Chapitre 5 - FIN

Adrien reste encore quelques minutes immobile face au bâtiment dans lequel vit à présent son père. Puis, reportant son attention sur son téléphone, il pianote rapidement sur l'écran de l'appareil et le porte à son oreille. La sonnerie résonne une fois, deux fois, avant que quelqu'un ne décroche enfin.

- « Je suis en bas de l'immeuble », annonce aussitôt le jeune homme.

- « Tu es sûr que ça va aller, chaton ? », répond Marinette d'une voix inquiète. « Si tu veux, je peux venir avec toi. Je ne suis pas loin, je peux te rejoindre rapidement. »

Sans même qu'il ne le réalise, un sourire gorgé de tendresse se dessine sur les lèvres d'Adrien.

- « Non, c'est bon », la rassure-t-il. « C'est entre mon père et moi. »

- « Ok », approuve-t-elle après un léger instant de silence. « Mais si jamais tu as besoin de soutien, n'hésite pas ! »

- « Promis, ma Lady », approuve Adrien.

Le jeune homme s'interrompt un moment, le temps de jeter un nouveau regard à l'immeuble qui se dresse devant lui. Il devrait être terrifié. Tétanisé par l'enjeu qui se profile devant lui.

Mais il a le soutien de sa Lady, de sa Princesse.

La voix de Marinette l'apaise, l'enveloppe comme un cocon de douceur et de chaleur. Sa coéquipière lui donne la sensation d'être invincible. De pouvoir affronter le monde entier si nécessaire et de s'en sortir quoi qu'il arrive. Et grâce à elle, cette nervosité atroce qui devrait le paralyser sur place se transforme en une légère tension parfaitement supportable.

Adrien sent s'épanouir en lui une profonde bouffée d'amour et de reconnaissance pour cette jeune femme qui illumine son univers. Elle l'a sauvé, de toutes les façons dont quelqu'un peut être sauvé.

Et jamais il ne bénira assez sa bonne étoile de l'avoir remise sur son chemin.

- « J'y vais », reprend-il d'une voix douce. « Je t'aime, Marinette. »

- « Je t'aime, Adrien », réplique tendrement sa compagne. « Courage. »

Adrien raccroche, puis s'approche de l'entrée de l'immeuble d'un pas décidé. Au vu du nombre impressionnant de caméras qui ornent les alentours, l'endroit paraît particulièrement sécurisé.

Et la suite du périple du jeune homme ne fait que confirmer cette impression.

Adrien a pris la précaution d'avertir les gardes de sa visite, mais ces derniers mettent un point d'honneur à suivre scrupuleusement leur protocole. Le jeune homme doit successivement annoncer sa présence à un interphone, passer une porte, un portique de sécurité, présenter ses papiers à de nombreuses reprises, avant d'être enfin escorté jusqu'à l'étage où vit désormais son père.

Il y est accueilli par deux agents à la mine austère, qui le dévisagent avec un regard méfiant alors qu'il s'approche d'eux.

- « Adrien Agreste », annonce-t-il en tendant sa carte d'identité pour la énième fois. « J'ai l'autorisation de rendre visite à Gabriel Agreste. »

L'un des deux hommes contrôle ses papiers tandis que l'autre s'écarte pour murmurer quelques paroles dans le micro qu'il porte épinglé à sa veste. Puis, manifestement satisfaits, ils lui rendent ses affaires et s'écartent pour le laisser passer.

Adrien avance de quelques pas et s'arrête face à l'entrée de l'appartement de son père. Il prend une profonde inspiration, lève la main, se fige un bref moment. Puis après quelques secondes d'hésitation, il tape contre la porte du bout des phalanges.






A peine un instant plus tard, la porte pivote sur ses gonds. Lentement, précautionneusement.

Et, après ce qui parait durer une éternité à Adrien, Gabriel apparait dans l'encadrement.

Adrien ne peut s'empêcher d'amorcer un léger mouvement de recul en découvrant son père. L'homme qui lui fait face à présent n'est plus que l'ombre de lui-même. Avec ses traits tirés, sa barbe de trois jours et ses yeux injectés de sang, le célèbre styliste à l'allure de quelqu'un qui vient de passer des semaines entières prisonnier d'un terrifiant cauchemar.

Ce qui est certainement le cas, quelque part.

A l'instant où il pose le regard sur son fils, Gabriel vacille et se raccroche instinctivement au chambranle de la porte. Ses yeux gris s'écarquillent de surprise, tandis que son visage pâlit à une telle vitesse qu'Adrien craint un instant que son père ne fasse un malaise.

- « Adrien ? », laisse-t-il échapper dans un souffle.

- « Bonjour, Père », répond le jeune homme avec un calme remarquable au vu des circonstances.

- « Que... Q-Qu'est-ce que... », balbutie Gabriel, manifestement incapable d'articuler la moindre parole cohérente.

Dire que l'illustre styliste semble surprit par la visite de son fils serait un doux euphémisme.

Gabriel Agreste est sous le choc.

Sidéré.

Paralysé de stupeur.

Toujours fermement cramponné à la porte, il s'accroche de toute ses forces, comme s'il craignait que ses genoux ne le trahissent. Visiblement, jamais il n'aurait imaginé recevoir une pareille visite.

- « Est-ce... Est-ce que je peux entrer ? », demande Adrien avec hésitation.

Gabriel jette un regard effaré à son fils, avant de hocher lentement la tête en signe d'approbation. Il s'écarte, faisant signe au jeune homme de le suivre à l'intérieur.

Le cœur battant à tout rompre, Adrien emboite le pas à son père. Il passe tout d'abord dans une entrée un peu trop austère à son goût, avant d'entrer enfin dans le salon.

L'appartement dans lequel vit Gabriel Agreste est à l'image de son hôte. La sobriété de la décoration confine à la froideur, et les meubles aux lignes épurées donnent à son visiteur la désagréable sensation de se trouver dans une clinique plutôt que dans un chaleureux foyer. Une légère odeur de produits nettoyants flotte dans les airs, accentuant cette impression de pénétrer dans un environnement parfaitement stérilisé.

Gabriel traverse la pièce à grands pas et se laisse tomber lourdement dans un fauteuil, invitant d'un geste Adrien à prendre place sur le canapé qui lui fait face. Le jeune homme s'exécute sans dire un mot.

La belle sérénité qui l'habitait jusque-là s'étiole, comme étouffée par l'ambiance glaciale de l'appartement. L'atmosphère est pourtant loin d'être hostile. Bien que visiblement choqué par sa présence, son père ne montre pas le moindre signe d'animosité.

Mais c'est plus fort que lui. Adrien a beau être déterminé à ne pas se laisser submerger par ses émotions, ces dernières ne sont manifestement pas décidées à le laisser en paix. Elles rôdent sournoisement à la frontière de son esprit, guettant la moindre faille, surveillant chaque faiblesse. Faisant preuve du même acharnement qu'un prédateur obstiné, elles n'attendent qu'une ouverture dans la garde d'Adrien pour faire vaciller ses plus profondes résolutions.

Adrien sent son cœur se remettre à cogner lourdement dans sa cage thoracique, son souffle s'étrangler dans sa gorge, ses muscles se contracter désagréablement. Les paumes soudain moites, le jeune homme se passe machinalement les mains sur les jambes.

L'espace d'un instant, il regrette de ne pas avoir accepté l'offre de Marinette. Avec elle à ses côtés, tout aurait été plus facile.

Mais à peine cette pensée traverse-t-elle son cerveau qu'il l'écarte aussitôt.

Il est ici pour régler les comptes avec son passé. Avec son père. S'il veut pouvoir guérir des blessures que lui a infligé la trahison de cet homme, il doit prendre son destin en mains, et il doit le faire seul.

Toujours assis face à Adrien, Gabriel plonge son regard fiévreux dans celui de son fils. Et aussitôt, sa figure se tord d'un étrange rictus. Une myriade d'émotions se succèdent sur son visage, toutes plus désespérées les unes que les autres.

Regrets.

Honte.

Horreur.

Elles tournent, tournent dans une ronde sans fin, laissant à peine entrapercevoir le cauchemar que traverse Gabriel depuis déjà plusieurs semaines.

- « Adrien... », articule-t-il d'une voix faible, comme si son fils allait disparaître de sa vue s'il venait à hausser le ton. « Je ne pensais pas que tu voudrais me reparler un jour... »

- « Il fallait qu'on discute », répond le jeune homme dans un souffle, le regard toujours rivé à celui de son père.

- « Je... », commence Gabriel avec hésitation, une expression de profonde souffrance gravée dans ses traits. « Adrien, je voudrais que tu saches... Jamais... Jamais je n'ai voulu... »

Sa voix se brise sur un sanglot et brusquement, Gabriel couvre ses yeux de sa main. Il prend une profonde inspiration, puis une autre, et une autre encore, alors que ses épaules se mettent tout à coup à être secouées par des spasmes incontrôlables.

Les joues d'Adrien se réchauffent sensiblement et, envahit par une brusque sensation de gène, le jeune homme détourne le regard.

Voir son père perdre ainsi la maîtrise de lui-même le bouleverse jusqu'au plus profond de son être. Il a l'impression de lui dérober un instant d'intimité dont personne n'aurait jamais dû être témoin. D'assister à un évènement qui ébranle l'ordre naturel des choses.

Jamais il n'a vu son père perdre ainsi son sang-froid, pas même lors de la disparition de sa mère.

Gabriel Agreste est un monstre de contrôle.

Une créature à l'impassibilité légendaire.

Un homme qui a toujours refusé de montrer la moindre faiblesse à quiconque.

Mais manifestement, découvrir à quel point les conséquences de ses actes auraient pu être dramatiques a finalement réussi à ébranler cette carapace qu'il s'était forgé depuis des années.

Pendant de longues minutes, le silence qui règne dans la pièce n'est troublé que par la respiration lourde et humide de Gabriel. Puis, dans un effort manifeste de volonté, le célèbre styliste avale une nouvelle goulée d'air, se redresse et retire ses mains de son visage.

Son regard est étrangement brillant et ses yeux auparavant injectés de sang sont désormais plus rouges encore.

- « Jamais je n'aurai voulu te faire du mal », reprend-t-il d'une voix tremblante. « Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi. Et j'ai failli... J'ai failli... »

Gabriel s'interrompt de nouveau, incapable de poursuivre.

- « Tu aurais pu mourir », reprend-il avec un désespoir venu du plus profond de son être. « Tu aurais pu mourir et ça aurait été entièrement de ma faute ! Comment... Je ne mérite même pas de te voir. Je devrais disparaitre de ta vie », conclut-il en tournant brusquement la tête, manifestement incapable de soutenir plus longtemps le regard de son fils.

Le cœur battant à tout rompre, Adrien se penche instinctivement en avant.

- « Père... », murmure-t-il, « Je... Je ne veux pas... »

Adrien baisse le regard vers le sol et s'arrête le temps de prendre une profonde inspiration. Sa gorge se serre, sa poitrine se comprime au point qu'il a l'impression qu'il va étouffer. Et pire que tout, ses yeux le piquent, le brûlent, l'implorent de laisser couler ces larmes qui ne demandent qu'à jaillir.

Mais Adrien refuse de pleurer.

Pas maintenant.

Il doit parler à son père. Lui ouvrir son cœur, mettre ses sentiments à nu.

Les larmes devront attendre plus tard.

Adrien prend une nouvelle inspiration et se passe nerveusement la main dans les cheveux. Puis, lentement, il relève la tête vers son père.

- « Quand j'ai appris que vous étiez le Papillon », poursuit-il d'une voix un peu plus forte, « J'ai... Jamais je n'ai ressenti un tel sentiment de trahison. Vous avez raison. Toutes ces années où je me suis battu contre vous, j'aurais pu être blessé. J'aurais pu mourir. Et Ladybug aussi. Je l'aime, Père », serrant rageusement les poings. « Je l'aime plus que tout et je ne compte pas les fois où elle a été en danger à cause de vous. »

Alors qu'Adrien poursuit son discours, Gabriel se penche en avant, appuie ses coudes contre ses genoux et enfouit de nouveau visage entre ses mains.

- « Le Papillon était mon pire ennemi », continue le jeune homme. « Alors quand... Quand j'ai découvert que c'était vous... Qu'une partie de ma vie était bâtie sur un mensonge... »

Adrien marque une pause et dégluti péniblement.

- « J'ai fui », reprend-il d'une voix bourrelée de remords. « Le plus vite et le plus loin possible de vous. J'avais besoin de temps. Il fallait que je réfléchisse. Que je prenne du recul, que je me reconstruise. Ça a été long et douloureux. J'ai eu des hauts, des bas, j'ai eu besoin d'aide parce que je n'arrivai pas à m'en sortir seul. Mais j'ai fini par aller mieux malgré tout », poursuit-il d'un ton plus assuré. « Et un jour, j'ai eu envie d'essayer de comprendre. De vous comprendre. J'ai compris que si je voulais continuer à avancer, alors il fallait que je trouve la force d'affronter mon passé. Vous, le Papillon, Chat Noir. Et me voilà », conclut-il en désignant l'appartement d'un ample geste de la main.

Gabriel laisse échapper un gémissement presque inaudible, avant de redresser lentement la tête.

- « J'ai fait de ta vie un enfer », articule-t-il levant vers son fils des yeux humides de larmes. « Comment-est ce que tu peux encore me parler ? »

- « Vous... Vous êtes ma seule famille », confie Adrien dans un souffle. « Je tiens à vous, malgré tout ce qu'il s'est passé. »

Les yeux de Gabriel s'écarquillent sous l'effet de la surprise. Il se penche légèrement vers son fils et scrute son visage avec attention, à la recherche du moindre mensonge.

Mais jamais Adrien n'a été aussi sincère.

Il en veut à son père, et il l'aime en dépit de tout.

Rien de plus compliqué. Rien de plus simple.

- « Je... Je ne me pardonnerai jamais ce que je t'ai fait subir », murmure finalement Gabriel.

- « Pour être honnête, je ne sais pas non plus si je pourrais vous pardonner un jour... », réplique doucement Adrien.

Gabriel se raidit instinctivement dans son fauteuil en entendant les paroles de son fils, et son visage devient d'une pâleur de craie.

- « ...mais je veux essayer », ajoute aussitôt le jeune homme. « Je... Je ne veux pas... J'aimerai qu'on redevienne une famille. Une vraie famille. Alors je pense que je dois vous donner une chance et... Et j'espère vraiment que je réussirai à vous pardonner », conclut-il avec une profonde sincérité.

Le regard embué de larmes, Gabriel hoche mécaniquement la tête. Puis, timidement, les commissures de ses lèvres s'incurvent légèrement vers le haut. Ce n'est pas un sourire, tout juste un rictus d'approbation. Mais c'est suffisant pour Adrien.

Le jeune homme laisse échapper un soupir soulagé.

Il reste encore beaucoup à faire. Les blessures que son père et lui se sont infligés l'un à l'autre sont encore trop vives, trop profondes pour qu'une simple conversation suffisse à les guérir. La cicatrisation prendra du temps, de la patience et de nombreux efforts de leur part.

Mais à force de travail, peut-être être réussiront-ils enfin à construire ensemble cette relation père-fils dont Adrien a tant rêvé lorsqu'il était adolescent.

Et les lundis, à 15 heures, le jeune homme sait qu'il n'ignorera désormais plus les appels de son père. 



*** FIN *** 




Note : 

Et voilà, c'en est fini pour cette fic, et de façon générale pour mes fics écrites en parallèle d'"A bout de souffle". J'ai beaucoup aimé traiter différents aspects de l'histoire au travers de différentes fics et j'espère que ça vous a plu à vous aussi !

J'ai essayé de faire en sorte qu'il y ait toujours quelque chose de nouveau à raconter dans chacune de ces fics (qui sont, pour rappel : A bout de souffle - l'histoire principale- , Par-delà l'océan, Dans sa peau et Lundi,15h), pour pouvoir apporter un autre éclairage sur certains événements et/ou aller un peu plus loin en racontant des choses qui n'avaient pas eu lieu dans la fic principale. 

C'est la première fois que j'essayai ce genre de chose et j'ai trouvé ça très sympa à écrire, même si ça impliquait de relire x fois les autres fics pour éviter les incohérences ou de penser certaines choses à l'avance pour mentionner un détail dans une fic en prévision de quelque chose qui se passerait dans une autre xD. De façon générale, j'ai aussi beaucoup aimé décrire des Adrien et Marinette plus adultes, plus matures. Ils se sont retrouvés face à un événement qui a bouleversé leur existence et leur évolution était très intéressante à explorer pour moi :) . 

Sur ce, j'ai assez blablaté ^^. Merci de m'avoir lue jusqu'ici  et merci énormément pour tous vos commentaires et vos encouragements ! Merci !! 




PS : Cette fic devait être un one-shot... Je suis irrécupérable xD 

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