5H45

Mes pneus crissent sur mes doigts qui pressent plus fort le frein. Mon dérapage éclate ma poitrine de peur. Je vacille mais me stabilise enfin devant l'homme qui s'est retourné sur moi. Il me regarde, ahuri. Un tel bouquant à moins de six heures du matin reste dérangeant mais il s'approche à toute vitesse.

- Oh bon sang ! Ça va ?

Mes mains tremblent mais je n'arrive pas à me défaire de lui. Je ne regarde même pas ses yeux. Je survole ce halo lumineux orangé qui émane de son corps. Il est rassurant et protecteur. Je me sens apaisée autour de lui. Et rien que de le voir me calme. Mon rythme cardiaque s'amenuit mais il pose sa main sur la mienne, m'affolant dans la foulée.

Je frémis de peur.

Le contact est ma crainte.

Je vois beaucoup trop.

Je ressens tout en une seconde et ça inonde ma gorge. Je mesure son inquiétude à mon égard mais je ne me sens qu'étouffée par ses pensées. Il pose beaucoup de questions qui termine de me terrifier. Par un seul contact, je connais par cœur cet homme que je ne n'ai pourtant jamais vu. J'enlève ma main parce que je sais ce qui vient après, et je ne m'étonne pas d'apercevoir une silhouette dans son dos. J'évite son regard, m'éclaircis la voix et hoche la tête.

- Oui, ça va merci.

- Vous êtes sûre ? Vous avez failli mourir !

« Tu préfèrerais, n'est-ce pas ? »

Je me retourne vers la silhouette d'une femme qui me toise en plissant les yeux. Elle est de forte corpulence, le visage martelé par la fatigue. Ses iris sont ternies et ils ne reflètent que le vide. Il n'y a ni joie, ni paix sur ses traits. Après tout ce temps, j'ai compris que tout ceux étant comme elle, ont perdu leur but. Elle se terre et se raccroche comme une sangsue. Elle erre autour des lieux sans espoir ni sérénité. Elles ne sont que seules et désemparés, questionnant sans cesse leur existence. Ces entités ne s'arrêtent pas de parler, et en croiser un seul par mon regard, les amène tous à moi. Je ne lui réponds pas, préférant l'ignorer pour le moment, mais ses yeux me percent autant que ceux de l'homme en face de moi. Il me fixe mais me sourit, gêné.

- Eh bien... vous avez quelqu'un qui veille sur vous alors.

« Veille ! Oui ! Veille ! On parle de toi. Ils chuchotent tous ! La voilà. Celle qui est. Celle qui doit être. Celle qui sait. Celle qui comprend. Regarde-moi ! ECOUTE ! »

- Assez !

L'homme en face de moi se recule. Je ne voulais pas l'effrayer mais le rire sinistre de cette femme ne me permet même pas de m'excuser convenablement face à lui. Je me redresse et pose ma main sur la sienne tout en sachant ce que ce contact me procure.

- Excusez-moi si je vous ai fait peur. Et oui, je crois aussi que l'on veille assez sur moi.

Un léger sourire s'esquisse et je me perds un petit instant dans ces prunelles mais la voix stridente ne cesse pas.

« Réponds-moi ! Répond saleté ! Petite ingrate ! Tu ne peux pas résister ! Regarde-moi ! »

Je m'efforce de ne pas l'écouter, ni de tourner mon regard vers elle. Je préféré rassurer l'homme qui fronce les sourcils inquiets par mon comportement. Je n'arrête pas de secouer la tête nerveusement.

- Vous voulez que je vous raccompagne ?

- Non, ne vous en faites pas. Je... vais me débrouiller seule.

- Vous êtes certaine ?

« Regarde-moi pouriture ! ET REPOND-MOI »

- C'est toi la pourriture.

- Pardon ?

Le jeune homme me dévisage mais je bredouille une excuse. Il hoche la tête et il me répond de son plus beau sourire en me disant que je devrais peut-être aller à l'hôpital. Que je dois être en état de choc. S'il savait à quel point il a visé juste. Mais tout ce que j'essaye de faire, c'est de le rassurer en évitant du regard la femme qui gesticule derrière lui. Il finit par me croire et se retourne, la traverse et rentre chez lui. La femme qui l'accompagne crie de toutes ses forces et s'avance vers lui mais elle n'y parvient pas. Elle se retourne vers moi et me hurle dessus et je sais pourquoi.

Quelques mètres plus loin, l'homme se retourne vers moi et me lance un sourire timide. Je lui rends et reste stoïque, face aux hurlements qui inondent mes oreilles.

« Lâche-moi ! Laisse-moi ! »

Je la regarde enfin et ses yeux s'arrondissent. Tout en secouant la tête doucement pour lui faire comprendre, sa colère se transforme en terreur. Je ne dis rien et l'observe, parce que je sais pourquoi elle est terrifiée comme ça.

Le jour où j'ai découvert ces entités, j'ai aussi dû vivre avec et j'ai compris une chose.

Et c'est pour cela que je fais peur.

Aucun ne m'échappe.

J'observe la rue déserte et me redresse de ma moto. Je descends et la contourne en ne faisant pas attention à sa voix qui me supplie de ne pas l'approcher.

- Ça ne sert à rien.

« Non ! Laisse-moi ! Ne m'envoie pas là-bas ! »

- Je ne sais pas ce qu'est ce « là-bas ».

Je marche vers elle alors que ses yeux s'écarquillent davantage. Je ne sais pas où je les envoie, mais il me suffit de les toucher et de le vouloir pour qu'ils s'en aillent. Alors je m'approche plus pendant que ses pleurs et ses craintes s'abreuvent dans ses yeux. Elle est terrifiée et à bout de souffle. En ma présence, ils ne peuvent plus bouger. Et lorsqu'ils ont compris de quoi j'étais capable, ils étaient moins nombreux à me rendre visite. Ils savent sans doute ce qui leur arrive mais je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c'est comment les faire taire.

« Ne fais pas ça ! Non ! C'est la mort ! C'est ma mort ! »

- Donne-moi une bonne raison.

« Parce que... c'est pire qu'ici, Laisse-moi avec lui ! C'est mon fils ! Laisse-moi ! »

- Ton fils ?

« Oui ! »

- Ne mens pas. Que faisais-tu avec lui ?

« Il m'aide... Et je l'aide ! »

- Tu l'utilise donc ?

« Je... non ! »

- Ce n'est pas ton fils, tu te sers de lui et le mensonge est ta perte.

« Je ne mens pas ! »

- Alors dis la vérité parce que tu pues terriblement. Ton odeur est nauséabonde et ta voix stridente de haine.

Elle me regarde, son visage se tord dans une grimace de dégoût. Elle cherche ses mots, et étire mon sourire.

- Qu'as-tu fait pour lui ? Tu m'as dit que tu l'aidais non ? Alors que fais-tu pour lui ?

« Je l'aide tous les jours ! Il est bien avec moi ! »

- Tu mens encore.

Ses yeux se déchirent dans la douleur, laissant planer un silence. Je soupire de déception. J'ai appris à reconnaître leurs tricheries et elle ne me dira pas la vérité. Alors peu m'importe où je l'envoie, je sais qu'elle ne l'embêtera plus.

Au moment où j'approche ma main un sourire sinistre me dévisage. Elle ricane d'hystérie mais ses yeux me fixent encore assez pour que j'y lise ce qu'elle me dit avant de disparaitre dans une brume noire.

« Trouve-le. »

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