CHAPITRE 56: l'oublie
Cette seule larme, unique s'écrase dans la neige, se confond avec le reste de cette étendue gelée. Personne ne sait. Personne ne saura.
Le froid est coupant comme ce sentiment imprévisible qui vient de sortir du fond de sa tanière. La tristesse, profonde, considérable. Tellement improbable qu'une larme peut couler, les autres sont comme bloquées par une telle peine. Si violente. Comme si l'on coupé mes poumons en fine lamelle. Semblable à une broyeuse dans ma gorge.
Ça fait si mal!
Je suffoque, j'entoure ma poitrine de mes bras. Je me noie de nouveau alors que l'air est là tout autour de moi me couvrant de son invisibilité qui me fait survivre. Je tire sur le col de mon haut. Geste inutile, je suffoque toujours de cette peine dont jamais je n'avais ressentis la violence jusqu'alors.
Là je ressens, et je revois tout dans un ralentit accéléré avec des détails saisissants, morbides. Et cet abandon profond qui me ronge comme un fléau et que j'enfouissais plus durement que je ne le pensais.
"Tu es un animal Iphigénie."
"Comment t'as pu?!"
"Tu m'effraies plus que tout..."
"Un animal."
"UN ANIMAL!"
"COMMENT T'AS PU?!"
Comment j'ai pu... Oui, comment j'ai pu?
D'autre paroles, d'autres voix...
"Tu fais parti des nôtres maintenant. C'était pas si compliqué!"
Si ça l'a était. Ça l'est toujours.
"On est une famille, on est une meute tu vois!"
"Tu-es-un-animal-Iphigénie."
Point. Voilà tout. Un animal. Fin de l'histoire. Rien de plus. Rien de moins. Si, tout de moins. Un animal ne ferait même pas ça.
"Tu fuis."
Oui je fuis mes sentiments mais pas seulement. Mes sentiments ne sont qu'un tiers du puzzle. Qu'un tiers de ce que je fuis. Mes sentiments sont la partie convenable de l'histoire. Le reste doit rester enterrer. Un secret, immense, impossible à dévoiler.
"Tu es comme nous"
Oui. NON! Non je ne suis pas comme vous... Trouver sa vraie nature, la vivre puis, l'enfermer dans une cage enterrée bien profondément sous une trappe. Et surtout, oublier la clef, oublier la trappe. Surtout oublier.
Oublier et ne rien dire. Un fardeau, ça se porte seule. Un dégoût ça se digère seule.
Seule parce que personne d'autre ne peut mieux le faire que toi. Seule parce que ça détruirait celui qui saurait. Seule; parce que ça détruirait, absolument tout...
Je me tourne sur le côté et plonge la moitié de mon visage sous la neige. L'effet d'un éclair glacé, d'une gifle donnée par une main immense. Le froid a cette positivité: ramener à la réalité, ou te brusquer suffisamment pour qu'un temps, tu ne ressentes plus que ce froid, mordant de ses crocs givrés.
Je respire fort. Je n'étouffe plus sous le poids de l'évidence. Faire de sa nature un passé lointain. Si lointain qu'il ne parait plus être qu'un cauchemar venu tout droit des enfers.
Un cauchemars, un mensonge. Qu'elle importance...
Un léger poids contre moi, une chaleur infime dans mon dos. Sym me tiens dans ses bras. Me serre contre lui comme ci un jour j'avais été quelqu'un à qui il tenait et qu'il m'avait perdu.
- Ça va aller! geint-il. Pardon! Pardon! il s'exclame tel un enfant pris la main dans le sac et qui sait pertinemment qu'il va le regretter.
Je reste muette. Même la toux qui me gratte la gorge s'éteint. Ma respiration est un sifflement. Mes yeux se ferment, refrènent cette pulsion.
"Tu es comme nous"
Envie de le gifler, de le frapper. De le massacrer...
Envie de l'aider, de l'étreindre, de le consoler.
Il me retourne vers lui. Face, à face.
- Je suis tellement désolé. il murmure comme il le ferai à un cadavre.
Il me soulève et me remets sur mes pieds. La partie droite de mon visage ne semble plus exister à cause la neige qui est restée longtemps en contact avec.
Mais je ligne des yeux. Tout va bien. Tout-va-bien.
Il me tourne le dos. Me lance un regard des ses yeux totalement perdus avant cela et part.
Je secoue la tête d'incompréhension, de migraine aussi.
Je les rejoins. Sym s'est allongé à côté de Noama. Il a les yeux fermés.
Je m'allonge à droite de Lino à l'opposé de Sym. Je ferme les yeux mais je sais que je ne vais pas dormir. Je n'y arriverais pas.
A cause de la chaleur froide de la fièvre, à cause de ma blessure qui me démange, de mes souvenirs dérangeants. A cause d'un grand tout.
Vent glacial, terre glaciaire. Seul paysage à l'horizon.
De légères bourrasques de vent soulèvent à quelques endroits un peu de neige. Cette eau glacée.
J'ai un frisson, long. Je tremble fort. Puis ça se calme et ça revient. Ça ne pas aller si vite. J'ai peur, j'ai faim, j'ai mal, j'ai froid mais j'ai excessivement chaud en même temps.
Je transpire, un peu.
Si près du but. Je n'ai plus qu'à attendre. Les laisser se reposer pour pouvoir continuer. Qu'ils puissent m'aider si je tombe. Qu'ils puissent m'aider pour que je les sauve, que je tienne ma promesse et que je puisse me sentir apaiser. Le comble de l'égoïsme. Les sauver pour me sauver.
Non, il y a autre chose, il y a davantage. L'inquiétude, pas pour moi, uniquement pour eux. Lino, Noama et Sym aussi.
Depuis notre départ jusque ici, trop de bouleversement. Tout a changé.
Je me tourne, me retourne. Je mets mon bras sous ma tête contre mon oreille. J'entends mon cœur battre. Je ferme les yeux. L'écoute, ce muscle puissant qui me garde en vie. Qui n'est pas passé loin de la panne générale.
Mon ventre gargouille. Ma blessure me gène, me gratte, elle est chaude, je le sens quand je me concentre dessus.
Mauvais. Je ferme les yeux. J'écoute la respiration de Lino, faible, lente, régulière. Il dort profondément. Il semble avoir changé lui aussi mais je crois qu'il est resté un gamin gentil, apeuré, effrayé de me perdre. Moi, qu'il considère comme sa grande sœur.
Moi, qui le considérais comme un petit frère il y a longtemps puis, comme une sangsue et ensuite un parasite et maintenant comme une promesse...
Et seul les promesses importent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top