Partie 1

Seungmin.

Le ciel reflète mon humeur, aujourd'hui.

De gros nuages anthracite s'amoncèlent lentement mais sûrement au-dessus de ma tête, dissimulant la bleuté pure du firmament. Ils semblent inoffensifs, d'un gris tirant sur le blanc, disséminés à travers la voûte céleste comme du coton déchiqueté. Je crois qu'il s'agit de stratocumulus. J'ai lu un ouvrage à ce sujet, récemment. D'ailleurs, c'est ce que j'avais prévu de faire durant les vacances d'été. Lire. Feuilleter les pages en les portant à mon nez pour en humer les douces effluences. Éplucher la bibliothèque. Avaler le savoir et les connaissances comme certains avaleraient des goulées d'air frais. Je n'aime pas ça, l'air. Je préfère l'odeur des livres à celle de la forêt, le son des pages qui se succèdent au gazouillis des oiseaux, la caresse du papier entre mes doigts à la chatouille de l'herbe sur les jambes.

Mon sac à dos heurte le bitume en provoquant un son mat. Un soupir se faufile entre mes lèvres. À l'accoutumée, mes parents ne se mêlent jamais de la vie que je mène. Mais cette année, après avoir terminé mon dernier examen — qui affichait par ailleurs la note maximale —, ils m'ont tout de suite fait part de leurs plans pour moi. « Pour t'aider à te sentir plus à l'aise en société, m'ont-ils dit. La vraie vie n'est pas dans les livres. »

Parler est une perte de temps. Pourquoi gaspiller son énergie à formuler des mots qui ne retranscriront jamais ce que l'on ressent réellement ? C'est difficile de claironner ce que l'on pense sans s'exposer aux regards chargés d'incompréhension, aux mines inquisitrices. On se retrouve toujours face à des lèvres qui se retroussent en un rictus railleur, prêtes à éructer des paroles crues et mordantes. Prêtes à rétorquer contre nos mots qui n'ont pas été judicieusement choisis parce que l'on parle trop vite, sans réfléchir.

Je préfère réfléchir, penser. Ma voix ne porte pas beaucoup ; elle est trop fluette, trop nasillarde, trop faiblarde. Elle articule mal, bredouille et flanche, n'impose pas suffisamment. Personne ne m'écoute, et je ne le sais que trop bien. Personne n'écoute une voix qui ne se fait pas entendre. Je ne leur en veux pas, à tous ces gens. Quelque part, je les comprends. C'est difficile de prêter attention à une chose aussi futile et inaudible, alors que l'on est constamment entouré de ces timbres puissants, porteurs de messages forts.

Peu importe. Une fois encore, ma voix n'a pas fait mouche. Cette fois-ci, pourtant, j'aurais apprécié qu'on l'entende. Si mes parents m'avaient écouté, je ne me serais pas retrouvé inscrit à un camp de vacances. Et pas n'importe quel camp, non. Un camp de scouts. De jeunes qui s'époumonent pour ne rien dire, qui se meuvent pour se dépenser, qui crient des chansonnettes égrillardes — mais pas trop quand même, il ne faut pas oublier les marmots. Ils portent des noms à coucher dehors, censés refléter leur comportement et leur personnalité.

Porter un nom avilissant, quel rêve ! Enfin, ils ne portent pas tous des sobriquets d'animaux. Au mieux, je me coltinerai un nom en affiliation avec « intello », au pire, ce sera « La Taupe », comme le surnom qu'on me donnait en primaire. Ces enfants-là feraient mieux d'économiser leur salive pour proférer autre chose que des ramages, eux qui ont une voix qui se fait entendre.

— Seungmin Kim !

Je tressaille légèrement en entendant mon nom, écorché bien sûr. Une fois encore, je me suis perdu dans mes pensées. Je lève la main sans afficher d'émotions. Le surveillant balaie du regard la petite troupe agglutinée devant le bus. Sa petite taille l'empêche d'apercevoir les personnes situées tout derrière, ce qui le pousse à se dresser sur la pointe des pieds. Je dois me pincer les lèvres pour m'empêcher de ricaner. Il me fait rire, avec sa démarche dégingandée, ses longs cheveux épars lui obstruant les yeux et les tics nerveux qui agitent le coin de sa bouche. Je le verrais bien au milieu de la jungle, un couteau à la main et trébuchant sur chaque racine. Le genre de ranger intrépide, mais trop maladroit pour être réellement crédible.

Ses doigts se saisissent spasmodiquement de son stylo et cochent la case de mon prénom sur sa liste. Je m'approche des portes à l'arrière du bus en jouant des coudes pour passer. Je me faufile à l'intérieur du véhicule sans que le conducteur chargé de mettre nos sacs dans le porte-bagages ne m'aperçoive. Ce n'était pas vraiment voulu, c'est seulement que je passe habituellement inaperçu. Avec un peu de chance, si on fait halte dans une ville, je pourrai m'échapper de cet enfer avant même qu'il n'ait encore commencé.

J'ignore bien pourquoi, mais je doute que cela se déroule ainsi.

Je me dirige à l'arrière du bus, à la recherche d'un siège propre. Hors de question que je m'asseye sur la banquette du fond. Cinq personnes assises l'une à côté de l'autre, et de surcroît proches des véhicules qui n'attendent qu'une opportunité pour devancer le car ? Merci bien, mais je tiens encore à ma vie. Je prends place contre la fenêtre et pose mon sac à mes pieds. Ils n'ont tout de même pas cru que j'allais laisser mes affaires avec celles des autres ?

Je sors mes écouteurs en prenant soin de les démêler. Une fois arrivés à destination, les accompagnants nous feront sans doute un petit discours en guise d'ouverture de ces deux semaines. Je grimace. Deux semaines. Quelle horreur. Deux semaines sans lire, sans dormir, sans pouvoir tranquillement me planter devant le miroir de la salle de bain pour me maquiller. Deux semaines sans une seconde de paix, à exhaler une forte odeur de sueur et de... je ne veux même pas savoir.

Une cohue de jeunes pénètre soudainement le véhicule. Je roule des yeux en constatant la fourchette d'âge : la fillette la plus jeune devait sans doute avoir six ans ; la plus âgée était dans la vingtaine. Avec mes tout juste dix-huit ans, je me situais dans la majorité des inscrits.

Lorsqu'une main se pose soudainement sur mon épaule, je sursaute violemment.

— Excuse-moi, j'peux m'asseoir ? fait une voix en appuyant sur chaque syllabe, signe qu'il récidivait des paroles que je n'ai pas entendues.

Un adolescent se tient debout dans l'allée, pointant le siège vide à mes côtés. Mon regard doit l'intimider, parce qu'il se renfrogne légèrement, les lèvres pincées. J'acquiesce machinalement sans piper mot. Un sourire éclaire aussitôt son minois, et il prend place, les bras serrés autour de son sac. J'arque un sourcil. Je ne suis apparemment pas le seul à aimer garder un œil sur ses affaires.

Pas besoin d'être Adonis en personne pour déceler la beauté gracile de ce gars. Les traits de son visage sont fins et amènes : un nez rond et délicat, des lèvres pulpeuses et rouges, une mâchoire ciselée. Des taches de rousseur se détachent sur son teint légèrement tanné par le soleil, un peu comme si l'on avait semé des étoiles sur ses pommettes. Les boucles argentées à ses oreilles et les deux piercings tavelant son pavillon réfléchissent la lumière du soleil. Ses yeux en amande sont bordés de longs cils noirs. J'exhale un soupir, éprouvant presque de la jalousie en apercevant le léger fard rose qui agrémente ses paupières. Mes parents m'ont interdit de prendre ma trousse de toilette.

L'adolescent souffle bruyamment sur la mèche brune qui a eu l'audace d'atterrir sur son œil. Le dessus de sa chevelure est relevé en chignon, le dessous ondule jusqu'à ses omoplates. Ses cheveux sont indéniablement longs ; encore quelque chose que je n'ai pas eu le loisir de m'offrir.

Il se tourne brusquement vers moi, les joues cramoisies. Il a dû remarquer que mon attention est capturée par son visage.

— Euh... Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?

Sa voix tremble ; elle est mal assurée, respire l'inconfort qu'il ressent. Mais néanmoins, sa raucité dissimule son manque de confiance. J'ai toujours admiré ce genre de timbre éraillé et profond, et cependant plaisant à écouter. Sa voix est ainsi, caverneuse et suave. Et elle ne vibre d'aucune insinuation, seulement d'appréhension.

Ce gars est tellement transparent que je peux lire en lui à livre ouvert. Ses traits reflètent le moindre soupçon de ses émotions.

— Tes yeux, dis-je crûment.

Ceux-ci s'écarquillent, alors que son visage vire à l'écarlate. Je ne saurais dire si c'est dû à mes paroles, ou à leur timbre monotone et nasillard. Je le vois, il est incertain de la signification de mes mots. Il grimace avec dépit ; peut-être croit-il que je considère le maquillage inadapté pour un homme. Pour l'arracher à son embarras, je crois nécessaire de renchérir :

— Je savais pas qu'on avait le droit de mettre du maquillage. Mes parents m'ont interdit de prendre le mien parce qu'ils pensent que la forêt n'est pas du tout un lieu approprié pour ce genre de truc.

Un léger sourire s'étire sur les lèvres de mon vis-à-vis. Ses prunelles pétillent. Il est adorable sans faire le moindre effort.

— Ma mère m'a laissé le choix : le natel ou le maquillage. J'pense pas qu'elle se doutait de ce que j'allais prendre, ricane-t-il. Mais j'suis pas bête. Y'a pas de réseau, là où on va.

Des ridules apparaissent au coin de ses yeux de biche alors qu'il rit à ses paroles. Je ne parviens d'ailleurs pas à réprimer le sourire qui fleurit sur mon visage.

— Au fait, moi c'est Felix, se présente-t-il. Et toi ?

— Seungmin.

— Oh, tu es Coréen ? Mes parents le sont, donc j'ai des origines coréennes aussi. Mais j'parle pas coréen. Genre, pas du tout. Mais j'pense que je pourrais arriver à prononcer ton nom sans l'écorcher.

Son flot de paroles me fait rire. Felix est particulier, comme gars. Si j'ai de la chance, il me tiendra compagnie durant cet affreux séjour. J'espère seulement qu'il n'est pas du genre à se débarrasser de ses amis aussi facilement qu'il s'en fait.

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Hi ! ✨
Bienvenue dans cette mini-fic clichée et sans prise de tête !

J'ai écrit le point de vue de Seungmin, et Celesta_ celui de Chan ! Et pareil pour les dialogues x)

J'espère que vous apprécierez 💛

~ ChronoStay 🌻🐝

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