LXXIV. Peur.


J'ai une peur.

Pas une petite.

J'ai vraiment très très peur.

Pas au point d'aller jusqu'au niveau de la phobie.

Quoique.

Mais de quoi ai-je peur ?

Du temps.

Il passe trop vite.

J'ai l'impression de ne rien faire de mes journées, de passer mon temps assise sur une chaise à regarder le plancher vieillot d'une salle de classe, à écouter un prof au discours soporifique, à rire aux mêmes blagues, à effectuer les mêmes gestes, à refaire les mêmes fautes.

Pourquoi quand je me pose juste cinq minutes, trois heures me filent sous le nez ?

Pourquoi est ce que le temps va si vite ?

J'ai peur.

Peur de passer à côté de quelque chose, peur d'aller trop lentement, peur de ne pas savoir le temps qu'il me reste.

Peur de ne pas avoir le temps.

Je passe mon temps à rabâcher mes souvenirs d'enfance, à penser à mon passé alors que je ne peux plus y toucher. Le mal et le bien sont déjà fait, il n'y a aucun bouton «reset» dans la vraie vie.

Il y a juste un bouton «end».

Et ce bouton c'est la mort.

Qui un jour arrivera.

Parce qu'on aura plus le temps.

On sera vieux et fripé.

La triste réalité de notre image nous reviendra en pleine figure.

La dureté de la vie s'installera à vie dans nos yeux.

Tout ça je le sais.

Mais j'ai peur.

J'ai déjà gaspillé quatorze ans de ma vie.

C'est peu pour certains.

Pour moi c'est énorme.

Je ne veux pas devenir adultes et voir les années s'enchaîner comme une mauvaise routine.

Je ne veux pas devoir souffler mes bougies entre deux réunions et une sortie d'école.

Moi je veux de l'action.

Pas grand chose.

Un petit peu, juste pour mouvementer le tout.

Quelque chose de pur et doux.

Un amour.

C'est niais, je sais.

Mais j'en ai cruellement besoin.

Le matin, des bras chauds qui m'enlaceraient.

Le midi, quelqu'un qui m'appellerait en me glissant un petit «Je t'aime».

Le soir, de la compagnie en rentrant.

La nuit, une présence à mes côtés.

J'aimerais me réveiller et que le temps s'arrête.

Je serai libérée de ce poids qu'est le temps.

Les années, mois, jours, heures, minutes et secondes.

Ces unités horribles qui me font perdre du temps.

De mon temps.

Quand on y pense, c'est une des rares mesures que l'on n'arrive pas à maîtriser.

Le volume, c'est simple.

Les mesures aussi.

Mais le temps...

À part le mesurer, on ne sait pas y toucher.

Nous ne pouvons pas le modifier.

Et ça me fait peur de ne rien contrôler.

Parce que je me sens impuissante face à ce torrent qui nous emporte vers la vieillesse.

C'est un très long tunnel vers la mort, parce que c'est la seule issue.

Notre vie est une énorme Ligne Verte.

J'aime ce film.

Mais je n'ai pas le temps.

J'ai peur.

Je n'ai pas envie de mourir avec une impression de vide et d'incompétence.

Je me sens nulle et vide.

Je veux savoir quelle heure il est.

Tout le temps.

C'est un tic.

J'ai besoin de savoir combien de temps il me reste avant la fin du cours, avant la pause, avant la fin de la journée, avant la fin de mon trajet, avant le début de mes devoirs, avant l'heure de dormir.

J'aime dormir.

Je n'aime pas dormir.

Ça me répare.

Mais je perds du temps.

Beaucoup de temps.

Trop de temps.

J'aimerais que mes nuits durent des jours pour pouvoir faire tout ce que j'aime durant la nuit.

Le soir, je n'ai pas envie de dormir, je sais que je vais gaspiller de précieuses heures durant lesquelles je pourrais faire les choses que je n'ai pas le temps d'effectuer durant ces journées beaucoup trop courtes.

L'école est finie, je prends mon bus, je marche, je rentre, je travaille, je mange, je me détends deux minutes.

Et je regarde l'horloge.

C'est déjà l'heure de dormir.

Pourquoi est ce que tout passe si vite ?

Je passe mes journées à travailler et à déprimer.

Du coup, je me rattrape la nuit.

Tout ce que j'ai envie de faire, je le fais quand il fait noir et que la ville s'éteint.

J'écris.

Je ris.

Je pleure.

Je joue.

Je pense.

Je lis.

Je m'amuse.

Seule.

Seule.

Seule.

Et puis, le lendemain je suis une épave.

Je me rends compte de la tête que je montre.

Je suis triste.

Mélancolie.

Je ne veux pas que les autres s'en rendent compte.

Alors je souris.

Parce que c'est la seule chose qu'il me reste.

Ce masque d'argent, ficelé de toute pièce par mes propres mains.

Cette façade épaisse et efficace.

Je divague.

J'étais sensée parler du temps et je me retrouve à parler de moi.

Je ne sais même plus ce que j'écris.

Qui je suis.

Où je vais.

Ce que je fais.

Mais je sais une chose.

Ce chemin qu'est la vie, je l'emprunte encore et toujours seule.

Seule.

Seule.

Seule.



M.


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