Chapitre 3 [Version éditée]

Venez découvrir les premiers chapitres de ce roman, disponible aux éditions Abeille bleue en juin 2023.

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Chapitre 3

 — Je vais t'apprendre une chose, ma fille. Le souverain n'est jamais en retard. Les autres sont en avance. N'oublie jamais cet enseignement, il te servira très régulièrement.

— Lumen, souvenir

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Les grandes portes s'ouvrent tandis que le son des trompettes résonne. Le hurleur, c'est-à-dire l'homme qui crie au lieu de parler – je n'ai jamais réussi à retenir le véritable nom de son métier – annonce l'entrée de la première famille, celle de Naturea.

C'est sûrement le plus simple des trois autres royaumes, et celui qui m'inspire le plus confiance, alors même que je n'ai encore jamais rencontré ses souverains. Ses habitants vivent de l'agriculture et de l'élevage, ce qui ne les rend pas moins riches pour autant. Seulement, on peut observer des différences notables entre la famille royale naturéenne et les autres. Ils sont plus humbles. Enfin, c'est ce que m'ont dit les Conseillers. Je suppose que cela va très vite se vérifier.

C'est le roi qui ouvre la marche avec sa femme à son bras. De l'autre côté se trouve un jeune homme, qui tient la main d'un petit garçon lui ressemblant comme deux gouttes d'eau. À leur suite s'avancent leurs employés les plus proches, comme les nourrices. Je remarque de suite que ceux-ci sont vêtus convenablement et ont un sourire non simulé, ce qui prouve le bon traitement qu'ils reçoivent. Je ne peux qu'en être satisfaite.

Arrivés à bonne distance de moi, ils s'arrêtent et se courbent en avant, en signe de respect. Pour ma part, je baisse légèrement la tête, sans pour autant les quitter des yeux. Je finis par leur dire de se relever et le roi prend alors la parole, me présentant son épouse et ses fils, Arold et Célestin.

Il n'est pas difficile de saisir qu'Arold est celui venu ici pour moi. Je n'ai pas vraiment envie qu'un garçonnet de dix ans devienne mon époux.

Je l'observe un peu plus. Il est beau. Pas le genre de beauté qui pourrait m'attirer, du moins au premier abord. Mais je dois dire que je ne cherche pas un physique, mais un roi. Ce n'est pas sur cette qualité que je vais les juger. J'aime beaucoup la couleur de ses cheveux. Couleur de feu. Le fait qu'ils soient bouclés lui ajoute du charme, et cette teinte fait ressortir la pâleur de sa peau tachetée, ainsi que ses yeux bleus.

Ce qui m'intrigue plus particulièrement chez lui, c'est la gentillesse et la bonté qui se dégagent de son visage. De son aura, même. Je ne saurais dire si c'est feint, mais s'il possède réellement ces deux qualités, alors il gagne d'entrée un certain nombre de points. Je reporte mon attention sur le roi qui semble respectueux et, comme son fils, bienveillant. Cependant, quelque chose me chiffonne chez son épouse. Je ne sais pas encore quoi, mais je trouverai. Elle n'a pas la même aura que le reste de la famille. Comme si elle n'en faisait pas vraiment partie.

— Nous vous sommes très reconnaissants de nous accueillir au sein de votre demeure et de bien vouloir donner une chance à notre fils.

— Tout le plaisir est pour moi.

Traduction, je n'ai pas eu le choix. Mais puisque vous m'avez l'air sympathique, je vais faire un effort.

Je montre de la main les sièges qui leur sont réservés.

— Je vous en prie, prenez place.

Ils me saluent et vont s'installer tandis que Jérémya, le hurleur, annonce l'arrivée de la famille de Ferrum.

Je me demande s'il prend des tisanes pour la gorge le soir. À ce rythme, il va finir muet d'ici peu.

Les trompettes retentissent une nouvelle fois et un tout autre style de famille fait son entrée.

Ferrum, le royaume du fer. Paraît-il que leurs hommes sont réputés pour être misogynes. Et très séduisants. L'un ne rattrape pas l'autre, de mon avis, mais je me demande si la légende est vraie. Les portes s'ouvrent de nouveau et le roi entre. À côté de lui, sans pour autant qu'il y ait contact physique, sa femme, et enfin son fils. Tous trois sont sur la même ligne, comme s'il n'y avait aucune hiérarchie entre eux, et je dois avouer que j'aime cette idée. Mais ce que j'apprécie le plus, en dehors de cette prestance qu'ils dégagent, c'est leurs parures. Elles sont bien différentes des apparats royaux, un savant mélange entre royauté et aspect guerrier. Roi et soldat. D'ailleurs, je remarque que loin de la traditionnelle épée, c'est un sabre qu'il porte fièrement. Je ne peux qu'approuver le choix de cette arme, que j'affectionne également.

Le prince est, dirais-je, étonnant. De longs cheveux bien attachés en arrière, qui, contrairement à l'idée que j'aurais pu m'en faire, lui donnent un aspect imposant. Il a, comme son père, cette aura guerrière autour de lui, que je ne retrouve pas chez la famille naturéenne. Son visage est carré et hâlé, et son corps, malgré les couches de vêtements, a l'air très bien dessiné. Je sais déjà que Liliana est en train de baver sur lui sans même la voir.

La famille s'avance d'un pas déterminé jusqu'à moi. Là, dans une chorégraphie quasiment millimétrée, leurs genoux droits touchent le sol et leurs têtes se baissent. Je ne peux que me demander s'ils ont répété, presque impressionnée. Lorsqu'ils se relèvent, je passe mon regard sur leurs visages, et me trouve déstabilisée de ne parvenir à en tirer quelque chose. À l'inverse de la première famille, ils m'apparaissent impénétrables. Ce n'est pas une situation dans laquelle j'ai l'habitude de me trouver. Je suis d'ordinaire toujours parvenue à lire les personnes en face de moi. Certains pensent qu'il s'agit d'un don, d'un des nombreux pouvoirs que je tiens de ma mère. Sans preuve, je préfère me dire que mon sixième sens est simplement bien développé. Leurs expressions sont fermées et dures, mais il se dégage d'eux un très grand respect. C'est tout ce que je suis capable de déterminer. Je ne parviens pas à saisir ce qu'ils pensent de moi, ou de leur présence. Ni à capter leurs intentions. Et cela m'agace autant que cela pique ma curiosité.

Avant que mon silence ne devienne source d'interrogation, je cesse d'essayer de les sonder, et les invite à se présenter. Le roi semble avoir l'étiquette dans la peau et attend patiemment que je lui donne mon aval pour le faire. Après m'avoir annoncé son épouse, il se tourne vers son fils.

— Mon fils, Kei.

Un prénom peu courant, mais qui sonne plutôt bien.

— Nous vous remercions de votre hospitalité.

— C'est avec plaisir.

Je tente un sourire, mais l'homme ne me le rend pas, se contentant d'incliner la tête en signe de respect. Je ne sais pas s'il cache son animosité ou s'il a une grande estime pour les traditions, mais c'est assez perturbant. Je me demande si son fils est aussi rigide que lui.

Voyant qu'ils n'ont rien à dire de plus, je les invite à rejoindre leur place et attends que Jérémya annonce l'arrivée de la dernière famille royale en observant mes invités. Mais la forte voix du hurleur ne retentit pas, même après de longues minutes. Je me tourne alors vers Liliana, qui s'empresse d'aller voir un garde. Une fois l'information entre ses mains, elle gravit les marches jusqu'à moi et se penche à mon oreille. Devenue le centre de l'attention, elle tente d'ignorer les regards sur elle qui, je le sais, la dérangent fortement.

Je ne suis pas surprise d'apprendre que nul ne sait où se trouve la dernière famille royale. Mon visage se dirige vers la grande horloge, et la boule de stress qui couvait en moi se transforme progressivement en un profond agacement. Le temps que je rencontre les familles, l'horaire du rendez-vous est passé depuis plus d'une heure. J'en viens presque à espérer qu'il leur soit arrivé quelque chose sur la route, tant l'outrage serait énorme. Et m'obligerait à réagir, en trouvant la bonne méthode. Ni trop, ni pas assez, le tout scruté par des familles royales qui me rencontrent pour la première fois. Je ne suis pas vraiment préparée à ce genre d'épreuves. Cela ne fait pas partie du cahier des charges que mon Conseil m'impose depuis que je suis à ce poste.

Nous patientons tous et le silence n'est rompu que par les chuchotements entre les membres des familles. Moi, je ne dis pas un mot, me contentant de contrôler ma colère qui monte.

Une heure supplémentaire. Mais rien ne vient. Les guetteurs des hautes tours n'aperçoivent aucun cortège à des kilomètres à la ronde, signe qu'ils sont encore loin. Deux possibilités s'offrent alors à nous. Soit il leur est arrivé quelque chose, soit l'affront est volontaire. Et j'ai ma petite idée sur la réponse.

Lorsqu'un garde de plus entre, et me lance un regard désolé, je comprends que la situation n'est pas près de changer. Et je fulmine. Le temps qui passe m'offre une épreuve de taille concernant ma patience. J'en viens même à imaginer qu'il s'agit d'une mascarade mise en place par mes Conseillers, une sorte de test grandeur nature avant l'arrivée des vraies familles royales. Mais un œil vers Sagis, le plus vieux de ceux-ci, me fait comprendre que rien n'est orchestré. Et si je lis dans son regard, au milieu du désarroi et de l'indignation, une demande de garder mon calme, je ne suis pas certaine d'y parvenir. Il finit par descendre du balcon où il se trouvait, pour s'approcher de moi.

— Nous devrions permettre aux familles d'aller s'installer, et faire partir des éclaireurs, dans l'hypothèse qu'ils aient rencontré des difficultés lors du voyage.

J'ai l'impression qu'il n'y croit pas. Sagis a déjà eu l'occasion de faire la connaissance de la famille que nous attendons. Et s'il ne dit rien, son regard me souffle ce que je dois en comprendre. Je hoche la tête, acceptant son conseil. Il est le plus sage, c'est gravé jusque dans son nom. Je me dois de l'écouter, surtout dans une situation comme celle-ci. Tout dans son être jusqu'à son aura me hurle d'avoir confiance en lui et de le suivre. Alors je contrôle ma colère, avec difficulté, pour ne rien laisser paraître. Un sourire de façade vient étirer mes lèvres, mascarade que j'ai appris à jouer à la perfection ces derniers mois. Loin est le temps de l'insouciance et de la sincérité. Si je base mon règne sur l'honnêteté, la couronne m'oblige parfois à y renoncer.

Je me lève, attirant les regards sur moi, bien qu'ils ne m'aient pas vraiment quittée.

— Je vous prie de nous excuser pour cette attente. Il semble que les souverains d'Aurum soient dans l'impossibilité de se joindre à nous pour l'instant. Vous allez être conduits vers vos appartements respectifs. Prenez le temps de vous installer et de découvrir un peu les lieux si vous le souhaitez. Nous nous retrouverons pour l'arrivée de la dernière famille, ou pour le dîner.

Avant de partir, le souverain de Naturea attend mon aval pour s'adresser à moi.

— Pensez-vous qu'il leur soit arrivé quoi que ce soit, Majesté ?

Je suppose qu'il serait mal venu de répondre que je l'espère. Alors je me contente d'un sourire qui se veut rassurant et m'empresse de disparaître de leurs vues. 

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