Chapitre 7 [Version éditée]
Venez découvrir les premiers chapitres de ce roman, disponible aux éditions Abeille bleue en juin 2023.
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Chapitre 7
Sa jeunesse et sa fougue sont ses plus gros atouts, mais aussi ses plus gros défauts. Elle deviendra une grande souveraine, si elle apprend à s'en servir à bon escient.
— Valère, pensées
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Je m'arrête devant les portes closes de la salle de réception. Les familles royales doivent être debout devant leur chaise, à m'attendre. J'hésite à faire demi-tour et m'installer confortablement en cuisine avec Liliana. Je regarde les gardes qui sont de chaque côté de la porte et tous deux me rendent un sourire d'encouragement.
Mes mains passent sur le voile de ma robe. Elle est magnifique, il n'y a pas à dire. Dommage qu'elle doive être portée pour ce genre d'invités. Je souffle un bon coup et leur fais signe d'ouvrir la porte. Alors que je m'avance, l'attention braquée sur moi, l'atmosphère lourde de la pièce me fait froncer les sourcils. Je tente de sonder Liliana à la recherche de réponse, mais elle fuit mon regard, ce qui m'interpelle davantage.
Quand je détaille les autres invités, je ne croise que les yeux d'Arold, qui semble gêné. Par moi, ou bien par ce qui s'est produit en mon absence ?
La présence de Nix en face de la reine naturéenne, Clémencia, me laisse deviner d'où vient le problème. Et l'apparent mal-être de Liliana me suggère ce qui a bien pu se produire. Je sens la colère monter en moi et, inconsciemment, je serre les poings. En rythme avec mon cœur qui palpite, ma magie se réveille. C'est le message silencieux de Valère qui m'arrête. Il me souffle sans un mot de me calmer. De ne pas les laisser voir une nouvelle fois cette partie de moi. Avec une lenteur mesurée, et un regard qui en dit long sur cette reine venue d'ailleurs, je regagne mon siège, au centre de cette grande table en U.
Avant d'autoriser tout un chacun à prendre place, je jette un coup d'œil à Liliana à mes côtés. Un seul geste de sa part, et je suis prête à désobéir à Valère. À mettre à terre cette reine qui, je le vois, l'a blessée avec ses mots. Je ne les connais pas encore. Et je me languis de les entendre.
Elle hoche simplement la tête, et ses jolis yeux bleus me demandent la même chose que mon oncle. Pas de vagues, ce soir. Au moins une soirée. Et c'est pour moi qu'elle prend sur elle, je le sais.
Je me tourne légèrement pour faire signe à Marcel d'aller chercher le premier plat. Plus vite on commencera, plus vite tout cela prendra fin. Le silence emplit l'espace, à peine brisé par le bruit des couverts. Malgré moi, je me demande si c'est ce qui m'attend durant les prochains mois. Des repas ternes et silencieux, des journées rythmées par un protocole, et la nécessité de bien faire devant ces hommes et femmes que je ne connais pas. Tout était bien plus simple avant.
À mes côtés, Arold se tortille sur sa chaise. Du coin de l'œil, j'aperçois ses joues rosées, et je capte son anxiété. Il veut me parler, mais semble devoir faire face à sa timidité. Je lui laisse le temps de se lancer.
— Votre Majesté ?
Je lui offre un sourire tendre, afin de l'aider à affronter tous les regards qui se tournent vers lui. Il est mal à l'aise devant tant d'attention. Pourtant, il devra apprendre, si d'aventure il venait à m'épouser. Mais je suppose que c'est trop tôt pour y penser.
— Eh bien, ce n'est pas grand-chose... mais en me promenant dans vos jardins, j'ai vu cette fleur et je n'ai pu m'empêcher de la cueillir pour vous. J'espère que vous ne m'en voudrez pas.
Il me tend une magnifique fleur, caractéristique d'ici, car chacun de ses pétales a une couleur différente. Je ne retiens pas un sourire devant cette initiative. Ce n'est qu'une fleur, de mes proches jardins, mais je ressens son intention. La sienne, et non celle qui pourrait lui être soufflée par des personnes avides de le voir monter sur le trône.
Je le remercie, sans manquer de lui préciser combien cette offrande me touche.
— Vous semblez apprécier les jardins, Prince Arold.
— Je vous en prie Majesté, appelez-moi Arold. Il est vrai qu'ils sont à tomber. Bien que je pourrais vous en montrer de somptueux à Naturea. Mais l'exotisme de certaines de vos espèces est fascinant.
Un sujet qui semble le passionner, et je vois une lumière s'illuminer dans son regard lorsqu'il évoque les plantes. Un prince naturéen amoureux des plantes, il ne pouvait pas y avoir une plus grande corrélation.
— J'en suis ravie, Arold.
Le rouge lui monte aux joues quand je prononce son prénom, et je m'en amuse presque. En attendant le prochain plat, mes yeux parcourent l'assemblée. Je me contiens de faire une réflexion explicite sur le regard blasé que porte le roi d'Aurum sur le prince à mes côtés. Autant, je me suis peut-être trompée sur son fils, autant je n'ai aucun doute sur cet homme. Le prince d'Aurum glisse un œil sur moi, et plus particulièrement sur mon poignet. Je voudrais être un peu plus proche de lui pour pouvoir vraiment détailler ce qu'il contient.
— Votre Majesté, je constate que vous avez reçu mon présent. Il vous va à ravir, et je suis très heureux de vous voir le porter.
Et il a l'air sincère. Il semble même être une personne tout à fait différente que celle d'il y a quelques heures. De quoi me mettre le doute : quelle est vraiment sa personnalité ?
Je me contente de lui rendre un sourire poli, encore trop incertaine pour en offrir plus.
— Je ne peux que porter un si beau bijou. Je vous remercie de m'en avoir fait cadeau.
Il veut peut-être être discret, mais il glisse un regard vers son père, comme pour avoir son approbation sur son présent. Le mien le suit, et le sourire satisfait de ce roi imbu de lui-même me déplaît. Présent sincère ou prince manipulé par son roi ?
En mangeant, mes yeux se dirigent vers la fleur posée devant moi. Puis sur le bracelet à mon poignet. Mes prétendants sont lancés dans cette sorte de compétition pour mon cœur. Ils ne perdent pas de temps, et cela me déstabilise quelque peu. Kei échappe à la règle. Ni présent, ni paroles, ni même un regard. Il semble, tout comme sa famille, ne pas se soucier un instant de ce qui se passe dans cette pièce. Je ne sais pas comment interpréter ce désintérêt à mon égard.
Il ne se passe rien de beaucoup plus intéressant lors de ce repas, et je suis soulagée d'en sonner rapidement la fin. Cependant, tandis qu'ils quittent les lieux, je retiens Liliana à mes côtés. J'attends que les portes soient closes, avant de me tourner vers elle.
— Alors ?
— Toujours aussi excellent. Marcel s'est surpassé.
— Tu sais parfaitement de quoi je veux parler.
Elle hausse les épaules, et joue avec sa cuillère pas encore débarrassée. Je fais signe à Ariel de revenir plus tard, quand cette dernière entre dans la pièce.
— Je sais que la reine Clémencia a dû avoir un comportement déplacé, pour que tu agisses de cette manière.
— Rien de particulier.
— Tu n'as jamais su mentir.
Elle ne dit rien de plus, et je laisse courir un sourire sur mon visage.
— Si tu ne dis rien, je demande à Nix de te lécher le visage jusqu'à ce que tu cèdes.
Pour approuver mes dires, ce dernier s'assoit à côté de nous et se lèche les babines, parvenant à tirer un sourire à mon amie. Et à la faire rire, quand il s'approche d'elle, face à son silence.
— D'accord, je me rends !
Elle lève les mains pour l'arrêter et met quelques instants supplémentaires avant de me dire la vérité.
— Elle n'a pas apprécié le fait que je sois à table, qui plus est, à tes côtés.
— De quoi se plaint-elle ? Son fils était à ma gauche.
— En effet, mais pour elle, ma condition de naissance n'était pas suffisante pour m'accorder une place à table avec elle.
Je lève les yeux au ciel. Cette mentalité ne m'étonne pas, pourtant, elle me désespère. Le rang de naissance n'a aucune importance, pour moi, et dans ce royaume. Après tout, mon père est devenu roi en partant de rien. Il faut croire que les mentalités n'ont pas évolué partout.
— Elle n'a pas hésité à le faire savoir. Valère a tenté de me défendre, mais elle était persuadée que tu m'invitais à table pour leur manquer de respect.
Encore faudrait-il que j'aie du respect pour une femme avec de telles valeurs. N'a-t-elle pas entendu mes paroles envers le roi d'Aurum ? Ici, on respecte les personnes qui vivent dans ce château.
— Je dois avouer être déçue. La famille naturéenne m'avait l'air charmante.
— Le roi l'est ! Il a tenté à plusieurs reprises d'apaiser son épouse. Et le prince ne savait pas où se mettre. C'est l'arrivée de Nix en face d'elle qui l'a calmée. Et puis tu es entrée.
Dire que si j'étais arrivée une minute plus tôt, j'aurais pu l'entendre. Je me serais fait un plaisir de lui répondre.
— Je suppose qu'on ne peut juger une famille sur un seul de ses membres.
— Je ne crois pas que la reine Clémencia soit originaire de Naturea. En tout cas, elle semble se détacher complètement du reste de sa famille.
Je réfléchis un moment sur les cours qu'on a pu me donner à ce sujet, avant de trouver la réponse. Et tout s'éclaire.
— Son mariage avec le roi est issu d'un accord entre deux royaumes.
— Et d'où vient-elle ?
Je lui offre un sourire un brin feint.
— Aurum.
Elle ne retient pas son amusement, contrairement à moi. Avec l'impression que m'a faite le représentant de ce royaume, j'ai une estime plutôt basse de la classe noble d'Aurum. Bien qu'il ne faille pas faire de généralité. La reine m'a l'air différente de son époux, mais également soumise à ce dernier.
— Voilà qui explique tout. Je doute que les personnes de rang populaire ne dînent à la table des rois, à Aurum. On aurait pu croire qu'elle changerait dans ce pays où elle vit depuis tant d'années à présent.
— Je m'estime déjà satisfaite qu'elle traite bien ceux qui travaillent pour elle. Je suppose que ce n'est pas de son fait, mais si elle s'y tient, c'est déjà cela.
Liliana acquiesce. Pendant ce moment de silence, je tente de comprendre ce qu'elle peut ressentir, à ce moment-là. Je n'ai jamais eu de mal à saisir ce que mon amie avait sur le cœur. Elle est comme un livre ouvert.
— Tu ne dois pas t'attarder sur ce qu'a pu te dire cette femme. Mon royaume, mes règles. Et ici, ce n'est pas le métier ou l'argent de tes parents qui détermine ta place dans la société. Mais la pureté de ton âme. Et la tienne est assurément immaculée.
Elle se retient de laisser échapper ses émotions et reprend le dessus en utilisant sa tactique préférée, l'humour.
— On dirait presque une déclaration d'amour.
— Mais c'en est une.
Parce qu'elle fait partie des personnes que j'aime.
— Épouse-moi dans ce cas. Au moins, pas de souci de prince.
— Ne me tente pas trop.
Je savoure son rire un moment. Il se répercute sur les pierres des murs, et devient encore plus entraînant qu'à l'ordinaire. Liliana est lumineuse, solaire, merveilleuse. Comment ne peut-on pas s'en rendre compte, et comprendre que c'est bien plus important qu'une quelconque caste de naissance ?
Je la laisse se calmer avant de m'enquérir d'un dernier point.
— Personne d'autre n'a dit quoi que ce soit ?
Elle répond par la négative, et je suis satisfaite que le roi d'Aurum ait retenu la leçon. Il m'a l'air cupide. Pas stupide. Je dirais même qu'il se dégage de lui une impression d'intelligence, et une certaine prestance. À n'en pas douter, il a la carrure pour être roi. Peut-être pas les qualités. C'est une personne que je juge à surveiller de près.
— As-tu observé quelque chose chez Alexander et son père ? Une attitude, un regard inquiétant ?
Elle y réfléchit un moment, mais ne trouve rien de plus à me dire qu'un fait que j'ai moi-même déduit.
— Le prince Alexander cherche en permanence l'approbation du roi Malakay. Et ce dernier n'a pas l'air de la lui accorder énormément.
— Ne serait-ce pas cette relation qui pousserait le prince à se comporter de façon si imbuvable ?
— Je ne parierais pas le contraire. Le temps nous le dira.
J'ai du mal à me dire que je vais devoir m'en remettre au temps pour comprendre. Attendre les réponses, au lieu de les chercher. Rester dans le flou sur cet homme, ne savoir quoi en penser. Tout ça ne me plaît pas. Enfin, dans tous les cas, rien dans cette histoire de mariage ne me plaît.
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