1x18 : La bonne, la belle et le truand
Le lendemain, je redoute autant d'aller au lycée que quand celui-ci a appris pour ma grossesse. Il n'y aura pas de mauvais article lancé par Manguier, non. Mais ma querelle stupide avec Arnaud de la veille est encore bien ancrée dans ma tête. Je suis moins en colère contre mon homme mais je ne suis pas certaine de vouloir lui parler. Mais puis-je sérieusement l'ignorer ? Cette perspective m'est impensable et pourtant...
Élise quant à elle est certes toujours déprimée mais elle est enfin prête à se reprendre. L'ombre de Myriam plane bien sûr toujours autant. Car Élise comme moi est convaincue que Myriam a menti, qu'elle a agi ainsi pour la protéger quitte à lui faire beaucoup de mal.
- J'ai essayé de l'appeler mais son numéro est supprimé et elle est introuvable sur Facebook, WhatsApp et Instagram. C'est sûrement son père qui a bloqué tout mes comptes pour l'empêcher de lme contacter.
Quand nous arrivons au lycée, nous apercevons d'abord les jumelles. Bibi a un œil au beurre noir suite au coup de poing que lui a donné Élise mais cette fois, ni elle ni sa sœur ne viennent nous embêter. Au contraire en nous apercevant, elles s'empressent de courir à l'autre bout de la cour.
- Des couardes je te jure, marmonne Élise.
Et c'est sous le préau que j'aperçois Arnaud. Celui-ci clairement m''a attendu mais pas plus que moi ne semble savoir quoi dire. Lui aussi c'est évident regrette ce qui s'est passé.
- Je vous laisse parler en privé, j'ai besoin d'être un peu seule de toutes façons, dit Élise.
- D'accord, ma belle. Prend soin de toi, surtout. Je t'aime.
- Moi aussi.
Et Élise s'éloigne vers un coin désert et nous laisse seule.
Nous restons là à nous regarder pendant plusieurs minutes, ne sachant pas qui doit parler en premier. En fait, nous ne savons tout simplement pas quoi dire. Entre nous deux, mon ventre rond a l'air de jouer le rôle d'arbitre.
- J'ai entendu dire que Marc a été mis en garde à vue pour être impliqué dans un trafic de cannabis, dit soudainement Arnaud. Monsieur Grand a annoncé qu'il est exclu définitivement du lycée.
Je ne suis pas au courant de cette histoire mais ça ne me fait ni chaud ni froid. A propos de mon ex, la seule chose que je désire est de ne plus jamais entendre parler de lui.
- Ça ne m'étonne pas du tout, dis-je, ce mec est un gros nul. Franchement, bon débarras.
Arnaud a un air hésitant. Il est évident que ce n'est pas de mon ex dont il a envie de discuter.
- Mathilde, je veux te dire que...
- Que...
- Enfin voilà, je ne sais pas ce qui m'a pris hier, je ne sais pas comment j'ai pu te dire ces choses...
Je me rapproche autant que le permet mon ventre pour être presque nez à nez avec lui.
- Je comprends que tu aies peur tu sais, chuchoté-je. Mais la prochaine fois parle-moi au lieu de faire n'importe quoi. Tu sais très bien que je ne te jugerai pas.
- C'est vrai c'est stupide. J'ai juste peur de ne pas être à la hauteur...
- Tu sais, dis-je, ce n'est pas parce que j'ai décidé de le garder que je n'ai pas conscience que ce sera difficile. J'adore sentir notre fille bouger mais très honnêtement, je commence à en avoir un peu marre de ce ventre énorme. Et j'espère vite redevenir maigre une fois qu'elle sera née.
- Ce n'est pas pour faire un compliment facile mais tu sais, tu es très belle enceinte, dit-il.
J'ai le sentiment qu'il dit cela pour se rattraper mais m'abstiens de le dire. Je comprends alors que le moment est venu de dire ce que j'ai sur le cœur.
- Je ne parle pas contre toi, Arnaud, tu es un mec merveilleux, tu es là pour moi depuis le début, j'ai de la chance d'être tombée amoureuse de toi. Mais par contre tu ne peux pas avoir la moindre idée de ce que je vis. Parce que je suis une fille, parce que c'est moi qui suis enceinte, parce que c'est moi qui subis les moqueries partout où je vais, parce que c'est moi que l'on blâme pour avoir couchée avec toi et que la preuve est visible, parce que c'est moi qui dans trois mois vais devoir expulser notre bébé de mon vagin.
- Crois-moi je sais tout cela, dit Arnaud avec douceur. Je sais que je n'aurai jamais la moindre idée de tout ce que tu traverses. Mais je veux faire de mon mieux pour t'aider, pour te soutenir. Mais malgré cela j'ai peur, peur de ne pas être à la hauteur.
- Et c'est normal, moi aussi j'ai peur ! Si ça se passe mal, on dira que c'est de ma faute, que je suis bien trop jeune pour élever un enfant, que j'ai eu tort de le garder. Mais tu sais ce qui m'aide à faire face à mes peurs ? C'est parce que j'y crois. Et surtout, parce que je l'aime notre fille. Je suis prête à l'aimer et j'ai envie de l'aimer. Elle, toi et Élise sont les trois personnes que j'aime le plus au monde et ne supporterais pas de perdre.
- Moi non plus je ne veux pas te perdre, Mathilde. Ma vie n'est rien sans toi. Et moi aussi j'ai envie d'aimer notre bébé, moi aussi je suis prêt.
- Pareil pour moi. Tu es tellement, tellement important pour moi.
- Tu me pardonnes alors ? dit-il avec hésitation.
- Bien sûr. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu es une belle personne, Arnaud, parce que je sais que ton amour est vrai. Tout le monde ne voit en moi qu'un gros ventre alors que toi...
- Toi, je vois ton visage, je vois tes yeux... oh, Mathilde, pardon, pardon pour ce que je t'ai dit...
Je l'interromps avec un baiser, un baiser aussi fort que si je ne l'avais pas embrassé depuis plusieurs mois. Oubliée cette dispute ridicule de la veille. Comment pourrais-je me passer d'un mec comme lui ?
Je reçois alors un gros coup de pied dans le ventre.
- Je crois qu'elle est contente que l'on fasse la paix, dis-je et avec un grand sourire je soulève mon pull et mon tee-shirt.
Arnaud pose une main sur mon ventre. Son sourire me fait très chaud au cœur. Oui, nous sommes trop jeunes. Mais nous avons une force pour réussir cette épreuve, celle de notre amour.
Je réalise alors avec joie qu'un renflement est visible sur le côté droit. C'est notre fille qui bouge.
- C'est juste... dingue, me dit Arnaud, tout ému.
- Je serai contente quand elle sera sortie, dis-je en caressant mon ventre. Mais pour l'instant elle doit rester au chaud là-dedans.
Un peu plus loin, Élise m'adresse un aussi beau sourire, heureuse que tout aille mieux entre mon homme et moi.
J'aimerais tant qu'il en soit de même pour elle...
PDV : Myriam
Cela fait trois semaines que je suis revenue dans cette maison et je n'en peux plus. Je ne peux plus supporter d'être forcée à rester enfermée comme si le pays avait été placé en confinement total. Et surtout, je ne supporte plus d'être séparée de celle que j'aime.
Les jours se suivent et se ressemblent tristement. Il – je ne peux plus appeler cet homme « père » - persiste à agir comme si j'étais invisible. Je n'ai pas vu l'extérieur depuis mon arrivée. Qu'il soit présent ou non, il verrouille toujours la porte à clé pour s'assurer que je ne m'échappe pas.
Mais s'il pense que j'ai abandonné, il se trompe complètement. Car c'est cette nuit que je vais passer à l'action et m'enfuir de cette maison. Je veux retrouver ma compagne. Je sais qu'elle souffre depuis les horreurs que je lui ai dites. Je veux la voir, lui dire que je ne pensais pas ce que j'ai dit, que je voulais juste la protéger pour que cet homme ne lui fasse aucun mal...
J'ai pris le temps nécessaire pour peaufiner un plan. J'ai dû travailler celui-ci dans les moindres détails. La discrétion sera impérative car si jamais il me surprend, c'en sera terminé pour moi, définitivement.
La première chose importante est de prétendre que je lui obéis du doigt à l'œil. Pour cela, je me fais la plus discrète possible et ne prononce jamais un mot en sa présence, ce dont il est pleinement satisfait. Il a également confisqué mon téléphone en me faisant comprendre que si j'essayais de le récupérer, je le paierais cher. Il s'est soucié de bloquer tout mes comptes de réseaux sociaux et de résilier la ligne de mon téléphone. Sa détermination à me couper complètement du monde extérieur n'a aucune limite.
Mais cela a assez duré, il est temps de reprendre ma vie en main. Et cette nuit enfin, je vais mettre mon plan de fuite en action.
Lorsqu'il m'apporte à manger, je fais mine comme d'habitude d'accepter sans broncher. Comme à chaque fois, il dépose le plateau sur le lit puis sort de ma chambre sans aucun mot. Ses repas ne sont pas très appétissants – ici on croirait une espèce de guacamole mal préparé et à peine mangeable. Il est évident qu'il me donne à manger uniquement pour éviter que je meure – cela ferait tache pour sa réputation d'homme irréprochable.
Chaque soir, il regarde la télévision jusque vers vingt-trois heures. Lorsqu'enfin il va se coucher, je prends mon sac et sors de ma chambre tout doucement. Je dois faire preuve d'une prudence extrême. S'il entend le moindre bruit, c'est fini pour moi.
Les clés de la porte sont accrochées sur le porte-clé à l'entrée. Convaincu que je ne tenterais pas de m'enfuir, il ne s'est pas soucié de les cacher. Sa suffisance m'est profitable. Après m'être assurée qu'il ronfle bien, je marche sur la pointe des pieds et saisis les clés. Ensuite vient l'opération délicate d'ouvrir la porte sans faire entendre ni le bruit de la serrure tournée ni celle de la porte qui s'ouvre. J'y vais donc extrêmement lentement tout en guettant d'une oreille si j'entends quelque chose de sa chambre. Fort heureusement, je n'entends aucun son, signe qu'il ne se rend compte de rien.
Au bout d'un long moment et en ayant vérifié toutes les trente secondes derrière moi, la porte est enfin déverrouillée. Après avoir vérifiée une dernière fois qu'il est toujours endormi, je marche tout doucement hors de la maison et sens aussitôt l'air frais que je n'ai pas connu depuis trois semaines. Jamais sensation n'a fait aussi bien à mon corps. Délicatement je referme la porte derrière moi et jette les clés. Cette opération est un succès.
Reste maintenant à trouver un endroit où être en sécurité avant qu'il ne se réveille et ne s'aperçoive de ma fuite. Et il n'y en a qu'un seul où je pourrais me cacher : chez les Clémentine. Les Dubonpied ne me laisseront jamais entrer chez eux, pas après ce que j'ai fait à leur fille. De plus, la maison des Clémentine se situe à dix minutes à pied d'ici alors que celle des Dubonpied est beaucoup plus loin à l'autre bout de la ville.
Je marche donc d'un pas lent. Peu satisfait par les maigres repas de ces derniers jours, mon estomac exprime sa protestation, le piètre ragoût d'avocat ne lui a guère été plaisant. Comme à un vieux pote, je lui promets qu'il aura bientôt de quoi se faire plaisir.
Comme prévu, j'arrive assez vite devant chez les Clémentine. J'hésite avant de frapper. D'abord, ils seront forcément surpris de me voir débarquer là en pleine nuit. De plus, je m'attends à un accueil très froid de la part de Mathilde et elle aura raison. Comment peut-il en être autrement après tout le mal que j'ai fait à sa meilleure amie ? Sans oublier sa mère qui est très sévère...
Mais je n'ai finalement rien à perdre. Si les Clémentine refusent de me laisser entrer, je partirai loin, très loin d'ici. Plutôt ça que de retourner chez l'autre...
Aussi, lentement, je m'avance vers l'entrée et frappe trois coups à la porte.
Des lumières allumées à l'intérieur montrent que je suis entendue. Un instant plus tard, Madame Clémentine ouvre en râlant sur qui peut bien frapper à une heure pareille. Lorsqu'elle me voit, elle a l'air de se demander si elle n'a pas la berlue. Puis s'adressant à sa famille à l'intérieur, elle crie :
- François ! Viens voir qui est à notre porte ! Vite !
- Qu'est-ce qui se passe, Gisèle, qui c'est à la...
Monsieur Clémentine me jette un regard tout aussi stupéfait que son épouse. Puis tout deux s'écartent sans un mot pour me faire comprendre que je peux entrer. Grandement soulagée, je consens à pénétrer dans leur maison et les suis jusqu'au salon.
- Maman ! Papa ! Qui c'est ? fait la voix de celle dont je redoute le plus la rencontre.
Mathilde arrive dans le salon, une chemise de nuit par-dessus son ventre rebondi. Lorsqu'elle me reconnait, elle s'arrête, l'air marqué par la stupeur, puis affiche une expression de fureur.
- Toi ! Qu'est-ce que tu fiches ici ???
Je déglutis et ne réponds rien. Je ne sais pas quoi dire. Il est tout à fait normal qu'elle soit en colère. Elle peut même me frapper, je l'aurais bien méritée.
- Qu'est-ce que tu viens faire là ? crache-t-elle. Comment peux-tu avoir le culot de débarquer chez moi après ce que tu as fait à Élise ?
- Chérie, dit son père, peut-être veut-elle s'expliquer...
- Je ne veux même pas entendre ses explications !!! coupe-t-elle sèchement. Fichez-la dehors, je ne veux pas la voir !!!
- Mathilde, tu te calmes ! Tu vas réveiller ta sœur ! gronde sa mère.
- Que je me calme !! Non mais tu plaisantes, maman !! Cette fille insulte ma meilleure amie, elle la rejette comme une malpropre, elle humilie les Dubonpied devant la police et elle ose venir chez nous la bouche en cœur en pleine nuit ? NON MAIS ON MARCHE SUR LA TÊTE !!!
- Mathilde, je te préviens tu vas arrêter d'hurler !!! gronde sévèrement maman.
- SUREMENT PAS NON !!! JETEZ-LA DEHORS !!!
Je fixe le sol des yeux. Je mérite parfaitement la colère de Mathilde. Celle-ci s'approche de moi et me lance avec des yeux de rage :
- Tu n'as pas idée du mal que tu as fait à Élise !!! Elle a passé tout le weekend couchée dans son lit à pleurer !!! Et les personnes qui font pleurer ma meilleure amie ne peuvent qu'avoir honte !!! Tu sais ce qui est le pire ? C'EST QU'ELLE RÉCLAME TON NOM PARCE QU'ELLE T'AIME ENCORE !!!
Je ne réponds rien. Que puis-je répondre de toutes manières ? Encore une fois, je le mérite amplement.
- Peu importe tu te sois sacrifiée par amour, Myriam, me lance très froidement Mathilde, et peu importe si les choses s'arrangent, une chose est certaine : ce que tu as fait là, je ne te le pardonnerai jamais.
Et en prenant soin de me tourner le dos, elle remonte jusqu'à sa chambre et claque violemment la porte derrière elle. Sans surprise, on entend ensuite des pleurs venant d'une autre chambre.
- Et voilà, elle a réveillé Lili, dit Madame Clémentine d'un ton exaspéré.
- Je m'en occupe, dit son mari et il monte à son tour à l'étage. Je te laisse régler l'affaire avec Myriam.
- Bien sûr.
Madame Clémentine attend que son mari soit entré dans la chambre de leur fille cadette avant de se tourner à nouveau vers moi. Elle dit alors froidement :
- Comment vous sentez-vous, Myriam ?
- Moyen. Vous savez, madame, je comprends votre fille. Elle a tout fait raison d'être furieuse contre moi...
- Ma fille ne doit pas crier ainsi mais en effet elle a raison, dit sa mère, vous nous devez des explications, jeune demoiselle. De ce que j'ai entendu dire, vous n'avez pas été très correcte avec les Dubonpied.
Alors je lui raconte toute la vérité. Comment j'ai menti pour que les Dubonpied ne soient plus menacés. Comment cet homme immonde a transformé la maison en véritable prison. Comment j'ai décidé cette nuit de m'enfuir avec l'espoir de me réfugier chez les Clémentine.
- Je vois, dit Madame Clémentine, l'air perplexe. Et vous vous êtes dit que l'on pourrait vous héberger comme si c'était une auberge ?
Je tremble. Je crains qu'elle n'exauce le souhait de Mathilde et ne me mette à la porte. Devinant mes pensées, elle me dit d'un ton rassurant :
- Sachez, Myriam que je n'ai aucunement l'intention de vous jeter dehors. Il est presque une heure du matin et vous allez bien sûr dormir là pour cette nuit. Mais avez-vous conscience que vous mettez ma famille en danger ? Je parle bien sûr de ce qui s'est passé chez les Dubonpied.
- Je... je le sais, madame...
- Dès demain matin au réveil, mon mari vous emmènera au commissariat et vous témoignerez. En d'autres termes vous direz toute la vérité sur cette histoire et je dis bien toute la vérité. Si jamais vous refusez ou que vous mentez encore, cette fois j'approuverai la demande de Mathilde et vous ficherez le camp de ma maison. Est-ce que c'est bien clair ?
- Oui bien sûr, madame. Mais je comprendrais aussi que vous voudriez que je parte dès demain. Je veux dire mon père va vite s'apercevoir de ma disparition...
- Là-dessus soyez tranquille. S'il essaie d'entrer chez nous, il recevra un accueil qu'il n'oubliera pas de sitôt. La chambre qu'occupait la grand-mère de Mathilde est maintenant libre, vous pouvez y dormir. Demain levée à huit heures et pas une de plus, c'est un ordre formel. C'est d'accord ?
- D'accord.
- Bien. Vous pouvez aller vous coucher. Passez une bonne nuit, Myriam.
- Bonne nuit, madame et... merci.
Je suis consciente en effet qu'en venant chez eux, je mets comme elle dit les Clémentine en grand danger. S'il apprend qu'ils me logent, je n'ose imaginer ce qu'il leur fera pour me reprendre. Il faut vraiment que cette affaire soit réglée au plus vite avec l'aide de la police.
Comme prévu, je suis réveillée dès huit heures par Monsieur Clémentine. Sans doute est-ce là l'effet de l'inconscience mais je mets quelques secondes à me rappeler pourquoi je suis dans un lit étranger.
- Venez prendre un petit-déjeuner, Myriam, dit-il avec douceur, ensuite nous irons au commissariat.
Après m'être habillée – j'ai bien entendu pris soin d'emporter des vêtements dans mon sac avant de partir – je descends dans la cuisine des Clémentine. Je me mets à imaginer sa tête lorsqu'il va découvrir, si ce n'est pas déjà fait, que je ne suis plus dans sa maison. Raison de plus pour faire vite car il ne tardera pas à comprendre la vérité.
Tous les Clémentine sont là. La mère se prépare du café, le père mord dans un croissant tout en lisant son journal, et une petite fille qui ne peut être que la sœur de Mathilde boit du lait chocolaté dans son bol. Quant à Mathilde elle-même, elle décide tout simplement de faire comme si je n'existais pas. Elle ne m'adresse aucun regard et refuse catégoriquement de m'adresser la parole.
- Que prenez-vous habituellement comme petit-déjeuner, Myriam ? demande Madame Clémentine.
- Plutôt du lait et des croissants...
Je manque de préciser que c'est surtout chez les Dubonpied que je me suis habituée à ce menu en guise de petit-déjeuner mais je me retiens. Mathilde m'écorchera vive si je mentionne la famille d'Élise.
- Prenez donc un croissant, dit Madame Clémentine en désignant la boite contenant les croissants sur la table, et je vous prépare un bol de chocolat chaud.
N'ayant eu que du pain sec et de l'eau en guise de petit-déjeuner chez vous-savez-qui, je me régale littéralement, tiraillée par une faim devenue insupportable. En supplice ces derniers jours, mon estomac est fou de joie et j'engloutis rapidement deux croissants entiers ainsi que mon bol.
- Bon faut que j'y aille, Élise va m'attendre, dit Mathilde d'un ton sec.
- Bonne journée, chérie, dit son père levant les yeux de son journal.
Et toujours sans me prêter plus d'attention que si j'avais été un morceau de la table, Mathilde se lève, prend son sac puis quitte la maison.
- Ne vous en faites pas pour elle, me rassure son père. Elle approche du septième mois, elle est un peu sur les nerfs à cause des hormones. Bon, vous êtes prête, Myriam ?
Avalant ma salive, je réponds :
- Oui.
PDV : Mathilde
Non mais sérieusement, oser se pointer chez moi à une heure du matin ! Croyait-elle vraiment que j'allais l'accueillir à bras ouverts et lui faire la bise ? Il y a certes la colère mais je pense ce que je dis : je ne peux absolument pas lui pardonner.
Lorsque je retrouve Élise devant chez elle, je me demande un instant si je dois lui dire. Je choisis de m'abstenir pour le moment. Elle reprend à peine goût à la vie, elle n'a pas besoin d'un nouveau choc qui risquerait de la faire replonger.
- Alors comment tu vas, ma belle ? lui demandé-je.
- Aujourd'hui ça va, je suis plutôt en bonne forme, me dit-elle et rien ne me fait plus plaisir que de la voir sourire.
- Viens, on y va, mon amoureux va nous att...
Nous sommes interrompus par un homme que nous reconnaissons tout de suite. Et sa présence ici n'annonce rien de bon. Encore heureux qu'il ne semble pas porter d'arme sur lui.
- Bonjour, mesdemoiselles.
- Bonjour, Monsieur Manguier, dis-je poliment tout en le regardant comme s'il s'agissait d'un excrément de chien. Excusez-nous mais là on doit aller au lyc...
- Vous n'auriez pas vu ma fille par hasard ? coupe-t-il, montrant qu'il n'a clairement que faire que l'on puisse être en retard au lycée.
- Heu non pas du tout, mentis-je. Pourquoi ?
- Elle a fugué. Elle est partie cette nuit avec toutes ses affaires. Elle ne serait pas allée chez vous, mademoiselle Dubonpied ? dit-il d'un ton sans équivoque.
- Sûrement pas non, répond froidement Élise.
- Ni chez vous, mademoiselle Clémentine ?
- Sûrement pas non, dis-je, répétant les mêmes mots qu'Élise.
- Hmm je vous crois, dit-il d'un ton laissant comprendre qu'il ne nous croit pas du tout. Et bien, si vous la voyez, appelez-moi. Bonne journée.
Élise attend qu'il se soit éloigné avant de me dire d'un ton marquant la stupeur :
- Est-ce que j'ai bien entendu ce qu'il a dit ? Elle s'est enfuie de chez lui cette nuit ?
Soudain, je suis mal à l'aise. Dois-je lui dire finalement ? Oui je dois. Je déteste mentir à ma meilleure amie. Finalement, je décide de tout lui raconter.
- Je sais où est Myriam, dis-je.
- Ah bon ? Où ?
- Chez moi.
- Quoi ?
Et je lui raconte l'apparition de Myriam chez nous. Élise n'en revient pas.
- Elle a débarqué chez toi cette nuit ? dit-elle, stupéfaite comme s'il n'y avait rien de plus inimaginable.
- Oui. Je me suis demandée sur le coup si je ne rêvais pas. Elle a réveillé tout le monde avec ses coups frappés à la porte.
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit tout de suite ?
- C'était compliqué de t'appeler à une heure du matin pour t'annoncer que la fille qui t'a humiliée a décidé de venir squatter chez moi, tu comprends ?
- Oui... oui bien sûr. Mais... ma belle ?
- Oui ?
- Elle... elle a l'air comment ?
- Elle a l'air d'une... victime, répondis-je après avoir hésitée sur le mot à employer. Mais je suis tellement furieuse pour ce qu'elle t'a dit, je lui ai craché tout ce que j'avais sur le cœur. Là, mon père va l'emmener au commissariat.
- Au commissariat ?
- Oui. Il faut agir vite car si son père apprend qu'elle est chez nous, nous serons en grand danger. Cet homme est dangereux. Il a menacé ta famille, il est tout à fait capable de s'en prendre à la mienne.
- Tu crois que... qu'elle m'aime encore ?
Maintenant qu'Élise sait que Myriam a menti pour la sauver, elle reprend bien sûr un petit espoir.
- Je ne sais pas, ma belle, je ne suis pas sûre de rien. Mais là il faut qu'on y aille ou l'on va se taper des billets de retard.
PDV : Myriam
- Bonjour, lieutenant Doyle.
- Bonjour, monsieur Clémentine. Que désirez-vous ?
- Nous désirons témoigner contre quelqu'un, répond-t-il.
- Okay. Contre qui ?
- Monsieur Michel Manguier.
Le policier le regarde un instant d'un œil à la fois surpris et perçant.
- Michel Manguier ? En êtes-vous sûr ? Vous savez peut-être qu'une plainte a déjà été déposée contre lui mais a été classée sans suite ? La perquisition à son domicile n'a rien donné, aucune preuve accablante n'existe.
- Je le sais, lieutenant. Mais cette fois c'est différent. Sa fille Myriam ici présente souhaite témoigner de la vérité des faits.
Le lieutenant me regarde et je sais bien sûr qu'il me reconnait aussitôt.
- Vous étiez présent l'autre jour, mademoiselle, je me souviens.
- Oui, monsieur.
- Et vous avez déclaré que les accusations contre votre père sont des mensonges.
- Oui, monsieur. Mais en fait c'est moi qui ai raconté des mensonges.
Je me surprends à constater que, maintenant que nous sommes lancés, je suis habitée par une vague de courage. J'ai vraiment fait une erreur en cédant aux menaces de père. Et en avouant enfin la vérité au lieutenant Doyle, cet homme ne pourra que nous aider. Il nous protégera contre lui.
Doyle me jette un regard perçant, comme pour s'assurer que je suis sérieuse.
- Vous avez menti vous dîtes ? Et pourquoi donc ?
- Parce que je... je ne voulais pas qu'il fasse du mal à ma copine... ni à ses parents...
Le policier me regarde encore mais ne montre aucune animosité. Il est à mon écoute et je suis soulagée de voir qu'il me croit.
- Je vois, dit-il. Je comprends mais vous auriez dû nous dire la vérité à ce moment-là. J'aurais immédiatement placé votre père en garde à vue.
- Je le sais, monsieur. Croyez-moi je regrette vraiment.
- Normalement un faux témoignage est un délit mais j'imagine on peut passer l'éponge pour cette fois. Myriam, je vous demanderai simplement de me raconter, dans les moindres détails, tout ce que vous fait subir votre père et les actes qu'il a commis récemment.
Et là, lancée par mon courage, je lui raconte tout, tout de l'enfer que je subis depuis ma naissance, comment grâce à Élise, ses parents et les Clémentine, j'ai enfin trouvé mes vraies familles, et comment il a menacé les Dubonpied si je refusais de revenir vers lui.
- Et savez-vous ce qu'est devenue l'arme à feu ? demande le lieutenant.
- Oui. Dès que vous êtes parti, il l'a jeté dans le fleuve.
- Bien sûr, une destruction de preuve, un classique. Donc, Myriam, je vous le demande clairement et sans retour en arrière : confirmez-vous tout ce que vous venez de me dire ?
- Oui, monsieur.
Et se raclant la gorge, il dit avec un sourire rassurant :
- Très bien. Je vais vous faire enregistrer cette déposition et ensuite j'irai avec mes hommes arrêter votre père. Je dois aussi vous informer, Myriam, qu'étant mineure, vous allez être placée en famille d'accueil.
- Les Dubonpied en seront ravis, lieutenant, répond Monsieur Clémentine. Ce sont eux qui ont accueilli Myriam comme vous l'avez sûrement compris.
- En effet, dit le policier. Je vais demander à ma collègue de contacter les services sociaux ainsi que les Dubonpied.
- Puis-je ajouter encore quelque chose, lieutenant ? dit Monsieur Clémentine.
- Faites donc.
- Je connais bien Monsieur Manguier car j'ai été salarié dans son entreprise de menuiserie pendant dix-neuf ans. Mais je vais démissionner car je ne peux absolument plus travailler avec cet homme.
- D'accord, nous allons prendre en note, cela renforcera le dossier. Souhaitez-vous ajouter autre chose ?
- Ce sera tout, lieutenant.
- Bien. Alors maintenant écoutez bien car c'est très important, dit-il d'un ton très professionnel : je vous demanderai maintenant de mettre mademoiselle Manguier à l'abri chez vous pendant que nous procédons à l'arrestation de son père. Une simple sécurité, vous vous en doutez. Surtout, qu'elle ne sorte sous aucun prétexte jusqu'à nouvel ordre. Je vous contacterai quand ce sera fait.
- Tout à fait, merci beaucoup lieutenant.
PDV : Élise
Je suis sous le choc. Je ne sais pas quoi en penser. Depuis qu'elle m'a rejetée, je me suis résignée à croire qu'elle me déteste comme elle a toujours prétendu avant que l'on tombe amoureuse. Mais après ce que m'a dit Mathilde, je suis en plein doute.
Je sais qu'elle et le père de Mathilde sont allés au commissariat ce matin pour déposer une nouvelle plainte appuyée cette fois-ci par le témoignage de Myriam. Est-ce possible qu'elle ne pensait pas les horreurs qu'elle m'a dite ? Je n'ai cessé de l'espérer et pourtant, j'ai peur aussi de me faire des illusions. Peut-être fait-elle cela uniquement pour se débarrasser une bonne fois pour toutes de son père...
Jusqu'à la récréation de l'après-midi où, alors que je suis avec Mathilde et Arnaud, ma meilleure amie reçoit un texto. Elle le lit et elle affiche un demi-sourire sur son visage :
- Ma belle, j'ai du nouveau, dis-je.
- Quoi donc ?
- La police s'est rendue chez le père de Myriam pour l'arrêter.
- Ah ? Et alors ?
- Ils ne l'ont pas trouvé, dit Mathilde avec déception. Apparemment il est en fuite.
- En fuite ? Mais ça veut dire...
- Ça veut dire que la police considère sa fuite comme un aveu de culpabilité qui confirme donc les déclarations de Myriam.
Cette nouvelle me réjouit beaucoup mais qu'à moitié puisqu'il n'a pas été arrêté. Il a suffisamment prouvé qu'il n'est pas le genre d'homme à renoncer.
- Et Myriam elle est où ? demandé-je avec inquiétude.
- Chez moi encore, répond Mathilde. Et tes parents ont été mis au courant, ils vont faire une demande pour être sa famille d'accueil.
Tout à coup, c'est comme si les trois semaines qui viennent de passer n'ont jamais eu lieu. Cette fois, mes doutes se sont envolés. La fille que j'aime ne me hait pas. Je vais la retrouver...
- Maintenant, il faut croiser les doigts pour que cet abominable ordure soit vite arrêté, dit Arnaud.
- Exactement, dit Mathilde. Oh ! Clairement, c'est ce qu'elle espère elle aussi, ajoute-t-elle en massant son ventre rond.
Et le soir donc, en rentrant chez moi, j'attends avec impatience son retour. J'attends également des nouvelles car effectivement d'après papa, un mandat d'arrêt a été lancé contre Monsieur Manguier. Une double-attente qui me parait interminable.
Enfin, vers dix-neuf heures, on frappe et elle arrive accompagnée de M. Clémentine.
- Ah vous voilà nous vous attendions, dit papa avec un sourire chaleureux.
Pendant un moment, Myriam et moi nous regardons sans rien dire. Il y a forcément un malaise après ce qui s'est passé. Nous restons là un moment comme des fantômes avant que Myriam ne fasse un pas :
- Élise, je suis tellement mais tellement désolée pour ce que je t'ai dit. C'était affreux, ignoble, inexcusable mais j'avais tellement peur pour toi, pour ta famille. Tu n'imagines pas comment il est, il n'aurait pas hésité à vous faire du mal. Je ne te demande pas de me pardonner, mais j'espère que tu pourras me donner une nouvelle chan...
Elle s'arrête car je me jette dans ses bras. Elle m'a tant manqué, être privée de ses yeux, de sa chaleur, de son amour, a été une souffrance si terrible pour mon cœur. Mais c'est fini maintenant. On est libre, enfin.
- Je te pardonne, chuchoté-je à son oreille.
Derrière moi, les réactions sont diverses. Si papa sourit, maman est plus sceptique. Elle aura sûrement un peu plus de mal à pardonner à Myriam mais comme on dit, le temps guérit les blessures.
C'est ce soir-là finalement que papa reçoit un message du père de Mathilde nous annonçant que le père de Myriam a été interpellé alors qu'il allait emprunter un ferry pour la France. Cette nouvelle nous remplit de joie et particulièrement ma compagne. Elle est enfin libérée pour de bon de cet homme malfaisant qui a fait de sa vie un enfer.
- Il va être placé en garde en vue et ensuite devrait être jugé pour tentative de meurtre et maltraitance, nous explique papa. Nous n'avons normalement plus rien à craindre de cet homme. Il te faudra juste témoigner, Myriam.
Et Myriam acquiesce. Désormais, elle n'aura plus peur. Sa vie vient de changer à jamais.
- Et pour ce qui est de Myriam ? demandé-je.
- La demande pour que l'on soit famille d'accueil devrait être confirmé d'ici quelques jours mais ne vous en faites pas, ce n'est qu'une formalité. Myriam fait maintenant partie de notre famille.
Ce soir-là, quand mes parents sont couchés, je me rends discrètement dans la chambre d'ami où dort Myriam. Elle est allongée et m'attend. Doucement, je me glisse dans le lit à côté d'elle.
Dire que sept mois plus tôt, je la haïssais profondément. Puis Myriam a fini par se révéler. Et aujourd'hui, je n'imagine pas plus ma vie sans elle que sans Mathilde.
- Élise ? me chuchote-t-elle.
- Oui ?
- Merci, merci d'avoir enchantée ma vie.
- C'est Kyo ça, dis-je en souriant.
- Ouép. C'est une de mes chansons favorites. Et elle me correspond pleinement.
On se blottit l'une dans les bras de l'autre. Nous restons silencieuses. Etre là liées par l'amour, cela nous suffit.
- Élise ?
- Oui ?
- Je t'aime.
- Moi aussi, je t'aime tellement.
Et je comprends maintenant ce que ressent Mathilde avec Arnaud. L'amour le vrai c'est ça.
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