~°•○Chapitre 7○•°~

~°•○Bailong Blade○•°~

Bailong fixe la feuille blanche face à lui sans savoir quoi en faire.

Ce matin, tout le monde est réuni dans la salle commune pour un atelier dessin improvisé. A la base, ils devaient jouer au basket, mais la pluie torrentielle faisant rage dehors en a décidé autrement. L'orage est censé durer toute la matinée et une partie de l'après-midi, donc autant dire que personne ne risque de mettre les pieds dehors de sitôt.

Bailong se retrouve donc face à une feuille blanche et un manque flagrant d'inspiration. Les animateurs leur ont proposé d'essayer de dessiner quelqu'un qui leur est cher. Beaucoup d'adolescents, par facilité, ont donc jeté leur dévolu sur quelqu'un d'autre dans la pièce. Arion et Sol se fixent à tour de rôle depuis quinze minutes, Aitor n'arrête pas de crier à Gabriel d'arrêter de bouger, pendant que Riccardo observe lui aussi attentivement son ami aux couettes roses.

Victor, lui, a décidé d'être original et de dessiner un absent, Vladimir. Il s'en sort plutôt bien, et, d'un simple coup d'œil, Bailong reconnaît les traits doux et aimants de leur grand frère. Le garçon à la longue chevelure se dit qu'il devrait peut-être prendre l'un de ses frères pour modèle, lui aussi. En tout cas, ça lui éviterait de fixer sa feuille comme un idiot.

- Pas d'inspi ? Tu te débrouilles pourtant bien en dessin, d'habitude, remarque Victor.

Bailong se contente de hausser les épaules, ne sachant pas trop quoi répondre. C'est vrai qu'il a toujours apprécié le dessin, sans que ça soit une véritable passion. En fait, c'était surtout quelque chose qu'il pratiquait quand il s'ennuyait en cours. Et dieu sait que ça arrivait souvent... Sauf qu'il y a des jours comme ça, où il a beau fixer sa feuille pendant trente minutes, rien ne vient.

Il finit tout de même par tracer un cercle, plus par ennui qu'autre chose. Il ne regarde même pas vraiment son trait, ses yeux dérivant à la place sur le garçon roux en face de lui.

Le garçon dont il est tombé amoureux.

Bailong en rirait presque tellement c'est cliché. Une histoire d'amour estivale comme on en raconte des tas, qui naît sous le soleil et grandit au cours des vacances. Sauf que rien de tout ça ne l'amuse. Lui a peur, peur de ce que ces sentiments pourraient apporter, peur d'être incapable de se relever, peur que le soleil l'aveugle et le fasse trébucher.

Sa feuille se remplit enfin. Bailong n'y prête toujours pas attention. Il est trop occupé à contempler les souvenirs qui ressurgissent de nouveau. Dans un parc fleuri, à l'ombre d'un cerisier, une confession s'envole dans le vent et parvient jusqu'aux oreilles de son destinataire. Deux adolescents unissent leurs lèvres en même temps que leurs vies, leurs visages rayonnant d'un bonheur pur et insouciant.

Une autre image remplace celle-ci. Un cours d'escalade tout ce qu'il y a de plus classique, pourtant empli de bonne humeur. Des rires résonnent dans le grand gymnase, pendant qu'un garçon parvient jusqu'au sommet et fait de grands signes à ceux qui l'attendent en bas. Ce sourire, il est adressé à un adolescent en particulier, mais ça, ils ne l'avoueront pas.

Une lettre apparaît. Une simple feuille A4, déposée dans la boîte aux lettres des Blade un après-midi d'avril. C'en est trop pour Bailong. Il chiffonne son dessin et le lance rageusement dans la poubelle, avant de quitter son siège. Victor lui lance un regard interrogateur, alors son frère marmonne qu'il doit passer aux toilettes sans lui offrir plus d'explications. Personne ne prête vraiment attention à eux, trop concentrés sur leur travail.

Personne, sauf un adolescent.

~°•○Sol Daystar○•°~

Bailong ne revient pas de la matinée. Il semblerait que l'histoire se répète, comme il y a deux jours. Lorsque vient l'heure de se rendre au réfectoire, Sol s'arrange pour être le dernier dans la salle. Il jette un œil dans la corbeille, dans laquelle se trouve une unique boulette de papier chiffonnée. C'est plus fort que lui, il la récupère, l'enfourne dans sa poche, et s'aventure à son tour sous la pluie encore battante.

Comme la météo ne semble pas décidée à s'améliorer, les animateurs laissent quartier libre aux adolescents pour l'après-midi, leur programme tombant, assez littéralement, à l'eau. Arion et Gabriel proposent de se rendre dans la salle de détente pour une nouvelle partie de jeux de société. Victor décline, et, sur un coup de tête, Sol décide de le retenir avant qu'il ne s'en aille en direction des chambres :

- Victor, est-ce qu'on pourrait parler ?

L'intéressé hésite, certainement pressé d'aller retrouver son frère. Néanmoins, il finit par accéder à la requête du rouquin, et les deux attendent que le réfectoire se vide pour entamer la discussion.

- Laisse-moi deviner, c'est à propos de Bailong ? avance Victor.

Sol se mord la lèvre inférieure, hésitant. Il sait très bien qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas. Mais son envie de passer du temps avec Bailong et de lui venir en aide l'emporte sur toute prudence. Il n'est pas dupe. Hier, lorsque sa main s'est posée sur celle du garçon aux cheveux bicolores, lorsque leurs regards se sont trouvés pour plus longtemps que nécessaire, il a fini par comprendre.

Sol est amoureux de Bailong.

Et il sait à quel point c'est dangereux pour lui. Il sait que son coeur risque de ne pas supporter une charge émotionnelle si forte, pas quand un simple match de football a suffi à le faire craquer il y a quelques jours. Mais comment rester de marbre quand celui pour qui il a eu le coup de foudre semble tant souffrir ? S'il doit marcher en équilibre sur un fil pour parvenir à saisir de nouveau la main de Bailong, qu'il en soit ainsi.

Sol sort la boulette de papier qu'il a récupérée un peu plus tôt, et la tend à Victor.

- C'est le dessin de Bailong. Je ne sais pas si j'ai le droit de le regarder, mais... je pense que toi, au moins, tu le devrais.

Victor ne semble pas apprécier qu'il ait récupéré ce dessin, et, franchement, Sol ne peut pas lui donner tort. Sa curiosité est sans doute allée trop loin, il le sait bien. Pourtant, le garçon aux yeux d'ambre saisit tout de même la feuille et la déplie sans faire le moindre geste pour indiquer à Sol de ne pas regarder. Ils sont donc deux à découvrir le croquis sommaire d'un adolescent au regard doux et au sourire angélique.

- Oh, putain, j'aurais dû m'en douter...

La réaction de Victor laisse Sol perplexe tout comme elle l'inquiète. La feuille de papier finit une nouvelle fois chiffonnée et enfoncée rageusement dans la poche du pantalon du plus grand. Des milliers de questions traversent l'esprit du rouquin, et c'est la plus évidente qui sort en premier :

- C'est qui ?

Victor rive son regard ambré vers lui, comme s'il venait de se rappeler de sa présence ici. Au lieu de répondre à sa question, il lui demande :

- Corrige-moi si je me trompe, mais mon frère t'intéresse, non ?

Sol détourne les yeux, gêné. Le garçon à la queue de cheval n'a pas besoin de plus pour comprendre la réponse, et poursuit :

- Je vais être honnête avec toi. Une histoire d'amour, c'est sûrement la dernière chose dont Bailong a besoin, en ce moment.

La nouvelle dévaste le rouquin. Alors il n'a vraiment aucune chance ? Malgré les moments qu'ils ont passés ensemble, malgré la complicité qui s'est créée entre eux en si peu de temps, tout est déjà perdu d'avance ? Peut-être que, lui aussi, une histoire d'amour est la dernière chose dont son coeur a besoin. Néanmoins, la perspective de devoir s'éloigner, voire éviter volontairement Bailong pour ne pas avoir à penser à ses sentiments lui fait bien plus mal que n'importe quelle crise.

- Mais en même temps... Il a l'air de se sentir bien, quand il est avec toi... Ça faisait longtemps que je l'avais pas vu sourire comme ça...

Une lueur d'espoir renaît. Victor le regarde à nouveau dans les yeux, et Sol voit un frère tiraillé entre l'envie de protéger Bailong et de l'aider à aller mieux. Le rouquin sent que c'est le moment pour lui de tenter sa chance.

- Si je peux faire n'importe quoi pour l'aider, dis-le moi.

Victor prend une grande inspiration, avant de déclarer :

- Je vais te confier une chose. Mais, je te préviens, tu n'auras aucun détail. Ce n'est pas à moi de te raconter toute l'histoire.

- D'accord, acquiesce Sol, compréhensif.

Victor ouvre la porte, et le vent s'engouffre dans le réfectoire en même temps que la pluie. Au loin, un flash de lumière transperce le ciel, et, quelques secondes plus tard, le tonnerre gronde.

- Le garçon sur le dessin, c'est l'ex de Bailong. Il est décédé en avril dernier.

Et, sur ces mots, il sort sous le déluge, part retrouver son frère endeuillé. Sol reste planté là, cloué sur place par cette révélation. La lueur d'espoir qui s'est rallumée plus tôt vacille, s'éteint presque.

~°•○•°~

L'orage a fini par se stopper en fin d'après-midi. Les animateurs en ont profité pour emmener tout le monde en promenade, à défaut d'avoir pu faire autre chose de cette journée. Bailong n'est pas avec eux. Victor non plus, d'ailleurs.

- Sol ? Tout va bien ?

Arion regarde son meilleur ami d'un air inquiet. Ce dernier s'est forcé à sourire et à faire comme si de rien n'était tout l'après-midi, mais, maintenant que la journée est presque finie et qu'ils sont en chemin pour le réfectoire, son humeur maussade reprend le dessus. Sol est complètement perdu. Des pensées contradictoires se bousculent dans son esprit, il est déchiré entre l'envie d'aider Bailong et la peur de lui causer encore plus de tort.

- Désolé Arion, j'ai un peu la tête ailleurs... s'excuse le rouquin quand il se rend compte qu'il n'a pas entendu un traître mot de ce que son ami vient de lui dire.

- C'est à propos de Bailong, c'est ça ?

Sol le regarde d'un air surpris. Enfin, après réflexion, ça n'a rien de très étonnant. Ils se connaissent depuis quatre ans, maintenant, alors nul doute qu'Arion peut lire en lui presque comme un livre ouvert. Hélas, cette fois-ci, il ne peut rien dire à son meilleur ami. Il ne peut pas trahir le secret que Victor a accepté de lui confier, même si les sentiments qui l'assaillent sont si envahissants qu'ils menacent de l'étouffer.

- J'espère juste qu'il va bien, c'est tout, finit par déclarer Sol.

Ce n'est pas tellement un mensonge, et, heureusement, Arion ne cherche pas plus loin.

- Ça va aller, il est avec Victor après tout.

Pourtant, visiblement, même Victor est incapable de soigner les blessures intérieures de Bailong. Sinon, il n'aurait pas demandé son aide à Sol. Mais le rouquin est-il seulement capable de lui apporter cette aide, quand lui et le garçon endeuillé ne se connaissent que depuis quelques jours ? La vérité, c'est qu'il a peur de découvrir que ses sentiments sont insuffisants.

- Bah tiens, c'est pas eux, là-bas ?

Sol tourne aussitôt la tête dans la direction qu'Arion pointe du doigt. Effectivement, plus loin, à peine visible derrière une rangée de conifères, se trouvent Bailong et Victor, déambulant à travers les allées du centre sans but précis. Ils sont les seuls à remarquer les deux adolescents, et le reste du groupe se dirige déjà vers le réfectoire. Le brun pose une main sur l'épaule de son ami, et lui sourit d'un air compréhensif.

- Vas-y. Je te garde une place.

Le rouquin remercie Arion, et, sans plus attendre, part retrouver les frères Blade. Victor est le premier à le remarquer, et lui jette un regard entendu avant de s'éloigner pour les laisser seul. Bailong, lui, s'immobilise et rive son regard ocre vide d'émotion dans celui bleu océan de Sol. Pour la première fois, une tension se ressent entre eux, et c'est bien loin de leur plaire.

- Je... commence Sol, hésitant.

- Je sais. Victor m'a dit, le coupe Bailong.

Le silence s'installe de nouveau. Le rouquin cherche les bons mots sans les trouver, et, pour ne rien arranger, le visage de son interlocuteur ne montre aucune émotion. Ils sont comme piégés dans la toile de sentiments à la fois salvateurs et destructeurs, arrivés tellement vite et devenus intenses si soudainement qu'ils menacent de déborder.

- Qu'est-ce que tu comptes faire, exactement ?

La question prend Sol par surprise. Ce qu'il compte faire ? C'est drôle, il n'en sait rien. Tout s'est passé si rapidement qu'il a à peine eu le temps d'y réfléchir, et, plus il y pense, moins tout ça a de sens. Deux adolescents qui viennent de se rencontrer ne devraient pas autant se soucier l'un de l'autre, la situation de Bailong ne devrait pas autant lui déchirer le cœur, ne devrait pas menacer d'éveiller son angoisse dormante.

Et, pourtant, ils sont bel et bien face à face, habités d'un amour qui a débarqué brusquement alors qu'aucun d'eux n'y était préparé. Que faire, dans une situation pareille ? Sol n'en est pas certain. Mais, ce qu'il sait, c'est qu'il n'a pas envie d'ignorer ce sentiment et de faire comme s'il n'existait pas.

- J'aimerais t'aider, il répond finalement.

- Parce que tu crois pouvoir faire quelque chose ?

Sauf qu'en plongeant son regard dans celui de Bailong, Sol réalise que leurs opinions diffèrent. Lui veut tendre la main au garçon endeuillé, tandis que ce dernier attend passivement que la peine qu'il ressent s'en aille. Pourtant, même si le temps a bien la capacité de soigner les plaies, il est évident que ça ne suffira pas.

- On a passé de bons moments ensemble, ces derniers jours, non ? On pourrait continuer, et...

- Pourquoi ? Tu crois pouvoir le remplacer ?

La question glace le sang de Sol. C'est la première fois que Bailong s'exprime aussi clairement, sans filtre. Le rouquin découvre alors toute la colère et la culpabilité qui se cachaient derrière le mutisme. La parole du peiné se libère, et ce qui en ressort a de quoi retourner les entrailles de n'importe qui.

- Ça suffit. On se connaît à peine, et d'ici deux semaines, on se reverra plus jamais. Alors arrête de te prendre la tête avec ça. Tu peux rien y faire. C'est... c'est mieux qu'on arrête de passer du temps ensemble.

Bailong commence à s'éloigner. Non, non, ça ne peut pas se terminer comme ça. Peut-être qu'il a raison, peut-être que des inconnus qui se sépareront bientôt ne devraient pas autant se soucier l'un de l'autre. Cependant, Sol ne peut pas supporter de le voir s'isoler ainsi. Il sait que ses sentiments sont irrationnels, mais il tente malgré tout de retenir celui qui a envahi son coeur, en criant de toute son âme :

- Bailong, tu as le droit d'être heureux !

Sa phrase a l'effet inverse de celui escompté. Une paire d'yeux ocres se tourne vers lui, et, une voix emplie d'une rage nouvelle hurle :

- La ferme !

Et il part, sans que rien ne le retienne cette fois. C'en est trop pour Sol. Son rythme cardiaque s'emballe, sa cage thoracique se resserre, et, bientôt, il tombe à genoux sur l'herbe, incapable de respirer correctement. Encore une fois, tout se brouille autour de lui, sa vision, le son des arbres qui dansent au gré du vent, il ne ressent plus rien.

On, bon sang, il aurait dû savoir que ça finirait ainsi. Son cœur n'était pas prêt à recevoir un si grand choc, pas aussi vite. Quel idiot il fait. Comment a-t-il pu croire pouvoir aider Bailong quand ses propres plaies n'ont pas encore cicatrisées ? Le bip régulier des machines, l'odeur caractéristique du désinfectant, tout ça continue de lui coller à la peau, alors même qu'on lui avait juré qu'il pouvait laisser cette phase de sa vie derrière lui.

Au fond, son cœur est toujours aussi faible. Il est trop faible pour atteindre un garçon ravagé par le deuil, aussi fort soient les sentiments de Sol envers lui. Il étouffe à cause du trop plein d'émotions qu'il ressent, à cause de la souffrance infligée par le rejet du garçon aux cheveux bicolores. Il manque d'air, et, cette fois, Arion n'est pas là pour l'emmener loin de sa peine, Victor n'est pas là pour lui prêter sa gourde.

Bailong n'est pas là pour lui offrir un cookie et un sourire.

~°•○Bailong Blade○•°~

Bailong a mal. Cette douleur qui lui déchire les entrailles, elle est nouvelle, bien différente du vide qu'il ressentait jusqu'ici, et surtout bien pire. Il ne comprend pas ce qui lui a pris de dire toutes ces atrocités à Sol. Parce qu'au fond, lui aussi aimerait que le rouquin reste à ses côtés. Car, si quelques jours ont suffi pour réchauffer son âme meurtrie par le deuil, alors l'espoir de sortir du gouffre n'est sans doute pas si vain.

Alors pourquoi ? Pourquoi avoir refusé ?

Un visage souriant envahit l'esprit de Bailong, le visage apparu sur sa feuille de dessin ce matin. Non, il sait très bien pourquoi il a repoussé Sol. Il s'en veut encore. Plus que ça, il s'en veut plus que jamais, refuse de laisser sa vie se reconstruire alors qu'il n'a pas pu protéger celle de celui qu'il chérissait.

Bailong se retourne dans son lit. Les idées noires refusent de se taire. Cela fait des mois qu'elles ne le laissent jamais en paix. Ces derniers jours, pourtant, il a cru pouvoir leur échapper. Il a cru, l'espace d'un instant, que le sourire chaleureux de Sol pouvait les chasser, qu'il pourrait enfin écouter la lettre et aller de l'avant malgré la culpabilité. Oh, comme il a eu tort d'espérer...

- Désolé... il murmure, le visage enfoui dans sa couette.

Sauf que Bailong ne sait pas vraiment envers qui il s'excuse, tant il y a de personnes qu'il a déçues. 

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