LXVII.
Cher vous,
Je suis exténuée.
J'ai toujours été assez terre à terre, assez lucide, pour savoir que la douleur passerait avec le temps. Je l'avais compris : tout problème a sa solution, toute blessure a sa cicatrice. Ainsi, à chaque doute, chaque vacillement, chaque fois que le ciel m'écrasait et que la douleur me coupait le souffle, je prenais un instant dans le chaos pour me demander : Aurais-je toujours aussi mal dans dix ans ? Me rappellerais-je même seulement la cause de ma douleur, son origine ? Souffrirais-je encore de ce garçon à qui je ne plaisais pas ou de cette amie qui n'en était finalement pas une ? Non. Penser de cette façon, être réaliste dans les moments où j'étais accablé de douleur m'a permis de me remettre de n'importe quelle chute, peu importe la hauteur, peu importe la désillusion. Mes blessures se sont alors transformées en cicatrices, me rappelant que, même si la souffrance n'est plus, la leçon sera encore. Cette lucidité, cette clairvoyance, c'était depuis toujours ma sortie de secours, mon échelle pour remonter des bas-fonds, alors, comment réagir lorsque la force devient faiblesse ? Lorsque l'on a justement trop conscience que la blessure ne cicatrisera pas, qu'elle continuera de saigner à flot sans que le temps n'y puisse rien ? Quand même dans dix ans, la souffrance sera intact, parfois même plus vive, plus frappante ?
Je suis exténuée de subir ces souffrances qui n'ont pas de fin, de regarder quelqu'un dépérir d'une maladie incurable. Ma lucidité est mon ennemi : je sais bien trop que le temps joue contre nous et que l'arrêter est impossible. Sept années passées à le regarder périr sous la maladie, à le regarder changer, le regarder devenir une toute autre personne que celle qui m'a élevé, qui m'a offert tant d'amour, tant de tendresse. Sept années passées à regarder le temps emporter son caractère, son talent, sa faculté de marcher, de parler, de réfléchir. Sept années à craindre que ce jour soit le dernier et à espérer que demain le soit pour ne plus avoir à assister à ce funeste spectacle. Sept années d'impuissance et de souffrance infinie. Sept années à voir chaque jour le visage de l'homme qui m'a élevé, me rappelant chaque fois qu'il ne sera plus jamais lui. Sept années aux côtés de son ombre. Voir son visage, entendre sa voix qui n'arrive plus à placer les mots correctement entre eux, tout en sachant qu'il ne sera plus jamais celui qui me racontait des histoires avant de dormir, qui venait m'embrasser pour me dire en revoir, celui qui me peignait en de magnifiques tableaux et qui céder toujours à mes caprices d'enfant. Le voir chaque jour tout en sachant que je ne le verrai plus jamais, que je l'ai perdu trop tôt, quel supplice. Un père et sa fille si proches et si durement séparés par la maladie qui s'aggrave avec le temps. Le père que j'ai connu, le père pour qui j'aurais donné ma vie, s'éloigne de jour en jour. Il n'est plus là. Il reste son corps, son visage, sa voix, mais il n'est plus là. Ne reste plus qu'une coquille vide qui me rappelle chaque jour ce que j'ai perdu, ce que je n'aurais plus jamais, les moments qu'on a vécu et les souvenirs que l'on ne créera plus. Une souffrance quotidienne, qui s'immisce chaque seconde un peu plus dans mes veines, qui ne se finit pas. Un saignement faible mais constant, une douleur sourde qui ne cesse jamais.
Je suis exténuée d'une réalité trop cruelle, d'un temps ravageur et d'un esprit qui ne laisse place à aucune illusion...celle de le retrouver un jour.
Anonyme.
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