Les chaînes des dieux

Le monde qui l'entourait était noir, pas une lumière parvenait à franchir cette épaisse cuirasse qui semblait l'enfermer dans cette cage sans mur et sans fond. Il était allongé sur une surface froide et dure et ses yeux ne parvenaient pas à se poser sur un point fixe. Il était piégé, incapable de bouger un muscle pour tenter de se redresser. De plus, ses sens semblaient l'avoir quitté. Il ne voyait pas, il ne sentait rien et son ouïe ne détectait pas le moindre bruit aux alentours. Cependant il sentit quelque chose s'approcher, effleurant son pied gauche, remontant le long de son corps immobile. Deux immenses yeux jaunes se dévoilèrent à lui à seulement quelques centimètres de son visage. Des triples iris jaunâtres. Les siennes. Ses propres yeux le fixaient sans bruit. Puis, une lumière blanche vint briser cette bulle de ténèbres qui prenait possession de lui. Il découvrit un immense serpent aux écailles plus noires que la nuit le surplombant, sa langue fourchue passant sur sa joue. Néanmoins, il ne ressentait aucune crainte ni peur. Il en était incapable. Ses émotions, tout comme son corps, étaient paralysées. Le reptile géant ouvrit sa gueule dévoilant de puissants crocs blancs où des gouttes de sang commencèrent à apparaître, tombant sur son visage neutre. Était-ce la fin ? Il ferma les yeux attendant d'être englouti par le serpent noir mais la bête se fit trancher la tête par une lame faîte d'air. Le corps géant du serpent disparut dans une épaisse fumée noire, dévoilait son sauveur à l'homme immobile. 

«- Je suis là, Apophis. Fit une voix à peine audible pour lui. »

Il tenta de lui toucher la joue mais son corps refusait toujours de lui obéir. Au lieu de cela, l'homme qui l'avait sauvé avait les yeux écarquillés et un filet de sang coulant au coin de sa bouche. Sa propre main venait de transpercer la poitrine de cet être si pur, tenant son cœur entre ses doigts. Il sentait le muscle cardiaque palpiter et le sang couler sur son poignet. Qu'était-il en train de faire ? Il ne voulait pas lui faire cela. Pourquoi lui voudrait-il du mal ? Il venait de le sauver de lui-même. 

«- Apophis… P-pourquoi ? Je… Agonisa-t-il. Tu n'es qu'un monstre… 

– Quoi… ? Non… ! Put-il enfin articuler en vain. 

– Tu m'as tué. Tu es assassin. Lui dit-il d'une voix grave qui n'était pas la sienne. »

Un liquide noir sortit des yeux bleus de son sauveur avant qu'un sourire mauvais ne se dessine sur son visage ensanglanté. Ce n'était pas l'homme qu'il connaissait. Ses iris bleus jaunissent pour laisser place à ses propres iris jaunes. 

«- Vois comme tu es laid Apophis. Un monstre que même son ami craint. Cracha la créature qui avait pris possession du corps de son sauveur. Tu es voué aux ténèbres. T'accrocher à lui ne servira à rien. Ton cœur est aussi noir que les ailes d'un corbeau. 

– Thot n'a pas peur de moi… 

– Il est celui qui est le plus effrayé par toi. Ne t'es-tu jamais regardé ? Des iris déformés, des écailles sous les yeux et du sang sur les mains. 

– Il sait que je ne suis pas comme ça… 

– Es-tu sûr ? N'est-ce pas son cœur que tu tiens ? Veut-il vraiment de toi dans son monde ? 

– C'est lui qui l'a demandé. 

– Tu te trompes. Il sait que tu es un fardeau, il n'a éprouvé que de la pitié pour un pauvre reptile. 

–  Thot ne… Hésita-t-il sans être sûr de ses propres mots. Il ne pense pas comme ça… Tu n'es qu'un cauchemar…

– Je suis la réalité. »

Soudain, Apophis ouvrit brusquement les yeux. Elle n'était plus là, cette créature qui lui parlait. Sa main n'était plus plongée dans le corps encore chaud de Thot, il ne tenait plus son cœur dans le creux de sa main. Son cauchemar s'était évaporé, il s'était réveillé. Le dieu serpent voulut se redresser mais il sentit quelque chose accrocher à lui. Thot était blotti contre son corps, ses bras autour de sa taille et la tête enfouie dans sa poitrine. Il était en vie et il dormait. Apophis le regardait. Le dieu lunaire était vraiment là. Ce n'était pas une représentation de sa culpabilité mais seulement lui. Le serpent passa ses bras autour de son corps avant de venir l'étreindre, sa tête contre son épaule. 

«- Ne me laisse pas… Je t'en prie… Murmura-t-il. »

§

Thot ouvrit les yeux et rencontra le visage endormi d'Apophis trop proche du sien à son goût sans compter les mains qu'il sentait sur son dos. Il aurait dû le faire dormir sur une pile de livres quand il en avait eu l'occasion. Il était à présent piégé contre son corps massif avec aucune possibilité de fuite. 
Thot sentit la main gauche d'Apophis glisser sur sa hanche, rampant ensuite sous son haut de pyjama. Il ne parvint pas à retenir un hoquet de surprise, s'accrochant aux épaules dénudées du dieu serpent. Thot jura intérieurement quand il sentit ses joues rosirent. Apophis lui faisait toujours autant d'effet que jadis. Cette main sur sa peau nue enflammait son corps tout entier. Il était censé être le scribe des dieux, un être plein de savoir et de sagesse mais son cœur fondait encore pour cette crapule d'Apophis. C'était par pur égoïsme qu'il avait proposé de l'emmener au royaume de la Lune. Il aurait été anéanti de le voir définitivement disparaître même s'il aurait mérité la peine de mort pour ses crimes. 

Thot caressait la joue du serpent, effleurant sa pommette couverte d'écailles noires. Cet être qui partageait son lit depuis seulement une nuit avait su prendre son cœur avec tant de facilité que le dieu lunaire se demandait s'il avait un jour cessé de l'aimer. Il glissa son pouce sur les lèvres d'Apophis, tenté par celles-ci. Il lui aurait fallu avancer son visage de seulement quelques centimètres pour l'embrasser à nouveau mais il sursauta quand il sentit ses lèvres se presser contre son pouce et son corps être serré davantage. 

«- Qu'est-ce que tu voulais faire dieu perfide ? Fit Apophis avant d'esquisser un sourire en ouvrant des yeux. 

– Arrêter ta respiration pour enfin me libérer de tes bras de gorille.  

– Tu ne voulais pas plutôt m'embrasser ? Hier ne t'a pas suffi ? Sourit-il. Je suis touché par ta sollicitude Thot. 

– Ne dis pas de sottises. Et dois-je te rappeler que c'est toi qui réclamais un autre baiser de ma part ? 

– Oui, mais contrairement à toi, je suis honnête avec le fait que t'embrasser ne m'as pas déplu. Fit Apophis en regardant Thot droit dans les yeux, sérieux. Ou embrasser le dieu des ténèbres t'as dérangé ? 

– Ne sois pas bête… Tu sais très bien que je ne pense pas cela de toi, jamais. Tu es mon plus vieil ami Apophis, malgré ce que tu as fait, c'est physiquement impossible pour moi de te haïr. 

– Serait-ce une déclaration ? 

– … En quelque sorte… Rougit Thot en baissant le regard vers le torse d'Apophis. Je n'ai pas détesté t'embrasser… 

– C'est dommage que je ne sois qu'un vieil ami… Murmura le serpent noir en relevant le visage de Thot vers le sien. N'est-ce pas ? 

– Oui… Vraiment dommage… 

– De vieux amis ne peuvent pas s'embrasser… 

– Non… Répondit Thot en effleurant les lèvres d'Apophis. 

– Tu ne comptes pas me le demander… ? Demanda Apophis, attendant le feu vert de Thot pour l'embrasser. 

– J'ai du travail… Fit-il en s'éloignant de l'autre dieu, se redressant ensuite. 

– Tu ne me le diras pas ? Jamais ? 

– Te dire quoi ? Je ne peux pas. 

– Parce que tu es le grand dieu Thot ? Et moi le monstre ? 

– Apophis… Tu n'es pas un monstre à mes yeux. Ce que dit l'Ennéade à ton sujet ne me concerne pas. Mais c'est bien parce que je suis le scribe de ce monde que je ne peux pas te le dire. 

– Et si je le faisais ? Si c'est moi qui te disais je t'-. Commença-t-il avant que la main de Thot ne se pose sur ses lèvres. 

– Tu sais que je ne peux pas. En plus… Tu commences tout juste ta route vers le pardon, que se passera-t-il s'ils apprennent ce que je ressens pour toi ? 

– Depuis quand tu te soucies de l'opinion de l'Ennéade ? 

– Ce n'est pas pour moi que je m'en soucie mais pour toi. 

– Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? 

– Si je te dis que je t'aime, ils penseront que tu as pu pervertir mon esprit, ils en sont capables. Ils cherchent la moindre faille chez toi. 

– Tu viens de le faire. 

– N-non… C'était un exemple… 

– Alors quoi ? Qu'est-ce qu'on fait ? Ça ne fait même pas une journée que je suis ici avec toi, et j'ai déjà voulu t'embrasser à plusieurs reprises. 

– Apophis… 

– C'est donc ça la punition dont tu me parlais ? Je ne vais pas seulement te servir d'assistant pour tes livres. Je vais devoir supporter le fait de pas pouvoir me racheter auprès de toi en commençant par te dire ce que j'ai été incapable de t'avouer avant tout ça. 

– Oui… 

– Non. »

Apophis attrapa le bras de Thot, l'obligeant à se rallonger auprès de lui. Il refusait de se taire, de se retenir. Ne jamais avoir avoué à Thot qu'il l'aimait avait été son plus grand regret, et maintenant qu'il avait l'occasion de rattraper ce qu'il avait détruit, il ne laisserait pas passer cette chance. Il glissait ses mains sur les joues du dieu lunaire, le forçant à le regarder dans les yeux. 

«- Qu'est-ce que tu fais… ? 

– Tu n'es pas obligé de me répondre Thot. 

– Ne fais pas ça… 

– Je t'aime. Ce n'est pas l'Ennéade qui m'empêchera de t'aimer ni même ce maudit Imhotep et sa bande d'amis. Ils ne pourront pas penser que je t'influence si c'est toi qui a perverti mon esprit. Fit-il alors qu'il n'avait jamais été autant déterminé. Je t'aimais bien avant la naissance d'Atum-Ra et je n'ai jamais cessé de t'aimer. 

– Apophis… Fondit-il en larmes, s'accrochant aux mains du serpent qui souriait. 

– Tu es moche quand tu pleures imbécile. Dit-il, trahi par son sourire. 

– Tais toi… Maudit serpent… 

– J'attendrai que tu me répondes Thot. J'ai toute l'éternité pour ça. Et puis, je te rappelle que tu m'auras longtemps dans les pattes. 

– Oui… 

– Tu ne vas vraiment pas me dire que tu m'aimes aussi ? Lança Apophis en se mettant sur le dos, plaçant Thot sur son bassin. 

– Idiot… Fit le dieu lunaire, ses mains sur les pectoraux du serpent noir. Si tu veux que je te le dise, mérite le. 

– Tu me laisseras t'embrasser à ce moment-là ? 

– Oui. Je te laisserai m'embrasser autant que tu le souhaites. 

– Qu'est-ce que je dois faire pour mériter ton amour dieu Thot ? Lui dit-il même s'ils savaient tout d'eux qu'ils s'aimaient mutuellement. 

– Je peux bien te donner un indice. 

– Dis moi. 

– Séduis moi comme tu l'as fait par le passé. Fit-il alors qu'Apophis avait ses mains sur ses hanches. 

– Tu devrais plutôt t'appeler le dieu fourbe. Je ne sais pas pourquoi tu m'aimes. 

– Tu ne vas pas m'embrasser de sitôt alors. Sourit-il en attrapant Apophis par le col de sa tunique, le forçant à se redresser. 

– Je t'aime vraiment Thot… Fit le dieu des ténèbres, ses iris jaunes plongés dans celles bleus de son amour. Je veux me racheter auprès de toi, et seulement toi. L'opinion de l'Ennéade m'importe peu. 

– Tu n'as pas changé… Tu te fichais de tout avant aussi… Répondit-il en prenant le visage d'Apophis entre ses mains. 

– Je te ferai dire que tu m'aimes, mais jusque-là, je le dirai pour nous deux. 

– En revanche, tu es plus romantique. 

– J'ai sûrement été influencé par les pensées de Djéser. 

– Qu'est-ce que tu veux dire ? 

– Ce pharaon est amoureux d'Imhotep, c'est ce qui l'a fait résister aussi longtemps à mon pouvoir. Avoua-t-il en posant ses lèvres sur le cou de Thot. Je suppose qu'entendre tous les jours cet imbécile dire à quel point il aime ce prêtre m'a peut-être influencé… 

– Je devrais envoyer un hiboux pour le remercier… Rit le dieu lunaire, résistant pour ne pas dire à Apophis qu'il l'aimait aussi. 

– Rigole pas Thot. Je lutte avec moi-même pour ne pas te blesser ni te décevoir une nouvelle fois. 

– J'ai hâte de voir ça, mais n'oublie pas que tu vas devoir m'aider à travailler. 

– Je t'aime. »

Thot déposa ses lèvres sur le front d'Apophis, au milieu de ses mèches de cheveux noires. Le dieu lunaire savait que sa volonté ne tiendrait pas plus de quelques jours à la seule condition qu'il se plonge corps et âme dans le travail. Cependant, il savait qu'Apophis était déterminé à lui faire avouer ses sentiments pour lui par n'importe quel moyen. De plus, ils étaient seuls dans son royaume. Il serait même capable de le lui avouer sur le champ s'il n'était pas curieux de découvrir un nouveau côté d'Apophis. 

Thot ne se serait jamais douté qu'en invitant Apophis au sein de son humble pays, ses sentiments remonteraient aussi vite ni même que le serpent éprouvait la même chose à son égard. Le dieu lunaire craignait la réaction de l'Ennéade mais ses sentiments pour Apophis commençaient à chasser ses peurs pour ne voir que le visage de son aimé.

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