1x14 : Je serai le monde car tu porteras mon nom

Musique/Vidéo : Diam's - Car tu porteras mon nom

- Alors tu es prête, Mathilde ?

Je suis à onze semaines de grossesse et j'ai déjà bien perdu en maigreur. Chaque fois désormais que je me regarde dans le miroir, je vois très bien comment mon ventre s'est arrondi et seul le port de vêtement large permet encore de le cacher pour l'instant, maman m'en ayant prêté certains qu'elle avait porté lorsqu'elle attendait Lili.

Aujourd'hui je dois faire ma deuxième échographie alors qu'approche la fin de mon premier trimestre. Je vais revoir mon bébé qui est passé du stade d'embryon à celui de fœtus. Un beau cadeau alors que Noël est dans tout juste une semaine. Arnaud et sa mère sont présents et verront donc pour la première fois le bébé sur l'échographe. Mon amoureux est aussi intimidé qu'ému à cette idée.

La procédure je la connais bien désormais. Le froid du gel versé sur mon ventre ne me fait plus rien. J'ai seulement hâte de voir apparaître mon bébé.

- Et voilà notre petit coco, dit joyeusement le docteur Mitose. Joyeux Noël les futurs parents !

Minuscule la dernière fois alors qu'il n'était encore qu'embryon, le fœtus est petit mais on devine clairement dans la poche en mouvement la forme d'un futur être humain. Comme la dernière fois, j'en ai les larmes aux yeux en contemplant l'échographie. C'est bien lui, c'est bien mon bébé que l'on peut voir bouger. J'ai une petite larme en reconnaissant ce qui est une main.

Quant à mon copain, il est tout aussi ému, lui qui découvre cette merveilleuse image.

- Qu'en penses-tu, mon chéri ? dit Carole en regardant avec joie la poche de l'échographe.

- C'est... beau. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau.

Je souris à mon amoureux. Il est tellement beau quand il est touché.

- C'est quoi là qui bouge ? demande Élise en désignant le fœtus du doigt.

- Ce sont ses pieds, répond le docteur Mitose d'un jovial. Je dois dire que c'est un bébé plutôt joueur. Cela ne fait aucun doute, il se porte à merveille.

- C'est magnifique, dis-je avec douceur.

Je sais désormais que j'ai pris la bonne décision en gardant mon bébé. Jamais je ne pourrai regretter ni oublier ces précieux instants et l'image de lui bougeant dans la poche sur l'échographe.

A côté de ces moments de joie cependant, les premières conséquences arrivent alors que mon ventre devient difficile à cacher. Au lycée, cela commence à se savoir.

Le lendemain, lorsqu'Élise me rejoint pour aller au lycée, elle n'est pas seule. Myriam l'accompagne. Celle-ci fait son retour un mois après sa tentative de suicide. Depuis que je lui ai rendu visite à l'hôpital, elle a retrouvé beaucoup de couleurs et l'on s'est surprise à réaliser que nous ne sommes si pas différentes finalement.

- Je sais que tout ne peut pas être effacé, m'a-t-elle dit un après-midi où je suis allée chez Élise, mais peut-être on peut prendre un nouveau départ ?

Et quoi qu'ayant encore un brin de scepticisme mais faisant pleinement confiance à ma meilleure amie, j'ai accepté de serrer sa main tendue.

Mon amoureux nous accueille en arrivant au lycée. Je l'embrasse tendrement sur la bouche et lui prend la main.

- Alors comment va-t-il ? me demande-t-il avec chaleur.

- A merveille même si je ne le sens pas encore, répondis-je et j'ouvre mon manteau pour lui montrer mon ventre arrondi.

- Et ben ça alors, il pousse très vite ! dit Arnaud, impressionné.

- Il ou elle tient ça de son papa, dis-je avec fierté puis Arnaud se tourne vers les filles.

- Mathilde m'a raconté tout ce qui s'est passé, dit-il. Je te promets, Myriam, que si cet enfoiré te touche encore à un cheveu, je suis prêt à le mettre en pièces.

- Fais attention, mon chéri, n'oublie pas qu'il est aussi le patron de mon père, dis-je.

- Quand même, ça me dégoûte. Comment on peut faire subir des choses pareilles à sa propre fille ? J'ai la haine vraiment !

- Ce n'est pas contre toi, Arnaud, dit Myriam, mais je n'ai pas très envie de parler de mon père...

- Oh ! Oui bien sûr, désolé.

- Ce n'est rien, ne t'inquiète pas.

Myriam se met alors à rougir et pas seulement pour les mots d'Arnaud.

- Tout va bien ? dit Élise un peu inquiète.

- C'est juste que... c'est mon premier au jour au lycée depuis... ce que vous savez et puis, j'ai toujours eu une réputation de terreur, non pas que je la méritais pas c'est vrai, dit-elle avec un rictus, mais je ne sais pas si les autres vont accepter que j'ai changé...

Là, je lui mets les mains sur ses épaules pour la réconforter.

- Myriam, ce ne sont pas les autres qui importent. Nous savons tous les trois ici que tu as changé, que tout n'est pas de ta faute. Si les autres ne le croient pas, c'est leur problème. De plus si je puis dire, c'est plutôt moi qui vais faire parler avec mon costume grandissant de baleine, ajouté-je en riant. Je sais que des rumeurs circulent, ils vont être contents.

Il est clair que moi et Myriam allons alimenter les potins du lycée pendant un moment. Mais avec Arnaud à mes côtés et Élise pour elle en soutien, nous sommes prêts à affronter ragots, regards et commentaires.

Comme je m'y attends par ailleurs, dès que nous entrons dans le lycée, tout les regards se posent exclusivement sur moi, malgré mon manteau large qui cache tout juste mes rondeurs. Il s'agit bien désormais d'un secret de polichinelle. Myriam quant à elle passe complètement inaperçue, personne ne la regarde ni ne lui parle.

- Je crois qu'ils ont compris, ma belle, murmure Élise.

- Ouais bon comme ça leur soif de curiosité est satisfaite, dis-je avec un rictus. Et à la limite si ça ne leur suffit pas, je veux bien leur exposer mon ventre histoire de les calmer.

Arnaud serre ma main dans la sienne. Je vois qu'il est un peu mal à l'aise.

- Ne t'en fais pas, mon chéri, ça va...

A ce moment-là, les jumelles Sissi et Bibi Daubert se postent devant nous telles des soldats au garde-à-vous et nous voyons qu'elles tiennent toutes deux un journal dans la main. Je ne les ai jamais vues aussi heureuses, et cela signifie l'imminence d'une catastrophe.

- Oh salut, Myriam, tu nous as manqué, dit Sissi sans aucune sincérité dans la voix.

Myriam ne répond rien. Elle est consciente que ses anciennes acolytes ne la craignent plus et sont ravies de pouvoir inverser les rôles.

- Et donc, tu sors avec la vampire ? dit sa sœur en ricanant. Drôle de goût franchement. On pensait que tu bavais sur Margot Robbie dans son costume de Barbie.

- Tu veux voir ce qu'elle te fait la vampire, connasse ? dit Élise avec un poing menaçant et les jumelles éclatent de rire.

- Du calme, ma belle, dis-je. Bon, les jumelles, vous voulez quoi ? Si c'est juste pour faire un commentaire sur ma grossesse ou sur le couple d'Élise et de Myriam, ne prenez pas cette peine car beaucoup de personnes s'en chargent déjà.

- Mais oui c'est vrai, Clémentine, tu es enceinte et en plus ça se voit déjà ! lance Bibi avec un sourire moqueur. Putain ce que t'es ronde, c'est un truc de dingue.

- Sérieusement, les filles, qu'est-ce que vous voulez ? dit calmement Élise.

Sissi nous passe le journal, il s'agit d'un exemplaire de Bonjour Lucieville, principal journal quotidien de la ville. Le large sourire qu'affichent les jumelles me donnent autant la nausée que la grossesse. Cela sent très, très mauvais.

Et en effet lorsque je lis le grand titre, je manque de m'évanouir sur place.

SCANDALE AU LYCÉE SIMONE-DE-BEAUVOIR : UNE ÉLÉVE DE QUINZE ANS EST ENCEINTE.

Monsieur Manguier, le célèbre homme d'affaire, chef d'une entreprise de menuiserie et l'un des hommes plus influents de la capitale, a rapporté une information qui fait beaucoup de bruit notamment chez les parents d'élèves : Mathilde Clémentine, la fille de l'un de ses employés François Clémentine, se révèle être tombée enceinte à quinze ans. Une information qui pourrait être banale mais qui provoque l'émoi.

''En apprenant cela, je me pose des questions très honnêtement,'' déclare monsieur Manguier. ''Imaginez un peu l'image que cela va donner au lycée Simone de Beauvoir, dont la réputation n'est plus à faire si une de ses élèves porte un polichinelle dans le tiroir. Je ne veux pas m'impliquer dans la direction mais il serait peut-être alors judicieux d'isoler la jeune fille pour éteindre l'incendie.''

Interrogé sur cette histoire, monsieur Clémentine a refusé de répondre aux questions. Son patron a déclaré ''Il n'y aura évidemment aucune sanction concernant mon employé dont je suis très satisfait du travail. C'est à lui d'assumer l'irresponsabilité de sa propre fille''.

La joie que j'ai ressenti en voyant mon bébé s'effondre d'un coup. Je n'en reviens pas. Ainsi donc c'est ce qu'a trouvé le père de Myriam pour nous humilier et se venger qu'on ait éloigné sa fille de lui. Mais comment... comment !

Je suis tellement choquée que je suis incapable de prononcer un mot. J'ai la haine, la haine contre cet homme immonde qui maltraite sa fille, ne parait aucunement affecté par son malheur, et qui à présent se permet de révéler ma grossesse à tout le monde, quelque chose supposé être privé si l'on puit dire !

- Ma belle, ça va ?

Nous sommes sans voix. C'est impossible, insensé. Je n'ai rencontré Monsieur Manguier qu'une fois et je venais tout juste d'apprendre que j'étais enceinte Comment a-t-il pu savoir ? Et de plus sa haine est contre sa propre fille, il ne me semble pas qu'il existe la moindre animosité entre cet homme et moi.

En tout cas, Sissi et Bibi sont fières d'avoir réussi leur coup. Elles ont l'air d'Anastasie et Javotte après qu'elles aient déchirées la robe de bal de Cendrillon.

- Tu sais quoi, Clémentine ? lance Bibi avec un rire malveillant. Tu as eu de la chance de te taper un beau gosse comme Leroc. Mais que tu sois grosse... beurk.

- On va bien rigoler pendant les mois qui viennent ! ajoute sa sœur.

Élise, folle de rage, s'apprête à se jeter sur elle mais Arnaud l'arrête.

- Elles n'en valent pas la peine, lui dit-il alors que les jumelles s'éloignent en éclatant de rire.

- A vrai dire je me fiche de ces deux connes, dis-je. Ce sont les conséquences de cet article qui vont me déplaire.

Et malheureusement je ne me trompe pas. A peine les jumelles parties qu'une autre personne tout aussi déplaisante se présente à nous. Ces derniers temps, Marc m'a étrangement ignoré sûrement parce que sa dernière conquête l'a largué devant ses potes, ce qui a porté un coup sérieux à son égo. Mais en me sachant enceinte, il semble avoir retrouvé son statut de casseur-de-pieds-en-chef.

- Et ben, moi au moins je pense à la capote ! lance-t-il méchamment.

- Pour ta gouverne, espèce d'abruti, il a mis une capote ! répliqué-je sèchement.

Je sais parfaitement ce qui énerve mon ex : qu'Arnaud m'ait vue à poil et inversement puis que l'on ait couché ensemble.

- Oh... vraiment ? Dans ce cas faudrait qu'il apprenne à la mettre correctement, ironise Marc.

Arnaud se place alors devant lui. Lui d'ordinaire très calme parait à son tour proche de céder à la colère montante. Un sacré duel en perspective entre le garçon que j'aime et celui que je déteste le plus.

- C'est quoi ton problème, mec ? lance mon amoureux.

- Mon problème ? C'est que visiblement ta nana ne sait pas tenir ses propres paroles !

- Je vois, dit Arnaud en ricanant. En fait tu es jaloux. Tu ne supportes pas que je me la suis tapé et pas toi, pardon mon cœur, me dit-il rapidement d'un ton excuse.

- Pas de mal, mon chéri.

- Jaloux ? Tu parles j'ai trouvé beaucoup mieux !

- Elle aussi, mon pote. Elle sait choisir entre ce qui est bon et ce qui pue, réplique Arnaud. Maintenant tu peux foutre le camp ou tu vas le regretter !

- Et je me permets d'ajouter, dis-je avec un sourire diabolique, ne pouvant résister à l'envie de détruire celui qui m'a tant humiliée quelques mois plus tôt, que lui au moins est très bien foutu à un certain endroit. Non pas que j'ai pu le constater chez toi, Marc, mais heureusement je dois dire car j'en ferais encore des cauchemars.

Marc devient cramoisi. Il n'est pas habitué à être remis ainsi à sa place et son égo touché, il essaie évidemment de résister. Sur un ton de défi, il lance à Arnaud :

- Et si je refuse ?

Arnaud brandit alors un poing avec sérieux.

- Alors tu verras que Mike Tyson a côté c'est rien du tout. Maintenant dégage ou je transforme ta gueule en ballon de rugby !

Marc comprend qu'Arnaud ne plaisante pas. Avec un rictus peut convaincant, il marmonne « c'est bon, je voulais rien de mal » et s'éloigne.

Je suis impressionnée. Arnaud est bien ce que j'appelle un vrai mec.

- Je ne te savais pas aussi sérieux, mon chéri, dis-je en souriant.

- J'ai pris des cours de boxe, je me suis dit que ça pouvait être utile même si je n'aime pas la violence. Avec les mecs comme lui, faut montrer que l'on est plus fort, ils font moins les malins ensuite. Et Mathilde ?

- Oui ?

- C'est vrai que je suis bien foutu ? dit-il avec un sourire satisfait.

- Et comment ! Un beau gosse comme toi, mon chéri, c'est un bonheur de le regarder.

Du reste, pendant la journée, il me faut supporter les résultats du désastreux article de journal. Jusque-là, j'ai fait partie de la catégorie des discrètes, ni populaire ni souffre-douleur. Juste une élève sans histoire. Maintenant que tout le monde sait que je suis enceinte, je suis devenue d'un coup la risée du lycée. Il m'est désprùaos impossible de faire le moindre pas dans les couloirs sans subir les railleries, les paroles dans mon dos et les doigts pointés sur moi – ou plutôt sur mon ventre. Et si celui-ci est visible modérément, que va-t-il se passer lorsqu'il aura atteint la rondeur d'un ballon de basketball ?

- Dans une semaine, ils seront passés à autre chose, assure Élise bien que n'ayant pas l'air convaincue elle-même. C'est juste le buzz du moment.

- Il parait cependant que ça fait parler sur Twitter, dit Myriam.

- Heureusement que je n'ai pas de compte Twitter, dis-je.

Je n'ai jamais aimée être au centre de l'attention. Et cette journée me donne encore moins envie de l'être.

Pour autant, ce n'est pas tant les moqueries qui me préoccupent. J'ai beau réfléchir, je ne vois pas comment Monsieur Manguier a pu savoir avant les autres au sujet de ma grossesse.

Il s'avère cependant que l'affaire se règle plus vite encore. Alors que Myriam rejoint sa classe et que nous-mêmes allons entrer dans la nôtre pour le cours de Français, le directeur Monsieur Grand s'approche et ordonne avec fermeté :

- Mademoiselle Clémentine, je voudrais vous voir dans mon bureau s'il vous plaît.

A en juger par l'échange de regard entre le directeur et Madame Osaka, celle-ci est au courant et me regarde d'un œil à la fois perçant et de pitié, ce même œil prenant la direction de mon nombril. Mon amoureux et ma meilleure amie me regardent avec inquiétude alors que je suis le directeur, me demandant bien à quelle sauce je vais être mangée. Nul doute que cette convocation est encore une suite de l'article.

Lorsque j'entre dans le bureau de Monsieur Grand, je découvre que deux autres personnes sont présentes, mes parents. J'aurais vraiment dû rester dans mon lit ce matin.

- Asseyez-vous, mademoiselle Clémentine, ordonne calmement le directeur.

J'obéis en prenant soin de ne pas regarder mes parents. Monsieur Grand se racle la gorge et dit :

- Nous sommes donc ici pour discuter d'un problème sérieux. Il parait que vous êtes enceinte, mademoiselle Clémentine. Confirmez-vous ?

Je fais oui de la tête. Il jette un coup d'œil à mon ventre, ce qui accentue mon malaise, puis continue.

- Bon. Sachez tout d'abord, mademoiselle Clémentine, que je n'ai aucun grief ni jugement contre vous par rapport à votre situation. Ce sont des choses qui peuvent arriver dans la vie. Vous vous doutez cependant que cela fait parler, un article à ce sujet dans la presse provoque beaucoup de discussions, et c'est pourquoi il est nécessaire d'en discuter dès maintenant. Vous êtes bien d'accord ?

- Oui, monsieur.

- J'ai appelé vos parents car leur présence est nécessaire. Votre mère voulait de toutes manières prendre rendez-vous avec moi. Bref, venons-en au fait : mademoiselle Clémentine, de combien êtes-vous enceinte ?

- Je suis à onze semaines, monsieur.

- D'accord. Et que comptez-vous faire ?

- Et bien, je...

Je me sens de plus en plus mal à l'aise. Même si Monsieur Grand paraît calme et compréhensif, je sais que dans sa tête, il pense surtout à la réputation en jeu de son établissement. Les élèves enceintes sont rarement portées en bon exemple.

Maman me jette un regard qui me fait comprendre que je dois répondre. Respirant un grand coup, je dis :

- Je vais le garder, dis-je, au moins jusqu'à la naissance.

- D'accord. Alors je n'ai pas mon mot à dire à ce propos, c'est vous seule qui décidez. Ce que je voudrais savoir, c'est ce que vous comptez faire par rapport au lycée ?

Je comprends enfin la vraie raison de cette convocation. Le directeur subit des pressions et particulièrement par Monsieur Manguier, assurément un de ses pires ennemis.

- Je... enfin je pensais continuer à aller... en cours...

- Je vois...

Pendant plusieurs secondes, Monsieur Grand reste silencieux. Difficile de deviner à quoi il pense. Me soutient-il ou au contraire me prend-t-il pour une irresponsable ? Pense-t-il que je vais nuire à la réputation de son lycée si je décide de rester ? Après tout je suis là devant lui avec mon ventre qui devient de plus en plus rond, et le désir évident de continuer à aller en cours malgré la preuve visible. Enfin, après s'être à nouveau raclé la gorge, le directeur reprend la parole.

- Pour tout vous dire, mademoiselle Clémentine, sachez que je n'ai aucunement l'intention de vous fermer les portes du lycée. Rien n'interdit à une jeune fille enceinte de se rendre en cours. En revanche, je veux que vous ayez bien conscience des conséquences.

- Vous voulez parler de l'article du journal, monsieur ?

- Il y a effectivement ce qui se dit par rapport à cet article. J'ai reçu ce matin des appels de nombreux parents d'élèves ce matin qui sont peu enclins quant à votre présence dans votre état (je croise brièvement le regard de maman qui me fait comprendre de ne pas l'interrompre), toute la presse est aussi sur mon dos et je ne vous parle même pas des réseaux sociaux. Mais écoutez-moi bien surtout : je suis seul décideur et surtout je ne suis pas le genre d'homme à me laisser intimider par le qu'en-dira-t-on. Peu importe ce qui se dit, si vous voulez rester, alors je n'y verrai pas d'inconvénient. En revanche je me dois de vous poser la question en attendant une réponse sincère : êtes-vous prête à affronter le monde extérieur, mademoiselle Clémentine ?

Je réfléchis un long moment. J'ai eu une demi-heure plus tôt un avant-goût de ce qui m'attend dans les six mois à venir. Mais d'un autre côté, je ne suis pas seule. J'ai mon amoureux, lequel devra aussi affronter les railleries en tant que « père du bébé », ainsi que ma meilleure amie et sa compagne. Affronter les autres à quatre sera bien plus facile que seule et c'est ce qui fait toute la différence.

- Je pense que oui, monsieur.

- Okay. Et je dois vous le demander, je sais que c'est délicat, mais je dois savoir : est-ce que le père de votre bébé est un élève de ce lycée ?

- Oui, monsieur. Il s'agit d'Arnaud Leroc.

- Arnaud Leroc, d'accord. Et est-ce qu'il vous a forcé ?

Là par contre, je ne peux pas retenir une grimace. On ne va tout de même pas recommencer comme le soir où je l'ai dit à maman !

- Quoi ? Non pas du tout ! C'était... consenti...

- Calmez-vous, c'était une simple question, je vous crois tout à fait.

- Je souhaite juste vous assurer, monsieur le directeur, dit papa, que ce jeune homme est tout à fait clean. Il soutient ma fille quand d'autres l'auraient laissé tomber.

- Je vous crois tout à fait, tout les professeurs sont satisfaits de son travail et j'ai moi-même une bonne opinion de lui. Sur ce, je pense que nous avons tout dit. A présent, mademoiselle Clémentine, je vais vous raccompagner en classe où je vais m'adresser à votre professeur et vos camarades.

En retournant dans ma classe, je me sens bien mieux et bien plus rassurée. Non seulement Monsieur Grand ne souhaite pas mon départ du lycée mais il me soutient clairement. La défense du directeur sera un solide bouclier contre celles et ceux qui vont me railler. Et surtout un pied-de-nez envers Monsieur Manguier.

Au moment où Monsieur Grand frappe à la porte de la classe, la tension remonte en moi. Je vais maintenant affronter la tempête qui a envahit tout le lycée ce matin.

- Entrez ! fait la voix forte de Madame Osaka depuis l'intérieur.

Monsieur Grand entre et toute la classe se lève aussitôt. Je le suis en tremblant légèrement, mes parents juste derrière moi. Tous les regards se posent sur moi, ou plutôt sur mon ventre pour la moitié de mes camarades. Élise et Arnaud qui me regardent, tout deux l'air de se demander si je vais être condamnée à mort.

- Bonjour, Madame Osaka, pardon de vous déranger pendant votre cours, dit Monsieur Grand.

- Il n'y a pas de mal, monsieur le directeur.

- Bien. Et se raclant la gorge, il s'adresse à la classe : alors nous n'allons pas faire durer le suspense plus longtemps, pour le peu qu'il y en ait : Mademoiselle Clémentine ici présente est enceinte.

Cette information ne provoque pas vraiment de réaction. Tout le monde savait déjà. Juste que maintenant, j'ai l'impression que l'on me regarde comme si je ne portais aucun vêtement sur moi.

- Il a été décidé, poursuit le directeur, que votre camarade continuera à venir en cours normalement jusqu'à son accouchement. Je compte sur vous pour la soutenir, je ne tolérerai ni raillerie ni aucune tentative de la blesser. Est-ce clair ?

- Oui, monsieur le directeur, répondent mes camarades en chœur.

- Mademoiselle Clémentine, souhaitez-vous dire quelque chose ? me dit Monsieur Grand.

- Oui, monsieur le directeur.

Car soudainement, j'ai l'inspiration et Monsieur Grand m'offre l'opportunité. Ou peut-être est-ce l'envie de faire taire les personnes qui rigolent dans mon dos comme les jumelles. Toujours est-il que je respire un grand coup et dit à la classe :

- Oui c'est vrai je suis enceinte. Mon copain et moi avons couché ensemble une seule fois et cela a suffi. J'approche de mon quatrième mois et ça se voit déjà.

''Mais est-ce que je devrais en avoir honte ? Certes, j'aurai seize ans au moment d'accoucher et oui, je suis trop jeune pour être mère, je suis d'accord sur ce point. Mais ce qui est arrivé est arrivé. Devrais-je me cacher ? Doit-on considérer mon ventre rond comme une honte infamante ? Nous sommes en Rozanie, notre pays est considéré comme le plus tolérant du monde, même avec les filles-mères.

Ce matin, j'ai appris que Monsieur Manguier, le père de Myriam, a révélé ma grossesse à la presse et là par contre je trouve que c'est scandaleux. Parce que ma vie privée a été trahie, parce que l'on m'a honteusement trainée dans la boue. Qu'est-ce que ça peut faire qu'une adolescente de bientôt seize ans soit enceinte ? Ce n'est pas leur vie que je sache. Est-ce que la Terre va s'arrêter de tourner ? Pour vous toutes et tous, que j'aie un gosse à seize ans ne changera rien à votre vie. Seules la mienne et celle du père seront différentes. Et même si ça me fait très peur, même si je sais que ce sera dur, je suis prête à assumer. Parce que ce bébé, mon bébé, je l'aime, je lui parle. Je lui chante tout les soirs une célèbre chanson : je le jure, je serai là du berceau à la tombe, je serai le monde car tu porteras mon nom.

Et à ce moment-là, je sais quelle est ma décision définitive : je vais le garder, pas seulement pour le mettre au monde mais le garder définitivement. Depuis que j'ai renoncé à l'avortement, je pense que je l'ai toujours su au fond de moi. Cela ne fait que onze semaines que je le porte mais je ne peux plus m'imaginer m'en séparer. C'est mon bébé, je suis sa mère et je vais l'élever.

- Tout cela pour dire, continué-je, que l'on peut me railler, me traiter comme de la crotte, m'insulter de grosse vache et tout ce que voulez, je sais que les personnes que j'aime seront toujours là pour moi. Le père du bébé est ici même dans cette classe et il m'a largement prouvé son amour. Il y a aussi ma meilleure amie qui est l'une des plus belles personnes que je connaisse, sans oublier sa copine, mes parents, ma grand-mère, ma petite sœur, la mère de mon copain. Tous sont ma famille. Et la famille est ce qu'il y a de plus important au monde. Quand votre famille est là pour vous, plus rien n'est un obstacle dans la vie. Je sais qu'avec ma famille, je réussirai à m'en sortir et à offrir une vie heureuse à mon bébé.

Je m'arrête. Pendant plusieurs secondes, le silence est total puis une camarade à qui je n'ai jamais parlé se lève et se met à applaudir. Et très vite toute la classe fait de même. Élise se lève d'un bond de sa chaise et court se jeter dans mes bras. Arnaud fait de même pour m'embrasser. Mes parents sont ravis, Monsieur Grand est fier et même Madame Osaka m'affiche un grand sourire. Mais le plus touchant, c'est maman : elle a la larme à l'œil. Je ne crois pas qu'elle ait jamais été aussi fière de moi.

- Félicitations, Mademoiselle Clémentine, dit Madame Osaka. Je pense que vous avez plus que convaincu.

Peu à peu, les applaudissements s'éteignent. Se raclant encore une fois la gorge, Monsieur Grand dit :

- Bien. Je pense que tout a été dit. A présent, je dois aller calmer la presse. Et au fait, monsieur et madame Clémentine, souhaitez-vous porter plainte pour diffamation ?

- Oh non ça ira, dit mon père sans hésiter. Je pense que ma fille a adressé la réponse parfaite.

M'est avis de penser que papa ne veut surtout pas prendre de risque face à son patron mais je sais qu'il pense à bien.

- Bien. Sur ce, je vous laisse reprendre votre cours, Madame Osaka. Travaillez bien, jeunes gens.

La journée se finit bien mieux qu'elle n'a commencé. Mon discours en classe fait vite son chemin. Plus personne ne chuchote dans mon dos ou ne pointe mon ventre du doigt. Et à en juger par leurs mines déconfites, les jumelles ont très vite compris que plus personne ne veut les écouter. Toutefois je veux garder les pieds sur terre. En toute gentillesse, j'ai demandé que l'on me laisse tranquille, que je puisse vivre tout à fait normalement, être simplement auprès des personnes que j'aime.

Quant à Myriam, lorsqu'elle me revoit durant la pause-récréation, elle fait quelque chose que, trois mois plutôt, je n'aurais jamais cru de sa part : elle m'embrasse sur la joue.

- Comment ai-je pu te haïr pendant toutes ces années ? chuchote-t-elle.

Néanmoins, dans tout ce bonheur vite retrouvé, il reste un caillou dont je dois me débarrasser : qui a parlé à Monsieur Manguier ?

PDV : Élise

Je suis tellement fière de ma meilleure amie, de son courage d'assumer enfin ce qui lui arrive, de son courage d'accepter l'idée d'être mère malgré son jeune âge.

Et surtout, je suis tellement fière de ma copine.

Depuis qu'elle vit chez nous, Myriam a changé. Elle parait bien plus épanouie, bien plus confiante. Mes parents l'ont accueilli comme leur propre fille. Et elle a enfin ce qui lui a tant manqué durant sa vie : l'amour.

Et moi, comme Mathilde avec Arnaud, j'ai trouvé l'amour de mes rêves. Je l'aime.

Qui aurait cru cela il y a encore trois mois lorsque Myriam paraissait encore être la personne la plus exécrable du monde ? Mais le destin a parlé. Myriam a révélé sa vraie nature, non la peste terrifiante que l'on pensait jusque-là mais une fille bien qui a la malchance d'avoir un homme horrible comme géniteur.

Aujourd'hui, nous décidons de passer un peu de temps ensemble en amoureuses. Nous assumons, nous nous tenons la main. Dans notre pays, l'homosexualité est parfaitement banalisée, personne ne fait le moindre commentaire ni ne nous regarde. Nous nous rendons dans le jardin des plantes de la ville où nous pouvons être tranquille.

Le temps est magnifique, idéal pour passer un moment en amoureuse. Nous prenons place sur un banc dans un coin déserté. J'entoure la taille de Myriam avec un bras et elle blottit sa tête sur mon épaule.

Aucune de nous deux ne prononce un mot pendant un moment. Nous sommes heureuses là ensemble en amoureuse. Près de nous se dresse un sapin décoré qui annonce les fêtes. Une sorte de reflet de notre amour.

Puis tout à coup, Myriam me dit :

- Tu sais, Élise, j'ai peur.

- Peur de quoi ? dis-je en la regardant.

- De mon père bien sûr. Je ne l'ai pas revu ni eu de nouvelles depuis que je suis chez vous mais il ne peut pas avoir renoncé. Cet article sur la grossesse de Mathilde en est la preuve.

Je lui adresse un sourire rassurant.

- Tu es en sécurité chez nous. Nous ne le laisserons plus te faire du mal. Je ne le laisserai plus te faire de mal. Et ma chérie ?

- Oui ?

- C'est bientôt Noël, on fera une grande réunion de famille avec les Clémentine et les Leroc. Même si ton père est dans les parages, il n'osera jamais s'attaquer seul à autant de personnes.

Mes mots suffisent à apaiser les craintes de ma compagne. Je l'embrasse tendrement sur la joue et elle se blottit de nouveau contre moi.

Oui c'est bientôt Noël. Et après les récents évènements, de la grossesse de Mathilde au passage de la haine à l'amour entre nous moi et Myriam, ce Noël promet d'être le plus beau de notre vie.

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