Chapitre 21

C'est la dernière personne qu'elle s'est attendue à voir ici, mais aucune stupéfaction ne la heurte : seulement de l'horreur. Ses joues sont mouillées par les larmes et la transpiration. De sa lèvre inférieure goutte un peu de sang, et ses orbites sont presque exorbitées sous l'affolement. « Nathalie ?! Bon sang ! Georges... Les policiers... ils l'ont emmené, aidez-moi ! » Elle tend désespérément la main vers elles. Jamais ne les atteint-elle. La quadragénaire disparaît dans la foule.

« Nadine... Tu la connais, Anna ?!

— Une amie... de mes parents... », gémit celle-ci.

C'est elle, que j'ai vue à mon entrée ? La femme à la couette blonde ?!

Il faut partir d'ici. Non. L'indignation la tire dans ce chaos. Non. Cet affolement lui met un pain, tente de la plaquer à terre. Non. S'assumer, qu'est-ce que ça veut dire ? Se battre, là, maintenant, à l'image de tous les téméraires résistant aux gendarmes qui battent à la ronde ? L'urgence la gagne, la tiraille. Et, dans ses bras, Madame Lenoix ne bouge pas, elle s'accroche presque à elle.

Et si elles se font emmener, elles aussi ? C'est décidé : elles doivent partir d'ici. Sans se séparer, car Anna a trop peur. Elle a la fureur de se révolter, mais pas le courage, pas encore. Elle n'est pas prête. Alors, elle se saisit des épaules de sa professeure, et fonce. Où ? L'entrée est bloquée...

Et personne ne peut sortir. Les chiens ! Un sanglot naît dans sa gorge. Il n'en sort pas : la tête de Théodore s'impose avec force dans son esprit. L'étage... la fenêtre... l'arrière-cour ! Elle se hâte corps et âme vers l'escalier ; son enseignante suit dans un cri alarmé. Ses iris bruns comme le bleu de ceux d'Anna observent le monde derrière elles, ce monde qui s'éloigne, cette violence qui les atteint pourtant toujours. Nadine, se souvient-elle aussi.

Ses pieds freinent. « Nadine ! » s'époumone-t-elle, à l'instant même où l'intéressée réussit à se glisser entre un punk et une grande femme. Elle les repère, et les rejoint avec hâte. « En haut, débite Anna, on peut sortir ! » Sans plus d'explication, elle achève ce voyage laborieux jusqu'aux marches, et avale celles-ci quatre à quatre. Du verre explose, en bas. On trébuche, à sa suite. La châtaine retient Madame Lenoix de justesse, et continue de la soutenir par le bras. Le trio improbable débarque dans le couloir kaki, puis le traverse à toutes jambes, puis entre en trombes dans cette salle de jeu et d'administration.

Ici, Paul et Théodore se redressent d'un bond ; le premier lève les poings par réflexe, l'air hors de lui. Mais dès qu'il reconnaît la jeune fille, il baisse ses bras, la mâchoire béante. Son ami, quant à lui, est recroquevillé dans un coin du canapé. Anna ne profite pas du décor.

« La... fenêtre, halète-t-elle rapidement. La fenêtre, elle est à combien de mètres de haut ?!

— Ne me dis pas que tu veux sauter ! s'exclame-t-il, l'œil rond.

— Ils bloquent la porte, chevrote Nadine. Mon camarade s'est fait arrêter... Je dois le retrouver, mais ils commencent à utiliser leurs matraques !

— ... Quoi ?! »

Ils se retrouvent au moins dans la consternation. « Ils ne monteront pas, Paul, hein ? débite Théodore d'un ton tremblant. Paul, ils... ils ne... monteront p... pas ?! » L'intéressé inspire longuement.

« C'est le premier étage, indique-t-il dans un sifflement. Nous, on ne peut pas quitter l'endroit. On attend ici. Le propriétaire va bientôt descendre, je ne sais pas s'il arrivera à régler les choses. Vous avez déjà sauté d'une telle hauteur, au moins ?

— Oui, abrège la plus jeune.

— Forcément, marmonne Madame Lenoix. Cependant, ça sera une première pour moi.

— De même, mais je m'en contrecarre », intervient Nadine, pressante.

Court silence. Enfin, silence est un bien grand mot : le rez-de-chaussée rugit toujours, de plus en plus fort, de plus en plus rageant. Anna n'attend pas pour franchir les quelques mètres la séparant de la fenêtre. Elle l'ouvre en grand : l'air glacial de l'extérieur fait voler ses cheveux en arrière, et une nuée de flocons s'engouffrent dans la salle. Elle se retourne vers les deux autres, les dents serrées.

« Toujours mieux que de se faire matraquer, tranche-t-elle. Je peux vous aider toutes les deux à descendre, et me taper l'intégralité de la chute.

— Tu n'es pas sérieuse ? souffle la plus petite.

— Vous l'avez dit vous-même : vous n'avez jamais fait ça !

— Tu pourrais te blesser ! conteste-t-elle encore.

— Et alors ?! »

Dans les yeux bruns de Madame Lenoix, quelque chose passe. L'adolescente arrive à le déchiffrer : l'autre est inquiète, indignée, en colère. Mais il n'y a pas de temps à perdre ! Tandis que l'adrénaline l'urge encore et encore, elle se penche par-dessus le rebord, et observe le fond, les mâchoires contractées. Deux ou trois échardes piquent sa peau. Néanmoins, c'est le cadet de ses soucis.

« Ce n'est pas bien plus haut que chez moi, murmure-t-elle. Nadine, est-ce que tu peux me donner ta main ? Je te tiendrai le plus bas possible.

— Tu pourrais tomber, Anna...

— Je l'aiderai », tranche subitement Paul.

Il se positionne aux côtés d'Anna, et toise presque les deux femmes. La plus petite serre les poings.

« Vous en avez la carrure, au moins ? crache-t-elle.

— Je ne pense pas qu'elle soit bien lourde », rétorque-t-il, piqué au vif.

Quelques secondes. L'enseignante détourne le visage, et inspire longuement. « Une blessure, une seule blessure... et vous aurez affaire à moi. » En entendant son ton menaçant, le cœur d'Anna rate un battement. Puis avance Nadine, dont les iris émeraude la scrutent avec mitige. « Je sais que tu fais pas mal de sport... Je te fais confiance là-dessus, mais au moindre problème, tu me lâches, et je me débrouille, d'accord ? Pour Nathalie, tu n'auras probablement pas de souci, mais moi, je suis plus grande que toi. »

L'intéressée acquiesce simplement. Aucune parole supplémentaire n'est nécessaire.

La large main de la quadragénaire se saisit de la sienne. Elle escalade l'encastrement sans grande hésitation. Son pantalon simple et son pull aussi souple que pas bien extravagant ne gênent aucun de ses gestes. Elle est fringuée de façon classique : Anna ne le remarque qu'à cet instant-ci. « Prête ? » lui demande-t-on d'ailleurs.

Elle observe l'avant-bras de Nadine, pour raffermir sa prise dessus de ses deux paumes. Paul, lui, lui ceint la taille dans un reniflement dédaigneux. « Prête », grimace-t-elle. Alors, la plus âgée d'eux tous recule avec précaution. Elle déglutit, jette un regard derrière elle, ferme les paupières, puis glisse doucement à l'extérieur.

Son poids se répartit lentement sur les bras d'Anna. Cette dernière se penche d'autant plus, et les tend au maximum. Ses épaules la font souffrir, sa poitrine et ses côtes se retrouvent douloureusement plaquées contre le bois. Elle contracte son dos pour tenter d'y pallier, sans jamais toucher à ses biceps ; cet effort-ci serait inutile, si ce n'est dangereux. Bientôt, sa respiration se coupe : elle ne peut qu'acquiescer faiblement vers Nadine, laquelle se met à tâter la façade en face d'elle de ses pieds. Chacun de ses mouvements manque d'arracher un grognement à la jeune fille. Elle ne sent même plus Paul la retenir avec fermeté.

« Lâche, lui indique-t-on d'une voix ténue. Une brique sort du mur, je peux m'y retenir. » L'inquiétude mord l'estomac de la châtaine. Elle doit fournir un effort émotionnel conséquent pour parvenir à laisser tomber Nadine. Une légèreté effrayante s'abat sur elle : elle expire d'un coup, presque haletante. Au même instant, l'amie de ses parents rencontre le sol, et crie presque un juron.

« Nadine ?!

— Ça va, tout va bien ! débite-t-elle. Tout va bien. Et toi ? »

Paul recule, laissant la cadette observer minutieusement le visage ovale de l'autre. Elle en profite pour faire tourner ses épaules, et déglutit, la gorge nouée au possible. Désormais qu'elle est libre de ses gestes, elle les perçoit de nouveau, les hurlements d'en bas. Ils se sont intensifiés, réalise-t-elle avec horreur. Douleur, insultes, haine, ordres : dessous, elle ne veut pas même imaginer ce qu'il se déroule. Elle fait vivement volte-face vers Madame Lenoix, qui observe la scène, ses lèvres écarlates pincées et la peau pâle. Ses yeux ne la quittent pas, ses traits fins sont marqués par l'appréhension.

Anna se sent subitement honteuse. Pourquoi ne ramèneraient-elles pas plus de monde, ici, afin de limiter la casse ? Combien de personnes se font battre, sous ses pieds ? Elle n'a pas réussi à faire face aux actes injustes de la police ; toutefois, elle aurait pu agir. Non... Je sauve déjà deux personnes, ici... Et puis, qui est-elle, pour jouer aux héroïnes ? Elle ignore son cœur déchiré entre l'envie de mettre Madame Lenoix en sécurité et celle de tendre la main à d'autres personnes encore.

Il y a des individus plus forts qu'elle. Ils s'en sortiront, se convainc-t-elle comme elle le peut. Et puis, avec ce simple acte, elle se bat, non ? Rien qu'en ayant risqué tant de choses en venant, en ayant réglé ses problèmes avec Théodore, en ayant amené sa professeure et Nadine ici... Elle réglera ses comptes lors de la manifestation. Elle reviendra, aidera, chaque chose en son temps.

Elle tend donc sa main vers la jeune femme, un sourire tremblotant plaqué sur sa face. L'autre déglutit, et la prend doucement. Elle s'approche, passe juste à côté, serre ses doigts autour des siens, imite Nadine dans de légers soubresauts. « Je peux te rattraper ! » lui indique alors la quadragénaire. Elle se fige brièvement, et finit par laisser échapper un long soupir.

« Anna, fais attention à toi », murmure-t-elle, ses pupilles plongées dans celles de l'adolescente. Cette dernière frissonne. La seule chaleur de leurs paumes presque entrelacées lui rappelle toutes les sensations s'étant immiscées en elle lorsque Madame Lenoix s'est enfouie dans ses bras. Pendant un instant, elle ne peut qu'observer son carré aux ondulations en bazar, le grain de beauté à côté de son nez pointu, et cette figure chérie. Peut-être ne revivront-elles jamais une telle proximité. Non, c'est certain. Mais ce souvenir, cette chance, restera toujours gravée chez Anna.

La même manœuvre se répète. La lycéenne passe outre les égratignures qu'elle se récolte certainement. Madame Lenoix est plus légère, remarque-t-elle, et ses muscles s'en voient bien moins tendus. A l'instant où elle doit la lâcher, elle s'assure au moins trois fois que Nadine la rattrapera bien. Et, elle s'exécute, les dents serrées. Un « boum » et autre « aïe ! » plus tard, son cœur fait un bond dans sa poitrine. « Écartez-vous », demande-t-elle d'une voix ténue.

A elle de sauter dans la nuit, et de pirouetter encore. Son épaule s'écrase contre un pavé : elle retient un cri. Une fois sur la pointe de ses pieds, les mains plaquées contre le sol glacé et humide, elle souffle longuement.

Cette cour est aussi étroite qu'encadrée de hauts murs. Si peu de lumière l'éclaire qu'Anna arrive à peine à discerner la silhouette des deux femmes. Lorsqu'elle se relève, son genou cède presque sous son poids. Elle gémit, chancèle, se fait rattraper par un bras tendre et ferme à la fois. « Tu t'es fait mal ? » s'inquiète l'enseignante. L'intéressée inspire longuement, et se concentre sur ce contact autour de sa taille. « J'aurai un bleu, j'imagine, grimace-t-elle. Ou un hématome. Il date de mon départ... »

Elle secoue la tête, faisant danser ses longues mèches châtain devant ses prunelles bleues.

« Enfin, il faut trouver un moyen de...

— Je connais le coin ! leur lance Paul, un peu plus haut. Une ruelle mène à l'allée du disquaire. Si vous êtes assez discrètes... »

En effet, les lumières bleues et rouges des voitures stationnées devant le bar dansent sur les murets de vieilles pierres, trempés par l'hiver. « Soyez discrètes, et ça sera joué. Anna, on se reverra peut-être. Si ce n'est pas le cas, bon courage », lâche-t-il. Sur ce, il recule, et laisse la lampe déverser ses rayons jaunes sur le trio. Après une brève hésitation, il ferme la fenêtre, et fait volte-face.

Des exclamations étouffées leur parviennent de cette issue étroite. Elles ne voient pas grand-chose d'autre, mais entendent bien que dans la salle principale règne un bazar sans nom. La poitrine d'Anna se serre. Son poing l'imite, il souhaite presque arracher un bout de sa veste en jean. La prise de Madame Lenoix se raffermit soudainement : elle lui lance un regard surpris, puis écarquille les paupières.

Elle ne l'a pas lâchée.

Le regard vert de Nadine pèse sur elles. Elle remet sa queue-de-cheval platine en place, et s'ébroue un coup. « Je n'ai pas bu, ma voiture n'est pas loin. De plus, je suis habillée normalement. Il va sans dire qu'Anna, je ne te laisserai pas vagabonder dans les rues, mais... Maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? » Elle baisse le menton. Non, cette anxiété étouffante ne part pas. Oublier ses clefs, bon sang !

En aucun cas ne veut-elle se confronter à ses parents. Ils verrouillent systématiquement la porte, la nuit, et elle n'a pas d'autre moyen de rentrer chez elle. Dans son état, avec une jambe récalcitrante, escalader jusqu'à sa chambre est tant hors de question que de portée. Si elle daigne faire un pas dans son allée...

« Si je vais chez moi, je vais me faire descendre, murmure-t-elle. Je ne sais pas... » Elle contracte les mâchoires. La face si sévère de son père s'impose avec force dans son crâne. Elle sera traitée de déviante. Elle les décevra encore, et, à ce stade, anticiper sa réaction est impossible. Elle était privée de sortie jusqu'à Noël, après tout.

Puis, son comportement à l'arrivée de Ginette lui revient en mémoire tout aussi violemment.

Elle entrouvre les lèvres. « ... où aller », complète-t-elle pour la forme. Et le cri de sa mère ? Nadine sait ce qu'il s'est passé, elle. Lentement, tous ses muscles se relâchent. Quelque chose se trame, entre Marie et Marcel. Pour qu'il s'oppose à elle et accepte que Ginette dorme avec Anna, quand bien même Marie lui a rappelé implicitement que c'était la « petite-amie » de leur fille... Et c'est le même homme qui a renié son orientation sexuelle ! Qu'est-ce qui ne va pas avec lui ?!

« Anna, soupire Nadine. Marie et Marcel... ils seront inquiets, s'ils voient que ta chambre est vide. Je ne peux pas ne pas te ramener chez toi. Je pourrai discuter avec eux, d'accord ? Alors...

— Et les répercussions... ? articule lentement la plus jeune. Tu auras beau tenter de les raisonner, ils voudront toujours m'exorciser. D'ailleurs, qu'est-ce que tu faisais ici, toi, en si bonne amie de mes parents ?

— Moi et Georges sommes également chrétiens, réplique-t-elle, mais nous avons trouvé notre place au Lumière Rouge. Il serait plus qu'ironique que tu aies des préjugés sur chaque personne religieuse que tu rencontres. L'homosexualité, la transsexualité, tout ça ne nous pose aucun souci. »

Le sang d'Anna se glace.

« ... Quoi ?

— On en a eu des échos... de ton orientation sexuelle. Et nous, on...

— Dans ce cas, pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas défendue ?! » s'écrie-t-elle.

Nadine se raidit. Elle ouvre la bouche, rien n'en sort. « Nadine, intervient froidement Madame Lenoix, imaginer ce qu'Anna a ressenti n'est pas compliqué. Si tu es capable d'expliquer sa fugue, si tu es aussi proche de ses parents, aborder ce sujet-là et lui apporter de l'aide ne doit pas être si difficile, hein ? »

Lourd silence. Le pouls d'Anna s'emballe, une chaleur mitigée s'étend dans son coffre ; leur interlocutrice, elle, manque de reculer d'un pas. « Je ne la laisserais pas sans défense pour rien », dit-elle enfin. Son ton tendu met la puce à l'oreille à la jeune fille. Il semble en être de même pour sa professeure, car, après avoir crispé ses doigts sur sa taille, elle se détache d'elle.

« Soit. Si tu veux bien, j'aimerais éviter de me faire attraper dans les rues. Je me suis avalée quelques bières. Est-ce que tu peux me conduire chez moi ? Je sais que tu vas devoir aller au poste après, donc c'est à toi de décider.

— ... Je peux. Anna, toi ? »

Celle-ci baisse le menton. Il fait subitement froid, autour d'elle. Elle voudrait retourner auprès de Madame Lenoix, mais une barrière implicite s'est dressée entre elles. Et pourtant, quelque chose les rapproche également. Quel genre d'hybride les lie ? Peu importe, elles ne peuvent pas aller plus loin qu'un « câlinou », les choses doivent s'arrêter là. Sinon... c'est sa vie entière qui sera réduite en miettes.

« Pas chez moi, insiste-t-elle. Tout, sauf ça.

— Je ne peux pas t'héberger, je dois aller à la gendarmerie.

— Tu n'auras pas le temps d'expliquer proprement les choses, alors, si tu dois aller à la gendarmerie.

— Tu n'as pas d'autre option, Anna... Nathalie ne peut pas non plus t'amener chez elle. Ça serait insensé.

— Là-dessus, mon avis surpasse le tien », sourit la Nathalie en question.

Acidité : ce mot suffit pour définir son timbre. Pourtant, l'avis d'Anna rejoint celui de la quadragénaire. « Vous risqueriez trop..., contre-t-elle faiblement. Vous l'avez dit vous-m... » Une main se plaque contre sa bouche avant qu'elle ne finisse de parler.

« Bien, bien ! Personne ne me reconnaîtra, regardez mon accoutrement. Pour mes proches – cousin mis à part –, je n'ai jamais été dans ce bar ô honteux, remercions mon talent pour changer de style vestimentaire jusqu'à me déguiser. Quant à toi, Anna, tu as passé la grande majorité de ton temps avec un homme, et à l'étage ! Aux yeux du public, tu n'es pas grand-chose de plus qu'une fan de rock parfaitement hétéro. En bref... Si je t'héberge, personne n'oserait prétendre que nous avons une relation douteuse. »

Elle fait craquer ses doigts, un air irrité plaqué sur son visage triangulaire. « Et puis, pour qu'on sache que tu dors chez moi, il faudrait déjà qu'on nous voie. Dans cette situation... deux choix s'offrent à toi : ta maison, ou la mienne. J'ai un sofa », précise-t-elle.

Elle me propose sérieusement de dormir sous son toit... ? Dans le crâne embrumé d'Anna, la confusion règne en maître. Et la crainte, elle, prend vite le dessus. Crécher chez elle, vraiment ? L'envie a beau y être, elle a trop peur pour elles. Mais elle ne veut pas voir la tête de ses vieux. Mais elles risquent gros, bien trop gros, et l'adolescente ne connaît pas ses propres limites. Les choses peuvent déborder.

Mais elle ne peut pas voir la tête de ses vieux, une catastrophe arriverait trop vite.

Elle contracte les poings, le cœur battant à tout rompre. C'est quoi, ce dilemme ? C'est une première dans sa vie, elle n'a pas même daigné en rêver. Elle sait que je l'aime... et elle propose quand même ça ?! Et puis, si mes parents apprennent que j'ai dormi chez une femme, ça pourrait être encore pire...

Au beau milieu de la tempête de sentiments qui l'assaille, elle ne voit, n'entend, ne perçoit quasiment rien de son environnement. Elle est seule avec ses pensées et ses futurs fantômes. Et alors qu'une urgence s'insinue dans ses veines, que les images des matraques et les hurlements de leurs victimes la heurtent, sa bouche forme des mots qu'elle ne comprend pas elle-même.

Quelques temps plus tard, elle et Madame Lenoix se retrouvent sur la banquette arrière de la voiture de Nadine, murées dans un silence sans précédent.

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