XXX.
Parce que je t'aime.
Ça va faire maintenant plus d'une demi-heure que je patiente dans ce parc désert de toute présence, humaine ou surnaturelle. Je lui ai donné rendez-vous à vingt et une heure pile et il se fait toujours attendre alors qu'il est maintenant vingt et une heure vingt. Dépité, je lâche un long soupir avant de me laisser tomber durement sur un banc situé juste derrière moi, sortant mon téléphone. Aucun message, donc aucune réponse à la petite dizaine que je lui ai envoyée précédemment. On va dire qu'en ce qui concerne Nathan je suis plutôt collant, voir même carrément lourd quand je suis bourré ou complètement dans les vapes. En effet, c'est à ce pauvre petit lycéen innocent que mon cerveau décide d'envoyer des centaines de textos, alors que mon corps altéré est incapable de choisir entre vomir ses tripes ou continuer de boire. Et à chaque fois que je décuve, j'ai horriblement honte de moi, ou plutôt de toutes ces conneries que je lui aurais envoyé la veille alors que je me bourrais la gueule à coup de bière et de cocktails amateurs. Surtout que certains d'entre eux sont vraiment... comment dire, olé olé ? en sachant que sobre je suis plutôt extraverti, alors bourré je vous explique même pas ! je suis capable de sortir un milliard de conneries à la seconde sans m'arrêter.
Et c'est à ce moment précis qu'une petite tête blonde décide de faire son apparition, interrompant ma « profonde » réflexion. Il marchait silencieusement dans ma direction, les mains dans les poches de son jean pour se donner un petit côté décontracté. Inconsciemment, mes lèvres s'étirent en un large sourire qui lui est réservé puis je saute de mon banc pour accourir vers lui les bras grand ouvert. Je sais pertinemment que j'ai l'attitude d'un gamin de six ans mais je ne pas m'en empêcher, mon corps agis sans même que mon cerveau ait à réfléchir. Je crois qu'on pourrait appeler ça l'effet Nathan Millows, car dès que je suis en sa compagnie je ne suis plus vraiment la même personne. Ce que je veux dire par là c'est que je laisse enfin tomber ce masque de bad boy dépressif sur les bords pour enfin être moi, tout simplement. Il connaît une version de ma personnalité dont il est bien le seul à pouvoir se vanter de pouvoir profiter. Une fois que j'arrive à son niveau je me jette sur cette pauvre créature sans défenses, le faisant prisonnier de mes bras. Un rire cristallin s'échappe de son adorable bouche et il me rend finalement mon étreinte. J'aurai pu passer ma vie dans cette position si rassurante, son corps frêle et chaud serré contre le mien, enfonçant mon nez dans son cou pour humer son odeur unique au monde. Je le vois rougir d'ici, chose qui lui arrive très souvent quand je suis avec lui. C'est juste trop mignon d'ailleurs, qui pourrait bien résister face à cette bouille de hamster alors qu'il essaye de cacher sa gêne évidente ? pas moi en tout cas, je n'ai qu'une envie c'est de le séquestrer dans ma cave pour toujours pour qu'il soit miens jusqu'à la fin des temps... je sais qu'il y a d'autres alternatives, le demander en mariage par exemple, mais aucune n'est aussi sûre qu'un bon vieil enlèvement. Au moins je sais qu'enfermer au sous-sol de ma maison personne ne pourra jamais me le voler... enfin non, on va éviter ça parce que j'ai pas particulièrement envie qu'il rencontre mon père.
C'est alors que je me rappelle pourquoi nous sommes là, la raison pour laquelle je lui ai envoyé une bonne centaine de messages, la chose si importante que j'ai à lui dire. Je me détache de Nathan, certainement un peu trop vite qu'habituellement car il me lance un regard interloqué. Je prends sa main et le guide doucement vers le banc, sur lequel nous nous asseyons. Il entrelace délicatement nos doigts et sans même réfléchir je le laisse faire, écartant les miens pour que les siens puissent se glisser entre mes jointures. Je suis le pire des bâtards sur cette terre. Ce que je suis en train de faire est affreusement égoïste, comment j'ose être tendre avec lui alors que je m'apprête à larguer une bombe qui va le détruire à coup sûr ? Non, la question c'est pourquoi est-ce que je suis sorti avec lui, tout en sachant de quelle manière ça allait se finir. Pourquoi est-ce que je continue à lui faire espérer des choses alors que je m'apprête à tout arrêter ? la vérité c'est que j'en sais absolument rien.
Ce jour-là, quand il m'a confessé ses sentiments, j'ai juste été incapable de lui dire qu'ils n'étaient pas réciproques. J'aurai pu trouver n'importe quoi comme excuse, lui dire que j'étais hétéro, que je sortais déjà avec quelqu'un, que je l'aimais pas... mais le seul mot que suis parvenu à articuler fut « oui ». Oui je crevais d'envie de le prendre dans mes bras, d'embrasser sa peau qui avait l'air si douce, de le tenir par la main devant tout le monde, de lui faire l'amour tendrement tous les soirs. J'en rêvait depuis qu'il avait franchi le portail du lycée, il obsédait mes pensées à un tel point que j'en devenais fou. Et finalement comme un con j'ai cherché à enfouir mes sentiments au plus profond de moi. Ces petits merdeux étaient tellement fort que je ne supportais pas de voir quiconque s'approcher un peu trop près de mon Crush. Je me suis donc mis à flirter avec tout ce qui bougeait, fille ou garçon d'ailleurs. Je couchais avec parfois, mais c'était des histoires faciles, sans attaches ni sentiments que me permettaient juste d'oublier un instant. Je considérais ces aventures un peu comme des lots de consolation, étant donné que je pouvais pas avoir l'homme de mes rêves autant profiter de ce qui m'était gracieusement offert non ? car pour moi il était évident que ce petit être si pur ne pourrait jamais aimer un con drogué et alcoolique comme moi, je suis sûr que même un cannibale refuserait de goûter à ma chair pourrie. Alors quand j'ai su que mes sentiments cachés étaient réciproques, j'ai carrément pété un câble et mon cerveau a dû faire la danse de la joie au moins un millier de fois. J'ai eu mal au crâne pendant au moins une semaine après ça.
Mais au final je savais que je ne pourrai pas rester avec lui. Je lui ferai trop de mal et je serai juste incapable de le voir souffrir constamment par ma faute. Parce que comme je l'ai dit précédemment je suis accroc à un tas de merdes illicites, c'est la seule chose qui me permet de décompresser un peu dans ma vie. Une vie dans laquelle je suis seul face à un monstre qui cherche à me nuire dès que je pose un pied ans sa demeure. Car ma maison ne l'est plus depuis longtemps, désormais c'est juste le repère d'une ordure qui n'a pas supporté que son fils soit une tapette et qui se sert de ça comme justification pour tous les coups qu'il lui porte.
Si j'avais su que tu serais une tarlouze je t'aurais tué à ta naissance ! tu crois peut-être que tu mérites de vivre, mais les pédés dans ton genre ont pas leur place dans ce monde. T'es juste une erreur de l'univers, un peu comme un nuisible qu'on doit exterminer.
Qu'est-ce que t'as à pleurer p'tit con hein ? j'peux savoir ? si t'étais pas qu'un sale suceur de queue j'te parlerai pas comme ça. Si t'avais pas choisi d'insulter toute notre famille et nos ancêtres on en serait pas là. Alors ferme ta sale gueule et dégage dans ta chambre !
C'est le genre de discours qu'il peut me sortir quand il rentre pas frais du bar de l'autre côté de la rue, quand il empeste l'alcool à en faire péter un éthylotest. Ouais mon père aime picoler autant qu'il aime m'en mettre une je suppose. J'en suis venu à me laisser pousser les cheveux pour cacher les marques noires qui restent sur mon visage, mettre des vestes même en été pour dissimuler les cicatrices qui ornent mes bras. Je déteste mon père, c'est la pire des créatures qui soient. C'est à cause de cet enfoiré que j'ai envie de crever, de m'ouvrir les veines et de laisser mon sang se répandre sur le carrelage de la salle de bains. Que je fume à la sortie du lycée et me bourre la gueule avec d'autres ados aussi désespérés que moi. La seule chose qui me permet de survivre dans mon monde d'horreur et de cauchemar c'est Nathan, la lumière au bout du tunnel de ma douleur. C'est pour lui que je résiste aux coups, que j'essaie de jeter mes joins et que j'évite les soirées trop arrosées. C'est aussi lui qui ramasse patiemment mes morceaux quand je fini la gueule dans le cul, qui me fait office de béquille pour que je continue à marcher quand j'en ai plus la force. Sans lui ça ferait certainement un bon moment que mon suicide serait apparu dans les faits divers. Cependant plus le temps passe et plus je réalise à quel point mon influence est mauvaise sur lui. Il s'inquiète sans arrêt de savoir si je vais bien, si je suis saoul ou si j'ai pris de la drogue, il veille jusque tard le soir pour être sûr que je sois bien couché et que je ne suis pas étendu ivre mort au milieu d'une ruelle sombre infestée par les rats. Je vois les cernes qui se creusent sous ses yeux, ses notes qui sont en chute libre alors qu'il fournit des efforts surhumains pour me faire réussir un simple contrôle de français. Il m'offre tant alors que moi je lui apporte que des emmerdes. Même sa réputation en prend un sale coup parce qu'il sort avec un junkie, la plupart de ses amis lui ont demandé de choisir entre eux ou moi. Je suis supposé le protéger mais je le détruis à petit feu. Et lui qui fait comme si de rien était, qui ne lâche pas une plainte et qui continu d'être adorable alors que je le pourris, lentement mais sûrement. Vous savez un peu comme ce fruit moisis qui contaminent ceux qui ont la malchance d'être top près de ce dernier. J'aime Nathan bien plus que ma propre putain de vie, alors si pour préserver son avenir je dois m'éloigner de la chose qui me redonne espoir je le ferais et sans hésiter. Je caresse doucement les jointures de sa main tandis que je m'apprête à dire les paroles les plus dures de toute ma vie :
- Nath', faut que j'te parle d'un truc important...
J'ai à peine le temps de commencer mon petit discours sur le pourquoi du comment qu'il me coupe la parole, lançant un regard intrigué dans lequel je décèle une pointe de peur.
- Comment ça, il t'est arrivé un truc ?
Tellement adorable, il va me faire pleurer ce blondinet avec un regard pareil.
- Non, enfin si mais c'est pas le sujet. Ce que je veux te dire c'est que je veux qu'on arrête tout, de sortir ensemble... j-je t'aime plus c'est fini.
Ça y est, j'ai lâché ma bombe. A ce moment-là je sens sa petite main chaude quitter brusquement le creux de la mienne, alors qu'il se lève du banc comme frappé par la foudre. Ses yeux crachent mille émotions, de la rage, de l'incompréhension, du dégoût mais surtout de la tristesse. Des larmes commencent à perler et menacent de dévaler ses joues.
- C-comment tu peux me dire ça Will ?! non... c'est pas possible tu délire t'as dû prendre un truc qui te fais dire des choses que tu penses pas... dis-moi que c'est ça ! que tu me quitte pas... si-s'il te plaît... non...
Des sanglots viennent alors obstruer ma gorge et sur le coup je suis incapable de répondre. J'ai envie de lui crier que je l'aime plus fort que tout et de le prendre dans mes bras pour le consoler, le rassurer. Lui dire que je ne veux que son bonheur, que la seule chose qui ai le droit d'apparaître sur son visage c'est un sourire. Sauf que je peux pas, je dois absolument le sauver et pour que ce soit possible il doit penser que je ne ressens plus rien pour lui. Pour qu'il ne puisse pas vouloir revenir en arrière. Alors je mets ma douleur de côté comme je sais si bien le faire et je m'efforce de parler d'un ton neutre, vide de tous sentiments.
- Non, j'ai rien pris. Je te dis juste la vérité, que j'ai plus besoin de toi. Je t'aime plus c'est fini, mes sentiments se sont évanouis. Alors s'il te plaît ne complique pas le choses et essaie de comprendre.
Sa main atterrit violemment sur ma joue. La gifle fut tellement forte que le « clac ! » retentit dans tout le parc. Si nous avions été en pleine journée, les passants se seraient retournés et nous auraient dévisagé avec curiosité. Désormais les larmes coulent à flot le long de ses joues rougies et il ne cesse de renifler en me répondant. Ma gorge est si serré que j'ai peine à croire que l'air y passe encore. Cette vision de lui en proie à tant d'émotion me dévaste complètement, il est si fragile dans le fond. Il fait le fort face à moi pour ne pas perdre la face ni sa dignité mais il ne tromperait même pas un aveugle. Je serre les poings, si bien que mes ongles rentrent dans ma chair. C'est la seule chose que j'ai trouvé pour m'empêcher de me jeter sur lui et essuyer ses larmes qui dévalent ses pommettes avec abondance sans jamais vouloir s'arrêter. Il se met ensuite à crier, si fort que sa voix transperce littéralement mon cœur, telle une flèche empoisonnée.
- NON ! TU PEUX PAS ME FAIRE CA WILL ! JE CROYAIS QUE TU M'AIMAIS ! c'est un cauchemar, par pitié dites-moi que c'est un cauchemar...
Je crois que je vais vomir. Ses paroles me retournent l'estomac si violemment que je ne pensai pas que c'était possible. Si seulement tu savais Nathan à quel point ce que tu penses est faux... je t'aime juste trop pour te faire souffrir autant. Alors la seule solution c'est que je finisse de t'achever pour que tu puisses prendre un nouveau départ. Sans élément tel que moi pour gâcher ta vie. Le silence dura quelques minutes, et seuls ses sanglots et les battements irréguliers de mon cœur vinrent le perturber. Puis j'estime que tout ça avait assez duré. Je me lève et le contourne lentement, en essayant de ne pas le toucher, avant de prendre difficilement la direction de la tanière de mon monstre. Je l'entends hurler mon prénom de toutes ses forces, ses cordes vocales se déchirer, et pourtant je ne me retourne pas. Je me concentre sur ma respiration, sur ma démarche qui doit être la plus naturelle possible. Chacun des pas qui me sépare de l'amour de ma vie est un pas de plus qui me rapproche du désespoir. Une fois que je suis assez loin je m'arrête brusquement et m'accroupis tandis que ces larmes que j'ai eu tant de mal à retenir dévalent me joues comme des torrents. Je me tire les cheveux, gémissant alors son prénom. J'ai juste envie de hurler, de faire demi-tour et de lui dire que j'ai menti. Que j'ai dit tout ça pour le protéger de moi, de ma pourriture qui allait contaminer son âme si pure. Au bout de quelques instants à rester comme ça, je m'autorise finalement à jeter un regard en direction de l'endroit d'où je viens, réalisant alors qu'il était parti. Ça y est, c'est fini. Nathan et moi ne sommes plus ensemble et après ce que je viens de lui faire il ne voudra certainement plus jamais me voir ni me parler. Je m'étais préparé mentalement à ça mais le vivre c'est encore autre chose, de bien pire encore que les effets de l'alcool ou les coups de mon géniteur. La douleur n'était pas passagère, non celle-ci s'immisce dans ma tête et descend jusque dans mon cœur. Mais au fond de moi je sais que j'ai pris la meilleure décision pour lui. Désormais il pourra revivre, sans avoir à s'inquiéter sans arrêt pour un petit copain drogué incapable de montrer sa gratitude.
Car je le savais dès le départ que tout allait se finir comme ça. Notre amour ridicule était juste impossible, c'était sûrement écrit quelque part dans ma destinée. Les dieux en haut devaient bien se marrer à voir leurs gentilles marionnettes endurer toutes leurs épreuves sordides et se faire du mal mutuellement. Ils devaient certainement adorer les faire souffrir jusqu'à ce qu'elles s'ouvrent les veines et crèvent. Dans la solitude, l'alcool, la drogue et le cœur en miettes.
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