Chapitre 8 ° L'antichambre du trouble

Voyant que j'attendais ses indications, il s'ébroua aussi, provoquant un nuage de poussière aussi dense que sur la couverture d'un vieux grimoire et me fit signe de le suivre. Nous fîmes un détour par la cuisine. Il me mit entre les mains une carafe d'eau ainsi qu'une panière avec des fruits secs et deux tranches de pain. Après quelques couloirs, je le vis s'engouffrer dans l'un des salons privés de Maltar.

— On a le droit d'aller là ?

River avait l'air d'avoir pas mal de passe-droit et tant mieux si cela me permettait d'explorer un peu plus la maison. Il n'y avait pas de mal à essayer de grappiller quelques informations. Il y eut un silence où je compris qu'il considérait l'intérêt de me répondre.

— Non.

Droit ou pas, ce ne serait pas sur moi que cela retomberait. Il pouvait bien faire ce qui lui chantait. Si cela nous permettait de passer les prochaines heures plus confortablement, je n'étais pas contre.

Il traversa le salon jusqu'à une petite porte et me fit signe d'entrer. La pièce était plongée dans l'obscurité. Au bout de quelques instants, mes yeux s'acclimatèrent. Nous étions dans une sorte d'antichambre ou de petit salon privé. J'imaginais bien Maltar emmener des invités de marque afin de discuter plus à l'aise ou loin d'oreilles indiscrètes pendant une réception. La pièce n'était pas très grande et je notais l'absence de fenêtre. River referma la porte et nous plongea dans le noir. Il y eut le déclic d'un verrou, me signifiant que nous étions enfermés à double tour. Je pivotais et attrapais des yeux la lueur de son pendentif.

Je l'entendis gratter une allumette et la seconde d'après la lueur vacillante d'une bougie nous éclaira. Il alluma deux autres photophores avant d'aller farfouiller dans un coin de la pièce. Ainsi éclairées de cette lumière tamisée, les lieux révélaient tout leur charme. Il me vint à l'esprit que les invités de Maltar étaient peut-être d'une toute autre nature et je sentis un léger malaise me traverser. Celui-ci s'intensifia lorsque River retira son turban et se défit de sa chemise pour se retrouver torse nu.

Malgré toute ma bonne volonté, mon regard glissa sur son corps. Je serais les dents et me convainquit de toutes mes forces que je m'intéressais à ses nombreux tatouages. Ceux-ci partaient de son épaule gauche, recouvraient son pectoral et glissaient sur l'intégralité de son flanc. Je distinguais des entrelacs complexes se mélangeant aux jeux d'ombres des courbes de ses abdominaux. Je me détournais vivement alors que je m'égarais sur ses lignes saillantes de ses hanches.

Je prie une grande inspiration et me pris en main. En centre de la pièce, des tapis aux motifs orientaux dans les teintes rouges et orange formaient un cœur confortable. Des coussins étaient disposés pour recevoir des convives et s'asseoir en cercle. Une natte en jute permettait de poser différentes victuailles sans tacher les tissus. Je trouvais un dessous de plat en mosaïque pour la carafe.

J'étais en train de considérer le fait que l'endroit était bien trop intimiste et me demander où m'asseoir quand il déposa une longue corde au centre des tapis. Je déglutis de travers. Je levais les yeux sur lui alors qu'il affichait un sourire en coin. Au moins, il y en avait un qui s'amusait.

— Personnellement, j'ai prévu que tu sois sympa et que tu ne tentes rien de stupide. J'aimerais profiter de cette après-midi pour me reposer et profiter de la qualité indécente de ses coussins.

Là, tout de suite, c'était lui qui était indécent. Je censurais mes pensées. Il se vautra de tout son long sur les coussins et je tâchais de m'installer à l'exact opposé. Il y avait largement assez de place pour deux. S'il voulait que je sois sage, qu'il en fasse de même. Qu'il n'hésite pas à faire un petit somme.

Alors que je prenais place, j'écarquillais les yeux au contact des coussins. Je passais ma main plusieurs fois dessus. J'avais l'impression de caresser de l'eau tellement le contact était doux et vaporeux.

— Je t'avais prévenu.

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est de la soie.

Timidement, je me laissais glisser au milieu des coussins. C'était absolument délicieux. J'enviais soudainement River qui avait enlevé son haut. Il esquissa un rictus moqueur en suivant mes yeux qui s'étaient encore attardés par mégarde sur son corps.

— Si tu veux te mettre à l'aise, ça ne me dérange pas...

Je le fusillais du regard et il se tut. La lueur de son pendentif se reflétaient dans ses yeux sombres. Il n'y avait rien d'innocent dans ce regard et leur intensité toute braquée sur moi commençait à me bruler la peau. Il fallait que je trouve une conversation pour me sortir de ce face à face trop tendancieux.

— C'est quoi une Briseuse ?

La malice de son regard se dissipa. Il n'était pourtant pas décidé à arrêter de me fixer. Je partis piocher quelques fruits secs pour me donner une contenance et prier pour qu'il veuille bien répondre à ma question. Finalement, il s'enfonça un peu plus profondément dans les coussins et son regard parti admirer les arabesques du plafond.

— La Briseuse de radiants est l'un des multiples pièges du désert, dit-il d'une voix posée. Il semblerait que ce soit des restes de la Guerre du Soleil. Des nuages de poussière de luminescence qui traversent le désert sans jamais réussir à se disperser.

Il existait mille et une légendes sur la Guerre du Soleil, colportées par les voyageurs. Gedd nous avait souvent mis en garde contre ces histoires. Les hommes avaient une fâcheuse tendance à transformer la vérité pour en faire quelque chose de plus grandiloquent. La réalité était souvent bien plus banale si elle n'était pas plus terrible.

Mais cette fois, ces résidus vaporeux de la guerre ne paraissaient pas aberrant. Pendant plus de trente ans, le monde était devenu un champ de bataille sans horizon jusqu'à réduire à néant la moindre trace de la civilisation. Ils avaient été jusqu'à transformer leur terre en désert. Le nombre de morts ne se comptait plus. Toute la luminescence de ces victimes furieuses pouvaient bien avoir pris corps.

— Pourquoi la Briseuse de radiant ?

— Parce qu'elle nous rend fou.

J'attendis patiemment qu'il veuille bien continuer. Il dut percevoir mon attente et par chance, daigna poursuivre.

— La plupart des radiants seraient simplement déboussolés, grisé par un surplus d'énergie inhabituelle dont ils ne maîtrisent rien. Certains se sont dit que ce serait une bonne idée de faire des combats avec des Catalysts, que cela décuplerait nos forces.

Il était vrai que sur le papier, il y avait de l'idée. J'avais peu de doute sur le résultat.

— Le radiant en question s'est désintégré.

— Comme lorsqu'un Catalyst va trop loin ?

Si un radiant trop puissant pouvait être dangereux pour un catalyst en l'asphyxiant ou en le brulant avec une trop grande quantité de luminescence, l'inverse était aussi vrai mais dans des conditions différentes. Tout l'art des catalysts étaient justement d'apprendre à canaliser le flux et à savoir l'arrêter lorsqu'il venait à s'épuiser. En plein combat, le radiant perdait le contrôle et pouvait puiser dans ses réserves jusqu'à la mort. Lorsque cela arrivait, on disait du radiant qu'il s'était désintégré. Le corps ne devenait plus qu'un ensemble de particules lumineuses jusqu'à perdre le lien tenu qui connectait l'être à la vie et imploser.

— Oui sauf que c'est immédiat. Dès l'instant où les deux se connectent, il se vide de sa luminescence. Le catalyst pourrait lui trancher la gorge, cela reviendrait au même.

La métaphore manquait de poésie. Même si j'avais eu la chance de ne jamais assister à ce spectacle, j'imaginais très bien les gerbes de sang jaillissant de la plaie en flot épais.

— Tu crois que ce nuage pourrait être les restes d'anciens combattants radiants pas totalement implosés et condamnés à errer entre la vie et la mort ?

Cela m'apparaissait comme un destin bien horrible. River semblait étonné de mon imagination.

— Et il continuerait à sillonner le désert pour hanter les catalysts qui les ont assassinés ? compléta-t-il.

Je levais les yeux au ciel devant sa moquerie. Il se redressa pour piquer un fruit. Mon regard s'attarda sur ses mains. Elle paraissait beaucoup trop douce pour être celles d'un tueur. Je les aurais volontiers imaginé couturées de cicatrices ou même avec des bouts en moins.

Là, vautré au milieu des coussins avec son air enjôleur, il avait tout d'un prince délicat. Mais ce serait se laisser avoir par son joli minois. Tout son corps avait été sculpté pour tuer. Derrière ses gestes souples se cachaient une agilité dangereuse. J'eus soudain une conscience aiguë de ma faiblesse. Il pouvait me maîtriser avant même que j'ai le temps de me lever. Je n'étais pas plus dangereuse que ce pauvre fruit entre ses mains.

— Cette théorie ne marche pas ou alors nos ancêtres sont vraiment des incapables, dit-il tout en mordant dans son fruit.

Je choisis ce moment pour me plonger dans la contemplation du tapis.

— La tempête n'a aucun effet sur vous alors pour venir vous hanter...

Cette information eut le mérite de capter toute mon attention. Cette question me brulait les lèvres mais je m'étais résolue à ne pas la poser. Pendant un instant, je me demandais ce qu'il se passerait si j'arrivais à ouvrir la porte et à m'échapper. Je vis dans son regard qu'il voyait parfaitement mon raisonnement et qu'il attendait que j'aille au bout comme une grande. Mon regard se coula sur le trognon du fruit. J'avais l'audace d'imaginer le surprendre alors que je venais justement de conclure que j'étais sans défense face à lui. Mon imagination prenait toujours le dessus. C'était plus fort que moi.

Ma raison hurlait que tout ceci était inutile et je comptais bien l'écouter une fois que j'aurais fini d'envisager, seulement envisager, une tentative de fuite. De toutes les manières, je ne partirais pas sans Lior.

— Si tu veux je peux te montrer ce qu'il va se passer ?

Je me tassais sur moi-même. Pourquoi étais-je si prévisible ? Lorsque Lior devinait mes pensées, je mettais ça sur le compte de notre trop longue vie commune. Que River arrive à le faire en quelques jours était inquiétant.

Mais l'idée semblait beaucoup plaire à River. Il farfouilla d'une main dans sa poche et en sortie une petite clé en bronze accroché au bout d'un lien de cuir usé. Il la jeta au milieu des tapis, parfaitement à équidistance de chacun.

— Imaginons que je m'endorme, que tu arrives à t'en saisir et à ouvrir la porte, qu'est-ce que tu feras après ?

Je croisais les bras sur ma poitrine avec un air renfrogné. Il leva les yeux au ciel.

— Nous savons tout les deux que cela n'arrivera pas. Mais j'ai très envie de savoir comment la petite Ciara compte échapper à son terrible geôlier.

Je pesais le pour et le contre. Lui révéler ma façon de penser était une très mauvaise idée au cas où Lior et moi mettions notre plan à exécution. Peut-être pouvais-je utiliser ce jeu à mon avantage.

— Tu n'as qu'à me laisser ouvrir la porte et tu verras bien.

Je le défiais ostensiblement. Il ne fallait pas être un génie pour deviner que River avec une certaine fierté et quoi de plus qu'une petite provocation éhontée pour la titiller. Audacieuse était mon deuxième prénom.

En l'occurrence, mon audace était en train de fondre comme neige au soleil alors que j'avais réveillé le prédateur en face de moi. Mes excuses, naïveté était mon deuxième prénom.

— Et bien vas-y.

Il ne pouvait pas être sérieux. Ou alors il s'ennuyait vraiment. Ou j'avais touché une corde sensible ? Il était surtout sûr de lui et pour de bonnes raisons. Mais je décidais de ne pas rendre les armes tout de suite.

— Dois-je te rappeler que dans notre scénario, tu es censé dormir ?

Il haussa un sourcil.

— Tu vas me bloquer avant même que j'attrape la clé. Si je suis suffisamment discrète, il est tout à fait possible que je ne te réveille pas du tout.

Il esquissa un sourire moqueur et je sentis mes joues se réchauffer.

— A la seconde où tu entrouvriras cette porte, des panaches de luminescence vont envahir la pièce. Je t'assure que mon corps va me le faire sentir.

Soit.

— Donc disons que tu n'auras le droit de bouger qu'à ce moment-là.

Son sourire s'agrandissait de seconde en seconde et une petite voix me chantait que je plongeais la tête la première dans un piège. Il se laissa choir dans les coussins et croisa ses bras derrière sa tête, m'offrant une vue bien trop provocante. Il me sembla soudainement parfaitement raisonnable de vouloir tenter par tout le moyen de sortir de cette pièce. Prise d'un élan de courage, je saisis la clé. Je m'immobilisais aussitôt, m'attendant à ce qu'il se jette sur moi pour m'arrêter. Après tout, je ne le connaissais pas assez bien pour savoir à quel point monsieur était joueur. Il me fit signe d'aller jusqu'à la porte.

Donc il voulait jouer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top