~°•○Chapitre 8○•°~

~°•○Arion Sherwind○•°~

Il y a des blessures qui ne guérissent jamais vraiment. Arion le sait mieux que quiconque.

Il a rencontré Sol au tout début de sa 6e. Le courant est immédiatement passé entre eux. Ils partageaient la même passion, discutaient sans arrêt en cours, passaient la plupart de leur temps libre fourré ensemble... Le tableau semblait parfait. A une exception près.

Sol était souvent absent.

Arion a fini par en apprendre la raison, à force d'insister pour lui apporter ses cours. Son nouvel ami était atteint d'une maladie cardiaque très rare. S'il fournissait trop d'efforts physiques, son cœur s'emballait, jusqu'à lui provoquer des douleurs insupportables. Il devait donc souvent séjourner à l'hôpital pour suivre un traitement qui atténuait ses symptômes.

Pourtant, malgré sa maladie, Sol continuait de mordre la vie à pleine dents. Il jouait chaque partie de football comme si c'était sa dernière, gardait le sourire en toute circonstances, et n'hésitait pas à s'échapper de son lit d'hôpital quand il risquait de manquer une occasion particulière. Il avait tout d'un battant, qui ne laissait pas son cœur l'empêcher de vivre pleinement.

Pourtant, Arion a un jour réalisé qu'il s'agissait d'une façade.

Lors de leur année de 3e, en mars, Sol a enfin pu être guéri de sa maladie grâce à une opération. Plus de crises, plus de séjours à l'hôpital, il était libéré. Du moins, il aurait dû l'être. Car son cœur a continué de faire des siennes lors de trop grands efforts, si bien que le rouquin a finalement dû arrêter le sport pendant une longue période.

Et c'est là qu'Arion a compris que, depuis le début, Sol avait toujours été terrifié par sa maladie. Il craignait que la vie ne continue sans lui, qu'elle ne le devance et qu'il ne puisse jamais la rattraper. Il y avait toujours cette crainte de ne jamais pouvoir profiter pleinement de ses passions comme n'importe quel adolescent de son âge.

C'est ainsi que, même lorsque la douleur physique a disparu, le traumatisme psychologique, lui, est demeuré.

Et Arion ne pouvait pas y faire grand chose, à part rester aux côtés de Sol les jours où la peur l'empêchait de respirer. Il s'était promis que, quoi qu'il arrive, il ne lâcherait jamais son meilleur ami, et serait là pour lui tenir la main jusqu'à ce que ses crises cessent de le tourmenter.

C'est Arion qui a proposé à Sol de s'inscrire ensemble pour une colonie de vacances. Il s'est dit que le changement d'air leur ferait du bien, et, peut-être, pourrait aider son ami à moins prêter attention à son rythme cardiaque.

Evidemment, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Dès le premier jour, le cœur de Sol a fait des siennes. Heureusement, Arion était là, comme toujours, pour le soutenir et le rassurer, lui rappeler qu'il n'avait plus rien à craindre. Sauf qu'aucun des deux ne se doutait encore qu'au contraire, les ennuis ne faisaient que commencer.

Parce que tomber amoureux, quand voir son coeur s'emballer le terrifie, a autant de chances de guérir les crises de Sol que de les amplifier.

Arion soupire, son habituel sourire insouciant absent de son visage. Il s'inquiète pour son meilleur ami. Depuis quatre jours, lui et Bailong ne s'adressent plus la parole, et, bien que Sol tente de garder le sourire, le brun le connaît bien assez pour ne pas être dupe. Quelque chose a forcément dû se passer lorsqu'ils ont parlé le jeudi soir. Seulement, aucun des deux ne semble décidé à le raconter.

Arion sent son coeur se serrer à cette pensée. Il aimerait tant venir en aide à Sol, mais se sent impuissant face au chagrin d'amour qui peine son meilleur ami. Eux qui se disent tout d'ordinaire, il a l'impression que, pour la première fois, un mur de non-dits les sépare, et, à dire vrai, ça le terrifie. Il voulait que ces vacances améliorent l'état de Sol, pas qu'elles l'aggravent.

Oh non. Aurait-il fait une erreur ?

- Arion ? On peut parler ?

~°•○Victor Blade○•°~

Il y a des blessures qui ne guérissent jamais vraiment. Victor le sait mieux que quiconque.

Lui et Bailong se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Aussi loin qu'ils se souviennent, ils étaient toujours fourrés ensemble, que ça soit sur les bancs de l'école ou chez les Blade. Les professeurs s'amusaient même à les qualifier de faux frères. Ils ne pensaient pas si bien dire.

Victor et Bailong étaient liés par la solitude. Les parents du premier passaient le plus clair de leur temps à l'étranger, tandis que ceux du second négligeaient leur fils. Les frères Blade sont vite devenus la famille de substitution de Bailong. Puis, alors qu'il entrait tout juste au collège, ils sont devenus sa famille tout court.

Un beau jour, monsieur et madame Guang ont disparu. A ce jour, personne ne sait encore où ils sont partis. Peut-être ont-ils déménagé à l'étranger, peut-être sont-ils décédés. Ce qui est sûr, c'est que, où qu'ils soient partis, ils ont laissé leur fils derrière eux, sans aucun autre parent proche pour s'occuper de lui.

Victor et Vladimir ont supplié leurs parents pendant des mois d'adopter Bailong. Et ils ont fini par accepter. Sans doute était-ce leur manière de s'excuser d'être aussi peu présents pour leurs propres enfants. Dans tous les cas, Bailong a fini par devenir un Blade officiellement, et, vivant enfin avec ceux qu'il a toujours considéré comme sa vraie famille, s'est épanoui comme n'importe quel adolescent de son âge.

Puis il y a eu Tezcat.

Tezcat a débarqué dans leur collège, dans leur classe, en début de 3e. Il s'est rapidement lié d'amitié avec Victor et Bailong, et des sentiments sont vite nés entre lui et ce dernier. Leur histoire d'amour n'avait rien d'une épopée ou d'un conte de fée. Ils passaient du temps ensemble, et échangeaient de temps en temps, à l'abri des regards, des petits gestes affectueux qui feraient lever les yeux au ciel plus d'une personne.

Ils formaient le couple parfait, peut-être un peu trop pour que ça soit vrai. Mais personne ne s'est jamais douté de rien, et certainement pas Bailong. Victor lui-même était heureux de voir son frère heureux et amoureux. Bien vite, avril est arrivé, les beaux jours s'en sont retournés, les fleurs ont éclos dans le jardin d'à côté.

Tezcat s'est suicidé.

C'était presque ironique comme l'histoire se répétait. Encore une fois, Bailong a vu un être cher disparaître de sa vie, brusquement, sans rien dire. Tezcat n'a rien laissé derrière lui, pas un message, pas une explication. Du moins, pas à la connaissance de Victor. Le garçon souriant et enjoué a dévoilé une souffrance qu'il ne pouvait endurer, et personne n'en connaîtrait jamais la nature.

Après ça, la voix de Bailong s'est tue, et ses émotions ont commencé à se dissimuler. Bien sûr, Victor savait que son frère souffrait, mais, à part être à ses côtés, que pouvait-il faire ? Seul le temps et la patience peuvent réellement guérir le deuil. Alors, bien qu'il ne l'ait pas lâché, il savait qu'il ne pouvait qu'attendre que le choc de la perte s'amenuise.

C'est Vladimir qui a suggéré qu'ils partent tous les deux en colonie de vacances. Sans doute leur aîné s'est-il dit que changer d'air leur ferait le plus grand bien. Et, au début, Victor y croyait aussi. Mais ces derniers jours, il a vu Bailong se renfermer encore plus qu'avant, refuser de tourner la page et d'entamer un nouveau chapitre.

Une part de Victor déteste Tezcat. Il sait bien que c'est immonde de sa part de blâmer quelqu'un qui souffrait tellement qu'il a choisi la mort pour se libérer. Mais il ne peut pas s'empêcher de se dire que si Tezcat n'avait jamais débarqué dans la vie de Bailong, rien de tout ça ne serait arrivé. Son frère ne serait pas rongé par la culpabilité d'être à nouveau tombé amoureux alors qu'il n'a pas su empêcher son précédent amour de faire le grand saut.

Alors que faire, maintenant ?

Comment convaincre Bailong qu'il n'est pas responsable du suicide de Tezcat ? Comment le convaincre qu'il a le droit de continuer de vivre ? Comment le convaincre d'enfin exprimer ce qu'il garde enfoui ?

Victor se rend compte qu'il ne peut pas gérer ça tout seul. Car, si sa présence est bénéfique pour Bailong, elle le maintient également dans une bulle, une zone de confort dont il refuse de sortir. Non, Victor a vite réalisé que Sol était celui dont son frère avait besoin. Seulement, il semblerait que le rouquin lui-même soit en proie à des doutes dont il ignore l'origine.

Alors il ne lui reste plus qu'à faire appel à celui qui, depuis le début, se trouve dans la même situation que lui. Celui qui comprendra immédiatement ce qu'il éprouve en ce moment.

~°•○•°~

- Voilà, tu connais toute l'histoire, conclut finalement Victor.

Arion prend un instant pour assimiler toutes les informations qu'il vient de recevoir. L'instant d'avant, c'était lui qui parlait. D'un commun accord, les deux ont décidé de se confier sur leurs situations respectives.

Car il faut se rendre à l'évidence : ils n'y arriveront pas seuls. Ensemble, en revanche, ils ont peut-être une chance de sauver la fin des vacances pour Bailong et Sol. Certes, il ne reste qu'une semaine, et ils pourraient tout aussi bien attendre que celle-ci passe. Mais ça ne leur semble pas acceptable. Ils sentent, tous les deux, que quelque chose de fort est né durant ces derniers jours. Quelque chose qu'ils ne peuvent pas laisser se détériorer de la sorte.

- C'est horrible... murmure Arion, qui se remet toujours de l'histoire que Victor lui a conté. Je suis tellement désolé que vous ayez dû traverser ça...

- Bah, moi, je peux pas me plaindre, comparé à Bailong...

- Ne dis pas ça ! le réprimande aussitôt le brun. Ça a été dur pour toi aussi, surtout que tu as dû soutenir ton frère pendant tout ce temps !

Victor regarde Arion d'un air surpris. Et, en vérité, il ne peut nier que toute cette histoire l'a profondément affecté également. Seulement, pour Bailong, il se doit de rester fort. Il ne peut pas flancher quand son frère a tant besoin d'une béquille sur laquelle se reposer.

- C'est pas le sujet. Qu'est-ce qu'on devrait faire, d'après toi ? A par les pousser l'un contre l'autre, je t'avoue que je sèche...

- Et pourquoi pas ?

Décidément, Arion ne cesse d'étonner Victor. Le brun s'explique aussitôt en voyant la perplexité de son interlocuteur :

- Pas littéralement ! Mais, je veux dire... Jusqu'ici, on les a laissé s'ignorer et s'isoler comme si de rien n'était, et ça les a juste rendus tristes. Alors, peut-être qu'on devrait un peu plus insister pour qu'au moins ils se reparlent ?

Il n'a pas tort. De toute évidence, laisser ces deux-là s'enfermer dans leur bulle de déni de leurs propres sentiments ne leur a apporté que plus de tracas. Arion n'a jamais vu Sol forcer autant ses sourires, et le silence de Bailong se prolonge de manière inquiétante. S'ils ne sont pas capables de faire eux-mêmes le premier pas pour se sentir mieux, alors peut-être qu'en effet, les pousser l'un contre l'autre n'est pas une si mauvaise idée.

- Ça vaut le coup d'être tenté, concède Victor. Franchement, quelle galère... Vlad nous envoie en colo pour que Bailong oublie un peu Tezcat, et voilà qu'il se trouve quelqu'un d'autre...

- T'es pas en train d'accuser Sol, j'espère ? demande Arion d'un ton soudain plus sérieux.

- Bien sûr que non. C'est de la faute de personne, juste d'un timing foireux...

- C'est vrai...

Et Victor devine que, pour Sol aussi, ses sentiments pour Bailong ne sont pas arrivés au meilleur moment. Et, d'un autre côté, c'est ce qui pourrait les sauver, si au moins ils prenaient la peine d'essayer. Parce que leurs cœurs ont besoin d'un remède contre les troubles qui les affligent, d'une présence qui les tirera vers l'avant au lieu de les installer tranquillement dans une couverture protectrice.

- Victor ?

L'intéressé reporte son attention vers Arion, qui lui offre un sourire réconfortant.

- Ça va aller. On va s'en sortir.

C'est en recevant ces mots que Victor se rend compte à quel point il avait besoin de les entendre. A force de voir Bailong se renfermer sur lui-même, se taire de plus en plus, il a lentement commencé à croire que les choses ne bougeraient jamais, qu'il ne pouvait qu'essayer de limiter la casse. Cependant, grâce à Arion, peut-être, possiblement, que l'espoir commence à renaître.

- Alors qu'est-ce qu'on fait à rester plantés là ?

Le brun rit légèrement et approuve sa remarque. Parler, c'est bien, mais ils n'accompliront rien de ce qu'ils ont promis en restant assis au pied d'un arbre. La plupart de leurs amis sont dans la salle de détente, Sol y compris. Bailong, lui, comme à son habitude, est retourné seul dans la chambre quatre. C'est donc là que Victor se rend, avec un objectif bien précis en tête.

- Bailong, l'interpelle simplement Victor, en équilibre sur l'échelle qui donne sur le lit du dessus.

L'interpellé lève les yeux de son livre, qu'il a probablement chapardé dans la salle de détente. Son regard ocre n'exprime rien, et Victor espérerait au moins qu'il soit agacé d'être interrompu. Peut-être le sera-t-il plus d'être tiré de force hors de son lit.

- Viens jouer. Je crois que les autres sont en pleine partie de loup garou.

- Vas-y sans moi.

Au moins, il répond. Sauf que ce n'est peut-être pas une si bonne nouvelle que ça, car Victor sait parfaitement à quel point son frère peut se montrer borné quand il le veut. Mais, ça tombe bien, lui aussi.

- J'ai envie d'y aller avec toi.

- Tu peux y aller avec Arion, non ?

- C'est pas pareil. Arion c'est pas mon frère.

Un rictus faussement amusé se dessine sur le visage de Bailong. Victor décide d'en ignorer les insinuations, et poursuit :

- Tu peux juste regarder, si tu veux.

- J'ai pas envie qu'on me pose de questions.

- Personne le fera. Ils l'ont jamais fait, y'a pas de raisons qu'ils s'y mettent maintenant.

Bailong finit par refermer son livre brusquement, et, regardant son frère droit dans les yeux, lui lâche :

- Tu sais très bien pourquoi je veux pas y aller.

- Et tu sais très bien ce que j'en pense.

Un nouveau silence s'installe. Plus ils attendent, moins ils auront de temps pour s'amuser avec les autres. Mais Victor ne compte pas lâcher l'affaire. Il l'a promis à Arion, après tout. Il finit par ajouter :

- Vous êtes pas obligés de vous parler. T'es même pas obligé de parler tout court. Je te demande juste d'être là.

Car, si au moins Bailong et Sol pouvaient rester plus de deux minutes dans la même pièce sans s'éviter, contrairement aux derniers jours, alors Victor et Arion pourraient espérer arranger les choses. Tant pis s'ils ne se parlent même pas, tant pis s'ils se regardent à peine, l'important, c'est de commencer quelque part.

- Tu vas pas me lâcher, hein ? râle Bailong.

- Tu me connais trop bien, répond Victor narquoisement, comprenant qu'il a gagné.

Et, effectivement, le garçon aux cheveux bicolores se lève, et fait signe à son frère de bouger de l'échelle pour qu'il puisse descendre. Ensemble, ils rejoignent la salle de détente, où sept adolescents sont installés en cercle dans un coin de la pièce, avec Riccardo debout juste à côté. Lorsqu'il les voit arriver, Arion fait immédiatement une place pour que Victor et Bailong puissent s'asseoir entre lui et Gabriel. Sol, de l'autre côté de son meilleur ami, semble perturbé par leur arrivée. Toutefois, s'il a eu la moindre envie de fuite, la main du brun sur la sienne l'en empêche.

Arion et Victor s'échangent un sourire pendant que la partie de loup garou en cours se termine. Il faut bien commencer quelque part, et ceci est, ils l'espèrent, le début du rabibochage entre Bailong et Sol.

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