Chapitre 3 : La chimie de la forêt
A peine Pelage de Nuage eu-t-il crié ces mots qu'une foule de félins lui fondait dessus, une masse grouillante et colorée, avançant dans un mouvement comprimé, mouvant et refluant à l'entrée du camp. Si les chatons étaient trop stupéfaits pour bouger, les guerriers présents n'avaient pas tardé à réagir.
Ils avaient sautés sur les guerriers ennemis et le combat faisait déjà rage. Petite Lune vit sa mère et Brise de Minuit se jeter dans la bataille. Bien que le clan soit en supériorité numérique, seuls les meilleurs guerriers du Clan de la Terre n'étaient venus et le Clan du Feu fût rapidement en difficulté.
« Si seulement tout le monde était là... nous n'aurions aucun mal à les vaincre... Mais il n'y a que nous...»
La gorge de la chatonne se serra lorsque la seule véritable option qu'il leur restait s'opposa irrémédiablement à son esprit.
« Nous devons aller chercher les patrouilles. »
Les autres chatons la regardèrent avec des yeux ronds. Les yeux de Petite Aile étaient exorbités et sa respiration s'accéléra à une vitesse considérable.
« Mais... ! Mais ! Tu es folle ! Nous n'avons pas le droit de sortir du camp !
- Il le faut Petite Aile, où nous allons perdre la bataille ! »
Les yeux de Petite Lune s'emplirent de larme. Elle avait le ventre noué, ses pattes étaient glacées et ses oreilles bourdonnaient. Elle transpirait la peur mais s'il le fallait elle irait quand même. La chatonne blanche sembla le comprendre car elle secoua la tête et reprit :
« Alors dans ce cas je reste ! Il faudra bien quelqu'un pour dire où vous êtes passés si on vous cherche... »
Petite Lune effleura sa truffe pour la remercier mais elle sentit sa soeur trembler. De nouvelles larmes coulèrent sur ses joues et elle interpella Petit Jais et Petite Myrtille qui s'étaient réfugiés dans l'antre de Plume de Coton. Les deux chatons jetèrent un coup d'œil apeuré à la bataille et coururent vers la pouponnière, la queue entre les pattes, les yeux écarquillés de terreur.
Ils sursautèrent lorsque Cœur de Léopard aux prises avec un chat blanc roula vers eux, manquant de les renverser. Petite Myrtille poussa un cri affolé et Petit Jais gémit. Ils arrivèrent dans la pouponnière le pelage dressé et les griffes sorties.
« Nous perdons la bataille, il faut absolument qu'on aille chercher les chats loins du camp, s'exclama Petit Orage qui avait adéré à l'idée de sa soeur. »
Les deux chatons noirs et dorés étaient trop apeurés pour être surpris et acquiesèrent même.
« Comment allons nous nous séparer ? demanda Petit Jais, d'une voix étonnamment ferme.
- Petite Aile va rester ici pour indiquer aux autres où nous sommes partis. J'avais pensé que Petit Orage et toi puissiez aller prévenir ceux qui s'entraînent au Terrain Mousseux pendant qu'avec Petite Pomme et Petite Myrtille on va chercher la patrouille de chasse. »
Petite Lune les regarda tandis qu'ils se concernaient du regard. Sans un mot ils se séparèrent en deux groupes tandis que Petite Aile se cachait dans un coin de la pouponnière. La chatonne argentée tigrée soupira longuement, ses pattes comme figées en deux blocs lourds.
Ils coururent vers l'antre de Plume de Coton dont le chemin était à peu près dégagé. L'odeur du sang mêlée à une autre odeur froide et acre emplissait l'air devenu irrespirable. Petite Lune manquait de s'étouffer à chaque respiration mais les autres chatons de semblaient pas trop génés.
La chatonne faillit vomir lorsqu'elle vit tout le sang qui s'était déjà répandu. Elle frissona lorsque des éclaboussures de sang la frappèrent sur le flanc et un haut le coeur la secoua. Tentant de respirer profondément, elle se faufila dans la petite caverne et courut vers un trou entre les pierres qui la formaient, à peine assez large pour les laisse passer. Petite Lune, suivie des quatre autres, sortit pour la première fois dans la forêt.
La lumière froide la frappa de plein fouet, et le monde qui l'ouvrit à ses yeux l'effrayait incroyablement plus que tout ce qu'il se passait dans le camp. Les odeurs qui assaillaient sa truffe étaient à la fois inconnues et familières, déroutantes.
Elle avait l'impression de connaître toutes les odeurs, toutes les plantes, toutes les pierres et tous les arbres. Elle avait l'impression, non, la certitude d'être déjà venu ici auparavant. Une certitude glaçante.
La petite chatte argentée se concentra sur les odeurs des chats qu'ils recherchaient mais ne sentit rien. Une senteur de terre trop forte la troublait, et les bruits résonnants de la bataille l'empêchait d'entendre quoi que ce soit. Un sentiment d'impuissance la saisit, ses entrailles se glacèrent.
" Alors c'est ça ? Tout près du but mais impossible d'être atteint ? Je... C'est fichu... Pauvre cervelle de souris, tu croyais y arriver ? T'es même pas apprentie."
Elle allait dire à ses camarades de rebrousser chemin lorsqu'un miaulement impatient lui parvint :
« Hé ho tu te dépèches !? Sinon on les perdra de vue ! »
Petite Lune regarda tout autour d'elle et aperçut une toute petite chatte blanche tigrée de noir et aux yeux bleus, plantée devant elle. En voulant demander aux autres s'ils savaient qui elle était, elle se rendit compte qu'ils n'étaient plus là.
Elle commençait sérieusement à paniquer lorsqu'un nouveau chaton gris arriva.
« Allez viens Petite Lune ! Petite Fleur à raison, si on attends encore on les perdra de vue ! On s'est promis de les suivre alors on y arrivera ! »
Petite Lune se tourna pour être sûre et se rendit compte d'une chose étrange : le silence.
Il n'y avait plus aucun bruit. Plus de bataille. L'herbe sur le sol avait verdi, les feuilles semblaient avoir repris leurs couleurs chatoyantes. Elle fit un pas, puis un autre, avant de se décider à suivre les autres chatons. Elle sentit une trace fraîche, celle de plusieurs chats inconnus mais ils portaient l'odeur du clan.
Le fumet remontait entre les fougères et les trois chatons suivirent à pas de loup le marquage. Petite Lune n'avait pas peur, c'était comme si elle les avait déjà vus. Comme si elle avait déjà vécu cette scène dans un rêve lointain.
Ils passèrent sur une sorte de pont au dessus d'une rivière, et ouvrirent grands les yeux devant le flot fascinant. Le soleil brillait fort et faisait briller de milles couleurs l'eau claire qui charriait des galets blancs. En face d'eux, la forêt profonde laissait place à des arbres fins, plus espacés. Petite Lune allait se laisser à la contemplation lorsqu'elle vit bouger des buissons au loin et elle se tapit sur le sol. Un chat blanc menait deux autres plus jeunes, sûrement des apprentis en direction de plusieurs chênes aux troncs imposants. Petite Lune, Petite Fleur et le dernier chatons les suivirent à pas de loup et virent que ces chênes massifs étaient leur destination puisqu'ils s'y arrêtèrent.
« Petite Lune, Petite Brise, on a réussi. On a atteint les Gros Chênes ! »
Petite Brise se tourna vers sa soeur pour lui intimer de se taire mais c'était trop tard.
Ils étaient repérés. Petite Lune entendit un apprenti murmurer à l'autre :
« Ce seraient pas les petits de Poussière Blanche ? »
Le matou blanc se retourna et s'approcha vivement d'eux en leur criant :
« Eh ! Revenez ici ! »
Les trois chatons partirent en poussant des miaulements paniqués. Si jamais ils se faisaient prendre, ils seraient gravement punis. Petite Lune courait le plus vite possible, ses pattes s'enmêlant dans les racines. Elle se retrouva stoppée net dans sa course quand un voile noir tomba devant ses yeux.
Petite Lune rouvrit les yeux, paniqués. Autour d'elle les feuilles tombaient, derrière elle les cris de la bataille lui déchiraient les oreilles. Ses pattes tremblaient et son souffle était court à cause de sa course. Aucun des chatons ne pipèrent mot. Petite Lune avait la certitude que si elle parlait de ce qu'elle venait de vivre on la prendrait pour une folle.
Lorsqu'elle parla sa voix lui sembla rauque comme si elle avait prit 1000 ans :
« Suivez moi, j'ai une piste.
-Une piste ? demanda Petit Orage, interloqué
- Oui, une odeur. Celle de... De Souffle de Poussière »
Elle fit signe aux autres de s'enfoncer dans les sous bois. En avançant entre les frondes mortes elle ne reconnaissait rien. Les arbres étaient plus gros, plus grands, et les buissons plus denses. Elle commençait à croire qu'elle était perdue lorsqu'elle remarqua un sapin épais dont les racines s'entremêlaient autour de plusieurs rochers. Elle l'avait vu. Elle ne se souvenait pas que l'arbre faisait cette taille mais l'affleurement rocheux n'avait pas bougé d'un poil de souris.
Soulagée, elle partit en courant et les autres chatons la suivirent, hésitants.
Un fumet parfumé vint effleurer sa truffe et la chatonne sourit. Elle avait trouvé la piste.
« Petite Lune... Comment peux tu savoir où nous devons aller ? Je ne sens aucune trace...»
Bien que l'interrogation de Petite Myrtille soit légitime, Petite Lune ne pouvait lui répondre la vérité.
« Je te promets, j'ai d'abord senti Souffle de Poussière et là, il y a clairement le marquage de Patte de Mousse... Vous ne sentez vraiment rien ? »
Elle désigna de la queue une sorte de chemin dans les fougères.
« Juste là. »
Les chatons leur jetèrent un regard légèrement circonspect puis s'enfoncèrent dans la trouée. Petite Lune reprit la route, cette fois un peu moins sûre d'elle.
« Allez... Suivez-moi ! »
Elle repartit en courant. Cette fois ci, seul son flair pouvait l'aider. Elle sentit clairement le sol vibrer sous ses pattes lorsqu'ils passèrent au dessus la rivière, grondante et brune, mais ne laissa pas aux autres le temps de s'émerveiler. Chaque minute en dehors du camp était une minute où le combat pouvait basculer. Une minute décisive.
Ils ne tardèrent pas à arriver face à des immenses chênes, bien plus gros et imposants que ceux que Petite Lune avaient vus. Leurs frondes se perdaient dans les nuages, chaque racine même la plus petite était bien plus épaisse qu'un chat.
Petite Pomme repéra un endroit où la terre avait été remuée. Elle le renifla et identifia l'odeur musquée d'une souris. Elle poussa un petit miaulement pour attirer les autres qui la rejoignirent, eux aussi retrouvant la piste de la patrouille. Petit Jais lança un regard empli d'admiration à Petite Lune mais celle-ci était bien trop inquiète pour s'en émouvoir.
Elle regarda bien et repéra la queue de Patte Rousse au milieu des fougères. Elle courut vers la chatte, talonnée de Petite Pomme et de Petite Myrtille. Petit Orage, lui, s'était jeté vers Souffle de Poussière et Petit Jais l'avais suivit dans un glapissement.
« Patte Rousse ! Patte Rousse ! »
La chatte se redressa en feulant. Les cris des chatons avaient dû faire fuir la proie que traquaient la guerrière. Son pelage s'ébouriffa encore plus lorsqu'elle reconnu les chatons qui n'avaient pas encore le droit de sortir du camp.
« Qu'est-ce que vous faîtes ici ?!
- Le... (Petite Lune penait à reprendre son souffle et Petite Pomme embraya)
- Le clan est attaqué ! »
La peur et le désespoir transpirait des chatons et la chatte sembla comprendre la gravité de la situation.
« Rentrez au camp. Je partirai chercher l'autre patrouille, vous, vous partez avec Souffle de Poussière et Patte de Mousse. »
Les chatons soulagés acquiesèrent et, le temps qu'ils puissent reprendre leur souffle, les deux autres guerriers les avaient rejoints.
Le groupe de félins partit le plus vite possible et le temps qu'ils rejoignent le camp, les nuages avaient commencé à se concentrer en une masse grise aux reflets d'argent. L'air était imprégné d'une odeur de soufre tenace. Petite Lune avait mal aux pattes et son estomac miaulait famine.
Les deux guerriers partirent directement dans la mêlée tandis que les chatons contournaient la barrière de ronces.
En passant la tete dans l'antre de la guérisseuse, Petite Lune vit directement les moustaches de Petite Aile qui faillit l'écraser. Sa soeur pleurait, son pelage blanc était souillé de pourpre. Petite Lune n'osait penser ce qu'elle avait pu voir. Laissant Petite Pomme la réconforter, elle passa la tête entre les rochers.
Son cœur se sera lorsqu'elle vit Souffle d'Argent aux prise avec un chat noir puis Perle Noire qui accouru aider son amie.
Pelage de Nuage, lui, combattait auprès de son meilleur ami, Éclair de Velours. A eux deux, ils réussirent à battre les trois matous qui venaient de s'en prendre à Nuage de Thym et Nuage de Neige. Elle repéra le pelage roux de Pétale de Coquelicot et se sentit soulagée de voir que la patrouille frontalière était arrivée.
Les six chatons traversèrent le plus discrètement possible la courte distance qui séparait la pouponnière de l'antre de la guérisseuse. En rentrant à l'intérieur, elle vit les nids de mousse déchirés et des gouttes de sang foncé.
Un combat avait eu lieu ici... et si... et si un des parents avait voulu protéger ses petits avant de découvrir la tannière vide !? Et si l'un d'eux avait pu être blessé !?
Un grognement retentit derrière eux et les chatons se retournèrent d'un bond. L'odeur du Clan de la Terre avait rempli la tanière et les six chatons se trouvèrent face à face avec un gros mal gris-bleu au museau entièrement noir, une lueur incrédule dans le regard. Le matou avançait doucement, les yeux rivés sur Petite Lune, laquelle suffoqua devant tant de puanteur.
Petit Jais et Petit Orage poussèrent leurs sœurs derrière eux pour essayer de les protéger. Cela sembla agacer le mâle qui repoussa Petit Orage et Petit Jais sur le côté, d'un coup de la queue brusque pour les étourdir. Petite Lune ne comprit pas. Pourquoi elle ? Pourquoi c'était elle qu'il fixait de ses yeux acides ? Pourquoi grognait-il pour faire reculer les chatons mais semblait blessé à chaque fois qu'ils faisaient un pas en arrière ?
Le chat releva les yeux et son regard se voilà en croisant celui de Petite Lune. Le matou cracha et sembla prêt à crier. De rage ? De tristesse ? Impossible à dire. Toujours est-il qu'il semblait prêt à attaquer.
Petite Lune sortait et rentrait ses griffes, terrifiée à l'idée de devoir se battre. Elle se battait avec ses frères et sœurs mais ce n'était qu'un jeu !
Le chat s'approchait d'elles en marchant lentement, presque avec souffrance, se retenant pour leur sauter dessus. Petite Aile gémie, et Petite Myrtille avait sauté vers son frère au cas où le guerrier aurait voulu lui faire du mal. Petite Pomme et Petit Orage faisaient face avec Petite Lune qui avança d'un pas, la queue droite et lui dit :
« Vas... vas-t-en ! »
Elle avait espéré que sa voix ne vacillerait pas trop mais c'était peine perdue. Elle tremblait de peur.
« Je les laisserais tranquille, celle que je cherche, c'est toi. »
Petite Lune écarquilla les yeux. Que pouvais bien lui vouloir un chat d'un clan ennemi ? Il n'était plus qu'à une longueur de queue devant elle. Il la prit entre ses pattes, tandis qu'elle restait incapable de réagir. Il enfonça sa truffe dans la fourrure de Petite Lune et respira longuement tandis que la chatonne se débattait, pleurant de peur. Il allait la saisir lorsqu'un cri retentit :
« Clan de la Terre, repli ! »
Le matou sursauta, cracha, laissant tomber Petite Lune lourdement, laquelle se tordit une patte dans la chute. Le gros chat gris poussa un gémissement d'hésitation puis s'enfuit. Les chatons n'avaient pas bougés. Les oreilles de Petite Lune bourdonnaient à cause du silence qui régnait désormais et ses pattes flageolaient, sa patte avant droite retombant mollement sur le sol.
Elle se tourna vers Petite Aile qui avait rejoint Petit Orage accompagné de Petite Pomme. Les trois chatons la regardèrent avant de lui sauter dessus, soulagés et effrayés. La chatonne s'effondra en poussant un cri de douleur lorsque sa patte céda.
Ils la léchèrent, comme pour tenter de l'apaiser. Petite Lune n'avait jamais eu aussi peur de sa vie. Sa tête commençait à lui tourner et elle tituba légèrement. Elle vit Souffle d'Argent et Brise de Minuit rentrer en courant dans la pouponnière, Pelage de Nuage et Tornade d'Or étant sûrement dehors en train d'aider les blessés.
La vue de Petite Lune commençait à se brouiller. Les larmes qui dégoulinaient sur ses joues coulaient à flot et elle boita jusqu'à sa mère. Cette dernière lui lécha les oreilles et Petite Lune se laissa aller contre son flanc. Sa mère sentait les plumes et le sang, une odeur aux relents doux-amers. Sez paupières lui semblaient lourdes. Il fallait qu'elle dorme. Elle ferma les yeux et la dernière chose qu'elle entendit fût :
« Ne t'en fait pas ma chérie, dors. Tout se passera bien. »
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