Chapitre 3
- « Bonjour, Adrien... », articule lentement Gabriel Agreste.
Soutenant son regard, son fils hoche mécaniquement la tête.
Un silence tendu s'installe entre les deux hommes et Adrien sens l'atmosphère s'appesantir de seconde en seconde. L'air lui semble lourd, presque poisseux. Il l'étouffe, l'étrangle, lui donne envie de sortir d'ici pour respirer à nouveau.
Luttant contre le réflexe de se passer la main le long de la gorge, le jeune homme déglutit péniblement. Il doit dire quelque chose. Vite. Trouver n'importe quel sujet de conversation qui lui permettrait de briser ce silence qui lui vrille les nerfs.
Adrien jette un regard aux alentours. A l'exception du serveur et du garde chargé de la surveillance du plus célèbre ex-super vilain de Paris, son père et lui sont tous deux seuls dans la salle.
- « Il n'y a pas grand-monde ici », lance-t-il d'un ton qu'il espère détaché.
Ce n'est probablement qu'une stupide manifestation orgueil, mais il refuse de montrer à son père à quel point leurs retrouvailles le rendent nerveux.
- « J'ai pris la liberté de réserver tout l'établissement », réplique aussitôt Gabriel. « Je ne tenais pas à ce que nous soyons dérangés. Tu comprendras que je ne suis pas vraiment populaire, alors d'ordinaire, j'évite les apparitions publiques. »
A son grand désarroi, Adrien sent la peau de ses joues se réchauffer légèrement. Son père ne lui a pas fait le moindre reproche explicite, mais le fait de se faire reprendre donne au jeune homme l'impression d'être de nouveau un enfant pris en faute.
Remarquant soudain qu'il a serré les poings, Adrien prend une profonde inspiration, rouvre lentement les mains, bouge doucement les épaules pour tenter de dissoudre la tension qui lui noue les muscles.
Il n'est plus un adolescent paralysé par la crainte de décevoir son père.
Il n'est plus le jeune homme en fuite qu'il était autrefois.
Il doit garder le contrôle de ses émotions.
- « Je ne pensais pas que vous seriez sorti de prison si tôt », lâche-t-il sans même réfléchir.
Gabriel Agreste lui jette un regard incisif et Adrien grimace intérieurement. Il est ici pour tenter de remettre de l'ordre dans sa vie. Pour essayer d'avancer, pour faire en sorte de comprendre.
Pas pour se disputer avec son père dès les premières minutes de leur conversation.
- « J'ai d'excellents avocats et des relations encore meilleures », réplique son père sans sourciller. « Ils peuvent faire des miracles, même pour des personnes dans ma... situation. Ils ont pu faire en sorte que puisse purger le reste de ma peine dans une liberté relative. Je suis assigné à résidence, dans un logement strictement surveillé », poursuit-il d'un ton bien trop détaché au goût d'Adrien. « Mais ça a au moins le mérite de m'offrir plus de confort que je n'en avais eu jusque-là, et mes avocats ont même pu négocier le fait que je puisse bénéficier de quelques sorties. »
- « Je ne pensais pas que ça serait possible, après tout ce qu'il s'est passé », répond le jeune homme avec précaution, tout en jetant un regard interrogateur à son père.
- « Je n'ai plus de pouvoirs, Adrien », rétorque Gabriel d'une voix sentencieuse. « J'ai rendu mon miraculous. L'objet qui me permettait d'être le Papillon. A présent, je suis parfaitement inoffensif. »
A la mention du bijou magique qui lui a causé tant de torts, Adrien pâlit brusquement. Le cœur battant à tout rompre, il s'agrippe instinctivement au rebord de sa table et plonge ses yeux dans ceux de son père.
- « Pourquoi ? », lâche-t-il sans même prendre le temps de réfléchir. « Pourquoi est-ce que vous avez fait tout ça ? »
Face à lui, Gabriel se fige aussitôt. Il pose sur son fils un regard perçant, tout en croisant défensivement les bras sur sa poitrine. Lèvres pincées, il rechigne clairement à répondre.
L'expression fermée de son père envoie un frisson désagréable dans l'échine d'Adrien. Elle ne lui rappelle que trop bien ces tentatives de communication avortées qui ont pavé son adolescence, ces cuisantes rebuffades qu'il subissait sans cesse.
Peut-être n'aurait-il pas dû aborder un sujet sensible aussi tôt.
Peut-être aurait-il dû parler d'abord de Nathalie, de la société de son père, des coups de fil, de sa vie aux États-Unis. De n'importe quelle chose qui aurait pu leur permettre de resserrer timidement leurs liens avant de discuter des événements qui ont fait voler leur famille en éclats.
Il aurait certainement été plus sage de renouer d'abord avec son père avant de chercher à obtenir des réponses. Sans doute aurait-il alors été plus enclin à lui parler.
Mais à présent que le mal est fait, Adrien refuse de revenir en arrière. Il a la sensation de se tenir debout face à un précipice et de n'avoir pas d'autre choix qu'avancer et prier pour survivre à sa chute. Mais tant pis.
- « Pourquoi ? », répète-t-il dans un souffle.
- « Adrien... », soupire enfin Gabriel, tout en secouant doucement la tête. « C'est... C'est une longue histoire. Je ne sais pas si tu... »
- « J'ai le droit de savoir », s'exclame aussitôt le jeune homme. « Je mérite de savoir ! Je suis concerné moi aussi ! »
Gabriel se laisse retomber contre le dossier de sa chaise en laissant échapper un soupir las. Il se pince l'arête du nez, ouvre la bouche comme s'il allait parler, puis se ravise au dernier instant.
La gorge sèche, Adrien reste suspendu à ses lèvres.
Jusqu'à ce qu'il retrouve son père, il n'était pas certain de vouloir connaitre les raisons qui l'ont poussé à agir ainsi. Il ignorait même ce qu'il attendait de cet homme qui l'a tant déçu et qui a précipité sa vie dans le plus sombre des cauchemars.
Mais désormais, Adrien a besoin de savoir. La trahison de son père et la façon dont il a lui-même abandonné Ladybug ont laissés une plaie béante dans son cœur. S'il veut pouvoir tourner définitivement la page de cet épisode douloureux de son passé, s'il veut guérir enfin, il lui faut aller de l'avant. Faire face à ses échecs. Affronter ses peurs. Rouvrir ses anciennes blessures pour mieux les nettoyer.
Adrien a perdu Ladybug. Il a abandonné Plagg. Il a renoncé à tout ce qui le faisait sentir vivant autrefois. De son passé de héros, il ne lui reste plus que son ancien ennemi et toutes ces questions sans réponses.
Sa guérison doit commencer par son père.
Il doit savoir.
Et peut-être, alors, pourra-t-il enfin trouver la paix.
- « Père », insiste-t-il d'une voix suppliante. « S'il vous plait... »
Le regard rivé au visage de son père, il se penche instinctivement en avant.
Et, devant la requête désespérée de son fils, Gabriel laisse transparaître ses émotions pour la première fois. Sa belle indifférence se fissure, faisant place à une expression où la honte et la lassitude se disputent à un profond chagrin. La mâchoire du célèbre styliste se contracte, tandis que sa bouche se tord dans un étrange rictus.
- « C'est... », commence-t-il d'une voix tendue, avant de s'interrompre aussitôt.
Il ferme les yeux et passe ses longs doigts fins sur son visage, avant de rouvrir lentement les paupières.
- « Je tiens à toi, Adrien », reprend-il en articulant précautionneusement chaque mot, comme si ces derniers pesaient d'un tel poids qu'ils en devenaient presque imprononçables. « J'imagine que tu aurais probablement du mal à me croire », poursuit-il devant l'air abasourdi de son fils, « mais je tiens vraiment à toi. Mais je ne suis pas quelqu'un de très doué avec les gens. Je ne l'ai jamais été. »
Cette soudaine confession sonne Adrien comme un coup en pleine figure. Nathalie avait beau lui avoir confié ce que ressentait son père, il peinait encore à y croire jusque-là.
Et en toute honnêteté, même après avoir entendu ces mots sortir de la bouche même de son illustre géniteur, il a toujours du mal à réaliser que ses oreilles ne lui ont pas joué des tours.
- « Je me fie à ma logique, pas à mes émotions. Je n'aime pas dire ce que je ressens, je n'arrive pas à me mettre à la place des autres », continue Gabriel, avant de marquer une légère pause. « Pas comme ta mère », ajoute-t-il enfin.
Ignorant le léger hoquet qui échappe à Adrien, Gabriel poursuit son récit.
- « Elle, c'était tout l'inverse », reprend-il en réajustant machinalement ses lunettes. « Elle était passionnée, sensible... Toujours à écouter ses émotions, quoi qu'il arrive », soupire-t-il avec un sourire nostalgique. « Jamais je n'avais rencontré quelqu'un avec autant... autant d'empathie. Elle essayait sincèrement de comprendre les autres, de communiquer avec eux. Elle était tout ce que je n'étais pas. »
Le regard dans le vague, Gabriel semble perdu dans son propre monde. Il y a dans sa voix tant de tendresse, tant d'affection, et en même temps tant de chagrin qu'Adrien sent son cœur se serrer.
Réalisant tout à coup qu'il s'est égaré dans ses pensées, le célèbre styliste secoue brièvement la tête.
- « Nous nous complétions parfaitement », poursuit-il avec une petite quinte de toux. « Avec elle, je savais que tout était possible. Puis elle... Elle est morte. »
Gabriel s'interrompt un instant et laisse échapper un lourd soupir.
- « Elle est morte. Et du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul avec toi », complète-t-il en braquant un regard perçant sur son fils.
Paralysé par l'émotion, Adrien a l'impression de suffoquer.
Le jeune homme pose instinctivement sa main sur son torse, priant silencieusement ses poumons de ne pas l'abandonner. Sous ses doigts, il peut sentir son cœur battre lourdement dans sa poitrine. Comme une horloge entêtante. Comme un marteau qui cognerait entre ses côtes et dont le son pesant résonnerait jusqu'au plus profond de ses os.
- « J'étais seul, avec notre garçon », poursuit Gabriel avec hésitation. « Et c'était... terrifiant. Je ne savais pas... Je devais t'élever, te protéger, faire en sorte que rien ne t'arrive et je ne... Je ne savais pas... »
La voix de Gabriel tremble puis se brise, incapable de supporter plus longtemps l'émotion qui couve dans chacun de ses mots.
- « Je voulais ce qu'il y a de mieux pour toi », confie-t-il dans un souffle, ses yeux fuyants désormais le regard de son fils. « Je voulais être fort. Je voulais t'aider à surmonter la disparition de ta mère, mais... Je ne se sentait pas capable de tout assumer tout seul... Je SAVAIS que je ne pourrais pas. Elle avait toujours été à mes côtés, et j'étais seul. C'était... Je n'ai jamais eu peur des défis, mais pour la première fois de ma vie, j'avais la certitude que je ne serai jamais à la hauteur. Comment est-ce que j'aurais pu la remplacer ? », poursuit-il en levant enfin les yeux vers Adrien. « Elle était tellement extraordinaire... »
Stupéfait, le jeune homme dévisage son père sans réussir à articuler le moindre mot. Adrien est ce bouleversé par ce rare aveu de faiblesse. C'est à peine s'il reconnait cet homme d'ordinaire si calme, si maître de lui, et qui met à présent son cœur à nu devant lui.
- « Quand elle est... Quand elle nous a quitté, j'ai vu à quel point tu en as souffert » reprend Gabriel, le regard à présent étrangement brillant. « Combien elle te manquait, combien tu aurais tout donné pour qu'elle revienne. Te voir comme ça m'a brisé le cœur. Mais je ne savais pas quoi faire. Je... Je n'ai jamais su comment aider les gens. Je te voyais souffrir et je ne pouvais rien faire », s'exclame-t-il avec un désespoir poignant. « Je savais juste que je ne serai jamais capable de te refaire sourire un jour. Pas comme elle. »
S'agrippant à sa table comme on se cramponne désespérément à une bouée de secours, Gabriel ferme un instant les yeux.
- « Je... Je n'aurai jamais pu remplacer ta mère », murmure-t-il d'une voix à peine audible. « Et... Je ne savais pas comment... Tu n'avais plus que moi au monde et je ne voyais pas comment m'en sortir seul. Je SAVAIS que je n'allais pas m'en sortir seul. Alors... Il fallait qu'elle revienne. Pour ton bien. C'était la seule solution. »
Livide, Adrien se laisse retomber contre le dossier de sa chaise. Une terrible hypothèse commence à se former dans son esprit. Une idée si dérangeante que son imagination se cabre d'horreur.
Impossible.
C'est impossible.
Son père n'aurait pas tenté de....
- « J'ai cherché, pendant longtemps », reprend Gabriel, ignorant l'état de détresse dans lequel ses paroles plongent son fils unique. « J'ai découvert des secrets, des choses inimaginables... Si tu savais toutes les portes que l'argent peut ouvrir... », ajoute-t-il avec un petit rire amer. « Puis un jour, j'ai entendu parler des miraculous », confie-t-il en baissant sensiblement la voix. « De ces pierres magiques d'une puissance inégalée, capable de fournir d'immenses pouvoirs à leur porteur. J'ai pu retrouver celle du Papillon, mais il me fallait celles de Chat Noir et de Ladybug. Elles seules étaient assez puissantes pour... pour faire revenir ta mère », conclut-il dans un murmure à peine audible.
- « Alors c'était ça... », articule péniblement Adrien, osant à peine y croire. « Vous vouliez la... la ramener d'entre les morts ? »
- « Exactement... », approuve Gabriel avec un bref signe de tête.
Soudain nauséeux, Adrien se passe une main tremblante sur le visage.
- « Mais c'est... ça... C'est de la folie... », murmure-t-il d'une voix horrifiée.
Le choc est tel qu'il se sent prit de vertige. Autour de lui, le monde tourne, tangue, renforçant cette sensation de haut-le-cœur qui lui retourne l'estomac.
Son père croyait peut-être pouvoir jouer les nécromanciens, mais en tant qu'ancien héros, Adrien ne connait que trop bien les limites de son miraculous. Maître Fu a averti maintes fois ses protégés des dangers que courraient l'humanité toute entière si leurs bijoux venaient à tomber entre de mauvaises mains.
Jouer avec l'âme des morts. Tenter d'arracher des défunts à leur repos éternel. Ces utilisations perverties des miraculous sont une véritable aberration, qui ne pourrait entraîner que malheur et désespoir autour d'elle. La simple idée que sa mère bien-aimée puisse avoir failli être mêlée à l'une des magies les plus corrompues qui soit révulse Adrien.
- « Je ne voulais que ton bonheur », s'exclame son père, l'arrachant soudain à ses pensées. « J'ai fait ça pour toi ! »
- « J'aurais été heureux si vous ne m'aviez accordé qu'une minute d'attention plutôt que me traiter comme un de vos employés », rétorque Adrien en relevant vivement la tête.
Gabriel recule aussi vivement si le jeune homme l'avait giflé.
- « Vous n'avez pas idée d'à quel point ces dernières années ont été dures pour moi », poursuit Adrien d'une voix tremblante de rage et d'horreur mêlées. « Je ne parle pas seulement de... De toute cette folie autour du Papillon », continue-il avec un large geste de la main. « Je parle de vous. Je voulais juste un père. Un père qui m'écoute raconter mes journées en rentrant de l'école, un père qui déjeune avec moi le matin, un père qui me dise qu'il est fier de moi quand j'avais de bonnes notes... Un père qui soit présent », conclut-il d'une voix émue. « Un père qui m'aime. »
Le visage blême, Gabriel se penche vers lui.
- « Je te... Je tiens à toi, Adrien », réplique-t-il dans un souffle. « Vraiment. Je te l'assure. Mais j'étais persuadé que la faire revenir était le seul moyen de te rendre à nouveau heureux. »
Adrien se sent au bord du malaise. Il a l'impression que son crâne va se fendre en deux, que son cœur va exploser, que ses poumons le brûlent tant sa respiration s'est accélérée sans même qu'il ne le réalise.
S'il avait trouvé l'atmosphère pesante en arrivant dans ce café, ce n'est rien en comparaison de ce qu'il ressent maintenant. L'air est lourd, oppressant. Il colle à lui comme une seconde peau, lui donnant la désagréable sensation d'étouffer et mettant chacun de ses nerfs à vif.
Adrien sent un filet de sueur glacée descendre entre ses omoplates, suivant avec une infinie lenteur le dessin de sa colonne vertébrale. Son corps entier frissonne, le priant silencieusement de mettre fin à son supplice et de s'en aller d'ici au plus vite. Son instinct lui hurle de mettre fin à cette conversation. De faire bouger ses muscles tétanisés par le choc, de se lever et de quitter la pièce.
Il doit partir.
Il doit partir maintenant.
Fuir. Loin. Le plus rapidement possible.
Vite, vite, avant que son stupide cerveau ne court-circuite ses pensées, ne lui fasse poser des questions dont il ne veut pas connaître la réponse et...
- « Jusqu'où auriez-vous été prêt à aller pour récupérer les miraculous de Chat Noir et Ladybug ? », s'entend-il demander malgré lui.
Sa propre voix résonne étrangement à ses oreilles, au point qu'il aurait pu douter avoir prononcé ses paroles si son père n'avait pas braqué un regard choqué sur lui.
Le visage de Gabriel se ferme. Sa mâchoire se contracte, tandis qu'une lueur résolue apparait tout à coup dans ses yeux. Puis, au bout de ce qui semble être une éternité, il ouvre enfin la bouche.
- « J'étais prêt à faire tout ce qui me semblait être le mieux pour toi », lâche-t-il d'un ton sans réplique.
Adrien se sent aussitôt pris de vertige. Un bourdonnement sourd empli ses oreilles, tandis que l'extrémité de son champ de vision se voile de noir.
Il se lève brusquement, manquant de renverser sa chaise au passage.
- « Je dois y aller », lâche-t-il précipitamment.
Ignorant l'exclamation de surprise de son père, il s'éloigne d'un pas vif. Une seule pensée l'obsède, brûlant dans sa tête comme une marque au fer rouge.
Fuir.
Vite, et loin.
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