Chapitre 17
Comment diable Anna, en ce jeudi vingt décembre 1979, a-t-elle accepté de se retrouver au centre de documentation de son lycée ? Là-bas doit-elle rejoindre Ginette... après son cours d'italien. La bougresse lui a simplement posé cette entrevue. Sans mentionner un quelconque sujet. « J'ai besoin de toi », lui a-t-elle sortie une semaine plus tôt – et c'était tout !
Puis, elles ont dormi normalement, avec une distance formelle d'au moins trente centimètres entre elles deux. Une bonne chose de faite : Anna n'aurait pas aimé servir de polochon. Même si la présence de la punk ne s'est pas avérée si agaçante que cela. Elle a même pu étouffer la dispute de ses parents au rez-de-chaussée, puisque la châtaine a ensuite passé du Black Sabbath afin de voir la réaction de Gigi.
Elle a un peu râlé, mais a fini par faire profil bas dans des grommellements. Le lendemain, elle est sagement rentrée chez elle, et – paraît-il – a sagement appelé les policiers. De cela, elle en doute.
La lumière de la salle se coupe subitement. Anna relève la tête : elle voit de nouveau les rangées de vieilles tables de bois, le bureau pas mieux loti sur l'estrade d'en face, le tableau noir... Et, surtout, Madame Lenoix. Ou, tout du moins, sa silhouette fine.
Cependant, le regard qu'elle lui lance, Anna ne le rate pas. Ni son bref sourire, typique du « je t'ai vue, tu n'écoutais pas ». Elle détourne ses propres iris bleus. Ses joues chauffent à feu doux, son cœur s'emballe. Elle veut vraiment que je subisse un arrêt cardiaque.
« Puisque presque aucun de vous ne semble au point sur la compréhension orale en italien, vous allez vous concentrer uniquement sur l'extrait audio que je vais passer. » Un petit « clac » indique à la classe qu'elle vient d'insérer une cassette dans le pauvre poste que leur procure leur école. Puis, elle la met en marche. Puis, quelques grésillements.
Anna écarquille les paupières : c'est bien une guitare acoustique qu'elle entend.
Des exclamations surprises s'élèvent autour d'elle. Elle peut comprendre ses camarades. Madame Lenoix, passer une ballade en classe ? Une voix s'élève difficilement au-dessus de ces notes simplissimes. De l'italien. Naturellement.
Mais elles envahissent tout de même le crâne de l'adolescente. Elle se laisse porter par ce pauvre morceau de rien. Les cordes électriques débarquent avec souplesse, la batterie suit la guitare, la guitare sèche revient, le chant déverse de nouveau ses paroles rondes parcourues de faux -l et autres -ch. Il continue, continue, lui et sa mélancolie si palpable saupoudrée de vibratos frôlant le triste. Puis, alors que les percussions s'affolent de nouveau...
La musique se coupe brutalement. Anna en sursaute presque, arrachée des scènes tournoyant dans son imaginaire. Elle s'est vue, aux côtés de la petite blonde, main dans la main. Son cœur penche entre le ravissement et la douleur. « Bien. Qu'est-ce que vous avez compris ? » Silence radio. Elle vient... de passer du rock. En classe. Peu commun, mais des étoiles naissent finalement dans ses pupilles.
Personne ne lève la main. Madame Lenoix attend ; plus les secondes passent, plus ses doigts fins se crispent sur sa chemise blanche.
« Dai ! Jouez pas aux poissons avec moi !
— C'était... incompréhensible, se risque enfin quelqu'un.
— Mais il chante clairement, le bougre. Personne, vraiment ? Repérez au moins le titre ! »
Anna lève faiblement la main : les prunelles brunes de son enseignante brillent presque. Elles s'observent un instant, un court instant, avant que l'adulte n'acquiesce. « ... Città Grande ? » Un « si ! » ravi sautille de la bouche rouge de Madame Lenoix.
« Et de quoi ça cause ?
— C'est peut-être un niveau au-dessus de nos capacités », grogne un élève.
Personne n'objecte. Alors, la professeure fait la moue, et rallume les néons. Leur lumière jaune réveille brutalement le quart de la promotion qui dodelinait encore de la tête. La jeune femme, elle, croise les bras sur sa petite poitrine, peu ravie.
« Mes cours sont d'une si mauvaise qualités ? souffle-t-elle avec déception.
— Non ! »
Lourd mutisme. Anna ligne des paupières, confuse. Cela lui a échappé. Et elle rougit d'un coup ; la blonde, elle, couvre elle-ne-sait-quoi d'un sourire, dont seule la plus grande saisit la sincérité. Aucun lycéen n'a l'œil sur elle, après tout. Néanmoins, l'air que lui sert son enseignante n'arrange pas son cas.
Doit-elle s'enterrer six pieds sous terre, encore ? Non, elle a seulement protesté. Alors, pourquoi se sent-elle aussi embarrassée ? A cause de l'énergie qu'elle a mis dans son ton ? On va la traiter de lèche-botte, après ça. Mais ce n'est rien, bon sang ! Je m'emballe juste car j'ai des foutus sentiments pour cette foutue prof qui a passé un foutu morceau doux dans cette... foutue salle. Elle déglutit avec malaise.
« Ah, quelqu'un qui me soutient, soupire exagérément la foutue prof en question. Vous êtes cruels, vous autres. Je fais de mon mieux ! Je suis toute nouvelle. Et, avouez-le, c'est plus distrayant que ce que vous servent vos profs d'anglais », taquine-t-elle. Au grand soulagement d'Anna, on se tourne de nouveau vers leur responsable d'une heure.
Vient-elle de détecter ce même sentiment chez Madame Lenoix ?
Elle ne suit pas grand-chose du reste de la séance. Elle ne fait qu'observer ses mouvements souples et assurés, et son carré blond qui se balance en rythme. Quel est le groupe qu'elle a passé ?, se demande-t-elle. Peut-être peut-elle lui demander, à la fin. Après tout, cela ne serait pas la première fois qu'elle traîne dans sa salle. Elle se souvient surtout de la douceur de sa paume...
Si sa face ne s'enflamme pas, un petit sourire s'étale sur ses lèvres. Elle aimerait revivre ce moment. Néanmoins, celui-ci a probablement été une belle exception, un court rapprochement éphémère qui ne pourra pas durer. Peu importe. Elle n'a qu'à chérir le peu qu'elle reçoit désormais des prunelles brunes de sa professeure. Elles, au moins, parlent encore, entament une discussion implicite et secrète avec celles d'Anna.
Cette dernière réalise d'ailleurs, à la sévérité du regard qu'on lui lance, que son stylo divague encore au-dessus de son cahier. Peu lui en faut-il pour se remettre au travail, au moins pour les dix pauvres minutes suivantes. Travail terminé, la sonnerie s'élève du couloir, la jeune femme pose encore sa craie en parfait accord avec cette mélodie, sa satisfaction n'en démord pas. « Demain, vous me résumerez de quoi parle Città Grande. »
Anna, à l'image de la plupart des autres lycéens, inscrit cet ordre dans son agenda. Puis, elle range ses affaires, une par une, avec soin, avec lenteur, l'oreille distraite par les bavardages de ses camarades et le raclement des chaises et les pas énergiques et les « au revoir » lancés par-ci par-là. Puis, le silence s'installe petit à petit entre les murs blancs, les sièges, et les tables gravées de conneries.
La nuit tente déjà de gravir les fenêtres carrées à sa gauche, mais la chaude lumière du néon éclairant le tableau d'ardoise le chasse sur un rayon de quelques mètres seulement. Du reste, elle le combat. Un peu plus loin, là où se tient l'adolescente, la pénombre gagne du terrain.
« Quel est le nom du groupe que vous avez passé ? » se répète-t-elle intérieurement. Elle fait quelques pas, mais s'arrête d'un coup. Son cœur s'emballe. Elle ne sait pas pourquoi. Ce n'est qu'une question. Cependant, elle a beau vouloir avancer encore, ou ouvrir la bouche, ou même remettre la mèche qui glisse doucement sur son visage ovale, un immobilisme frémissant l'enchaîne.
Madame Lenoix, elle, efface énergiquement ce qu'elle a écrit. De la poussière tombe sur sa jupe patineuse et brune, chutant raide jusqu'à ses genoux. Elle a une taille fine, remarque la plus jeune pour la énième fois. Sa chemise claire ne paraît pas plus chaude. Comment affronte-t-elle le froid de l'hiver ?
« Anna ? »
Elle sursaute en hoquetant. « Oui ? » balbutie-t-elle. Madame Lenoix lui sert une expression interrogatrice. Elles se dévisagent avec confusion : finalement, les lèvres écarlates et fines de l'autre se pincent. Ses joues fines et pâles se gonflent. Son petit nez pointu se fronce. « Anna..., pouffe-t-elle, une main devant le menton. Tes cheveux sont dans un bordel pas possible. »
... C'est trivial, ça. « Tu veux me parler de quelque chose ? » Oui, du groupe. « Eh bien... » Mais mes cheveux sont dans un « bordel pas possible ». Elle les recoiffe maladroitement. Elle comprend mieux pourquoi sa vision de s'est obscurcie qu'à son enseignante. « C'est mieux ? » se murmure-t-elle à elle-même, sourcils froncés. Ils se haussent bien vite. Madame Lenoix a reposé sa brosse, et s'est approchée de quelques pas. « Je confirme. Mais le côté rebelle te va tout aussi b... » Elle toussote. « Tout aussi bonnement, oui ! » rit-elle avec nervosité.
Court silence. Est-ce qu'elle me trouve jolie... ? Non, elle ne souhaite pas extrapoler là-dessus, c'est bien trop risqué. Le calme revient petit à petit dans son coffre bouleversé.
« Je souhaitais juste savoir le nom du groupe de rock italien.
— Lequel ? questionne la blonde, confuse.
— Quoi ? Celui que vous avez passé. »
Son interlocutrice se fige un instant. « Le nom... du groupe... Ah, celui de Città Grande ! » s'exclame-t-elle. Elle tripote machinalement la manche de son haut blanc. « Procession, souffle-t-elle. Je ne pensais pas que ça t'intéressais. » C'est plus doux que Van Halen, c'est sûr. « De l'album Fronteria. Il devrait être chez le disquaire, dans l'avenue en haut du Lumière Rouge. »
... Elle le connaît aussi ?
« D'accord. Merci beaucoup. Bonne soirée ! Et merci », répète rapidement son élève. Elle lui fait un signe de la main, et part malgré elle. Ses pieds accélèrent d'eux-mêmes, droit vers la bibliothèque. Ils ont certainement raison, il ne faut pas que Madame Lenoix ne voit l'écarlate gagnant sa peau.
« Tu en as mis, du temps », gronde une voix bien plus aiguë. Elle dérape de justesse : la petitesse et le style dévergondé de Ginette la frappent presque. Ses yeux verts sont plissés au possible. Là Anna réalise-t-elle qu'elle se trouve déjà au rez-de-chaussée pas bien plus éclairé, juste devant les portes rosâtres du centre de documentation. La punk a manifestement attendu contre la peinture bleue du corridor. Aucune couleur ne s'accorde, ici. On dirait presque un échange entre Jimmy Carter et Léonid Brejnev.
« Maintenant, on y va. » Ginette prend fermement le poignet d'Anna, et se retourne. Ce qu'il lui reste de ses cheveux ondulés virevoltent au passage. Anna soupire, mais suit tout de même. Des claquements de talons raisonnent alors derrière elle : elle y jette un œil. Il s'écarquille brièvement. Madame Lenoix vient de s'arrêter juste devant les battants de la salle des professeurs, et la fixe.
Son expression est indéchiffrable. Et alors que la châtaine se fait traîner vers la bibliothèque, et tente de lui crier un « ce n'est définitivement qu'une connaissance ! » inutile à sa professeure, celle-ci se détourne d'elle dans un petit sourire, et disparaît de sa vue. Les sentiments mitigés qu'il n'a pas réussi à filtrer la perturbent au possible.
Elle n'a pas le temps de s'en remettre que les lampes froides de cette salle labyrinthique l'éblouissent. Toujours cet enchevêtrement d'étagères, paradoxalement ordonnées. Ces tables de travail au fond, ces quelques sièges au vert peu élégant, et le rayon dans lequel elle a croisé Jean-Bastien. Elle ne l'a d'ailleurs que peu revu depuis, pense-t-elle...
Et c'est vers lui et ses cheveux longs comme pas deux que l'emmène Ginette.
« La voilà », annonce-t-elle fièrement. La face carrée du jeune homme s'illumine. « Anna ! » dit-il tout bas. L'intéressée reste brièvement bouche bée. Les choses s'enchaînent vite, ce soir-ci. « Ça ferme dans une heure. On n'a pas beaucoup de temps. Assieds-toi, et... » Elle tire l'une de ces chaises peu confortables et abimées, et braque ses iris bleus sur lui.
« Qu'est-ce que t'as à voir avec ça ? laisse-t-elle tomber.
— C'est un pote que je me suis fait, se contente d'expliquer Ginette. Il va filer un coup de main – même si, lui aussi, il n'a pas de très bons goûts musicaux...
— Ah ? Je pensais pourtant que tu avais bien amé Black Sabbath », ironise Anna.
La plus petite sursaute, sous le regard amusé de JB.
« C'est... une exception, c'est tout. Et ce n'est pas le sujet. Tu connais le Lumière Rouge, donc...
— Non, coupe l'intéressée. J'ai besoin d'explications. C'est quoi, cette histoire, avec le Lumière Rouge ? J'en entends parler partout.
— Tu n'y est jamais allée avant ? » s'étonne Jean-Bastien.
Silence. Anna plaque sa main sur son front.
« Non, sauf quand... mon amie m'y a invitée pour le vingt-trois.
— Le vingt-trois ?! »
Il se prend un regard noir du documentaliste, et se raidit sur son siège.
« Non, n'y vas pas, débite-t-il plus bas. C'est pas bon, le vingt-trois. Tu ne lui as pas dit, Ginette ?
— Gigi, grimace-t-elle. Et les choses ne seront peut-être pas si terribles que ça...
— Mais c'est pour les fêtes de fin d'année, les poulets seront forcément là.
— Et alors ? Anna va se prendre un sirop à l'eau. Un jus de fruit, tout au plus. Elle est mineure, donc...
— Anna, avec qui tu y vas ?
— Une amie, répète-t-elle lentement. Je peux avoir des explications, maintenant ? »
Léger toussotement de la part de Ginette.
« Les flics y descendent souvent. JB aime pas trop ça, c'est tout. Il y a été une fois, il en est sorti traumatisé à la seule vue de personnes qui se font contrôler. Mais ce n'est pas la question. » Elle laisse échapper un long soupir agacé.
« Je pensais que tu pouvais m'aider. Je me suis fourvoyée, t'en connais pas un rayon.
— D'accord. Sur quoi tu as besoin d'un coup de main ?
— Rien, souffle-t-elle. Tu peux y aller.
— Non, reste, intervient JB.
— Non, pars.
— Reste.
— Pars.
— Elle reste, bon sang, siffle-t-il.
— Je fais ce que je veux, surtout », coupe-t-elle d'instinct.
Anna se pince s'arête du nez. Dans quel bordel a-t-elle mis les pieds ? Mais maintenant, ces cons ont piqué ma curiosité, rage-t-elle intérieurement. Et pourquoi ce dadais veut que je reste ? J'y comprends rien. « Je reste, on m'explique. Si je peux rien faire, je pars. » Seul un mutisme peu rassurant lui répond.
« Non..., murmure Ginette. Si t'y as jamais été, je peux pas t'en causer à l'improviste comme ça. Bon sang, j'aurais dû profiter de la nuit où j'ai dormi chez toi...
— Vous avez dormi ensemble ? » s'extasie Jean-Bastien.
Le coup d'œil glacial que lui jette la punk le réduit au silence. Toutefois, il soutient tout de même son regard, et insiste, encore et encore, sans prononcer une seule parole. Anna, elle, décide finalement de rester passive. Adviendra ce qu'il adviendra, elle veut simplement en savoir plus, puis rentrer tranquillement chez elle.
« Pas ici, alors, cède enfin Gigi. Je... ne peux pas. On pourra peut-être se voir une autre fois, Anna.
— Hop hop hop, s'incruste encore l'adolescent. On oublie le second sujet, là.
— Mais elle ne va pas au Lumière Rouge !
— Elle y sera. Anna, il y aura une manifestation. Tu veux y aller ? »
Elle cligne des yeux, confuse. « Une manifestation pour quoi... ? » Et quand, surtout ? Je suis « privée de sortie jusqu'à Noël », moi. On n'a pas tous une vie de luxe. Gigi toussote, et laisse la parole à sa connaissance à contrecœur.
« Là-bas, chuchote-t-il, c'est le seul endroit dans cette petite ville de campagne où les homos peuvent être homos, les trans', se maquiller et se travestir... et les autres excentriques comme toi et moi, vivre tranquillement leur vie de métalleux, ou de punk, à la Gigi. Même si elle, elle cumule...
— Et donc ?
— Le souci, c'est que le maire est pas ultra tolérant. Voir un lieu aussi ouvert aux « déviances » ne lui plaît pas du tout. Les policiers interviennent presque chaque soir pour « contrôler le taux d'alcoolémie des piliers de bar du coin ». Ça perturbe tout. Si un couple est découvert, ça fera le tour de la ville. C'est plus un havre de paix, de moins en moins de personnes ose venir. Mais d'un autre côté, ils en ont de plus en plus marre. Ils vont se rassembler devant le commissariat ou la mairie, au choix, un peu avant le Nouvel An. Et... et le vingt-trois... »
Il se racle la gorge. « Le vingt-trois, le proprio organise un concert dans le sous-sol du Lumière Rouge, à l'occasion des fêtes de fin d'année. Il a appelé ses clients à arrêter de jouer aux pantins. Ce sera pas ce soir-là, la manif, mais... c'est pour ça que je te dis de pas y aller, car il pourrait y avoir des émeutes à la Stonewall Inn. C'est dangereux. Contente-toi d'un autre jour. »
La châtaine passe une main dans ses longs cheveux lisses, les yeux fixés sur le néon jaunâtre qui surplombe leur table. « En gros, vous contestez les discriminations dont vous souffrez. » Dire... qu'un lieu pareil existe, ici. Si mes parents apprennent que j'y suis allée, je suis foutue... Un lourd poids lui tombe sur l'estomac. Elle serre imperceptiblement les dents. Faire le mur peut lui coûter un bras ; alors, se faire surprendre dans un groupe que ses paternels voudraient exorciser ?
« Je ne vois pas comment je peux aider, souffle-t-elle. Une personne de plus ou de moins, ça changera rien. » Elle se lève lentement de sa chaise, enfile son long manteau brun, et attrape son sac de cours. Désolée, messieurs les inconnus qui m'ont gentiment invitée. Vous ne m'y trouverez pas.
« Anna », tente de l'interpeller Ginette. Mais l'intéressée se contente de lever la main pour la faire taire. Elle comprendra, elle. Jean-Bastien n'est pas au courant, pour son homosexualité. Seules trois personnes, dans ce lycée, le savent. Et c'est déjà bien assez, au vu des soucis que ça lui a causée.
Je ne pourrai pas aimer les femmes. La porte de bois toujours aussi rosâtre s'approche, s'approche, s'approche. Une porte de sortie, que la jeune fille compte bien franchir. Je n'aurai qu'à rester célibataire toute ma vie. Et ce, même si son cœur se serre affreusement. Elle la sent, l'injustice qui tombe sur les habitants de ce bourg qui lui sont similaires. Tout le monde n'a pas la force de se battre. Elle se souvient de l'indignation, de la colère ayant coulé à flots dans ses veines. Elle se sent lâche, et elle s'en déteste presque. Les choses peuvent changer sans moi...
« Il faut s'assumer, hein, Anna ? Surtout en ce moment... »
Elle s'arrête net, l'œil rond. La douce voix de Madame Lenoix raisonne interminablement dans son crâne. Ce soir-ci, ce soir où elle a fait son premier coming-out, elle s'en souvient mieux que son repas du midi. Comment peut-elle mettre en l'air les paroles de celle qu'elle aime ? Non. C'est impensable. Son corps entier refuse d'ignorer le ton si sincère qu'elle lui a offert, il y a des semaines de cela.
Alors, elle fait volte-face, les mains tremblantes. Les iris verts de Ginette s'illuminent de mille étoiles ; Jean-Bastien, lui, lui sert un tout petit sourire. Elle déglutit avec difficulté, et retourne sur ses pas, malgré l'effroi qui secoue son coffre. Elle s'assied de nouveau à côté de cette punk de ses deux, et inspire profondément.
« Je vous suis. »
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