1x19 : La route
Musique/Vidéo : Kyo - La route
Le septième mois se termine. D'ici à peine huit semaines, je serai maman. Et j'ai hâte car je commence à être bien fatiguée par la grossesse.
Mon ventre est maintenant si énorme que je peux à peine marcher normalement. Même le chemin vers le lycée devient difficile à faire à pieds et c'est donc papa qui m'y conduit dorénavant, de même pour me ramener à la maison. J'adore être enceinte, regarder mon ventre rond, voir celui-ci se déformer quand ma fille fait la java, mais je suis quand même impatiente que tout se termine.
Aujourd'hui a lieu l'échographie pour la trente-deuxième semaine, la dernière avant l'arrivée du bébé. Lorsque le docteur Mitose soulève mon haut, je constate que mes rondeurs ventrales sont telles que je ne parviens même plus à apercevoir mes pieds.
- Ta fille pousse bien, Mathilde ! dit-il avec un grand sourire.
Elle a désormais les traits d'un nourrisson. Arnaud et moi sourions en la voyant gigoter dans tous les sens, comme pour nous exprimer sa hâte de nous rencontrer hors de mon bide.
- Elle pèse un kilo sept-cent soixante-douze, ce qui est dans la moyenne à ce stade, dit le médecin. Et pour le reste, rien à signaler. C'est un bébé en parfaite santé qui viendra au monde dans quelques semaines.
Elle viendra au monde... je réalise alors qu'à l'approche du terme, je commence à éprouver une certaine angoisse à l'idée d'accoucher. J'en ai parlé à maman et celle-ci m'a dit d'un ton rassurant :
- Ce sera douloureux c'est certain mais tout se passera bien. Une fois que c'est fait, on oublie complètement la souffrance.
La souffrance... ce mot me fait légèrement trembler. Tu accoucheras dans la souffrance dit la Genèse après que Dieu a eu vent de la faute commises par Adam et Ève. Mais maman a sûrement raison : lorsque j'aurai ma fille dans mes bras, tout le reste sera oublié. Cela, j'ai vraiment hâte.
- Bien, tout est au clair pour ce début du huitième mois, dit le docteur Mitose en se rasseyant à son bureau tandis que je me relève aidée par Arnaud. Maintenant, il va y avoir plusieurs choses à régler : Mathilde, as-tu repensé aux cours prénataux dont je t'ai parlé ?
Nous y avons effectivement réfléchi avec Arnaud et nos familles.
- Oui, répondis-je, nous nous sommes inscrits auprès du CLSC. Nous aurons notre premier cours samedi.
- Parfait. Ces cours ne sont pas obligatoires mais tout de même importants. Ils t'aideront à rester en bonne santé et à être prête pour ton accouchement.
Nous acquiesçons tout deux d'un signe de tête.
- Autre chose, continue le médecin, il est certain qu'à l'approche du terme, la fatigue va se faire de plus en plus ressentir.
- C'est vrai, docteur, dis-je. Je ne peux déjà presque plus marcher pour aller au lycée.
- Je me doute. De ce fait je te suggère, Mathilde, que tu te mettes rapidement en congé car tu auras besoin de beaucoup de repos pour la fin de ta grossesse.
- Me mettre en congé ? Vous voulez dire arrêter le lycée ?
- Oui. Comme toutes femmes proches d'accoucher, il est recommandé d'arrêter de travailler. Tu es bien élève au lycée Simone de Beauvoir ?
- Oui.
- Okay. Je vais envoyer un courrier au directeur Serge Grand. Je le connais bien, lui et son mari sont mes patients. Il te contactera rapidement mais je te conseille de commencer ton congé au plus tard dès la semaine prochaine.
- C'est entendu, docteur.
Le docteur Mitose se penche vers moi. En un murmure, il me dit d'un ton moins professionnel :
- Simple curiosité, Mathilde, tu sais comment tu vas gérer le lycée après ton accouchement ?
Là-aussi, je réfléchis beaucoup à cette question, en fait techniquement j'y réfléchis tout simplement depuis le jour où j'ai décidé de garder mon enfant. Avalant ma salive, je lui réponds :
- On s'y mettra ensemble avec nos familles. Le bébé aura sa chambre chez moi et en aura une aussi chez Arnaud et nous en serons responsables le soir en rentrant. Pendant la journée, nos parents s'en occuperont. On s'est tous mis d'accord à ce sujet.
- Tout à fait, confirme Arnaud. Ma mère et moi allons louer un appartement avec une chambre en plus pour le bébé.
- D'accord, c'était surtout pour savoir, dit le médecin avec un sourire rassurant. Puis il ajoute : ne vous inquiétez pas, tout se passera bien. Même si vous êtes très jeunes, vous êtes de belles personnes et êtes bien entourés. Beaucoup de personnes dans ta situation, Mathilde, n'ont pas la même chance.
Je ne peux m'empêcher d'afficher un petit sourire. Je ne sais pas si c'est une question de chance mais il est certain que sans l'amour, je n'aurais jamais été capable d'assumer et Arnaud non plus.
- N'empêche, tant de choses ont changé depuis la rentrée. Ça me fait bizarre.
Deux jours après l'échographie, je suis comme d'habitude assis notre coin dans les bras de mon homme tandis qu'Élise fait de même avec Myriam. Depuis que cette dernière a été sauvée de son père, nous formons un quatuor inséparable et deux magnifiques couples. Surtout, Myriam semble enfin avoir toute une joie de vivre. Oubliée la dépression, oubliés les pleurs dans les toilettes ayant aboutis à sa tentative de suicide. Et surtout oubliée la méchante Myriam, celle qui a été si longtemps mon ennemie, c'est enfin la vraie personne qui est présente là à nos côtés.
Aujourd'hui est un jour particulier. C'est mon dernier à Simone de Beauvoir avant de me mettre en « congé maternité ». Bien sûr, ce ne seront pas pour autant des vacances. Je reste une élève et Monsieur Grand m'a expliqué que les cours me seront envoyés par mail – comme une sorte de télétravail en somme – et que les devoirs sur table devront être rendus en temps et en heure.
- Je n'aurais jamais cru en pénétrant ces lieux pour la première fois que je devrais partir avant tout le monde, dis-je avec un petit rire. Dire que je ne reverrai pas cet endroit avant la prochaine rentrée.
- Et oui mais tu vas être maman, ma belle, c'est la vie ! dit Élise avec joie.
- C'est clair que moi non plus je ne l'aurais pas cru si on m'avait dit, dit Arnaud. Mais cette année restera pour moi celle qui a changé ma vie : j'y ai rencontré la fille que j'aime et bientôt nous serons trois.
- Tu as toujours peur n'est-ce pas ? demande Myriam.
- Evidemment. Tous les jours, j'ai peur. J'ai peur pour Mathilde, j'ai peur pour le bébé et surtout, j'ai peur de ne pas être à la hauteur. Mais maintenant j'ai confiance. Je suis prêt à faire face.
Finalement, me dis-je, notre dispute a fait du bien. Elle nous a permis de partager nos craintes, de nous dire que l'on doit avant tout avoir confiance l'un envers l'autre.
- Tout ira bien, mon chéri, dis-je en l'embrassant alors qu'il caresse mon ventre de la main. Tu es quelqu'un de bien. Tu sauras être un bon père pour notre fille.
- Je sais que je ne suis pas comme les autres mecs. Quand d'autres pensent aux filles, moi je vais devoir apprendre à changer les couches...
- Tu pourras continuer ta chaîne Twitch entre deux tu sais, dis-je avec un clin d'œil.
- J'espère bien ! Il faudra juste que je trouve un équilibre entre World of Warcraft et les biberons.
- Et moi pareil. Quand notre fille dormira, j'en profiterai pour éclater la face de Rannrok dans Hogwarts Legacy, dis-je l'air rêveuse.
- Tout ça pour dire que je reconnais être différent des autres, me dit Arnaud avec une petite grimace.
- Et justement, quelle importance ça a ? dis-je. On est ce que l'on est. Tu es mille fois mieux qu'un mec comme Marc. Toi au moins tu ne te vantes pas d'être un dragueur, tu n'es pas obsédé par ton entrejambe, tu ne t'es pas fait viré du lycée pour du cannabis. Et surtout parce que tu es gentil, tu penses toujours aux autres avant toi-même. C'est pour ça que je suis tombée amoureuse de toi.
- Ton ex est un gros con, dit-il. Le genre de mec que je ne peux pas saquer. Quand on le voit, on a juste envie de lui exploser la gueule, d'effectivement lui éclater la face comme le gobelin du jeu Harry Potter.
- Ne parlons plus de lui, s'il vous plait, dit Élise, il est parti, il ne nous enquiquinera plus. Les jeux vidéos pas de problème. Moi j'ai à continuer l'histoire de Max et Chloé dans Life is Strange.
- Tu as raison, ma belle. Il n'est tellement pas intéressant, mieux vaut l'oublier.
Tout à coup, mon homme se tourne vers nos deux amies.
- Je voulais vous poser une question un peu personnelle mais vous n'êtes pas obligée de répondre bien sûr.
- Quoi donc ? Si tu veux savoir à quoi ressemble un rapport lesbien, tu n'as qu'à venir chez moi assister au spectacle, dit Élise avec un sourire malicieux.
- Haha très drôle, dit Arnaud en riant. Non je me demandais juste, aimeriez-vous un jour avoir des enfants ?
Élise et Myriam se regardent et Arnaud se demande un instant s'il n'a pas gaffé mais elles ne paraissent pas offensées. Élise répond :
- Nous ne savons pas encore. A vrai dire, je ne suis pas sûre de vouloir un jour être enceinte.
- Je pense que ce sera moi qui porterai si un jour on décide de faire un bébé, dit Myriam.
- Exactement, dit Élise.
Arnaud pose à nouveau tendrement une main sur mon ventre arrondi. Notre fille apprécie beaucoup à en juger par ses mouvements. C'est tellement un bonheur de la sentir. Assurément ce dont je serai le plus nostalgique de cette grossesse.
- J'ai beau m'y habituer, c'est toujours incroyable comment elle bouge, dit Arnaud émerveillé.
- Elle t'aime, c'est sa manière de te dire « c'est moi, papa, je vais bientôt arriver. Pour l'instant, je suis bien au chaud dans le ventre de maman ».
Arnaud rit et dit :
- Dire qu'à un moment, j'ai failli laisser tomber. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Je préfère crever plutôt que de vous perdre toi et le bébé.
- Ce n'est pas de la stupidité, dit Élise. Tu es jeune et tu es un mec, normal que tu te poses des questions. Mais tu es là pour ma meilleure amie et c'est ce qui compte.
- Merci, Élise. Je ne vous laisserai plus jamais tomber, promis. Vous êtes ma famille en plus de ma mère.
Une nouvelle fois touchée, je l'embrasse tendrement et me blottis contre lui, chacun une main sur mon ventre.
- Je t'aime, Arnaud.
- Je t'aime, Mathilde. Je t'aimerais toujours.
- Vous devez être monsieur et madame Leroc ? dit la secrétaire du centre où se déroule le cours prénatal.
- Heu oui enfin c'est plutôt monsieur Leroc et mademoiselle Clémentine pour le coup, dis-je avec gêne.
- Oui évidemment, dit la secrétaire. Ok. Salle B au deuxième étage avec Madame Épinard.
- Merci beaucoup.
Nous entrons dans la salle en question. Elle ressemble un peu à notre salle de classe avec trois rangs de pupitres et un tableau sur le fond. Plusieurs personnes sont présentes et nous constatons de suite que nous sommes de loin les plus jeunes futurs parents. La plupart des femmes enceintes ont plutôt dans la trentaine, d'autres paraissent un peu plus âgées. A notre droite se trouve aussi un couple de jeunes femmes. La dénommée Madame Épinard est une femme d'âge mûre aux cheveux gris courts avec des lunettes rectangulaires. Définitivement, on se croit au lycée. On peut tout aussi bien la remplacer par ma prof d'Histoire-Géographie qui lui ressemble beaucoup.
Notre entrée suscite comme d'habitude quelques regards mais aucun commentaire. En nous voyant, Mme Épinard consulte son dossier et nous dit en redressant ses lunettes :
- Vous êtes mademoiselle Clémentine et monsieur Leroc ?
- C'est nous, dis-je.
- Parfait. Nous vous attendions. Asseyez-vous.
Nous faisons ce qu'elle dit puis elle s'adresse à l'ensemble des présents.
- Bienvenue à ce cours prénatal. Mon nom est Réjane Épinard et je suis sage-femme au service maternité des Lilas, c'est aussi moi qui assure les cours prénataux. Comme vous le savez, ces cours vont vous préparer à l'accouchement. Nous allons d'abord commencer par un cours d'information. Vous allez apprendre davantage sur le déroulement de l'accouchement, sur les conseils à suivre pour que tout se passe au mieux. Vous allez aussi avoir la possibilité de poser toutes les questions que vous avez en tête. Est-ce compris ?
Tout le monde hoche la tête.
- Cette partie du cours va durer environ trois-quarts d'heures. Ensuite, la deuxième sera de la pratique, vous y apprendrez à vous détendre afin de vous sentir au mieux le jour de l'accouchement. Bien, commençons sans plus tarder.
- Tu savais déjà à peu près comment ça allait se dérouler ? me chuchote Arnaud.
- Oui. Clarisse m'a tout expliqué.
- Faisons d'abord les présentations, dit Madame Épinard. Comment vous appelez-vous ? demande-t-elle au couple de femmes.
- Je m'appelle Marie, j'ai vingt-quatre ans et ma compagne Stéphanie et moi, nous attendons une fille pour dans deux mois, répond celle des deux qui est enceinte.
- Bien. Et vous ? dit-elle à mon adresse.
- Je m'appelle Mathilde, nous avons seize ans mon compagnon et moi et je suis enceinte de sept mois, répondis-je.
Quelques murmures « seize ans » arrivent à mes oreilles de la part de couples à notre droite mais nous n'y prêtons aucune attention. Madame Épinard, elle, ne montre aucune réaction particulière. Il est évident que nous ne sommes pas les premiers adolescents à assister à ses cours.
Cette première partie n'est toutefois pas la plus intéressante pour moi. La majeure partie des questions et réponses – le déroulement de l'accouchement, l'alimentation adéquate, l'allaitement, etc – je les connais déjà à peu près toutes puisque maman, grand-mère et le docteur Mitose m'ont tout expliqué. Quant à Arnaud, rapidement il s'ennuie à mourir car peu de choses sont assez dites au sujet des futurs papas.
La suite avec la pratique s'annonce déjà plus passionnante. C'est celle que nous attendons.
- Suivez-moi en salle E, nous dit la sage-femme.
Contrairement à la précédente, la salle E ne contient aucun pupitre mais est constituée à la place de plusieurs tapis en mousse posés au sol. Arnaud et moi allons sur celui le plus à gauche. Après s'être raclé la gorge, Madame Épinard dit :
- Nous allons à présent faire quelques exercices simples pour aider les mamans à être à l'aise avec leurs ventres. Les papas ou l'autre maman vont les y aider.
- On ne va tout de même pas faire un cours de gymnastique ? chuchote Arnaud.
- Ne t'inquiète pas, mon chéri, Clarisse m'a assuré que ça n'a rien à voir avec un cours de sport. C'est avant tout de la détente.
- Pour les papas et les deuxièmes mamans, prenez d'abord votre partenaire par la taille au niveau du nombril.
Arnaud s'exécute et met son bras autour de mon ventre rond.
- Ensuite, vous aidez votre partenaire à s'allonger tout doucement le dos sur le sol. Puis les futures mamans inspirent et expirent pendant une vingtaine de secondes.
Je me surprends à remarquer que, dans cette position, mon ventre parait encore plus rebondi que quand je suis debout, comme si ma fille – et ce doit être le cas – se mettait elle-même dans la position la plus confortable pour l'exercice. Mes respirations le font soulever puis baisser. Par ailleurs à l'intérieur, mon bébé parait beaucoup s'amuser.
- Ensuite, toujours aussi doucement, les partenaires aident les mamans à se relever.
Les exercices n'ont en effet rien à voir avec de la gymnastique. Il s'agit avant tout d'aider mon corps à être à l'aise avec le fœtus qui y habite et le poids qu'il impose. D'après la dernière pesée, j'ai pris seize kilos depuis le début de ma grossesse et cela commence à sérieusement se faire sentir. Je dois reconnaître que ces exercices de relaxation aident à soulager mon corps par rapport au poids. Je comprends pourquoi ils sont recommandés pour les femmes enceintes.
- Bien. Maintenant nous allons faire un exercice de yoga. Les mamans, mettez-vous en position assise, les papas et autres mamans aidez-les et lorsqu'elles sont assises, posez une main sur le ventre.
Cette idée plait à Arnaud, mon homme adorant tellement sentir le bébé bouger.
- Les mamans, écartez bien les jambes pour être bien à l'aise avec votre ventre, allez-y...
A la fin du cours, je décide moi-même d'aller voir Madame Épinard pour lui faire part de la crainte qui me turlupine.
- Madame ?
- Oui ?
- En fait, je voulais dire, heu enfin voilà j'accouche dans deux mois et heu ben...
- Vous avez peur n'est-ce pas ?
Avalant ma salive, je réponds : oui.
Madame Épinard me sourit de la même façon qu'une dame offrant un bonbon à un enfant de cinq ans.
- C'est normal d'avoir peur, toutes les futures mamans ont peur et c'est encore plus compréhensible à votre âge. Oh ne vous en faites pas, je n'ai aucun jugement, vous n'imaginez pas combien de mères adolescentes j'ai vu défiler dans ma carrière. Par curiosité, quel médecin suit votre grossesse ?
- Le docteur Mitose.
- Vous ne pourriez pas tomber mieux. Je connais très bien Bernard et c'est l'un des médecins les plus brillants de ce pays. C'est lui-même qui a aidé ma fille à accoucher.
Elle me pose ensuite une main sur le bras d'un air maternel :
- Ne vous en faite pas, tout ira bien. Vous avez plutôt bien saisi les exercices et votre partenaire aussi. Vous vivrez un très bel accouchement.
- En effet, madame. Mais ce qui me fait peur, c'est la douleur...
- Je comprends très bien. Dites-vous que ce sera un moment difficile à passer mais une fois que votre bébé sera dans vos bras, toute cette douleur sera complètement oubliée.
- Donc vous allez nous quitter comme prévu avant la fin de cette année.
Le lundi suivant, je suis dans le bureau de Monsieur Grand pour une ultime mise au point. Je réalise que je suis un peu triste. J'aime bien ce lycée, même malgré les jugements et les doigts pointés que je subis chaque jour à cause du ballon de basketball me servant de tour de taille.
Papa n'ayant bien sûr plus aucun travail, il a proposé de m'accompagner.
- Nous pensons aussi que c'est préférable, dit-il.
- Naturellement. Vous savez, mademoiselle, je suis directeur de ce lycée depuis quinze ans et vous n'êtes pas la première élève à être enceinte.
- Je me doute, monsieur.
- Cela pour dire que ce cas de figure ne m'est pas inconnu. Toutefois si je vous ai convoqué alors que techniquement déjà « vous êtes en congé » c'est parce que j'ai une proposition à vous faire : vous pouvez bien sûr comme on l'a suggéré suivre les cours à distance. Mais vous pouvez aussi arrêter complètement les cours. Cependant dans ce cas de figure, vous serez d'office redoublante pour l'année prochaine.
Là par contre, je ne m'y suis pas attendue, je n'ai pas été informée une seule fois de cette perspective. Je jette un regard surpris à Monsieur Grand.
- Redoublante ?
- Oui. Sachez que cela n'a rien à voir avec vos résultats. Bien au contraire tout vos professeurs disent que vous êtes très bonne élève et un passage en Première ne ferait en temps normal aucun doute. Le problème ici concerne le règlement : en partant maintenant, vous n'aurez pas complété votre année. Nous ne pouvons donc pas confirmer où sera votre place durant l'année prochaine.
- Je comprends, monsieur. Donc si j'arrête définitivement les cours pour cette année, je devrai redoubler la Seconde ?
J'ai un air triste en pensant que, pour la première fois, je ne serai probablement plus dans la même classe que ma meilleure amie ni de mon amoureux. Mon choix dès lors est vite fait.
- Oui. Mais c'est à vous de décider. Vous pouvez aussi bien entendu continuer les cours à distance. Que comptez-vous faire ?
J'hésite à répondre. J'échange un regard avec mon père et celui-ci cligne des yeux pour me faire comprendre qu'il va répondre.
- La question ne se pose pas, monsieur le directeur. Ma fille doit continuer à travailler ses cours. Elle pourra juste faire une pause lorsqu'elle accouchera.
- Très bien, dit-il et je comprends que le directeur est soulagé tout comme moi. Dans ce cas vous recevrez un courrier confirmant l'avis de son conseil de classe mais comme je viens de le dire, ses résultats scolaires font qu'il n'y aura aucun problème pour un passage en Première. Et maintenant par curiosité, que comptez-vous faire pour après la naissance ?
- Ma fille garde le bébé, répond papa. Nous allons l'élever comme tout nouveau-né arrivant dans une famille.
- Bien sûr, c'était pour savoir. Bien, sur ce nous avons tout dit. Mademoiselle Clémentine, vous allez donc recevoir les cours et devrez rendre les devoirs sur table en temps et en heure mais au-delà surtout, reposez-vous, mettez votre bébé au monde et revenez-nous en pleine forme à la prochaine rentrée.
- Monsieur ? dis-je.
- Oui ?
- Est-ce que ce sera dans mon dossier scolaire ?
Pendant quelques secondes, Monsieur Grand parait se demander pourquoi je pose cette question puis il comprend.
- Il ne sera pas mentionné votre départ précipité dans le dossier scolaire. Vous aurez complété l'année comme tout le monde.
Comme pour Mme Épinard, j'ai plutôt de la sympathie pour le directeur. A aucun moment, il ne m'a jugé sur ma grossesse. C'est là encore une raison qui me fait aimer le lycée Simone de Beauvoir et fait que celui-ci va me manquer.
- N'empêche que ça va faire bizarre sans toi ici, ma belle...
Mon père est reparti seul, j'ai souhaité en effet un dernier moment avec ma meilleure amie et mon amoureux pendant la pause récréation avant de quitter définitivement Simone de Beauvoir.
- Je sais bien, dis-je en soupirant. Mais c'est normal. Bien sûr j'ai encore à travailler les cours mais je vais être trop fatiguée pour sortir de chez moi. Sinon autre sujet, comment va Myriam ? demandé-je.
Malade, Myriam est restée couchée chez elle.
- Moyen, répond Élise. Elle avait encore trente-neuf sept de fièvre ce matin. C'est vraiment horrible la grippe.
A ce moment-là, deux visiteuses peu plaisantes s'avancent vers nous. Depuis qu'Élise a frappé Sissi, elle et sa sœur ne nous ont plus adressé un mot. Mais là, à en juger par leurs sourires, elles semblent prêtes à recommencer à nous embêter.
- Salut les filles et le mec, dit Bib avec un air arrogant.
- Qu'est-ce que vous voulez ? lance froidement Élise.
- Simplement prendre des nouvelles, répond Sissi.
Elle peut tout aussi bien nous proposer de faire un pique-nique vu son ton.
- C'est une plaisanterie ? dis-je.
- Non pas du tout, dit Bibi. On a entendu dire que tu allais être renvoyée du lycée, Mathilde, pour... « ça », dit-elle en pointant mon ventre du doigt.
Je deviens cramoisie et un instant, je suis tentée d'imiter Élise. Un geste du bras d'Arnaud m'en dissuade. A la place je réponds froidement :
- D'abord le « ça » comme vous dites porte le nom de fœtus et ensuite, je ne sais pas ce que l'on vous a raconté mais je ne suis pas du tout renvoyée. Je vais juste travailler de chez moi jusqu'à mon accouchement. C'est un congé maternité si vous voulez.
- Un congé maternité ? lance Sissi comme si elle trouvait cette idée absurde. Tu te prends trop pour une adulte toi...
- Bon maintenant ça suffit ! lance soudainement Arnaud.
Tout le monde se tait et nous le regardons surpris. La dernière fois qu'Arnaud, habituellement calme, s'est mis aussi en colère, il a brisé l'égo de Marc.
- Vous ne pouvez pas arrêter un peu ? lance-t-il froidement à l'adresse des jumelles aussi stupéfiées que si Arnaud venait de les arroser avec un seau d'eau glacée. C'est quoi votre problème sérieux ? Parce que vous n'avez plus Myriam pour vous commander, vous vous permettez de faire les crâneuses ? Et pourquoi nous hein ? Pourquoi vous nous cassez exclusivement nos pieds ?
Aucune des deux ne répondent, comme statufiées. Cela fait du bien de les voir être remises à leur place.
- Je vais vous dire pourquoi : parce que vous êtes jalouses voilà tout. Toi Bibi...
- Sissi...
- Peu importe. Toi, je sais c'est quoi ton problème : tu es jalouse parce qu'Élise assume son homosexualité et pas toi. Et surtout tu es jalouse car Myriam la préfère à toi.
Sissi ne répond rien du tout.
- J'ai donc bien raison. Et je parie même que tu as un faible pour elle, c'est pour ça que tu ne supportes pas de la voir avec Myriam. Mais tu sais quoi ? On est en Rozanie, grande île en plein cœur de l'Atlantique proche de la France, en 2024. Tu peux le dire que tu es lesbienne ce n'est un souci pour personne ici.
''Et toi, Bibi, si tu décoinçais un peu au lieu de rester tout le temps dans les pattes de ta sœur, tu te sentirais sûrement beaucoup mieux ! Maintenant, si vous êtes bien gentilles, veuillez nous laisser tranquille et allez embêter d'autre gens pour une fois.''
Il faut plusieurs secondes pour que les jumelles sortent de leur état de pétrification. Puis elles s'éloignent. Je jette à mon homme le regard le plus admiratif que j'ai jamais eu.
- Mon cœur... tu es juste... merveilleux.
- Il était temps de les calmer, dit-il en reprenant peu à peu son habituel calme. C'est bon quoi, on ne t'a pas assez embêté comme ça ?
- Quelque chose ne va pas, ma belle ? dis-je en voyant que ma meilleure amie a la tête ailleurs.
- Oh quoi ? Non rien c'est juste que... je ne savais pas que... Sissi était lesbienne et amoureuse de Myriam. Mais quand on y pense, cela explique beaucoup de choses.
- Je pense que maintenant elles vont nous foutre la paix, dit Arnaud. Elles ont intérêt d'ailleurs.
- J'espère, dis-je.
- Pour en revenir à nos moutons, dit Élise comme si nous n'avions pas été interrompue, ma foi, ma belle, tu as raison, dit Élise. Mais du coup j'ai eu une idée.
- Ah ? laquelle ?
- Attends de voir ça va arriver, dit-elle avec un clin d'œil avant de s'éloigner.
C'est environ une heure plus tard, alors que raisonne la sonnerie marquant la fin des cours, que je découvre la fameuse surprise de ma meilleure amie.
N'étant « officiellement » plus en cours, j'ai attendu tranquillement dehors. Là, sortant du bâtiment, j'ai la surprise de découvrir face à moi au moins les trois-quarts du lycée. Pendant un moment, c'est le silence et je me demande sur le coup pourquoi ils s'arrêtent tous face à moi. Puis tout à coup ils se mettent à applaudir en chœur. Et une fille à qui je n'ai jamais parlé me dit :
- On veut juste, au nom de tout le lycée, te souhaiter bon courage pour ton accouchement, Mathilde, et de nous revenir ici en pleine forme une fois maman.
- Vous... ce... c'est sérieux ?
- Bien sûr. C'est ta meilleure amie qui a eu cette idée en accord avec Monsieur Marcus et Monsieur Grand.
Ce dernier se présente à son tour, toujours remarquable de par sa carrure imposante. Avec un sourire chaleureux, il me dit :
- Tu es l'adolescente la plus courageuse que j'ai rencontrée, Mathilde. Bien peu de filles oseraient ainsi assumer une grossesse à ton âge. Nous te souhaitons bonne chance pour la suite.
Et tout le monde applaudit à nouveau. Et ma meilleure de s'écrier :
- On t'aime, Mathilde !!! On t'aime très fort, ma belle !!!
Émue comme je ne l'ai jamais été, je me jette dans les bras de ma meilleure amie autant que me le permet mon ventre. Mon amoureux ne tarde pas à nous rejoindre. Nous sommes là, enlacés tous les trois nous entourant de nos bras.
Ils vont tellement me manquer...
A ce moment-là, le téléphone d'Élise se met à vibrer dans sa poche. Elle le sort, accepte l'appel et se met un peu plus loin pour mieux entendre. Lorsqu'elle range son téléphone quelques secondes plus tard et se retourne vers nous, toute trace de joie a complètement disparu. Au contraire, elle est désemparée et consternée.
- Que se passe-t-il ? demandé-je avec inquiétude.
- C'est mon père. Le lieutenant Doyle l'a informé que Manguier s'est évadé.
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