Partie 4

Chan.

La répartition est finie depuis de longues minutes déjà. Les bougies se sont consumées lentement et ont perdu leur lueur claire ; la lumière tressaute avec peine, peignant des ombres sur les bâches. Minho et moi nous obstinons à demeurer immobiles. Il faut dire que nous avons un goût prononcé pour l'oisiveté. Le spectacle est accablant, les enfants paraissent perdus, ils détonnent dans la petite immensité du lieu. Les arbres entourent de leur air imposant le réfectoire et le plonge dans une obscurité mystérieuse.

Je sursaute lorsque Méline surgit des ténèbres.

— Salut les gars ! s'écrie-t-elle d'une voix rieuse.

— Salut Méline, quoi de neuf ? lui réponds-je.

— Hm eh bien, ni toi, ni ton nom de scout, apparemment. En revanche, les bâtiments sont très récents, eux.

— D'ailleurs, tu voudrais pas nous faciliter la tâche en nous indiquant le nôtre, plutôt que de te moquer de mon surnom ? l'interrompis-je d'un ton mordant.

Elle se retourne et trace son chemin hors du réfectoire sans rien ajouter, mis à part un simple rictus. Puis, le silence. Nous allons encore devoir se débrouiller. J'attrape Minho par la manche et l'aide à se hisser sur ses pieds. Il n'a aucune peine à me suivre malgré mes énormes pas de loup, et nous parvenons bientôt devant le bungalow numéro 3. Je soupire en voyant que ce n'est pas celui-là. J'ai beau avoir des prunelles magnifiques, je n'arrive pas à m'en servir correctement. On dira que c'est à cause de l'averse de tout à l'heure.

Nous nous y remettons, et c'est mon ami rêveur qui le trouve enfin. Je ne comprends pas comme j'ai pu passer à côté, il est rose ! J'espère que personne ne me verra y entrer. Je déteste cette couleur. À vrai dire, je n'aime aucune couleur. Je suis fidèle à la noirceur, aux ténèbres, ça égaie mon côté mystérieux et ça me plaît.

Je me fige en entendant des voix en provenance de l'intérieur : une se démarque par son timbre rauque, l'autre est si inaudible que je ne saurais la décrire correctement. Je lance un regard inquiet à Minho. Avons-nous de nouveau écopé d'adultes ayant passé la fleur de l'âge ? Non, ce n'est pas possible puisque je suis le plus vieux de l'édition 2021.

J'essaie de déceler un indice depuis l'extérieur, mais rien, le néant. Minho me fait signe ; au loin, deux jeunes filles s'approchent de nous. Ce sont Cléa et Léa, de vrais pots de colle. Sans même se consulter, nous entrons au pas de course dans le bungalow. Nos sacs rappent contre le sol et font un bruit épouvantable. À l'intérieur, toute voix s'éteint, tout signe de vie s'estompe. Les deux autres jeunes restent immobiles, de vraies statues de verre.

L'air essoufflé, je pénètre dans la grande pièce enténébrée. Les regards convergent vers moi. J'en ai l'habitude, mais pour la première fois, un sentiment d'oppression m'envahit. Ils me toisent du regard sans ouvrir ne serait-ce un chouïa de leurs lèvres roses.

Le jeune aux courts cheveux sombres en face de moi ouvre de grands yeux ébahis. On croirait presque que j'ai tué un renard devant lui — évidemment que non, je suis bien trop respectueux envers les animaux pour faire une chose pareille. Voyons, pourquoi me scanne-t-il de cette façon ?

Soudain, je reconnais vaguement ses traits. Les contours de son visage se font nets dans mon esprit. C'est le timide, celui qui s'est foutu de ma gueule. Et l'autre à côté, c'est le deuxième nouveau. Ses longs cheveux bruns reflètent le soleil estival. Ses yeux sont profonds et intenses, brillant de mille feux. Ils ressortent d'autant plus grâce à son maquillage. Deux bijoux ornent ses petites oreilles rosies par la situation. Son visage est semé de taches de rousseur, tels des boutons d'or dans un champ, des roses dans un bosquet. Des roses qui poussent malgré les épines du monde extérieur, de ce monde cruel et stéréotypé. Un monde régit par de fausses normalités ancrées dans les traditions.

Mais sur les joues rondes de ce jeune, je vois des perles de gentillesse et d'amour, un brin d'espoir. Un soleil dans un ciel nuageux.

J'ai envie de le connaître. Lui en revanche, j'en doute. Ai-je fait quelque chose de mal ?

— Eh bah, on dirait bien qu'on se retrouve avec des nouveaux, cette année, commente Minho en se postant à mes côtés.

— Moi c'est Chan, et lui là, c'est Minho. Vous êtes...?

— Felix, pour vous desservir, se présente le gars à la voix rauque en esquissant une espèce de révérence ridicule.

Un sourire naît sur ses lèvres, s'y accroche avec espièglerie.

— Alors ? C'est toi, « Rubber Wolfy » ?

— Mouais, grommelé-je, appelle-moi Chan, je préfère. J'ai jamais apprécié ce surnom ridicule.

Le dénommé Felix ricane avec une once de raillerie. Je crois qu'il se fout de ma gueule. Je me demande quel nom de scout il obtiendra. Plus les années passent et plus les noms sont bizarres et farfelus. Je ne sais jamais d'où ils sortent. Celui de Minho est déjà très... comment dire... original. Il ne l'aime pas, et c'est d'ailleurs compréhensible. J'ai arrêté de chercher pourquoi « Remader » depuis un moment. J'aime voir la logique partout, et là, il n'y en a pas. Enfin, je n'en ai jamais demandé la signification à Minho.

Je jette un coup d'œil à ma montre qui continue de tourner. Le temps file à toute allure, et nous n'avons encore ni déballé nos affaires, ni réparti les lits. La grande aiguille daigne effleurer les minutes qui paraissent si rapides dans ce silence éternel.

Personne n'ose dire mot. Pourtant, il suffirait d'étirer ses lèvres. La tâche semble être un calvaire, et le bruit désagréable des mouches en est aussi un. Je décide de relancer la conversation et de les inciter à choisir leur lit. Minho s'impose en prenant un du haut. J'observe les deux couchettes à étage, elles me paraissent si différentes et si semblables à la fois. On croirait ces vieilles démonstrations de géométries que nous étions obligés de prouver alors que le dessin, lui, avait l'air évident.

Encore cette vision qui vient me hanter. Le choix est pourtant simple : le dernier lit du haut, ou un des deux en dessous. Felix me dévisage d'un air étrange. Puis, il lance son sac sur la deuxième couchette surélevée. Je pose donc mes affaires sur celle en dessous de Minho. Le timide s'approprie le dernier lit sans souffler un seul mot. J'ignore toujours son prénom. Enfin bref, je place mon sac de couchage sur le matelas dur et rugueux que je viens de gonfler comme un chef.

Felix peine à remplir le sien d'air et désespère en silence. Un petit rire m'échappe et je m'empresse de l'aider, malgré ma fierté ambulante. Après tout, ce garçon est chargé de bonne humeur et d'ondes positives, j'ai vraiment envie de devenir son ami. L'atmosphère est plus détendue après ça. Il ne me voit peut-être plus comme l'homme sans cœur qui se moque de son ami, mais comme celui qui cherche à devenir le sien.

Quand le matelas de Felix est fin prêt, je lui demande le nom de son ami. Une cloche retentit au loin avant même qu'un son ne puisse franchir ses lèvres. Le tintement singulier de la cloche, nous le reconnaîtrions entre mille, Minho et moi. Ce son d'abord aigu qui chatouille vos oreilles, succédé par l'écho long et grave qui vous rappelle à la raison.

La première activité a l'air d'être sur le point de démarrer. Il s'agit d'un jeu de communication pour rapprocher les membres de chaque bungalow entre eux. Dans tout le camp ont été installés des photos. Le but est de retrouver celle de chaque personne de l'équipe et de créer une sorte de cadre avec, lequel doit être décoré de façon originale avec le matériel à disposition.

La joie et l'euphorie sont à leur comble, mais ce n'est qu'un avant-goût. La réelle épreuve aura lieu le lendemain, ce qui permettra aux jeunes d'y réfléchir et d'élaborer une stratégie.

Tous se dirigent vers le réfectoire pour le repas, l'air excité et déçu à la fois. L'heure se fait tardive et mon ventre crie famine. Les tables sont séparées par bungalow, du moins seulement pour le premier soir. Le but de la soirée est d'être à l'aise avec ses camarades. Nous sommes aussi chargés d'observer les deux nouveaux et de cerner leur caractère pour le rapporter aux accompagnants qui leur trouveront ensuite un surnom.

Le gars falot ne répond qu'aux questions qu'on lui pose sans rien ajouter, et ses réponses tendent à rester très laconiques. Je crois que je l'intimide. Felix, quant à lui, nous raconte quelques anecdotes saugrenues sur sa vie et ses expériences infantiles. Les spaghettis sont passés à merveille et, fourbus, nous quittons la table plus tôt avec Minho. Notre routine reprend forme de façon naturelle et spontanée. Nous nous échappons discrètement et nous nous posons à la lisière de la forêt. Les chants autour du feu ne nous intéressent pas, nous avons toujours préféré passer des moments plus calmes, rien que tous les deux. Je me mets alors à lui raconter les voyages de cette année, pendant que ses yeux écarquillés me lancent un regard à la fois jaloux et rêveur.

La discussion dure deux heures avant que j'arrête de conter mes aventures. J'aide Minho à se lever, et nous partons discrètement vers le dortoir. Ce n'est pas très légal ce que nous faisons, et si nous nous faisons prendre, nous prenons le risque de ne plus jamais pouvoir poser les pieds dans ce camp.

Nous nous infiltrons en silence dans notre bungalow. Les ténèbres l'ont envahi, seule la lune se reflète contre le bout de tissu qui nous sert de rideau. Je distingue les yeux fermés de Seungmin, dont je ne connais le nom que depuis le repas, un peu plus loin. J'ignore s'il dort ou s'il fait mine d'avoir sombrer dans le sommeil. Je ne m'attarde pas à l'observer, ça fait psychopathe. Felix fait de petits bruits mignons, il semble heureux même dans un monde inconscient. Je sors de mes bagages un simple tee-shirt qui fait office de pyjama.

— Oooh, t'as toujours ce vieux tee-shirt Shrek, se moque Minho dans un murmure presque inaudible.

— Héhé, et mon sac da Winx aussi, ils sont impérissables ces deux-là, plaisanté-je sur le même ton.

Nous tentons tant bien que mal d'étouffer nos rires dans nos manches. Felix se retourne sur son matelas : sa bouche est grande ouverte, un filet de bave s'en échappe. Nous nous esclaffons d'autant plus, avant de finir par calmer nos folies. Je souhaite une merveilleuse nuit à Minho et me glisse dans mon sac de couchage. L'air frais parcourt mon visage, les soupirs de mon ami me bercent. Je me laisse sombrer dans le sommeil après avoir remercié ma bonne étoile.

~ Celesta_ 🎈🐛

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