temps de voir du coin de l'œil sa monture disparaître dans le sous-bois, emportant avec elle ses vivres, son fusil, sa couverture, ses allumettes, son attirail de pêche et tout le reste de ses effets. Il ne lui reste en tout et pour tout qu'une paire de jumelles et deux petits couteaux.
Le début du mois de septembre marque l'arrivée des premiers froids, et la première nuit de Truman en autonomie est une longue série d'heures d'obscurité, de froid, de peur et de faim.
La nuit suivante, il croît entendre une complainte et tente d'en découvrir l'origine, pour finalement découvrir qu'elle provient d'un puma. Il passe le reste de la nuit accroché à un arbre en attendant que le prédateur s'en aille.
Les jours qui suivent, Truman abandonne définitivement l'idée de retrouver son cheval et tente de se rendre au point de rendez-vous du groupe au bord du lac Yellowstone. Il finit par atteindre un lac, mais se rend rapidement compte qu'il s'agit d'un élément non encore découvert, de même que le sommet enneigé qui s'y reflète, et qui prendra plus tard le nom de mont Everts. L'endroit est peuplé d'une faune très diverse. Truman y croise des pélicans, des jais moqueurs, des cygnes, des oiseaux de toute sorte, ainsi que des cerfs, des élans et des mouflons canadiens, malheureusement il n'a aucun moyen de chasser et sa faim n'en est que plus intolérable. Il étudie donc la flore, et découvre une espèce de chardon nommé « chardon écailleux », dont les racines sont comestibles. Il décide donc d'en faire la base de son alimentation, et cette herbe lui permettra effectivement de survivre pendant les nombreux jours qu'il passera seul dans la nature.
Un peu plus loin, il reconnaît les restes d'un campement laissé par ses compagnons. Il maudit les circonstances qu'ils n'aient pas pensé à lui laisser des provisions. Or ils ont effectivement laissé des vivres à son attention, mais ils les ont dissimulés pour ne pas attirer les prédateurs, et Everts ne les trouve pas.
Il fait heureusement la découverte de bassins d'eau chaude, et ces derniers lui offrent un refuge contre le froid des nuits qui lui a causé des engelures aux pieds. Il passe ainsi plusieurs jours entre les sources brûlantes à réfléchir à ses chances de survie. Ses engelures commencent à s'infecter. Et une nuit, alors qu'il dort près d'un bassin, il se tourne dans son sommeil, le sol s'affaisse sous lui et l'eau bouillante vient lui brûler tout le côté gauche.
Il comprend alors la nécessité vitale de faire du feu. Il passe en revue les différents moyens d'en produire, et conclut hâtivement qu'aucun d'entre eux n'est à sa portée, mais il finit par réaliser que ses jumelles sont un excellent outil. Encore faut-il que le soleil soit présent, or le mauvais temps s'installe. Truman décide également de rejoindre la civilisation en passant par les montagnes de Madison, loin à l'Ouest.
Sur le chemin, il parvient à profiter de quelques heures de soleil pour faire du feu, et il en retire beaucoup de réconfort. Cependant, il est réveillé en pleine nuit par un énorme incendie déclenché par son propre feu de camp, et doit fuir pour ne pas être englouti par le brasier.
Arrivé en vue des monts Madison, Everts comprend l'impossibilité de franchir cette haute barrière, il fait alors demi-tour en direction de la rivière Yellowstone. Lorsqu'il découvre un arbre creux à l'écorce arrachée, entouré d'herbe couchée, il décide de s'y installer pour la nuit. Mais comme il a compris qu'il s'agit de la tanière d'un ours noir, il prend la précaution de faire du feu pour se protéger. Comme il n'a pas appris à sécuriser son foyer, il est à nouveau réveillé en pleine nuit par l'incendie de forêt qui s'est propagé par son feu de camp, et qui a certes mis en fuite le propriétaire de son abri, mais lui a également brûlé la main gauche.
De leur côté, les membres de l'expédition sont de retour à Helena, ayant dû se résoudre à abandonner les recherches pour retrouver Truman Everts. Le cœur lourd, ils déposent un avis de recherche pour le corps de leur infortuné compagnon. Deux trappeurs du nom de "Yellowstone Jack" Baronett et George A. Pritchett ont prévu de chasser dans le secteur, ils gardent en tête la récompense de 600$ pour qui retrouvera le corps de Truman Everts. Plusieurs jours plus tard, alors qu'il s'est avancé le long de la rivière Yellowtone, Pritchett remarque un ours famélique et pouilleux. Il l'aligne dans la mire son fusil, puis pris de pitié décide de mettre fin à ses souffrances au couteau de chasse. En s'approchant, il comprend son erreur, et demande :
« Êtes-vous Truman Everts ? »
À cet instant, les versions de Pritchett et Everts divergent. Selon Everts, l'homme se redresse et dit d'une voix caverneuse :
« Je suis l'ombre de l'homme qui se nommait autrefois Truman Everts. »
Selon Pritchett, Everts roule sur le côté et pousse un râlement avant de s'évanouir.
Au bout du compte, Baronett marche 120 kilomètres jusqu'à la civilisation pour aller chercher de l'aide, tandis que Pritchett reste veiller sur Everts. Il le conduit jusqu'à une cabane de mineurs qui sont venus prospecter la région. Everts pèse 23 kilos, souffre d'engelures aux pieds et aux doigts, de brûlures sur tout le côté gauche et à la main gauche, et est incapable d'ingérer la moindre nourriture. Il souffre d'une occlusion intestinale due à son régime prolongé de racines. En proie à des douleurs insupportables, Everts croît mourir alors qu'il a été secouru. Son salut vient grâce à un vieux trappeur qui fait halte à la cabane. Il administre à Everts une pinte entière d'huile de graisse d'ours, ce qui a pour effet d'évacuer le bouchon.
Everts se remet rapidement grâce à Pritchett et les mineurs. Il insiste pour prendre immédiatement le chemin du retour, et rencontre le groupe venu lui porter assistance à mi-parcours d'Helena.
Pritchett et Baronett se rendent devant le juge à Helena et annoncent fièrement qu'ils ont retrouvé Truman Everts. Le juge les remercie chaleureusement et leur répond que la récompense vaut pour le cadavre d'Everts. Les trappeurs se retournent et regardent longuement leur prise. Puis ils sortent du tribunal, les poches vides.
Deux ans après le sauvetage de Truman Everts, le Parc National de Yellowstone est créé.
En ce qui concerne Everts, il détient encore à ce jour le record du nombre de jours passés en condition de survie dans le parc de Yellowstone : trente-sept.
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