Cela faisait bientôt une semaine que Kira était entrée à la Cour au service du Pharaon et de la famille royale. Tous les matins, elle faisait le tour du palais, vérifiant l'état des différents bouquets exposés et changeant les agencements lorsque cela était nécessaire. Elle s'entendait bien avec la plupart des serviteurs, malgré sa timidité maladive toujours présente, et s'était liée d'amitié particulièrement avec Sky, Rosie et Jade, ses camarades de chambre. Elle n'avait pas revu le Prince depuis ce fameux jour des Bains... Elle avait l'impression qu'elle n'arrivait jamais à le croiser. Pas que cela soit sa motivation première...Mais elle s'était rendue compte qu'il n'était pas si méchant que ça.... Elle aurait voulu le connaître un peu mieux...

A cette pensée, la jeune fille secoua la tête et se remit à arroser le pot de fleur à ses pieds. Elle était une fille du peuple, une servante. Comment pouvait-elle s'imaginer parler avec le Prince comme s'il s'était agi d'un ami ? C'était inconcevable. Ce n'était pas parce qu'Okami, sœur du bleuté, avait été si gentille et prévenante envers elle qu'elle allait se croire tout permis non plus... Elle finit de verser les dernières gouttes d'eau dans le pot et se retourna pour remplir le seau qui servirait à garder sa cueillette fraiche.
Après avoir rempli le seau à la fontaine, elle le porta avec difficulté jusqu'au jardin où elle devait cueillir les fleurs. Elle savait se repérer à présent. Enfin, presque...Elle s'était habituée aux lieux qu'elle fréquentait régulièrement, mais ce n'était pas pour autant qu'elle était partie faire le tour du Palais à la recherche de nouveaux recoins inexplorés...

Elle passa donc le portail du Grand Jardin. On lui avait donné accès à cet endroit quelques jours auparavant, les jardiniers voulant éviter qu'elle n'arrache tous les plants des mini-terrains qui décoraient la cour du Palais. Elle prit alors un panier en osier et posa le seau à l'entrée. Elle se mit alors à scruter les environs à la recherche d'une quelconque fleur susceptible de la satisfaire.

Elle passa bien une demi-heure à réunir quelques tiges et boutons. Puis, ce fut à cet instant qu'elle la vit. Une jeune femme aussi belle que le jour mais semblant aussi mystérieuse que la nuit.... Ses cheveux violets, simplement retenus par son diadème frontal doré, virevoltaient au rythme de la douce brise de cette fin de matinée. Et ses grands yeux, tels deux orbes jade profonds, fixaient un point invisible de l'horizon, semblant perdus eux-mêmes dans le flot de pensée de la personne elle-même. A cet instant, Kira la trouva étrangement belle, comme si elle venait tout droit d'un autre monde. Telle une déesse égyptienne descendue du ciel, avec sa longue tunique blanche et son châle de soie sciant parfaitement avec sa chevelure si longue et semblant si soyeuse. La blonde en resta bouche bée. Elle était même plus jolie qu'Okami, et la jeune fille pesait sa pensée. Et pourtant, l'argentée était déjà quelqu'un d'exceptionnellement magnifique...

Alors qu'elle réussit enfin à lever le regard de son visage si fin et perdu, elle aperçut le petit bouquet de Reine de la Nuit dans ses bras. Comme si cela avait été la chose la plus précieuse qu'elle n'ait jamais tenu contre son cœur.

Okami était assise dans son fauteuil, et lisait tranquillement un rouleau de papyrus assez long. Cela détaillait parfaitement la méthodologie militaire pour une personnalité royale. Son frère l'avait chargé de la maintenance du pays en raison des guerres civiles régulières et des tensions entre la Basse et la Haute-Egypte. Et on pouvait dire qu'elle avait pas mal de boulot dessus...Et comme elle ne pouvait pas se déplacer à cause des attaques et des tentatives d'enlèvement de ces derniers mois, elle se rongeait encore les ongles pour savoir comment faire. Mais elle gardait son calme, en toutes circonstances. C'était ce que son père lui avait toujours appris...
Finalement, elle délaissa son parchemin et soupira.

-Un problème Altesse ? Fit Bailong, posté debout près d'elle, comme à son habitude.

La jeune femme pensa alors à quelque chose et fronça les sourcils.

-Plutôt oui... Toute cette histoire commence légèrement à me peser...D'abord la maladie du Pharaon, puis les tentatives d'assassinat et d'enlèvements, et enfin les tensions entre les différents villages du nord et du sud qui ne cessent de s'amplifier...Il y a de quoi s'inquiéter...

-Voudriez-vous que j'appelle une servante pour que vous puissiez discuter et penser à autre chose ?

Okami leva discrètement les yeux au ciel et se retint de répondre un « Non, j'aurai aimé que tu sois un peu plus attentif et un peu plus entreprenant. ». Elle, ce qu'elle voulait à cet instant, c'était que le jeune homme cesse de jouer son rôle de garde et fasse un peu plus attention à elle. Elle n'avait pas réussi à lui faire passer son message subliminal par sa règle de l'appeler par son prénom lorsqu'ils étaient tous les deux seuls. Bailong était trop respectueux pour suivre cet ordre de toute manière. Il finissait toujours par la nommer « Altesse » ou « Princesse » au bout du compte. Et à ces instants, Okami détestait plus que tout ces honorifiques.

-Ce n'est pas la peine. Je vais me reposer un peu. Seule. Veux-tu bien me laisser s'il te plait ?

Bailong fut légèrement décontenancé. L'avait-il vexé dans ses propos ? Cependant, il garda une attitude sérieuse et hocha la tête. Puis il sortit de la chambre pour en veiller l'entrée. Et cette fois-ci il s'y tiendrait. Il s'était fait remonter les bretelles par Okami une semaine auparavant, accusé d'avoir déserté son poste en plein durant son bain. Il était vrai qu'il était parti...Mais c'était parce qu'il avait entendu un bruit suspect et qu'il s'était inquiété. Maintenant qu'il y pensait, il avait été stupide et avait agi sur le coup de l'impulsion. Cela aurait pu ne pas être que le Pharaon et son frère à entrer à ce moment-là...
Alors il se posta droit, devant la porte, bien décidé à rattraper son erreur.

Victor et Vladimir se retrouvaient dans la chambre de ce dernier, en ce début d'après-midi tranquille, à jouer au Seth*. Chacun était concentré sur le plateau et sa stratégie de victoire. Finalement, Victor se mordit la lèvre. Il n'était pas en position avantageuse, et à ce train-là, c'était son ainé qui allait gagner.

-Au fait Vlad, Qu'ont dit les médecins ce matin ? Posa Victor en déplaçant une pièce, le regard toujours fixé sur le plateau.

Le Pharaon fit la moue. Il n'aimait pas spécialement parlé de ça. Il n'aimait pas les médecins en général...Surtout qu'il sentait que son frère faisait exprès d'engager le sujet pour le déconcentrer. Néanmoins, il finit par sourire doucement. Il ne se ferait pas avoir aussi facilement. Lui aussi allait jouer à son petit jeu...

-Rien de spécial. Ils ont dit que je pourrais sortir de mon lit dans deux ou trois jours.

Il fallait dire qu'il était alité depuis l'incident de la semaine dernière. Il avait eu ordre du médecin de se reposer et de ne pas se surmener. Mais c'était difficile lorsque l'on était Pharaon et que l'on avait plus d'un millier de choses à faire pour le bien-être de son peuple.

-Je vois. C'est bien alors.

Quelque part, Victor fut soulagé de cette nouvelle. Cependant, cela n'avait pas fait scier la stratégie de son adversaire. Raté.

-Sinon, toi, Fit à son tour le Souverain. Comment tu trouves les compositions de la petite Kira. Elle s'améliore de jour en jour non ?

A sa grande surprise, le jeune homme ne sourcilla même pas et répondit d'une voix neutre.

-Bof, je n'ai pas fait attention.

-Pourtant ses bouquets se remarquent très facilement. Elle a...cette manière de composer rien qu'à elle...

Il était vrai que la jeune fille était douée, même extrêmement douée. A l'entente de ces paroles, Victor ricana légèrement.

-Serais-tu tombé amoureux mon cher frère... ?

-C'est plutôt à toi que je devrais demander ça... J'ai bien vu que tu l'évitais depuis que tu t'es excusé l'autre jour.

Son cadet haussa les épaules et joua une nouvelle pièce, sans réelle conviction.

-Ha bon ? Je ne m'en suis pas rendu compte. Juste que je dois faire en sorte d'éviter ses bêtises, rien de plus. Cette fille n'arrête pas d'être maladroite.

Vladimir sourit. Il s'était piégé lui-même.

-Comment peux-tu le savoir si tu l'as évité ?

Victor se stoppa net dans son action, se rendant compte de ce qu'il avait dit. Il détourna alors les yeux, gêné.

-Je ne vois pas de quoi tu parles. Depuis son arrivée elle ne fait qu'enchainer maladresse sur maladresse, alors je peux très bien imaginer ce qu'a pu donner cette semaine, même sans l'avoir vu.

Le Pharaon soupira. Il se rappela que son frère avait un gros orgueil. Il n'avait sans pas tout à fait encore accepté le fait qu'il ait été obligé de s'excuser... Il s'était peut-être trompé alors...Pourtant il avait cru que...Enfin...ce n'était pas plus mal...

-Je vois... Au fait, au sujet de tes fiançailles...

-Ah oui, le coupa Victor. Okami m'a dit que tu les avais reportés. Je t'en remercie, je ne suis vraiment pas prêt pour ce genre de choses...

Vladimir se mordit la lèvre et releva la tête vers lui.

-Justement, j'aurai voulu te dire que...-

Il fut coupé dans son élan par le son du bois de la porte que l'on toquait. Les deux frères se tournèrent vers l'entrée et le Souverain lâcha un « Entrez » poli. Un jeune homme aux cheveux châtains-brun et aux yeux noirs, pas plus âgé que vingt-cinq ans environ, entra dans la pièce.

-Altesse, il semble que vos invités soient arrivés.

Le Prince se tourna vers Vladimir, en arquant un sourcil. Des invités ? Il n'avait jamais été prévenu d'une telle chose...
Le Pharaon soupira. Au final, il n'avait pas pu le lui dire à temps...Tant pis. Il se leva de son siège et sourit au serviteur messager.

-Je remercie. Fais les patienter dans la Grande Salle, nous arrivons.

Le châtain s'inclina et sortit de la chambre en fermant la porte.

-Bon, tu m'expliques ? Posa Victor en croisant les bras, semblant légèrement mécontent de ne pas être au courant.

-Viens avec moi. Tu ne pourras que comprendre ensuite.

Le cadet regarda son frère, intrigué et inquiet. Que lui cachait-il encore ?

Puis, les deux jeunes gens se rendirent dans la Salle du Trône où se trouvaient normalement les invités. Ils ne mirent pas longtemps à arriver et Victor fut surpris de constater que les nouveaux arrivants étaient des personnes qu'ils connaissaient très bien.
Une jeune femme aux cheveux verts feuille s'avança vers eux et s'inclina respectueusement avant de prendre la parole.

-Vos Altesses. C'est une joie de vous revoir...Je m'excuse mais Ma Dame n'est pas encore là...Comme toujours, elle a voulu prendre les devants et j'ai bien peur qu'elle ne se soit perdue...Veuillez me pardonner pour cette négligence de ma part...

-Ne t'en veux pas... On ne pourra pas la changer de toute manière. Dis-moi avez-vous fait bon voyage ?

Victor resta silencieux et ne fit qu'écouter.. Il comprenait de moins en moins ce qu'il se passait. Mais pourquoi son frère avait invité ces personnes au Palais ? Aucune fête ne se préparait pourtant, et ils n'étaient pas non plus en guerre pour avoir besoin d'un soutien militaire.
Bientôt, l'immense porte de la salle s'ouvrit en grand, laissant pénétrer une jeune femme aux longs cheveux violets au sein de la pièce.

-Excusez mon retard, j'avoue m'être un peu perdue dans les jardins. Fit-elle en s'approchant.

Elle fit une élégante révérence en souriant au Souverain en face d'elle.

-Votre altesse....Cela fait si longtemps.

- Je suis heureux aussi de vous voir Princesse Lalaya. Première Fille du Roi d'Hatti.

La jeune femme se redressa et rigola légèrement, une main cachant ses lèvres.

-Voyons, ne soyez pas aussi stricte sur la procédure...

Puis elle se tourna vers Victor et sourit de plus belle. Elle réitéra sa révérence.

-Prince Victor...Je suis plus qu'heureuse de vous revoir également. Spécialement en sachant que je deviendrai votre future épouse.

Le bleuté faillit s'étouffer face à la nouvelle. Tout comme Kira qui était appuyée contre la porte, et écoutait jusqu'à maintenant d'une oreille discrète la conversation. La Princesse Lalaya lui avait demandé gentiment de la conduire jusqu'à la salle du trône car elle s'était légèrement perdue dans les Jardins en se promenant. En tant que servante dévouée, elle l'avait guidée à travers les différents couloirs et était arrivée à destination avec elle. Puis, la violette lui avait tout aussi gentiment quémandé de rester à la porte. « Au cas où » elle avait lâché. Avant d'entrer avec un doux sourire dans la salle. Alors, elle lui avait obéi et avait sagement attendu..... Pourtant, elle avait du travail... Mais on ne pouvait déroger aux ordres d'une personnalité royale...
Comment avait-elle su qu'il s'agissait d'une Princesse ? Même si elle n'en avait eu la certitude que quand le Pharaon avait proclamé son titre, tout avait porté à croire qu'elle en était une. Sa manière d'être, de marcher, de parler, de sourire. Elle avait tous les attraits d'une royale personne.

Et là, elle venait d'entendre qu'elle était fiancée et bientôt marier au Prince... ?...Kira baissa la tête. Pourquoi se sentait-elle aussi choquée ?...Il n'y avait aucune raison, et puis, le Prince avait le droit de faire ce qu'il voulait... N'est-ce pas ?...

Victor se tourna vers Vladimir.

-Comment ça, « future épouse » ? Posa-t-il, réellement perdu.

Même s'il se doutait enfin de la signification de tout ceci, il voulait avoir confirmation auprès de son frère.

-Oh...Il ne vous l'a pas dit ? Fit Lalaya, confuse d'avoir fait un impair.

Le Pharaon soupira.

-Je n'ai pas eu...l'occasion... Répondit le jeune homme quelque peu peiné.

Victor ravala sa colère. Il avait pourtant eu confirmation d'Okami, que son frère avait reculé ses fiançailles. Et voilà que la Princesse des Hittites, son amie d'enfance proclamait être sa future femme.
Il sentit la main de son ainé sur son épaule et tourna son regard vers lui.

-Voudriez-vous bien nous excuser Altesse Layana, ....il semble qu'il y ait certaines choses dont il faut que je fasse part à mon frère...

-Oh, mais bien sûr, faites donc. Dit-elle en souriant.

Les deux jeunes hommes s'éloignèrent alors légèrement de la Princesse et son escorte et Victor croisa ses bras sur son torse. Il n'était pas content, mais alors pas content du tout. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas Lalaya, cependant, elle restait une simple connaissance royale. De plus, il aurait aimé être au courant de cette histoire et pouvoir y donner son avis.

-Alors ?

-Je devais t'en parler, je t'assure...Chuchota Vladimir, le regard désolé. Seulement, je n'ai pas eu le temps avec toute cette histoire de médecin...En plus des problèmes de guerres civiles de plus en plus fortes dans tout le pays...

Il fit une pause et Victor ne répondit rien. Il savait que son frère avait encore des choses à lui dire.

-Je suis désolé Victor...La seule chose que j'ai pu faire reculer c'est le mariage... Par ailleurs, le Roi d'Hatti, le père de Lalaya m'a bien fait comprendre qu'il désirait fortement cette union.

Le bleuté ne put que soupirer à la fin de ces paroles. Il devait se rendre à l'évidence, il ne pouvait pas y échapper toute sa vie...Et puis, il voyait bien que le Souverain avait fait tout ce qu'il avait pu. Par ailleurs, il avait choisi quelqu'un qu'il connaissait et appréciait. Ce n'était pas comme s'il avait pris une parfaite inconnue....

-Je ne t'en veux pas...Je comprends que tu n'aies pas eu le choix...Cependant, parles m'en la prochaine fois, d'accord ?

-Oui, je ne ferais pas la même erreur deux fois.

Ils se sourirent. Ils n'arrivaient pas à rester longtemps fâchés de toute manière... Ils se retournèrent et partir rejoindre une nouvelle fois Lalaya et sa suite.

-Je m'excuse pour cette longue attente, fit le Pharaon.

Victor s'approcha de la jeune femme et prit délicatement sa main pour y déposer un baiser.

-Je serai heureux, Princesse, de vous escorter pendant votre séjour en ces lieux.

Lalaya sourit en rougissant légèrement, ne s'attendant pas à cela.

A cet instant, la porte s'ouvrit en grands, laissant place à un Bailong plus que paniqué.

-Votre Majesté, nous avons un problème ! S'écria-t-il alors qu'il s'avançait.

Il ne faisait pas réellement attention aux nouveaux arrivants, son regard braqué sur le Souverain.

-Que se passe-t-il ? Posa Vladimir, soudain inquiet pour sa sœur.

-Il s'agit de la Princesse. J'ai fait tout ce que j'ai pu mais....Je ne sais pas pourquoi cela ne veut pas marcher...Veuillez m'excuser pour ma négligence !

Le Pharaon se posta face à lui et posa une main rassurante sur son épaule.

-Allons, calme-toi. Et dis-moi ce qu'il ne va pas.

-La Princesse Okami...fit Bailong toujours aussi paniqué. Elle ne veut pas se réveiller.

A suivre...