2. A force de s'y frotter on s'y pique
Lorsque le vendredi pointe le bout de son nez, Ludmila ne peut qu'être heureuse. Le vendredi sonne comme un temps mort pour elle, elle peut alors dire au-revoir aux moqueries, aux rires, aux attaques perpétuelles de Mélusine. Ce jour de la semaine sonne à ses oreilles comme une douce mélodie qu'elle apprécie de plus en plus. Evidemment, sur une semaine de cours composée de quatre jours et demi, elle arrive à disparaitre aux yeux de tout le monde. Le vendredi, Ludmila se lève de bonne humeur et ne traine pas les pieds pour aller en cours, journée exceptionnelle comportant exceptionnel. Cela en va de même pour sa mère, qui choisit le vendredi pour pouvoir endormir et manipuler comme bon lui semble à l'abri des regards.
Pourtant, ce vendredi n'est pas comme les autres. L'automne a décidé de pointer le bout de son nez aujourd'hui, appelant les nuages à cacher le soleil, le vent à se lever, la pluie à tomber. Est-ce l'arrivée de l'automne qui a poussé Mélusine à s'en prendre à Ludmila ? Probable, il paraît que l'hiver peut rendre une personne dépressive, l'automne peut rendre une personne agressive ?
Il est à peine quatorze heures quand Ludmila se retrouve confrontée à sa pire ennemie pour la troisième fois de la semaine, ou plus. Les toilettes de l'école sont l'endroit parfait pour s'en prendre à quelqu'un sans que personne ne s'en mêle. C'est dans cet endroit à l'odeur nauséabonde, un mélange entre les égouts, la moisissure, les différents parfums des filles de l'école. Les chaussures claquent contre les carreaux froids et humides, elles glissent même parfois.
Ludmila pousse la porte des toilettes, prise d'une envie pressante lorsqu'elle se retrouve nez à nez avec Mélusine et ses copines. La scène ressemble fortement à celle d'un film, Mélusine penchait vers le miroir crasseux des toilettes pour une retouche maquillage tandis que ses amies, ses larbins, lui proposent un samedi shopping pour le bal de la rentrée. Avec une synchronisation parfaite, les trois filles tournent la tête vers la porte.
- Ludmila tu tombes à pic, dit Mélusine en se redressant.
La technique de Mélusine est de commencer par un grand sourire, un grand et faux. Ensuite, elle fait signe à ses deux copines de se mettre en place, croisant les bras contre sa poitrine et réfléchissant surement à ce qu'elle pourrait bien dire. Elle doit être à court d'idées à force de s'en prendre à Ludmila depuis tant d'années. C'est ce qu'il se passe parfois, elle préfère feindre ne pas vouloir y aller trop fort avec elle, donc elle quitte la pièce en ricanant. Malheureusement, aujourd'hui, elle a des choses à dire.
- J'ai entendu dire, par mon père, que ta mère s'occupera encore des décorations de la ville.
- Et, demande Ludmila en haussant un sourcil.
- Ta mère est à l'origine de la fermeture des trois autres fleuristes de la ville, commence Mélusine en roulant des yeux. Ce n'est pas dû à la concurrence, mais aux menaces qu'elle envoie aux propriétaires.
Paranoïaque, c'est exactement l'adjectif qui correspond à la situation et à l'ennemie. Selon Natalia, si les autres fleuristes ont fermé boutique ce serait à cause des délais de livraison trop long, des oublis, du manque de modernité et d'évolution. La jalousie de Mélusine se reflète dans son regard et à travers les accusations qu'elle lance.
- Bizarrement, les plaintes déposées par ces mêmes personnes se seraient volatilisées, poursuit-elle. Ce ne serait pas un drôle de hasard ? Trois plaintes, trois disparitions.
- D'ailleurs plus personne n'a revue les propriétaires, ajoute Mélodie en mâchouillant son chewing-gum.
- Nous, on n'aime pas ce genre de personnes tu vois, menace Mélusine. Si ta mère termine en prison pour meurtre, tu vas faire quoi ?
- Non mais t'as pas l'impression de débloquer là, demande Ludmila en soupirant. Ma mère a du talent, et c'est ce talent qui a effrayé les autres.
Mélusine s'approche d'elle, thermos de café dans une main et sac dans l'autre, la regardant droit dans les yeux. Finalement, aujourd'hui, elle ne souhaite pas l'humilier verbalement comme elle a le don de le faire à chaque fois. Cette fois-ci, la fille du préfet préfère l'accuser, viser sa famille. Comme une vraie détective, elle espèce soutirer des informations à sa cible.
- A chaque fois qu'un nouveau fleuriste souhaite s'installer en ville, il finit par trouver une excuse des plus idiotes ou encore par ne jamais donner de nouvelles, reprend Mélusine. Ta mère est derrière tout ça, et puis tu restes une sorcière aux yeux de tout le monde, ta mère doit en être une aussi.
Ludmila gonfle les joues et pointe son index vers son accusatrice. Aujourd'hui, elle ne s'en sortira pas comme ça, personne ne s'en prend à sa famille et encore moins elle.
- Et si je te refais le portrait, tu m'accuseras encore d'être une sorcière ?
- Je te ferais renvoyer du lycée, ensuite ton père devra fermer sa clinique, ta mère sa boutique et il serait dommage que ton frère se retrouve sur le banc de touche non ?
Ricanant avec ses amies, Mélusine ouvre son thermos avant de vider le contenu sur le chemisier moutarde de Ludmila. Les trois filles quittent les toilettes pour laisser leur victime seule avec sa tâche de café. Elle passe aux attaques physiques maintenant ?
- Une vraie peste.
Face au miroir, Ludmila frotte la tache de café avec une tonne de papier toilette mouillée à l'eau avant de tout balancer à la poubelle. Finalement, ce vendredi est une exception, il est d'ailleurs nul, moisi. Alors qu'elle déboutonne son chemisier pour le retourner de manière à ce que la tâche soit dans son dos et donc cachée par son manteau, la première sonnerie retentit. L'envie pressente ne peut pas attendre, tant pis elle sera en retard pour son cours de biologie, mais il y a des tâches qui se cachent et d'autres non.
Tel un ninja, Ludmila entre à temps avant que son professeur ne ferme la porte. Le sujet du jour pour ce dernier cours de la journée est aussi ennuyeux qu'un lundi matin. Etudier les cailloux. A quoi cela peut bien servir ? A rien. Dans ce genre de moment, elle préfère se laisser divaguer, regarder dehors, penser à autre chose et laisser le cours se passer sans qu'elle ne s'en rende compte.
Cette fois-ci, ses yeux vairons se posent sur une pousse de lierre. C'est une plante qui n'est pas utilisée que pour la décoration extérieure ou intérieure. Le lierre est une plante permettant de dépolluer l'air en captivant les composants polluants. Chez elle, chaque pièce presque comporte du lierre, dans un pot accroché au mur qui permet à la plante de pendre en toute liberté.
Lentement, la tige se tourne vers Mélusine qui se trouve sur le tabouret à côté du rebord de la fenêtre. Avec élégance, elle pousse, encore, encore et encore jusqu'à devenir une longue tige de lierre couverte de feuilles. Les yeux de Ludmila s'écarquillent, en l'espace d'une minute la pousse devient une longue tige d'environ soixante centimètres qui vient gifler la joue gauche de Mélusine avant de reprendre sa taille d'origine.
- Aïe !
La lycéenne bondit de son tabouret, la joue rougit par l'attaque du lierre. Cette interruption du cours par Mélusine fait rire la classe, mais beaucoup moins le professeur qui lui ordonne de reprendre sa place et de se taire.
- Mais Monsieur, s'agace Mélusine. Cette plante vient de m'attaquer ! Regardez ma joue !
- Mademoiselle Bruyard, merci de reprendre votre place et de ne plus interrompre le cours, ordonne pour la seconde fois Monsieur Biogard. Interrompre un cours pour vous faire remarquer mérite une heure de colle.
- Quoi, s'offusque Mélusine avant de pointer Ludmila du doigt. C'est elle, c'est la sorcière qui vient de faire pousser ce truc vert en quelques secondes pour me gifler !
La sonnerie annonce la fin du cours quand le professeur tend un coupon d'heure de colle à Mélusine. C'est bien la première fois que cette dernière se met un professeur sur le dos et Ludmila ne peut que se réjouir de cette scène. Discrètement, profitant des remontrances de Monsieur Biogard à l'encontre de Mélusine, tous les élèves quittent la salle de classe. La sonnerie vient d'annoncer le week-end, mais Ludmila a du mal à s'en réjouir. Est-elle vraiment responsable de ce qu'il vient de se passer ? Comment cette plante a fait pour pousser d'un coup et surtout comment a-t-elle fait pour gifler Mélusine en toute impunité ?
*
Sous une pluie battante, protégée par son parapluie jaune poussin qui tranche avec le gris du ciel, Ludmila marche en direction de sa maison. Le vent parvient à s'engouffrer sous l'armature en toile pour venir fouetter son visage légèrement arrondi. Il cherche, en vain, à retourner le parapluie pour permettre à la pluie de mouiller la chevelure rousse qui se trouve en dessous. Un jeu ennuyeux et agaçant auquel le vent et la pluie aiment se livrer.
Après de longues minutes de lutte à éviter les gouttes de pluie, à sauver son parapluie en l'inclinant vers l'avant pour que le vent cogne dessus et non dessous, à faire en sorte d'éviter les flaques d'eau, elle arrive enfin chez elle. Un long soupir de soulagement quitte ses lèvres tandis qu'elle referme son parapluie et quitte ses chaussures.
- Je suis rentrée, crie la lycéenne de l'entrée.
Son manteau accroché, son parapluie rangé et ses chaussures retirées, Ludmila entre dans le salon pour y laisser son sac avant de rejoindre sa mère dans la cuisine. Celle-ci l'accueille avec un grand sourire et son quatre heures sur l'îlot central.
- Comment s'est passé ta journée ma chérie, demande Natalia tout en lui servant du thé.
- Et bien pas comme chaque vendredi, répond Ludmila en attrapant un cookie. Mélusine a décidé de s'en prendre à mon chemisier et à toi.
- A moi, demande sa mère en fronçant les sourcils.
- Yep, répond sa fille. Elle t'accuse d'avoir menacé les anciens fleuristes de la ville à partir, mais aussi d'avoir menacé ceux qui souhaitent s'installer à leur place. Mélusine est persuadée que si tu t'occupes de nouveau de la ville c'est parce que tu fais des trucs illégaux. Bref, du Mélusine tout craché.
Natalia soupire avant de s'installer sur la chaise haute près de sa fille.
- C'est vrai que tout ce qui arrive peut porter à confusion, commence Natalia. C'est normal que Mélusine se pose autant de questions, j'arrive à tout gérer sans l'aide de personne, je suppose que ça attise beaucoup les jalousies. Du coup, j'ai fais passer des entretiens aujourd'hui pour recruter deux personnes.
- Vraiment, demande Ludmila en croquant dans son cookie.
- Oui, ils s'occuperont du magasin pendant que je m'occuperais de la ville. Tu en penses quoi ?
La jeune fille se contente de sourire avant de prendre une longue gorgée de son thé. Elle est soulagée de voir sa mère réagir ainsi avec autant de maturité. Embaucher deux personnes pour pouvoir se libérer un peu, souffler et faire taire les habitants de la ville est la meilleure chose à faire. Après tout, ce n'est pas de la faute de sa mère si elle sait tout faire toute seule et à la perfection.
- D'ailleurs, Salomon et Monlosa, poursuit Natalia. J'aimerais que tu viennes avec moi. Pendant que je les forme, tu pourrais t'occuper de certaines commandes et des clients. tu veux bien ?
- Ils ont de drôles de prénom, remarque Ludmila. Mais comment dire non à ma mère ?
Terminant sa tasse de thé, un doux sourire vient se dessiner sur ses lèvres. Le calme et la conversation posée qu'elle a eus avec sa mère s'évaporent rapidement lorsque son père et son frère entrent en se disputant de manière taquine. Tom joue au baseball depuis qu'il est tout petit, c'est à se demander s'il n'a pas appris à tenir une batte de baseball avant de savoir marcher. Son père, Hans est un passionné de ce sport, il aime soutenir son fils, regarder des matchs avec lui et surtout le taquiner. Après avoir embrassé sa femme et ébouriffer les cheveux roux de sa fille, des cheveux qu'il surnomme la crinière, Hans attrape un beignet et mord dedans.
- Humph, vous chaviez que Tom a une amoureuse, demande Hans la bouche pleine.
- Non, Tom a une autre passion que le baseball, demande Ludmila faussement étonnée. Incroyable ça, et je suppose que tu vas lui donner une tonne de bons conseils ?
Avant le dîner, Ludmila part commencer ses devoirs. Son but est de s'avancer pour pouvoir aider sa mère à la boutique le lendemain et se tourner les pouces dimanche. Un week-end est un week-end, elle aimer terminer ses devoirs le vendredi, même si elle doit y passer la nuit. Elle met ensuite la table et c'est son moment favori : nourriture, famille. Le combo ultime et parfait suite à une journée assez nulle. Mais ce soir, elle reste plutôt silencieuse, car
depuis son retour quelque chose la tracasse. Comment est-ce qu'elle a fait pour faire faire ça à cette plante ? Est-ce que c'est de sa faute ? La magie n'existe que dans les livres et les films, mais pas dans la réalité, pas dans son monde.
- Ludmila tu écoutes, demande Hans en servant sa fille de purée.
- Pardon, marmonne Ludmila.
- Tu es certaine que tu m'as tout dit Ludmila, finit par lâcher Natalia en fronçant les sourcils.
- Je crois que je me suis endormie en cours et que j'ai fais un drôle de rêve, commence rapidement la lycéenne. A côté de Mélusine, le professeur fait pousser du lierre, sûrement pour que l'on étudie les différentes capacités ou pour une expérience, j'en sais rien.
Hésitante, Ludmila raconte ce qui s'est passé quelques heures plus tôt pendant le cours de biologie. Alors qu'elle termine son récit, les petits pois tombent de la fourchette de Tom, Hans manque de s'étouffer en buvant son eau et Natalia se crispe.
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