Chapitre 8 [Version éditée]
Venez découvrir les premiers chapitres de ce roman, disponible aux éditions Abeille bleue en juin 2023.
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Chapitre 8
— Pour qui te prends-tu ! Tu n'es que la fille d'une nourrice. Moi, mon père est un haut gradé !
Je n'ai pas eu le temps de répliquer qu'une main venait s'abattre sur sa joue avec une force impressionnante pour notre âge.
— Elle est ma sœur.
Lumen vient toujours me sauver.
— Liliana, souvenirs
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Je suis fatiguée. Pas physiquement, mais mentalement, car je sais que ce n'était que la première journée, et sûrement pas le dernier problème à régler. J'ai envie de revenir à ma petite vie d'avant, qu'ils repartent tous chez eux. J'aime ma routine, et leur présence ne me permet pas de la continuer sereinement. Contrainte, obligée de rappeler mon autorité à longueur de journée, je n'ai pas toujours l'impression d'être la reine. Être scrutée par ces personnes qui attendent le moindre faux pas de ma part est épuisant. Je suis sous pression constante, et je n'apprécie pas de me retrouver dans cette situation. Tout comme je n'apprécie pas de me poser tant de questions sans pouvoir en obtenir les réponses. L'amour n'est pas une énigme qui se résout si facilement. Mais je ne suis pas certaine que l'on parle d'amour. Pourtant, c'est ce que l'on attend d'un mariage. Quoique, pour une reine, ce n'est pas la première des prérogatives.
Tournant en rond dans ma chambre, éreintée, mais incapable de fermer les yeux, je la quitte sans trop hésiter. Les couloirs de pierres brunes ne m'ont jamais paru aussi longs, ni aussi froids. Le pas traînant, j'arrive au niveau d'un patio que j'aime particulièrement, par la verdure qui l'occupe. C'est un de ces endroits merveilleux qui me permettent de me changer les idées après une journée difficile. Celle-ci en est définitivement une.
Sur le pas de la porte, je me stoppe, constatant que quelqu'un occupe déjà les lieux.
Kei est debout au milieu de celui-ci, la tête relevée vers les étoiles. Ses longs cheveux sont détachés et s'étalent dans son dos. Il porte une espèce de kimono qui laisse dévoiler son torse, et les astres se reflètent dans ses yeux. J'ai l'impression de me trouver devant un tableau.
Je n'arrive pas à le cerner, contrairement à Arold et Alexander pour qui j'ai déjà pu me faire une idée. Je ne suis même pas certaine d'avoir entendu sa voix. C'est intrigant. Sa famille me semble mystérieuse, et si je devrais peut-être m'en inquiéter, je suis au contraire plutôt sereine à leur sujet. Et curieuse. Ne pas comprendre une personnalité apparaît comme un défi à relever. Et c'est une chose que j'aime particulièrement faire. Comprendre les gens. Il y a quelque chose de grisant dans cela. La sensation de tout savoir, non d'un point de vue arrogant, mais comme une connaissance enrichissante.
Je n'ai pas envie de le déranger. Pourtant, sans en saisir la raison, je veux rester ici à le regarder encore un peu. Comme si à la longue j'allais obtenir des réponses à mes questions. Son profil m'offrira peut-être une compréhension de son être, mais j'ai comme l'impression que son âme est trop énigmatique pour la décrypter d'un regard.
En bougeant mon pied, il écrase une petite branche tombée au sol qui craque sous mon poids. Une coïncidence bien trop grosse, si vous voulez mon avis.
Je relève la tête vers Kei, et constate évidemment que celui-ci me regarde, mais sans aucune expression particulière sur le visage. Il se courbe dans une révérence très bien exécutée.
— Hum... je te prie de m'excuser, je ne savais pas que tu étais ici.
Cependant, seul le silence me répond. C'est assez agaçant, je dois dire. Et pourtant, au-delà de cela, c'est une sorte d'envie qui s'éveille en moi : celle d'entendre sa voix. À quoi ressemble-t-elle ? Je l'imagine grave, rauque. En parfaite concordance avec sa carrure, et cette impression de dureté qu'il affiche. Je remarque alors que je l'ai tutoyé sans m'en rendre vraiment compte. Ce n'est pas franchement dérangeant étant donné que nous sommes les seuls ici, et que je lui suis hiérarchiquement supérieure, mais j'ai pour habitude de vouvoyer les princes, tel qu'on me l'a appris. Je décide qu'il est trop tard pour revenir en arrière, alors je continue.
— Il est tard, tu ne vas pas dormir ?
Kei se tourne à nouveau vers le ciel, et je m'apprête à faire demi-tour, pensant qu'il ne va pas me répondre. J'en suis plutôt agacée, peut-être un brin déçue, mais trop fatiguée pour me battre. Pourtant, il me coupe dans mon élan, sans pour autant m'offrir un regard.
— Je dors peu. Et que fait Sa Majesté ici, si je peux me permettre ?
Elle est exactement telle que je me l'imaginais, et pourtant, elle reste mélodieuse. C'est assez difficile à expliquer, mais elle est rassurante et apaisante. Le genre de voix que l'on a envie d'entendre. Quand bien même il ne semble pas des plus bavards.
— Difficile de dormir après une telle journée.
Il hoche seulement la tête et je l'observe en silence. C'est relaxant, d'être ici, dans un silence réparateur, quand bien même sa présence modifie mes habitudes. Et pourtant, peu importe combien j'aime écouter le vent jouer avec les feuillages, je ressens le besoin d'entendre encore sa voix.
— Tu es dur à cerner.
— Pourquoi cherchez-vous à me cerner ?
— C'est ce que l'on attend de moi. Que je vous sonde tous trois, afin d'en épouser un.
Il marque un temps d'arrêt. J'aimerais parvenir à saisir ce qu'il pense, mais son visage ne m'offre aucune réponse. Impassible. Je me demande s'il en est de même au fond de lui.
— Le voulez-vous ?
— Ce n'est pas la question.
Encore une fois, il ne me répond pas. Je devrais m'arrêter là, et comprendre qu'il n'a pas forcément envie de faire durer cette conservation. C'est curieux qu'il ne cherche pas à faire bonne impression auprès de moi. Suffisamment pour attiser un certain intérêt. Peut-être est-ce sa façon de se démarquer, et elle fonctionne très bien, je dois dire.
— Et toi ? Souhaites-tu m'épouser ?
— Je suppose que ce n'est pas non plus la question.
Je hoche la tête. C'est vrai. Être souverain implique souvent de se marier sans avoir le choix. Mais moi, j'ai en quelque sorte la chance de pouvoir choisir, même si le choix est restreint.
— Te fais-je peur ?
Je ne pensais pas poser cette question. À personne, d'ailleurs. Elle a franchi la barrière de mes lèvres avant que je n'aie pu y réfléchir plus longtemps. Peut-être à cause d'aujourd'hui. De cette magie que j'ai laissé échapper, que j'aurais pourtant dû retenir. Ils n'ont vu qu'une bribe de moi-même. Suffisante pour effrayer des yeux encore novices sur le sujet.
Je vois alors pour la première fois une expression sur son visage. Kei fronce les yeux.
— Pourquoi aurais-je peur de vous ?
— Je ne suis pas humaine. Ça en repousse plus d'un.
Et je ne suis pas du genre à confier, même indirectement, mes angoisses à ce sujet. Elles sont dans ma voix, peu importe combien je tente de les cacher. Et j'ai beau ne pas connaître cet homme, j'ai la sensation qu'il les saisit sans difficulté.
— Vous n'êtes pas un monstre non plus.
— Je peux quand même te désintégrer en un clignement des yeux.
— Essayez.
Je le regarde, et remarque un tout petit sourire, assez bien caché. Il a du bagout. Du caractère, même. Et pour l'instant, c'est sûrement le seul qui en fait preuve. C'est amusant de me retrouver face à une personne qui ose me répondre. Qui d'autre que Liliana ou bien Valère se serait permis une telle réplique ?
— Dois-je me méfier de toi et de ta famille ?
Cette fois, il se contente de hausser les épaules.
— Tu ne comptes pas répondre à ta reine ?
Mon sourire trahit mon manque de sérieux. À part dans certains cas particuliers, je ne me plais pas à répéter sans cesse que je suis la reine. C'est déjà une réalité contre laquelle je ne peux aller, pas besoin de le dire sans cesse.
— C'est à vous de trouver la réponse.
Ses paroles m'interrogent, et les questions que je me posais déjà sur cet homme et sa famille prennent un peu plus de place. Et pourtant, je n'ai pas envie d'y penser plus longuement.
Je lève moi aussi les yeux en direction des étoiles, et adresse un message silencieux à ces astres auxquels je suis liée. Je leur demande de l'aide, et de façon plus pudique, leur rappelle que je les porte dans mon cœur.
Je finis par me dire que la journée de demain va être longue, et les heures de sommeil restantes ne sont plus très nombreuses.
— Merci pour cet échange, Prince Kei. Je te souhaite de trouver le sommeil.
Il ne me regarde pas en me répondant.
— De même, Votre Majesté.
En me dirigeant vers ma chambre, je ne sais pas trop quoi penser de cette conversation. Si l'on peut appeler cet échange ainsi. Je n'en ai pas appris plus sur lui, n'ai pas plus réussi à le cerner et surtout, je n'ai pas pu briser cet air froid et distant qui semble lui coller au visage.
En me mettant au lit, je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il est toujours dans le patio. Je voudrais savoir à quoi il pense lorsqu'il regarde les cieux. Savoir qui il est, ce qu'il veut, le comprendre tout simplement.
Au milieu de mes draps, le sommeil ne semble pas vouloir venir, moi qui étais si fatiguée il y a peu.
**
Les heures passent et se ressemblent. Mes yeux ne se ferment pas, et mon cerveau cogite. Les questions ne sont plus les mêmes. Pas les princes, pas ce qu'on a pensé de moi, seulement celles qui ont un rapport avec lui. Avec cette énigme qu'il est à mes yeux. Excédée, je finis par repousser les couvertures et pose mes pieds sur les pierres froides. J'attrape ma robe de chambre et la noue, avant de sortir et de me diriger d'un pas décidé vers le patio.
Arrivée à celui-ci, je ne peux que ressentir de la déception en le voyant vide.
C'est cette fois en traînant le pas que je retourne au lit.
Mes yeux finissent par se fermer quand la fatigue devient trop forte, et si l'on me demande, je ne pourrais pas promettre de ne pas avoir rêvé d'un certain prince.
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