1


- Maman... grogné-je doucement lorsqu'une main me secoue l'épaule.

- Lully ! Réveille-toi !

Je fronce les sourcils, les yeux toujours fermés. Cette voix n'est pas celle de ma mère.

Un œil s'ouvre et je cligne des paupières en attendant que je m'habitue à la luminosité. L'image du visage, d'abord floue et pleine d'étoiles, se fait nette et je sursaute lorsque je comprends qui est dans ma chambre.

- Que... Qu'est-ce que tu fais là ? je balbutie en me redressant et en tentant de me coiffer un minimum.

Mais c'est peine perdue et je soupire en baissant ma main. Mes boucles roses devront attendre.

- Je viens te réveiller ! sourit mon meilleur ami, Nathanael.

- Nan, j'avais pas remarqué, j'ironise.

- En fait, j'ai eu une super idée.

Je me retiens de marmonner "encore" et m'assieds correctement dans mon lit. Il prend ma chaise de bureau et s'y place à l'envers, comme il a toujours aimé le faire.

- Je t'écoute, je soupire.

- Alors, commence-t-il avec un grand sourire enfantin dont il a le secret. Je n'ai pas beaucoup dormi hier, avec la fin des cours et le début des vacances, tu sais. Du coup, j'ai eu tout le temps de réfléchir. Et j'ai eu une idée ! On pourrait aller ensemble dans un endroit super sympa pour fêter le début des vacances !

- Et c'est pour ça que tu me réveilles un samedi matin ? je râle.

Il lève les yeux au ciel, et réplique.

- Il est dix heures passées. Et il faut quand même partir avant midi, alors te connaissant... Et puis ta mère était d'accord, conclut-il avec un énorme sourire narquois.

Je lui jette un coussin à la tête en faisant semblant d'être offusquée, mais il n'en a cure et continue de me charrier sur ma paresse. Après quelques minutes, je me lève sous ses commentaires lorsqu'il aperçoit mon pyjama rose bonbon.

- Il est assorti à tes cheveux.

- Descend le temps que je m'habille, je me contente de répondre, un sourire se dessinant sur mes lèvres sans mon consentement.

Nathanael rigole et sort de la chambre, tandis que je pioche des habits dans mon armoire. Ah, ce qu'il peut être énervant et adorable en même temps !

Je finis d'enfiler mes chaussettes, et dévale les escaliers. Un coup de brosse a été nécessaire pour discipliner mes cheveux roses en pétard, le symbole d'une rébellion contre ma mère surprotectrice. C'était il y a un mois, le jour de mes quinze ans, j'étais revenue les cheveux teints en rose vif. Disparue, la belle couleur chocolat ! Ma mère avait plutôt mal pris cet acte de révolte, mais elle avait passé l'éponge et compris le message.

Depuis, nos relations sont bien meilleures, et je ne cesse de me dire que j'ai bien fait, même si de l'avis de ma mère j'aurais dû en parler avant de me teindre les cheveux. Elle aurait voulu parler, mais moi, je refusais. Ce sujet était encore trop présent dans ma mémoire que pour l'aborder à haute voix.

Une fois en bas, je salue ma mère et lui fais une bise quelque peu réticente. Je ne suis pas très tactile avec ma mère. Elle le sait et ne tente pas de me prendre dans ses bras.

Ensuite, je me tourne vers la cuisine afin de déjeuner. J'y vois mon meilleur ami, attablé, qui mord avec avidité dans un pain au chocolat. Je rigole doucement, puis le rejoins en secouant la tête. Il peut être si mature quelques instants, puis devenir un enfant la seconde d'après que ça me déstabilise même après des années.

Les miettes de pâte feuilletée tombent de son menton sur son assiette, tandis qu'il dévore la fin de son pain. Il boit d'une traite son verre d'eau, pendant que je prends mes tartines et mon verre de lait habituel.

- Alors, je commence en m'asseyant. Quelle est ta merveilleuse idée qui justifie de débouler dans ma chambre pour me réveiller ?...

- Toi, t'as toujours pas digéré. T'es pas du matin, j'aurais dû le savoir.

Je tire la langue et il éclate de rire. Je commence à manger, et Nathanael m'expose son excuse pour être venu me secouer.

- Alors, d'abord tu dois savoir que c'est une surprise.

Je fronce les sourcils, la curiosité me chatouillant déjà.

- Tu dois me suivre, et je te dirai quoi une fois arrivés là-bas.

- Où ça ? je ne peux m'empêcher de demander.

Je me mords la lèvre, alors qu'il pose un doigts devant ma bouche, les yeux rieurs.

- Surprise !

Je me tais et attends la suite, piquée par l'intérêt. J'adore les surprises, et il le sait.

- Tu prends juste la valise qui t'attend devant la porte, et tu me suis.

- Quoi ? Maintenant ?! je souris, heureuse.

- Oui, maintenant !

Je termine de manger à toute vitesse, l'impatience me pressant, et quelques secondes après je saisis la poignée de ma valise, un sourire jusqu'aux oreilles illuminant mon visage. Mon meilleur ami me suit en s'amusant de mon impatience, et je remarque alors dans l'entrée que son sac de voyage l'attend sagement, à côté d'un énorme sac de matériel.

Avant que je ne puisse l'interroger, il place ses mains sur mes yeux en s'exclamant :

- Eh, tu triches ! Ferme les yeux, j'apporte le bandeau !

Je ris et le laisse faire, et finalement un fin tissu recouvre mes yeux, me rendant aveugle. J'arbore encore mon sourire béat, comme s'il était skotché à mon visage.

La main de mon ami attrape la mienne, et me tire vers l'extérieur. J'entends la porte s'ouvrir, et nous sortons devant la rue. Le vent fait voler mes cheveux, et j'inspire l'air frais de ce matin avec bonheur. Un sentiment de liberté me prend le cœur, et j'ai l'impression que ce jour sera un merveilleux jour qui restera dans ma mémoire pendant longtemps. C'est comme ça, je ne m'explique pas cette soudaine intuition, et l'absurdité de mes réflexions me fait éclater d'un rire nerveux.

- Qu'est-ce qu'il y a ? m'interroge mon ami.

- Rien, dis-je simplement en serrant sa main.

Il serre la mienne en réponse et me tire vers lui, pour mieux me pousser vers autre chose.

Je ne comprends ce que c'est que lorsqu'il me demande de me baisser pour entrer dans l'habitacle d'une voiture. Il me prend ma valise pour la mettre dans le coffre, puis son sac. Je m'assieds, puis il passe de l'autre côté et s'installe à mes côtés. Le conducteur, après m'avoir saluée, démarre. C'est le père de mon ami, un homme que j'apprécie vraiment. Il est un ami d'enfance de ma mère, et je l'ai toujours vu comme un oncle.

Je passe le trajet en silence, tentant de deviner la destination et émettre toutes les hypothèses de surprises auxquelles pourrait avoir pensé mon ami.

Je n'ai pas conscience du temps qui passe, mais il est relativement long, et j'ai des fourmis dans les jambes lorsque Nathanael m'aide à descendre. Une fois au sol, il prend ma valise et me la donne, avant de m'entraîner sur un sol couvert de branchages.

Il s'arrête soudain, m'enlève la valise des mains pour aller la poser quelque part plus loin pendant que je reste immobile. Il revient et me prend la main pour m'emmener encore ailleurs, alors que je n'ai même pas vu le premier endroit où il a laissé mes bagages. J'ai juste droit à mon sac à dos pour continuer cette sorte de jeu à l'aveugle.

Je ne comprends pas vraiment ce qu'il fait, mais je le suis. L'impatience me tord les tripes et me tient.

Soudain, il s'arrête et retire le bandeau de mes yeux.

Je pense que lorsque je découvre le paysage, j'ai des étoiles dans les yeux.

Une cascade d'eau répend des miriades de goutelettes sur les rochers aux alentours. Un arc-en-ciel s'est formé dans la chute d'eau, remplissant le paysage de féerie. J'avance d'un pas, stupéfiée par la beauté du lieu. Les mots seuls ne peuvent même pas décrire l'ambiance de cet endroit.

- C'est... Merveilleux.

Les mots me manquent pour exprimer à mon ami à quel point cette surprise me touche. J'ai presque les larmes aux yeux. Depuis toute petite, la nature m'attire et m'impressionne. Je lis toutes sortes d'ouvrages, scientifiques ou simplement romans, qui ont un lien avec la nature.

Je me retourne, et vois une légère angoisse dans les yeux bruns de mon ami. Je m'empresse de le rassurer.

- C'est une super surprise !

- Attends, tu n'as pas tout vu ! me répond-il avec un clin d'œil. Suis-moi !

Nath' m'entraîne plus près de la cascade, et son grondement me remue tout entière. Je sens une fine pellicule d'eau se déposer sur mon visage, et je ne l'essuie pas. J'aime beaucoup la sensation de fraîcheur qu'elle m'apporte.

Il saute à présent de rocher en rocher, sans glisser, ce qui me fait penser qu'il doit avoir l'habitude de venir ici. Toujours ma main dans la sienne, je le suis tant bien que mal et lorsqu'un de mes pieds dérape et éclabousse mes vêtements, je joins mon rire au sien de bonne grâce.

Il s'arrête alors juste à côté de la chute d'eau, si près qu'en tendant le bras je pourrais sentir les litres d'eau qui tombent. Il me sourit, puis tâte la paroi de roche d'une main. Je me demande ce qu'il fait, mais je n'ai pas le temps de me questionner davantage qu'il me tire après lui dans un espace entre deux énormes rochers.

Le vacarme de la chute s'assourdit, et je me rends compte que nous sommes  dans une grotte derrière la cascade.

Avec un petit cri excité, j'avance en claquant mes pieds sur le sol humide. Il me suit, un sourire aux lèvres, comme un grand frère devant sa petite sœur surexcitée avant Noël.

La grotte s'enfonce profondément dans la roche, et ressemble à un tunnel. Je m'arrête et demande à mon ami :

- Tu es déjà venu ici ?

- Oui, pour repérer le terrain et aménager l'emplacement de camping, dehors. Tu aimes ?

- Bien sûr ! C'est génial !

Il sourit encore et m'invite à avancer. Nathanael me dit avec un sourire mystérieux :

- À partir d'ici, je n'ai pas exploré. Tu es la première !

Je rigole, sachant qu'il blague. Il ne me laisserait jamais prendre des risques, il est bien trop grand frère pour ça. Il aime juste me faire croire que je suis une aventurière, ce petit rêve d'enfance qui me suit même dans l'adolescence.

Je marche vivement en remontant la hanse de mon sac à dos. Mes baskets de marche sont vraiment utiles car je bute sur les graviers et débris rocheux. La lumière ne parvient que de moins en moins. L'obscurité envahit l'endroit en quelques mètres, et je fouille dans mon sac à la recherche de mon téléphone afin d'y voir quelque chose. Avant que je ne le trouve, le puissant faisceau d'une lampe de poche éclaire mon visage, me faisant plisser les yeux.

- C'est mieux comme ça !

Je lui souris, et remets mon sac sur mon épaule pour continuer. Il éclaire notre chemin en marchant à côté de moi. Nous cheminons silencieusement, et seul le bruit de nos respirations casse ce silence.

Enfin, j'aperçois quelque chose. Une sorte de... Porte?!

- C'est habité ? je m'exclame, surprise.

Mon ami ne dit plus rien, et s'avance devant moi.

- Attends Nath', on ne sait même pas ce qu'il y a derrière cette porte, je lui fais remarquer.

Il ne dit rien et continue à avancer. Il finit par toucher le bois humide du bout des doigts alors que je continue de l'exhorter à la prudence. Je lui demande de faire demi-tour, mais rien n'y fait, il parcourt le bois, comme hypnotisé. Ça commence même à me faire peur.

Ses yeux bruns, écarquillés et dilatés, se retournent vers moi. Je sursaute tant son regard me paraît vide. Il semble presque...

"... mort", termine mon esprit.

Je frissonne et m'avance vers lui, pour lui attraper le bras et le tirer loin de cette porte horrifique. Mais alors que j'approche, mon regard s'accroche aux arabesques mystérieuses gravées dans le bois. Mes yeux les suivent, et mes pieds continue leur chemin sans que je n'aie à le leur dicter. Je rejoins mon ami à côté de la porte.

Je parviens à détacher à grand peine mes iris bleu clair des formes mystérieuses gravées et tends la main vers son bras. Mais avant que je ne puisse le toucher, il pousse la porte d'un geste brusque puis, alors que je reste figée de stupeur, il me prend la main et me tire de l'autre côté.



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top