Partie 12

La brillante rosée matinale orne déjà les herbes hautes qui environnent les bungalows quand le soleil pointe enfin le bout de son nez derrière la cime des arbres surplombant le campement. La lumière des angoisses se fait sur le silence des ténèbres : deux adolescents se sont évanouis dans la nuit couleur d'encre. La nouvelle s'étend comme une traînée de poudre parmi les scouts. Les racontars ne cessent et déjà, deux accompagnants, Miss Parapluie et le rouquin, se lancent à leur recherche.

Felix, terrifié, reste avec Minho de longues minutes sans oser prononcer un mot, alors que le plus vieux aligne les phrases sans penser ne serait-ce qu'un seul instant à respirer. Les oreilles de Felix ont besoin de repos, il n'en peut plus.

Soudain, ce dernier sort du bungalow rose, attrapant une veste au passage. Minho sur les talons, il s'engouffre sans réfléchir dans la forêt, ne pensant qu'à la sécurité de ses amis. Minho connaît les alentours et n'a aucune peine à se repérer, c'est pourquoi Felix se sent finalement soulagé de sa présence, même s'il la préfèrerait silencieuse. Ils marchent, marchent, et marchent dans l'espérance de retrouver leurs camarades sains et saufs.

Chan.

Quelques lieues plus loin, je me réveille. Mes yeux brûlent et mes tempes bourdonnent, car je n'ai pas dormi longtemps. Les vagues de chaleur dont nous enveloppait le feu n'ont duré que trop peu et le froid m'a submergé à nouveau. Il y a quelques heures, Seungmin est tombé comme une masse. Il devait en avoir, du sommeil à rattraper.

Il est toujours enveloppé des bras de Morphée quand je me décide à me lever. Il semble s'être apaisé depuis que j'ai chanté. Je ne l'avais jamais fait devant quiconque, auparavant. À vrai dire, j'ai très peu confiance en ma voix. Ce doit être l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas être en rythme, ou peut-être d'avoir peur de sentir ma note craquer. Mais avec Seungmin, c'était différent. J'ai simplement suivi mon instinct.

Un dernier regard envers ce petit être endormi et j'esquisse quelques pas pour me dégourdir les jambes. Le ciel est dégagé ; les nuages de la veille ont laissé place à un bleu réconfortant. Le soleil caresse mon visage avec douceur et mes membres se réveillent peu à peu, comme réanimés par cet astre de feu. Mes sens s'éveillent eux aussi, et ma raison refait enfin surface quand mon ouïe perçoit de faibles cris au loin.

Le temps que l'information soit analysée par mon cerveau, je réalise que nous allons être retrouvés. Je m'élance vers Seungmin et le secoue frénétiquement. Il me dévisage d'un air hagard, à la fois déconcerté et affaibli. Son ventre émet un son des plus familiers pour moi, car durant la nuit atroce que j'ai passée, mon estomac n'a pas cessé de réclamer un petit encas à se mettre sous la dent. Je lance un regard réconfortant à Seungmin avant de l'aider à se redresser. Je ne voulais pas le précipiter, j'ai bien vu qu'il n'était pas du matin, cependant, mon adrénaline prend le dessus et je l'enlace en criant :

— Seungmin, on est sauvés !

Ma virilité en prend un coup quand ma voix déraille. J'arrive à déceler l'esquisse d'un rictus railleur sur les lèvres de Seungmin. Il se moque de moi ouvertement, mais je ne peux cesser de sourire.

— Bonjour Seungmin, bien dormi ? me lance-t-il d'un ton réprobateur.

— On s'en fout, ON VA ENFIN POUVOIR MANGER !

Seungmin s'abandonne à un petit rire fatigué. La tension de la veille s'est évaporée avec la nuit, comme si celle-ci était la médiatrice de nos vies et la solution à tous nos problèmes. Enfin, hormis celle de mon examen de mathématiques de la rentrée, évidemment.

Je remarque tout à coup que le rire de Seungmin m'atteint de façon bien singulière, ce matin. Au lieu de simplement me faire sourire comme à l'accoutumée, il m'emplit d'une étrange joie qui fait sourdre une chaleur inconnue dans les entrailles de mon corps. Et soudain, mes yeux tracent d'eux-mêmes leur chemin vers les lèvres de Seungmin qui s'entrouvrent pour laisser échapper ce son si attrayant, attirés à elles comme à un aimant.

— Les hurlements paniqués viennent du sud, fais-je remarquer en secouant la tête afin de reprendre mes esprits.

Mon compatriote tend l'oreille et esquisse un pas dans l'intention d'accélérer les retrouvailles, mais quelque chose l'en empêche. Une impulsion incontrôlée traverse mon corps tout entier, je frissonne en me rendant compte de ce que je viens de faire sous une impulsion inconnue. Ma main s'est refermée sur le poignet de Seungmin. Nos visages sont tellement proches l'un de l'autre que je sens son souffle chaud venir caresser ma peau. Mes yeux demeurent rivés sur ses lèvres, et ce, malgré tous mes efforts pour m'extirper de ce piège inextricable. Je reste là, planté devant lui, immobilisé par une effrayante sensation d'incompréhension. Pourquoi l'ai-je arrêté ? Un sentiment de questionnement mêlé de regrets et d'impatience m'envahit. Je tremble. Mon esprit est perdu, mon air, hébété.

C'est alors que j'entends une voix. Tous les autres cris ont disparu, seule cette voix demeure, une voix qui résonne inlassablement dans mon crâne. Ce qui s'y prononce effleure indifféremment mon attention. Six mots que mon cerveau met des heures à analyser se réitèrent en boucles. Leur sens percute mon corps entier quand je décide de finalement les comprendre. Seulement, viennent-ils réellement de lui, ou est-ce mon imagination qui prend le dessus ? À ce moment-là, mes neurones se tourmentent d'eux-mêmes, les lèvres de Seungmin n'ont pas bougé, je le sais, je les fixe sans relâche.

« Idiot, t'attends quoi, au juste ? » Cette phrase résonne, son écho me frappe. J'ai comme la sensation de surchauffer, mais peu importe, j'en ai envie. J'obéis à cette voix. Je m'exécute.

Nos lèvres s'effleurent ; c'est délicieux. Le baiser est timide, réconfortant. J'aimerais qu'il ne s'arrête jamais, que nous restions liés à jamais, que personne ne nous retrouve, car en ce moment, l'unique chose nécessaire à mes yeux, c'est lui, c'est Seungmin.

Pourtant, une utopie en restera toujours une, et la pérennité de la réalité n'est que pure illusion. Seungmin s'écarte de moi, les yeux reflétant un trop-plein d'émotions tourbillonnantes. Une d'entre elles semble se découper très clairement ; elle m'apparaît comme étant de la peur. Seungmin panique, il examine spasmodiquement les environs afin d'éviter mon regard. Les cris sont très proches, maintenant.

Je reprends rapidement le dessus sur mes impulsions. Tout s'est déroulé à une vitesse fulgurante, et enfin, la réalité me frappe de plein fouet. Je tangue sur mes jambes.

— Seungmin, je... laisse-moi t'expliquer, balbutié-je. C'était une erreur, je ne voulais pas...

Son regard vide et confus me transperce, j'en perds tous mes moyens. Je ne suis pas le Chan fort que je pensais être. Je n'ai qu'une envie : me liquéfier et disparaître dans le sol. Paniqué, je fais volte-face et déguerpis en réprimant des larmes importunes. Je veux courir le plus vite possible, mais mes jambes ne suivent pas le rythme que je leur impose, et bientôt, je commence à marcher. Cette sensation, c'est la même que celle que l'on ressent lorsqu'on est attaqué dans un rêve mais qu'il est impossible de bouger, cependant, j'avance bel et bien.

Je finis par tomber sur les surveillants partis à notre recherche. Sans même tenter de voiler leur contrariété, ils m'attrapent par le bras et me tirent sans ménagement au travers des arbres et des fourrés. Malgré mon désir de m'éloigner le plus possible du campement vers lequel nous nous dirigeons, je les laisse m'entraîner. Rongé par la culpabilité, par un profond sentiment de regret – le regret du baiser –, je pénètre dans mon bungalow sans même adresser un regard aux accompagnants. Bien que je sois attendu dehors pour une activité, je me laisse tomber sur ma couchette, faisant la sourde oreille aux remontrances. Les larmes, à présent bien trop dures à réprimer, s'écoulent en harmonie avec les cris de joie des enfants. Je les entends qui se poursuivent avec candeur, avec une simplicité que je me surprends à envier.

J'ai tout foutu en l'air.

~ Celesta_ 🎈🐛

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