Être un dieu à temps plein
Assis en tailleur, la tête penchée en arrière, Apophis fixait la feuille qu'il avait posée sur son visage. Il ne distinguait pas le moindre dessin ni même le moindre mot, il se contentait de souffler simplement sur ce morceau de papier de temps à autre pour le voir planer au-dessus de lui l'espace d'un instant. Thot lui avait demandé de trier les feuilles volantes qu'il avait réuni mais cette tâche n'intéressait pas vraiment Apophis qui préférait jouer et s'ennuyer. Le dieu scribe était occupé à scruter le monde des Hommes à travers son immense télescope, ne prêtant pas attention aux bêtises du dieu serpent. Ce dernier avait fini par se lever, abandonnant son poste pour visiter le royaume de la Lune sans être sous la surveillance de Thot. Le serpent noir marchait sur les dalles blanches, les pieds nus, observant simplement ces immenses étagères en bois remplis de livres. Thot les avait tous rédigés à la main, relatant l'histoire de tous les peuples du monde des Hommes. Leur passé, leur présent mais aussi leur futur. Apophis s'approchait d'une étagère au hasard, saisissant un livre dont la reliure vert émeraude lui paraissait intéressante.
«- Histoire de Napoléon Bonaparte… ? C'est qui celui-là encore ? Fit Apophis alors qu'il se trouvait devant la section française de l'histoire du monde. Inintéressant. »
Après avoir rangé le livre à sa place, Apophis se mit en tête de partir à la recherche d'un livre le concernant. Thot avait écrit un ouvrage entier sur chaque être humain de la Terre, et même s'il n'en avait pas fait directement parti, il devait avoir quelques lignes quelque part. Il avait pris possession du corps de Djéser qui était humain, alors il allait commencer par l'histoire du jeune pharaon.
La section égyptienne n'avait pas été difficile à trouver, l'étagère ayant une gravure de Thot sur ses planches imaginée par les Hommes. Apophis fit apparaître un esprit serpent dont les écailles dégageaient une épaisse fumée noire pour qu'il rampe à travers les ouvrages à la recherche de celui sur Djéser. Le dieu lunaire avait eu l'excellente idée de ranger ses livres par époque et non par ordre alphabétique. Ce fut après une dizaine de minutes d'attente que son esprit revint avec l'ouvrage dorée où était inscrit le nom de Djéser en relief.
«- Voyons voir ce qu'il a écrit sur ce morveux et sur ce que j'ai fait… Murmura-t-il. Cherche s'il y en a un portant mon nom et celui de Thot. Fit-il ensuite en direction du serpent. »
Apophis s'assit à même le sol, feuilletant le livre à la recherche des passages qui pouvaient l'intéresser. Lors de sa lecture, il lui arrivait de lever les yeux au ciel ou de commenter avec moqueries lorsqu'il tombait sur des passages qu'il trouvait ridicules. Puis, son sourire s'effaça quand il tomba sur ce qu'il cherchait. Thot le décrivait comme un monstre rampant, dénué de sentiments et de pitié. Un être obsédé par sa vengeance contre l'Enneade et l'Ogdoade. Néanmoins, il ne pouvait pas lui en vouloir de l'avoir écrit ainsi. C'était la vérité. Thot n'avait fait que relater les faits même si ces lignes lui rappelaient son cauchemar. Il voulait se rattraper désormais et prouver à Thot qu'il méritait l'amour qu'il lui portait.
Son serpent revint sans livre comme il le pensait. Thot ne pouvait pas écrire sur les dieux, seulement les mentionner s'ils venaient à interférer dans la vie d'un humain. Cependant, cela ne le dérangeait pas. Il n'aurait pas voulu lire les lignes écrites par Thot sur ses crimes. Apophis renvoya son serpent sur l'étagère afin de ranger le livre sur Djéser puis il partit.
Durant sa marche, Apophis jouait avec l'un des morceaux du ruban noué autour de sa taille et qui maintenait son pantalon ample et noir sur ses hanches. Puis il sourit en pensant à Thot. Il devait déjà s'être aperçu de son absence, sûrement s'était-il même déjà mis à sa recherche. Le serpent noir se rappela avoir entre aperçu une cascade en arrivant au royaume de la Lune. Il y attendrait son vieil ami.
§
Thot observait la pyramide portant le nom de Djéser avec le sourire. Imhotep et lui avaient pu retourner à leur époque comme prévu. Le monument avait été construit pour le pharaon par Imhotep qui avait dirigé lui-même sa construction. Le dieu lunaire savait que c'était une preuve d'amour d'un vizir pour son pharaon.
«- Apophis… Ç-ça te dirait de visiter la pyramide de Djéser… Enfin si tu veux… Balbutia Thot en ôtant son œil du télescope afin de regarder l'endroit où aurait dû se trouver son ami. Apophis ? »
En découvrant un tas de feuilles éparpillés sur le sol, Thot soupira avant de descendre de son perchoir. Son vieil ami avait toujours été intenable et ce trait de caractère n'avait pas changé.
Il fit appeler un hibou qui lui communiqua la position exacte d'Apophis en ce moment même. Le serpent noir se trouvait dans sa cascade.
«- Occupe toi de ces papiers s'il te plaît. Fit Thot au hibou qui commençait déjà sa tâche, attrapant les feuilles volantes avec son bec. »
Le dieu lunaire prit la direction de la cascade qu'il avait fait apparaître grâce à ses pouvoirs car le clapotis de l'eau l'apaisait lorsque son esprit était embrouillé par des pensées parasites. Toutefois, être à la recherche de son vieil ami qui se comportait comme un enfant était aussi un moyen, certes inhabituel, de se détendre quelques minutes loin de ses fonctions de dieu scribe. Et puis, la présence d'Apophis était bien plus apaisante que tous les sons relaxants qu'il pouvait connaître.
Thot entendait le son de la cascade non loin de lui. Il lui suffit de se frayer un chemin entre les sections des pays d'Amérique latine pour la voir au milieu des étagères couvertes de lierres. L'eau sortait de la roche pour finir sa descente dans un bassin d'eau clair entouré de pierres, au milieu de l'herbe verdoyante poussaient quelques fleurs blanches et jaunes. Puis, le corps plongé jusqu'à la taille, Apophis se trouvait dos à Thot, les yeux clos profitant de l'eau douce sur sa peau nu. Ses longs cheveux noirs avaient été préalablement mouillés et laissaient quelques gouttes d'eau perlé sur son corps pour rouler sur sa musculature. Le dieu lunaire l'aperçut au milieu de cette eau pure, ses vêtements reposant sur l'herbe.
«- Apophis ? Fit timidement Thot en s'approchant du bord de l'eau. »
Le dieu serpent sourit en entendant la voix du dieu de la Lune derrière lui. Il se tourna vers Thot lui montrant une nouvelle fois le haut de son corps nu. Il s'approchait de lui, glissant ses mains sur la surface de l'eau claire créant de légères vibrations.
«- Pourquoi es-tu encore nu… ?
– Je n'allais pas me baigner en étant habillé. Sourit-il à nouveau une fois devant Thot, l'eau arrivant tout juste à son bas ventre.
– C'est vrai mais…
– Tu ne veux pas plutôt ôter les tiens et venir avec moi ? L'eau est bonne. Fit-il en faisant glisser ses mains le long des jambes de Thot qui rougissait.
– À quoi est-ce que tu penses… ?
– À toi, comme toujours. Aller Thot… Viens… Oublie le travail.
– Apophis…
– S'il te plaît…
– D'accord mais… Retourne toi…
– Je vais te voir, alors pourquoi… ?
– Retourne toi…
– À tes ordres. Fit Apophis en tournant le dos à Thot, s'avançant de quelques pas. »
Le dieu lunaire vint saisir les deux rubans qui maintenaient attachée la tunique bleue et blanche qu'il portait. Il tira légèrement sur les deux morceaux de tissus, rompant l'attache qu'ils formaient. Le vêtement glissa le long de son corps dévoilant une peau hâlée, une taille fine et une légère musculature. Sentant sa peau être prise de frisson, Thot pénétra dans l'eau à son tour. Nu lui aussi.
«- Je peux me retourner ? Je veux te voir… Fit Apophis en entendant Thot s'approcher.
– Oui…Vas-y mais ne ris pas…
– Jamais. Répondit-il en se tournant vers son vieil ami. »
Les deux hommes nus s'observaient ou plutôt s'admiraient. Apophis fut le premier à tenter une approche passant le dos de ses doigts sur l'épaule droite de Thot, les glissant jusqu'à sa poitrine. Sa peau était douce et humide. Les joues de dieu de la Lune étaient écarlates. Il se mordit la lèvre inférieure quand il sentit l'autre main d'Apophis se poser sur le bas de son dos pour le rapprocher un peu plus de lui.
«- Tu es mal à l'aise ? Demanda le serpent noir contre l'oreille de son partenaire.
– Non je suis juste… Pourquoi es-tu si proche… ? Lui dit Thot en posant ses deux mains sur les pectoraux d'Apophis.
– Pourquoi penses-tu que je t'ai fait venir ici… ?
– Tu ne m'as pas… Tu savais ?
– Je savais que tu viendrais me chercher au moment où tu te rendrais compte de ma disparition.
– Pourquoi ?
– Je voulais te voir, te sentir et te toucher… N'est-ce pas agréable ?
– Oui… Ça l'est… »
La bouche d'Apophis s'étira en un sourire contre le cou de Thot. Il le voulait pour lui seul. Il désirait embrasser chaque parcelle de son corps fin, toucher chaque centimètre de sa peau. Voir son visage couvert de rougeurs, sentir sa peau être prise de frissons par la simple action d'une de ses mains sur lui. Apophis déposa un baiser sur la mâchoire de Thot, puis un autre sur sa joue. Ses mains visitaient, découvraient ce corps qui le tentait depuis toujours. Sa poitrine, puis ses côtes, glissant le long de son dos pour venir se poser sur ses hanches.
«- Qu'est-ce que tu fais… ?
– Je t'aime… Voilà ce que je fais…
– Apophis… Fit Thot en attrapant le visage du serpent entre ses mains. Arrêtes… Ce n'est pas bien…
– De quoi ? D'être proche de moi ? De sentir mes mains parcourir ton corps ? Ou d'aimer ça ? Qu'est-ce qui n'est pas bien Thot ?
– Je ne devrais pas aimer cela… J-je ne devrais pas ! M-mais j'aime sentir tes mains sur mon corps et que tu sois aussi proche de moi ! J'aime le fait d'être nu avec toi dans ce bassin ! J-je ne suis même pas mal à l'aise ou… Gêné ! Je suis simplement… Excité à l'idée que tu continues… Que tu sois encore plus proche que cela…
– Est-ce que tu m'aimes ?
– Tu oses encore te poser cette question…
– Tu me l'as jamais dit. Je ne sais rien de ce que tu ressens pour moi.
– Pourquoi veux-tu tant le savoir… ?
– Parce que je suis honnête avec mes sentiments. Je n'éprouve aucune honte à te les dire encore et encore. Fit Apophis avec confiance. Tu veux les entendre ?
– Apophis…
– Je t'aime Thot, comme un fou. Bien avant la naissance d'Atum-Ra je t'aimais déjà. Tu es la seule personne qui compte à mes yeux. Je pourrais mourir pour toi. Tu pourrais me haïr de toutes tes forces que je t'aimerais encore. Et… Là, t'avoir entre mes mains, nu et sans défense me fait perdre la tête. Je veux te faire l'amour comme les Hommes. Je pourrais même tuer pour pouvoir te toucher encore et encore Thot.
– Ne dis pas ça…
– Je suis sérieux. Je n'ai jamais été aussi sérieux que maintenant avec toi. Tu sais ce dont je suis capable, tu l'as vu. Ne renie pas les sentiments que j'ai pour toi.
– D'accord… Répondit Thot en caressant les joues d'Apophis, passant ses pouces sur ses écailles. Moi aussi…
– Dis le moi plus clairement… Fit le serpent en posant son front sur celui de son partenaire.
– Je t'aime… Je t'aime Apophis… J-j'aime que tu me touches… Je voulais tes mains sur moi, bien avant que tout bascule… E-et… Je veux… Je veux que tu me fasses l'amour comme font les Hommes… Je veux la sentir en moi et… Me fais pas en dire plus…
– Je peux t'embrasser maintenant ?
– Oui… Vas-y… »
Le dieu serpent crut sentir son cœur se gonfler de bonheur. C'était comme s'il vivait pour la première fois. Comme s'il avait passé sa vie entière à errer dans ses ténèbres sans jamais avoir l'occasion de percevoir la lumière. Cependant, c'était Thot sa lumière. Celui qui l'empêchait de sombrer toujours plus profondément dans ses abysses. Il était amoureux de lui car il représentait ce qu'il y avait de meilleur en lui. Ce qu'il pouvait éprouver était si puissant que cela lui montrait que même un monstre, un serpent noir aux triples iris jaunes était capable d'éprouver des émotions, des sentiments comme l'amour qu'il portait à Thot. Après cette autorisation murmurer, son envie de l'embrasser et de le toucher avait été amplifiée. Apophis posa sa main sur la joue du dieu lunaire avec toute la douceur dont il pouvait être capable. Cela allait être leur premier vrai baiser après toutes ces années à renier, à repousser leurs sentiments. Il glissa son pouce sur ses lèvres, les regardant comme si elles représentaient le péché de la luxure à elles seules. Sa bouche était tendre et moelleuse, tentante et agréable à effleurer. Les yeux bleus de Thot l'observaient, attendant patiemment un autre geste plus tendre venant de celui qu'il voulait comme amant. Apophis se penchait au-dessus de lui, ses magnifiques yeux jaunes plongés dans les siens. Le scribe des dieux vint glisser ses mains à travers les longues mèches noires d'Apophis, se dressant sur la pointe des pieds, créant du mouvement à la surface du bassin.
«- Qu'est-ce que tu attends… ? Embrasse moi… »
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