XLIII. Désillusion.


          Tu étais une personne simple, un anticonformiste qui disait que l'âge n'était pas une limite, un rockeur dans l'âme... La première fois que je t'ai rencontré par le biais de mon père que tu connaissais depuis une trentaine d'années déjà, je l'avoue, j'ai eu un peu peur de toi. Toi et tes tatouages, toi et ton vocabulaire bien garni, toi et tes blagues douteuses, toi et ton franc parler. Et puis, au fur et à mesure, j'ai commencé à t'apprécier et à t'adorer. Tu as été comme un déclic pour moi. J'ai commencé à m'assumer, à décoller cette étiquette qui me suivait depuis longtemps déjà et je suis devenue quelqu'un d'inclassable. Un ovni, une anticonformiste avec des idées bien arrêtées, qui ose donner son avis et qui se démarque. Tu as fait de moi quelqu'un que j'apprécie enfin.

Tu étais comme un soldat, une relique là depuis toujours, un monument historique. Tu ne changeais pas d'années en années, tu étais un bon vivant et tu ne te ramollissais pas avec le temps.

Et puis, tu as fait beaucoup de choses pour moi. Tu m'as emmenée à mon premier concert de hard rock, c'était un tribute d'AC/DC, ton groupe préféré et le mien aussi. Puis tu as fait à manger pour mon anniversaire... Tu étais toujours là.

Avec le temps, on te voyait de moins en moins et mes parents s'en fichaient un peu. J'avoue que à un moment, j'ai arrêté d'y penser...

Et puis, il y a eu ce jour où j'étais confortablement assise dans mon lit en train de dessiner. Ma mère est rentrée calmement dans ma chambre avec les yeux rouges et je lui ai demandé ce qu'il se passait.

Tu venais de partir.

Oui, tu es parti brusquement, sans me donner d'explications. Tu es parti du jour au lendemain, sans le vouloir. Une mort brusque, tout ça à cause d'une voiture. Tu as laissé derrière toi des amis anéantis, une famille inconsolable et une femme détruite. Elle te connaissait depuis que vous aviez treize ans...

Au début, je n'y croyais pas, j'ai ris en disant que ce n'était pas le genre de blagues à faire à quelqu'un, puis quand je me suis fait engueulée, j'ai compris que ce n'était pas une blague. Tu n'étais vraiment plus là.

Et je n'ai rien ressentis.

Rien du tout, aucune larme n'a coulé, j'avais envie de rire. Cela ne me touchait absolument pas. Je me suis traitée de monstre parce que je n'avais aucun sentiment, je m'insultais intérieurement du fait de ne pas avoir de cœur. Je me demandais si j'étais normale, j'ai appelé une amie en urgence pour lui en faire part. Je n'étais pas normale. J'avais l'impression de regarder un mauvais film vous savez, ce genre de film nul, sans sentiments dans le jeu d'acteur. Le problème est que je sais pleurer devant des mauvais films. Je pleure devant des morts de personnages que j'aime, je pleure dans un moment triste, je ressens les sentiments.

Et là, rien du tout.

Je pensais être une personne compatissante et compréhensive. Ta disparition m'a fait devenir encore plus froide qu'avant, je ne mérite même pas mes amis tellement je suis distante.

Souvent, je pense à toi, je me dis que je te verrai demain, sur la place du Vieux en train de boire une Chouffe et en insultant les je cite « serveurs avec un balais dans le cul qui mériterait qu'on l'enfonce plus loin pour les décoincer ». Je te vois à un concert de Iron Maiden, au premier rang en train de chanter les paroles à tue-tête, je te vois devant tes fourneaux en train de faire des cougnous, je te vois avec ta femme au nouvel an, je te vois dans la piscine, entouré de tous tes amis. Je te vois encore toi et tes valeurs, toi et ta musique, toi et ton caractère.

Je te vois mais je ne ressens rien.

Et quand on me l'a annoncé, je ne ressentais rien aussi.

J'étais une coquille vide.

Et je le suis encore.

Mais ne t'inquiète pas.

Je pense à toi.


M.



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