Partie 7

Seungmin.

Je pourrais citer toute une enfilade de mauvaises expériences personnelles concernant les cours d'éducation physique.

Les enseignants de cette branche-là sont de loin les plus inconséquents. Écervelés et désinvoltes, ils n'ont pas conscience du pouvoir que recèlent leurs remarques proférées crûment. S'il est vrai que cela motive certains élèves, l'opposé est également valable pour d'autres ; et soudain, les mots creux qui semblent échapper futilement criblent l'esprit de flèches empoisonnées.

Rentrer chez soi en pleurant tout son soûl à cause de paroles mal placées sur ses piètres performances est la solution idéale pour occire toutes formes de confiance à l'égard de son corps. Mais les adultes ne sont pas les seuls détenteurs de ces fleurs vénéneuses ; les plus meurtrières éclosent sous l'influence délétère des autres membres de l'équipe que l'on est censé composer.

On dit que l'on récolte ce que l'on sème, mais jamais je n'ai cherché à cultiver une telle soif d'annihilation. Des flopées de paroles glissantes comme des anguilles se faufilent inéluctablement à mes oreilles, tels des relents de fumée, alors même qu'elles sont proférées à mon insu ; le fardeau de mes propres actions qualifiées de répréhensibles s'appuie sur mon mental déjà fragilisé par la conscience de mes inaptitudes.

Alors que tous ces souvenirs s'entrechoquent incontrôlablement en moi, je prends enfin conscience qu'ils ont toujours joué un rôle prépondérant dans mon existence semée d'accrocs.

Le doux sifflement d'une légère bourrasque sur ma peau me fait brusquement reprendre contact avec la réalité. Cela fait maintenant une heure et demie que Chan a quitté la tente disposée expressément pour les soins. Malgré mon ventre noué, j'ai avalé quelques-uns de ses cookies pour lui faire plaisir. Sa boîte gît encore sur la couchette à mes côtés ; je piocherai d'autres biscuits demain. Pour l'heure, la culpabilité qui me ronge me coupe de toute gourmandise.

Je suis complètement fourbu ; une douleur rémanente tiraille les muscles de mes jambes. Je n'ose plus du tout mouvoir ma cheville. Le souvenir de la souffrance occasionnée par ma glissade demeure encore bien trop frais dans ma mémoire. Allongé sur le dos, je scrute la bâche tendue sur les longues poutres disposées perpendiculairement au-dessus de moi. Le soleil s'est couché depuis longtemps déjà, et les arbres au-dehors projettent d'inquiétantes ombres sur mon abri. On dirait des branches décharnées, ou peut-être des bras émaciés. Je déglutis péniblement, ravale le goût âcre qui envahit ma gorge. Malgré moi, je frissonne. La nuit n'est pas particulièrement froide, mais son étreinte sur mon cœur et sur ma peau reste particulièrement glacée. La noirceur qui a submergé la tente s'est déjà partiellement immiscée en moi, faisant germer les graines du remords semées dans mon esprit. Elle tisse, lentement mais sûrement. Bientôt, une toile pernicieuse s'étendra dans mon âme comme une gangrène et capturera entre ses fils quelques noirs sentiments.

Déjà, je sens la culpabilité croître de seconde en seconde. Toute une kyrielle de termes me définissant surgissent en moi. Lamentable. Pitoyable. Pathétique. Risible.

Chan a beau s'être confondu en excuses sincères, sa mine courroucée lorsque Minho et Felix nous ont devancés s'est rapidement transformée en image obsédante. Par ma faute, il a perdu l'activité qu'il appréciait le plus. Et que puis-je faire pour me rattraper ?

Rien. Absolument rien. Parce que je serais bien incapable de lui adresser la parole de mon plein gré. Parce que je suis incompétent en matière de relations sociales et de sport. Je demeure impuissant face à ma propre culpabilité, dans l'impossibilité d'y changer quoi que ce soit. Et de surcroît, pour l'heure, je suis cloué au lit. J'ai beau avoir assuré à Chan que j'allais bien, le mensonge est aussi bien passé qu'une pastille que l'on aurait tenté d'avaler tout rond alors que notre gorge est enflée. J'ai bien discerné l'étincelle dubitative qui tressautait dans ses yeux sombres, même s'il n'a pas insisté sur mon état.

Tant mieux. Je n'aurais jamais pu trouver la force de pondre un mensonge supplémentaire. Cette histoire a pour le moins annihilé ma stabilité émotionnelle déjà précaire. Après l'épisode de ce matin avec Felix, l'ériger à nouveau prendra du temps. Énormément de temps, plus que ce dont j'ai à disposition.

Je suis à fleur de peau. Cela fait à peine deux jours, et je souffre déjà de l'éloignement. J'ai l'impression que les écueils s'accumulent, s'appuient sur mes frêles épaules et me poussent dans mes derniers retranchements.

Les larmes s'écoulent en un flot ininterrompu sur mes joues, mais après avoir passé une vingtaine de minutes à les essuyer, j'ai fini par laisser tomber. Un silence presque surnaturel plombe l'atmosphère, rompu de temps à autre par mes reniflements. Je parviens fort heureusement à réprimer les sanglots qui menacent d'éclater à tout moment. Hors de question qu'un accompagnant rapplique à mon chevet ; j'aurais bien du mal à leur expliquer pourquoi je pleure.

Pour qu'ils comprennent vraiment, je devrais y passer la nuit. Leur dire que j'ai des remords à cause de l'activité de cet après-midi paraîtrait non seulement risible, mais ne ferait qu'effleurer le problème.

Je dois avouer que les adultes manquent cruellement de présence d'esprit. Ils ne voient que la surface de l'eau, lisse, satinée, d'un bleu monochrome qui réfléchit les rais dorés du soleil. Par intervalles, une onde y propage des vaguelettes concentriques, rompant son harmonie, mais elles s'estompent si vite qu'ils l'oblitèrent aussitôt. Ils ne songent jamais à regarder ce qu'il se passe sous l'eau, là où le liquide brûle de douleur et se détériore en un vert nauséabond abîmé par la vie. Ils ne songent jamais à regarder les horreurs et les épisodes traumatisants qui s'empilent sous la surface idyllique. Ils ne voient que la dernière goutte naissante, s'échouant presque imperceptiblement dans la nappe ondoyante et disparaissant dans ses profondeurs délétères.

Et c'est alors qu'ils prononcent des paroles irréfléchies : « Mais pourquoi pleures-tu pour si peu ? Cesse voir tes inepties ! »

Inconséquents. Tous autant qu'ils sont. Ceux qui sont chanceux de posséder une voix puissante, une voix animée par un timbre ensorceleur, une voix qui vibre de vie, ne parviennent qu'à l'utiliser à mauvais escient. Ils ne prennent pas conscience de la portée d'une voix, de la souffrance qui peut être occasionnée par de simples syllabes qui se bousculent sur une langue trop hardie et franchissent des lèvres trop effrontées.

Les adultes croient toujours qu'ils sont la voix de la raison. Mais en réalité, ils ne possèdent que la voix qui rompt des certitudes et brise des rêves ; la voix de la douleur.

Avant que Morphée ne m'accueille dans son royaume inconscient, je songe à mon nouvel ami. Je sombre doucement dans le sommeil, réconforté par sa chaude présence qui virevolte dans mes pensées taraudantes, lueur naissante dans les ténèbres.

Installé à une table déserte du réfectoire, j'attends que Felix me rejoigne. L'infernale alarme du réveil vient tout juste de vriller le calme du camp, et même si j'ai eu la chance d'y échapper, l'entendre en étant debout m'est tout aussi insupportable. Déjà, des échos de conversations s'élèvent dans le camp, transcendant le silence matinal.

J'ai fait un cauchemar qui m'a réveillé il y a de cela une bonne heure. Je suis alors discrètement retourné au bungalow 8 en claudiquant un peu, afin de me changer. Cela me répugne d'enfiler des vêtements propres sur mon corps transpirant et collant, mais j'ai conscience que je vais devoir me contenter d'une douche par semaine.

Chan dormait profondément, enroulé des pieds à la tête dans son sac à couchage. Minho avait ouvert le sien, si bien qu'il s'était retrouvé par terre durant la nuit. Felix, quant à lui, avait la tête rejetée en arrière et ronflait doucement. Même quand il dort, il parvient à m'apaiser ; à croire que ses bonnes ondes se diffusent également pendant son sommeil.

Je me tiens présentement à table avec mon assiette et mes services en plastique. Mon sweatshirt violet doit furieusement détonner avec mes Crocs jaunes, mais j'avoue avoir un goût prononcé pour les couleurs criardes.

En voyant les minutes s'égrener dans l'air glacial, je finis par me lever afin d'aller me servir. Les deux aide-cuisiniers me considèrent avec une curiosité mêlée d'étonnement, aussi évité-je de croiser leurs regards inquisiteurs qui semblent me transpercer jusqu'à marquer mon âme de brûlures.

En m'asseyant à nouveau, je relève les manches de mon hoodie. Pas moins de onze boutons de moustique tavèlent mon bras droit, six autres mon bras gauche. Je grimace, ravi d'avoir pu servir de réservoir à sang.

Felix finit par arriver, les traits tirés par la fatigue. Néanmoins, en m'apercevant, il s'éclaire aussitôt et s'empresse d'aller se servir pour s'installer en face de moi. Je lui affirme que je vais bien et l'observe engouffrer ses tartines à la vitesse de l'éclair. Lorsque nous retournons au bungalow 8, je progresse plus lentement qu'à l'accoutumée. Si mon ami le remarque, il n'en laisse rien paraître, même si je suis persuadé qu'il s'en est rendu compte. Sans maugréer, il se calque sur mon rythme tout en débitant un impressionnant flot de paroles. Je lui applique du maquillage, puis on nous convoque à nouveau.

Le tempo de la journée est marqué par sa singularité. Il est sculpté à la fois par la rapidité fulgurante d'une nuit de sommeil, et à la fois par la lenteur exaspérante d'un jour de cours. Tout me paraît étrangement distant, comme si je faisais partie du décor et non pas de la scène. Mon esprit n'enregistre rien de cette atmosphère distendue, se contente de suivre ce qui se déroule devant mes yeux avec cette indifférence un peu ennuyée que l'on réserverait à un film de Noël. Peut-être a-t-on arraché mon personnage de la bobine, le transformant en ombres chinoises qui s'entrecoupent sur les images allègres du camp.

Oui, je suis une ombre, une silhouette mince et discrète qui s'échappe et s'efface derrière un regard abîmé par l'angoisse. Ma présence en ces lieux tranche furieusement avec la bonne humeur qui s'exhale de chaque être que je croise.

Felix gambade en direction des grands mélèzes qui bordent la lisière de la forêt, et je le lui emboîte le pas en agrippant mollement le panier qu'il m'a confié. J'ai au moins compris que nous avions la mission de ramasser divers végétaux et champignons, mais impossible de me souvenir desquels en particulier. La concentration et l'attention semblent s'être évaporées depuis ce matin.

Sans piper mot, je suis Felix à pas lents. Le bandage frotte contre la peau nue de ma cheville ; je me suis vu obligé d'enfiler une paire de chaussures de marche plus adaptées à une expédition comme celle-ci, les mêmes que j'ai portées durant le parcours d'obstacles de la veille. Les boutons de moustique boursouflés me démangent horriblement, aussi tenté-je de me focaliser sur les paroles décousues de mon ami.

— ... soignent les inflammations, disait-il en examinant de petites fleurs pâles et mouchetées d'or. Mais on a pas besoin d'en ramasser.

Felix poursuit son monologue sur les propriétés curatives de ces plantes pendant plusieurs minutes, inconscient de mon indifférence notoire. Ce stoïcisme envers les nouveautés ne me ressemble pourtant pas. Je conserve un regard désabusé sur la beauté délicate de ces fleurs ; leurs feuilles reluisant de reflets argent, leurs tiges cotonneuses, leurs enveloppes florales évoquant de gros pompons jaunes... Quelque chose dans leur apparence titille mon esprit, et je m'efforce de réfléchir, me remémorant les livres botaniques que j'ai épluchés. Néanmoins, mes pensées s'entremêlent et finissent noyées dans les tréfonds de ma lassitude.

Je scrute les arbres autour de nous ; leurs branches retombent, comme s'ils éprouvaient l'éreintement de toute une vie passée au même endroit. Elles forment un dôme au-dessus de nos têtes, nous protégeant de la chaleur et des rayons crus du soleil. Les frissons courent sur ma peau rafraîchie par la baisse de température. Les racines plongent dans la terre, émergent çà et là tels des enchevêtrements goûtant à une bribe de liberté chimérique.

Lorsque je me rends finalement compte que Felix s'est tu, je force mes yeux à le considérer. Son sourcil gauche s'arque davantage encore face à mon silence plus qu'équivoque. Aujourd'hui, ses longs cheveux bruns coulent librement dans son dos en une cascade de mèches de velours. Ils sont émaillés de quelques barrettes colorées, et je dois avouer que le résultat est bien réussi. Il sait pertinemment ce qui peut l'embellir, et je ne peux m'empêcher d'en ressentir un léger pincement de jalousie.

— Tu m'écoutes pas, hein ? ironise-t-il en secouant la tête. J'vois bien qu't'es fatigué, mais t'aurais au moins pu m'le dire avant, que j'évite d'parler pour rien pendant une heure.

Je me contente de lui adresser un mince sourire qui, aussitôt qu'il paraît, flétrit sur mes lèvres gercées par l'angoisse. Je n'ai pas la force de répondre. Felix exhale un soupir, mais n'insiste pas. Je lui suis reconnaissant de me supporter ainsi. J'ai l'impression d'être une girouette à émotions.

Malgré tout, il ne se mure pas longtemps dans le silence. Quelques instants plus tard, il reprend son monologue en déposant des fleurs violacées dans mon panier.

La matinée se poursuit ainsi, jusqu'à ce que l'on retourne au camp avec une demi-douzaine de plantes et champignons. Felix semble satisfait de sa cueillette, et je suis soulagé de constater que, même en étant un véritable boulet ambulant, je n'ai pas également gâché cette épreuve. Je sens qu'une myriade d'interrogations lui brûle les lèvres face à mon regard vide, mais il n'en pose aucune.

Tant mieux. Je serais bien incapable d'y apporter de réponses.

Le poids de son inquiétude me soulage quelque peu. Cela peut sembler égoïste, mais je compte sur Felix pour me tirer d'affaire à chaque fois. Cette fois-ci, cependant, je sais qu'il ne pourra rien pour moi. Mes angoisses et ma peine sont trop profondes, trop enracinées dans mon cœur pour qu'il puisse y verser de son baume réconfortant.

Et pourtant, j'ai envie d'y croire.

~ ChronoStay 🌻🐝

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