Chapitre 6 [Version éditée]

Venez découvrir les premiers chapitres de ce roman, disponible aux éditions Abeille bleue en juin 2023.

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Chapitre 6

— Mais Lumen, que fais-tu?

— Quoi? Tu as dit que Nix ne pouvait pas dormir dans mon lit parce qu'il était trop lourd. Tu n'as pas dit que je ne pouvais pas dormir par terre avec lui.

— Lumen, souvenir

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— Sois patiente.

— La patience n'a jamais été mon fort, Lil'.

Elle pouffe et se cache derrière sa main lorsque je la fusille du regard. Elle sait mieux que personne comment je suis. Liliana est sûrement la seule avec qui j'affiche mes défauts sans détour et sans craindre de jugement. Parce que pour elle, je ne suis pas une reine, je suis son amie. Sa sœur. Celle avec qui elle a grandi. Entre nous, il n'y a pas de couronne. Mais une chose bien plus puissante que tous les pouvoirs que m'apporte ce titre.

— Je ne connais personne de plus impatient que toi.

— C'est loin d'être une bonne chose.

— Chacun de tes petits défauts fait de toi un être humain.

Mais aux yeux du monde, je n'ai pas le droit à ces défauts. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Peu importe mon âge. Peu importe que je n'aie pas été suffisamment préparée à ce rôle. On me regarde comme si cette couronne et les responsabilités qu'elle apporte étaient innées. Comme si elles suffisaient à définir et restreindre ma personnalité.

Mon père ne m'a pas élevée pour devenir reine. Mais à être enfant. C'était peut-être son erreur. Ou peut-être refusait-il de croire qu'il pourrait partir si tôt. Peut-être était-il certain d'avoir le temps de me préparer à tout ce qui m'attend. J'aurais souhaité qu'il ait raison.

— Je sais que tu n'en as pas envie, mais il va falloir se préparer pour le repas. L'heure tourne. Tu verrais Marcel en cuisine, il est en panique. Je plains ceux qui doivent travailler avec lui.

Je ris un peu. Cela ne m'étonne pas de lui. Nous rentrons dans la chambre et cette fois, Lil' ne me laisse pas le choix sur la robe, ressortant la rouge de ce matin.

— C'est le moment de leur en mettre plein la vue. Tu es toujours magnifique en rouge, cela met en valeur la teinte blanche incroyable de tes cheveux.

Je souris et me contente de m'habiller en silence. Elle pose ses mains sur mes épaules, croisant mon regard dans le miroir après avoir lassé le dos de ma tenue.

— Tu ne dois pas le juger trop vite, nous sommes d'accord ? Même si tu n'es pas patiente, je sais que tu comprends la nécessité de ne pas brûler les étapes.

Patienter de voir ce qu'Alexander me réserve, voilà ce qu'elle me rabâche depuis que je suis rentrée du Conseil. Elle n'en démord pas, peu importe ma première impression, je dois lui laisser le bénéfice du doute. Sa ténacité sur ce sujet me donne mal au crâne, et je regrette presque que mon cours de géopolitique ait été annulé afin de libérer la journée d'arrivée de nos invités. Finalement, j'aurais préféré les sermons de Séverin devant mon manque d'enthousiasme.

Alexander a l'air imbu de lui-même. Prétentieux et trop sûr de lui. Il faut dire qu'il ne m'a pas fait bonne impression, et je ne peux que penser la même chose de son père. Cette famille est à surveiller. Pourtant, Liliana a raison. Je n'ai pas le loisir de le juger trop vite. Parce que le but de toute cette mascarade est que j'aie le choix de mon futur époux. Retirer Alexander de la course dès le premier jour reviendrait à me planter mon sabre dans le pied. Je vais donc devoir prendre sur moi.

D'un coup d'œil, Lil' semble saisir que j'ai compris le message et m'offre un grand sourire qui me procure une dose de bonheur.

— L'entrée de Nix était à tomber ! J'ai cru mourir de rire devant la tête de ce fichu roi.

Son rire résonne dans la chambre, et je me sens bien. Dans ces moments-là, j'oublie presque le rôle qu'on attend de moi, je redeviens l'enfant qui s'amuse avec une amie. L'insouciance, c'est quelque chose que j'ai appris à mettre de côté quand mon père nous a quittés. Parfois, cela me manque. La vie m'a obligée à grandir trop vite.

— La scène valait le détour, en effet. Même si sur le moment je n'avais pas vraiment envie de rire.

— J'ai bien vu, j'ai cru que tu allais faire exploser la pièce.

Je souris, amusée, mais ressentant aussi une pointe d'angoisse. J'en suis capable. Littéralement. Ma magie échappe à mon contrôle et je la sais dévastatrice sans en connaître pourtant toute l'étendue. Par chance, j'ai toujours réussi à tenir mes nerfs pour que ce château soit encore debout. J'aurais été déçue de détruire mon lieu de vie. Quoique déçue n'est pas forcément le terme adéquat. Plus je grandis, plus mes émotions gagnent en puissance, et plus il me devient difficile de retenir cette force qui coule en moi. J'aurais aimé qu'on m'apprenne. Mais j'ai perdu bien trop tôt la seule personne capable de me donner toutes les clés pour contrôler et diriger mes dons.

Je sais que Liliana est d'accord avec les Conseillers. Elle n'a pas besoin de me le dire pour que je le comprenne. Et le fait qu'elle ne cherche pas à en rajouter me fait du bien. C'est ce qui montre à quel point elle me connaît. Elle sait quand elle doit pointer mes erreurs, et quand j'ai simplement besoin qu'elle me donne un peu de ce qu'elle est : ce brin de soleil qui me réchauffe le cœur.

Tandis qu'elle m'entraîne vers la coiffeuse, des petits coups résonnent à ma porte et Mira, ma responsable de chambre, entre avec un sourire timide.

— Un présent pour vous, Majesté.

Elle me tend un petit écrin, plutôt simple, avant de m'indiquer qu'il vient du prince d'Aurum. La partie la plus rancunière, et peut-être enfantine de mon être, hésite à jeter le présent sans l'ouvrir, uniquement dans un esprit de mépris. Le regard de Liliana me ramène à la raison.

Pourtant, avant de penser à l'ouvrir, je le dépose sur ma coiffeuse et m'approche de la jeune femme placer ma main sur son front, dans un geste familier.

— Je me disais bien. Tu as de la fièvre, Mira. Va te reposer, tu as suffisamment travaillé pour aujourd'hui.

Elle me sourit et je sais qu'elle va me dire que tout va bien et qu'elle peut travailler, alors je la coupe avant, en souriant aussi.

— Et c'est un ordre.

La connaissant, bourreau de travail comme elle est, elle aurait continué de courir partout jusqu'à tomber. Mira finit par sortir en me remerciant.

Je m'approche du paquet. L'attention en elle-même me touche – même si je suppose que tous les princes vont m'offrir quelque chose pour marquer le coup – mais le fait qu'elle vienne d'Alexander me fait douter, d'une part de ses intentions, d'autre part sur ce que contient la boîte.

Je l'ouvre non sans appréhension et suis agréablement surprise. Un petit bracelet en or, très fin et raffiné, pas du tout dans l'excès des bijoux que celui-ci a pu arborer aujourd'hui. Je dois avouer qu'il est très beau et que je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi discret de sa part.

Je me tourne une nouvelle fois vers Liliana et elle me sourit.

— Il n'est peut-être pas comme il en a l'air, finalement.

Je hoche la tête, mais il est bien trop tôt pour l'affirmer. Offrir un bijou n'est pas une preuve de quoi que ce soit. Mais le fait qu'il ait trouvé un style à mon goût me surprend dans le bon sens du terme. Et me rappelle cette ambiguïté que j'ai ressentie en lui.

— Devrais-je le mettre, à ton avis ?

— Ça serait une bonne chose. C'est sûrement une façon de se faire pardonner et de te montrer qu'il n'a pas que des mauvais côtés. Il sera probablement heureux de voir que tu le portes.

Je ne peux qu'être d'accord, alors elle m'aide à l'attacher autour de mon poignet.

— Qui souhaites-tu à tes côtés lors du dîner ?

Un choix qui n'est pas anodin, car il annonce, pour ce premier soir, quel est le prince que j'aimerais apprendre à connaître en premier lieu. Par la suite, il montrera mes préférences et mes affinités avec chacun. Il doit alors être réfléchi.

Cependant, je n'ai pas de doutes pour ce soir, alors je réponds rapidement.

— Arold.

Liliana hoche la tête dans un petit sourire avant de se retirer pour aller se préparer dans sa chambre. Je tente de ne pas laisser mes pensées m'envahir.

Je souffle un coup, consciente que je ne vais pas pouvoir repousser indéfiniment le moment de descendre. Je place la couronne sur le haut de mon crâne. Si légère. Et pourtant si lourde.

Un dernier regard à mon reflet, et je quitte la chambre.

Quand il faut y aller... Eh bien, on y va.

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