1x13 : Qui arrête les colombes en plein vol ?

Musique/Vidéo : Mecano - Une femme avec une femme

PDV : Mathilde

Une semaine plus tôt...

- Alors cette fois-ci, le rendez-vous a bien lieu, dit le docteur Mitose avec un sourire, un sourire auquel je réponds avec un autre plus faible. Alors, expliquez-moi donc ce qu'il se passe, dit le médecin.

- Et bien, mon irresponsable de fille n'a pas su attendre et résultat elle est enceinte, répond directement maman avant que j'aie pu dire un mot.

- Je vois. Et que souhaites-tu faire, Mathilde ?

Je jette un regard à maman pour lui faire comprendre que je souhaite répondre et elle acquiesce d'un signe de tête.

- J'ai décidé de mener la grossesse à terme, dis-je.

- D'accord, dit le médecin et se penchant légèrement vers moi, il me dit sur le ton d'un grand-père bienveillant : plusieurs options vont dès lors s'offrir à toi, Mathilde. Tu les connais ?

- Oui. En gros après la naissance soit je le garde définitivement, soit j'accouche sous x, soit je le fais adopter.

- Exactement. Et dans le cas d'une adoption, tu as le choix entre une adoption ouverte ou fermée.

- Ouverte ou fermée ?

- Oui. Si tu choisis une adoption fermée, l'enfant n'aura strictement et légalement aucun lien avec toi. Les parents qui l'adopteront seront définitivement déclarés comme ses parents adoptifs sans possibilité de rétractation. Tu n'auras aucune nouvelle ni rien d'autre, il vivra complètement hors de ta vie.

- Et si c'est ouvert ?

- Là ce sera le contraire. Tu pourras contacter la famille adoptante si tu souhaites prendre des nouvelles de ton enfant. Autrement dit, tu seras toujours considérée par la loi comme sa mère biologique.

Je suis en pleine réflexion. Il est essentiel pour mon bébé de lui assurer une existence heureuse avec des parents prêt à lui offrir tout leur amour. Mais choisir entre une adoption ouverte ou fermée ? Pour le moment, je n'en ai aucune idée. En fait pour le moment je ne sais pas. Je n'exclue pas non plus de le garder pour de bon.

- Il faut que tu saches, Mathilde, poursuit le docteur Mitose, que c'est avant tout à toi de décider, et que quelle que soit ta décision, nous seront là ta famille et moi pour te soutenir.

- Merci, docteur.

- Alors on prend rendez-vous la semaine prochaine pour la première échographie ?

Maintenant...

Le soir, allongée sur mon lit, je ne cesse de contempler l'échographie comme fascinée. La plus belle chose que j'ai vue de ma vie.

J'ai une main posée sur le ventre. Il me parait tellement incroyable que l'échographie en représente l'intérieur. D'après ce que j'ai pu lire dans un livre sur la grossesse que m'a confié grand-mère, le bébé mesure près de trois centimètres, la taille d'une graine. A ce stade, rien n'est réellement visible de l'extérieur mais si je regarde bien, je peux remarquer un léger renflement au niveau du nombril.

Maintenant que le choc d'apprendre que je suis enceinte est passé, je ne suis plus aussi effrayée. Bien sûr je redoute la réaction du lycée qui ne va pas tarder à le savoir, mais je sais que le soutien d'Élise, d'Arnaud et de ma famille va m'aider à surmonter leurs regards et leurs jugements. Je suis prête à les affronter tel un guerrier se lançant dans la bataille.

- Je vais te mettre au monde, chuchoté-je à mon ventre. Est-ce que nous vivrons ensemble ? Je n'en suis pas encore sûre mais je ferai en sorte que tu aies une famille heureuse.

Un pop m'indique que j'ai reçu un message privé sur Messenger. C'est Élise qui vient prendre des nouvelles. Je réalise alors que nous n'avons pas tout à fait terminées notre conversation au sujet de Myriam.

- Ça va, ma belle ?

- Bien et toi ?

- Ouais. N'empêche c'est tellement beau ce qu'on a vu.

- C'est clair. Je ne pensais pas que ça pouvait être aussi beau.

- Je ne réalise pas encore que ma meilleure amie va avoir un bébé.

- Attention, ma belle, je le porte seulement. Je n'ai pas décidé si je le garde après.

- Ne t'en fais pas, ma belle, je sais que tu prendras la bonne décision pour lui ou pour elle.

- Au fait, il faut qu'on en parle. Comment va Myriam ?

- Elle vient de s'installer dans la chambre d'ami. Elle n'est toujours pas sûre mais on a tout dit à mes parents et ils sont d'accord. Ils veulent la protéger de son ordure de père.

- Si on avait su ce qu'elle subissait...

- Oui... la pauvre n'est pas méchante, elle est malheureuse. Mais on est là pour elle maintenant. Et ma belle ?

- Oui ?

- Merci... de me soutenir pour ce que tu sais.

- Franchement, ma belle, je serais très mal placée pour te juger. Je suis enceinte je te rappelle ! Et c'est tout à fait normal d'aimer le même sexe.

- Ouais grave mdr. Mais j'avais peur tu vois, il y a encore tellement de mépris pour les filles comme moi...

- Élise, ça ne change absolument rien. Tu aimes les filles et alors ? On est en Rozanie en 2023, personne n'est choquée par ça.

- J'aime pas trop quand on dit « on est en 2023 » justement.

- Ouais tu as raison mais je veux dire, tu as le droit d'être ce que tu es. Ce sont les gens qui te méprisent qui devraient avoir honte. C'est bien ce que veut dire la chanson d'Indochine College Boy. Étre lesbienne n'est pas une honte, être homophobe ça l'est.

- Mais trop. Merci ma belle. Je suis tellement heureuse d'avoir une amie comme toi.

- Mathilde, est-ce que tu peux descendre dans le salon s'il te plaît ? fait la voix de papa.

- Je te laisse, ma belle, mon père m'appelle. On se dit à plus tard, gros bisous, je t'aime.

- Moi aussi, ma belle, je t'aime.

Et après lui avoir envoyé trois cœurs rouges, je descends dans le salon, curieuse de savoir pourquoi mon père m'appelle.

La réponse m'y attend. Arnaud est là accompagné de sa mère. Leur visite était attendue. Je vois de suite que Madame Leroc parait nettement moins joyeuse que le soir du dîner. Je comprends tout de suite que mon amoureux a parlé à sa mère.

PDV : Arnaud

Hier

- Maman, je dois te parler.

Mathilde m'a envoyé sur Messenger une capture de l'échographie. Je ne souhaitais pas venir avant de l'avoir dit à ma mère et ma copine l'a compris. J'ai eu une petite larme à l'œil en découvrant cette incroyable image. Est-ce que ce petit bout se trouve réellement dans son ventre ?

Jamais je n'ai ressenti un aussi grand choc que quand Mathilde m'a avoué sa grossesse. Je me suis sur le moment senti très coupable même si ma petite amie a voulu me rassurer, ce n'est pas plus de ma faute que la sienne. Et je l'aime comme jamais je n'ai jamais aimé une fille. Sans hésiter, je lui ai dit que je veux assumer ou du moins que je serai là quelle que soit sa décision.

Que peut-il passer dès lors dans la tête d'un garçon de mon âge dont la copine est enceinte ?

Je sais que Mathilde a tout dit à ses parents. Sa mère est furieuse mais la soutient tout comme le reste de sa famille. Mathilde m'a toutefois recommandé de vite en parler car sa mère veut absolument nous voir. J'ai donc estimé qu'il est temps pour moi aussi de le dire à ma mère et c'est ce que je m'apprête à faire ce soir-là durant le dîner.

Ma mère, fatiguée par le boulot pour avoir l'envie de cuisiner, a choisi de commander une grande pizza quatre fromages que l'on se partage en deux. Lorsque je lui parle, elle lève les yeux vers moi, avale sa bouchée et me dit :

- Oui, mon chéri, que se passe-t-il ?

Sûrement car elle m'élève seule depuis ma naissance, je n'ai jamais eu de difficultés à discuter avec ma mère de sujets tel que la capote. Mais lui annoncer une telle nouvelle... c'est autre chose. Je n'ai pas le choix cependant, je dois lui dire.

- Il s'est passé quelque chose avec Mathilde...

- Quelque chose ? Vous vous êtes disputés ? dit maman avec inquiétude.

- Non pas du tout, enfin bref voilà : on a couché ensemble.

Maman n'est pas tellement choquée, peut-être car je suis un mec justement, mais quand même un peu surprise.

- Vraiment ? dit-elle. Je pensais que ce serait plus tard. Vous vous êtes protégés j'imagine ?

Elle brûle, elle brûle...

- Oh ! Oui oui bien sûr, j'ai utilisé la capote. En fait le jour où tu avais une réunion à l'école maternelle, je l'ai invitée à la maison. Nous sommes montés dans ma chambre et...

Maman me jette un regard perçant. Est-elle déçue ? Aurais-je dû la prévenir que Mathilde est venue chez nous ? Possiblement oui. Mais elle n'est pas en colère cependant.

- Au moins comme ça c'est fait, mon chéri. Vous êtes débarrassés. Du moment que vous vous êtes protégés tout va bien.

- Justement, maman, il n'y a pas que ça...

- C'est-à-dire ?

Je déglutis. C'est maintenant, je ne peux plus reculer.

- La capote... elle n'a pas fonctionné...

- Quoi ?

- Et bien, en fait, heu, voilà...

- Mathilde est enceinte, n'est-ce pas ?

Maman a tout compris. Je déteste tellement l'idée de décevoir ma mère, cela me fait si mal au cœur. Même si là encore elle ne parait pas en colère.

- Je te jure, maman, que j'ai vraiment fait attention, que ça n'aurait pas dû arriver...

- Mais c'est arrivé n'est-ce pas ?

- Oui.

Maman pousse un soupir.

- Vous en êtes certain ?

- Oui. Mathilde m'a montré le test.

- Bon, on ne va pas non plus piquer une crise. Ce qui arrive est grave, certes, mais il faut affronter la situation calmement. Tu sais si sa famille est au courant ?

- Oui elle leur a dit.

- Ok alors voici ce que l'on va faire, dit maman. Je vais téléphoner aux parents de Mathilde, il faut que l'on se voit et que l'on en discute ensemble.

Maman s'approche doucement de moi et me dit avec douceur :

- Je ne vais pas te mentir, mon chéri, je suis déçue. Je pensais que vous attendriez avant de... le faire. Mais vous l'avez fait et Mathilde enceinte. A présent, il faut assumer et prendre les bonnes décisions.

- Maman...

- Oui, mon chéri ?

- J'ai... j'ai peur.

Je me rends compte que j'ai les larmes aux yeux. Je n'ai plus versé de vraies larmes depuis l'âge de dix ans. Mais face à l'émotion ressentie face à cette situation, je ne peux tout simplement pas me retenir. Que va-t-il nous arriver ? Que va-t-il m'arriver ?

- Maman, j'aime Mathilde de tout mon cœur, je ne peux pas me passer d'elle et si elle garde le bébé, je... je veux assumer tu vois... mais j'ai peur... je n'ai jamais eu de père et je ne sais pas si je pourrais...

Maman me prend dans ses bras pour me réconforter.

- Ça va aller, mon chéri, il faut te dire que vous n'êtes pas seuls, que tu n'es pas seul. Je suis là et je te soutiens. Et mon chéri ?

- Oui ?

- Je suis contente que tu me l'aies dit. Quoi qu'il arrive, je suis avec toi et avec vous.

PDV : Mathilde

Maintenant

- Tilde', alors tu auras le bébé ? couine Lili de ses yeux innocents.

Je me mets à genoux face à ma petite sœur et lui réponds avec douceur :

- Oui, Lili, un bébé va bientôt arriver.

Lili n'a jamais paru aussi heureuse.

- Chouette ! Je pourrais jouer avec lui ?

Je lui souris. Elle n'a que cinq ans, pour elle c'est juste un bébé qui doit arriver, je ne peux évidemment pas lui dire qu'elle pourrait n'être qu'une tante biologique.

- Lili, monte dans ta chambre s'il te plaît, ordonne maman.

- Non, je veux rester...

- Lili, ne discute pas. Il est déjà tard, c'est l'heure pour toi d'aller dormir, dit maman avec fermeté.

Avec un air boudeur, Lili obéit. Maman attend qu'elle ait fermée la porte de sa chambre avant de dire :

- Bien. Maintenant que nous sommes tous réunis, nous allons pouvoir commencer ce que l'on peut appeler une « grande réunion de famille ». Madame Leroc, Arnaud, veuillez vous asseoir sur le canapé je vous prie.

Alors que tout deux font ce qu'elle dit, je remarque que maman prend bien soin de ne pas accorder le moindre regard à mon amoureux. Si elle a accepté la situation, cela ne veut pas dire pour autant qu'elle lui a pardonné loin s'en faut.

- Votre fils vous a tout dit, je présume ? dit maman toujours en ne regardant que la mère d'Arnaud.

- Oui. Il m'a parlé hier, dit Carole.

- Bon. Alors on ne va pas tourner autour du pot : ma fille a décidé de ne pas avorter. Elle va mener sa grossesse à terme. Aussi irresponsable soit-elle, c'est là son choix et nous devons l'accepter.

Je regarde mon amoureux. Je m'en veux tellement de lui faire vivre tout ça. Il me retourne son regard sans aucun sourire. Difficile de deviner à quoi il peut penser.

- Elle compte donc avoir le bébé si je comprends ? dit Carole.

- Pour l'instant, je souhaite juste le mettre au monde, je ne sais pas encore ce que je ferai après, dis-je. Du moins je n'en suis pas encore vraiment sûre.

- Et c'est justement à ce propos que l'on s'interroge, dit papa. Une fois le bébé né, qu'allons-nous faire ?

Discuter ainsi tous ensemble du destin du futur bébé me donne un faible sourire. J'ai l'impression d'être au conseil d'Elrond devant décider que faire de l'Anneau Unique.

- Je pense pour ma part que Mathilde et son compagnon doivent peser le pour ou contre, dit grand-mère. Si vous décidez de garder l'enfant, pensez-vous pouvoir assumer par rapport au lycée ?

- Je sais que ma vie ne sera plus pareille... dis-je.

- Et comment qu'elle ne sera plus pareille, dit un peu froidement maman. Que tu décides de garder ou non le bébé, tu resteras à vie une mère adolescente, ma chérie.

- Nous n'avons pas besoin de vous rappeler que vous êtes tout les deux en Seconde, dit papa. Vous aurez encore deux années à faire au lycée avec l'examen final au bout. Pensez-vous pouvoir gérer vie de parents et vie de lycée ?

Ni moi ni Arnaud ne disons un mot.

- Je dois vous prévenir tout de suite, continue-t-il, que mon travail de menuisier ne me permettra pas de faire constamment le baby-sitter.

- Et moi non plus avec mon travail d'ATSEM, dit la mère d'Arnaud.

- A la limite moi ça ne me poserait pas de problème de le garder la journée, déclare grand-mère.

- Certes, maman, mais il ne faudrait pas que tu aies un rôle de mère de substitution, dit mon père.

- J'ai peut-être soixante-quatorze ans mais je peux encore tout à fait pouponner avec mon arrière-petit-fils ou mon arrière-petite-fille.

- Avez-vous des parents, madame ? demande soudainement maman à la mère d'Arnaud.

- Non, je n'ai jamais connu ma mère et mon père est mort peu après la naissance d'Arnaud, répond Carole.

- Pour en revenir à nos moutons, continue papa avant que maman ait pu reprendre la parole, je veux que les choses soient claires : ce n'est pas ma mère qui prendra en charge l'éducation de l'enfant pendant que nos futurs jeunes parents iront étudier au lycée.

- On pourrait toujours engager une nounou ? suggéré-je.

- Une nounou ? Tu crois sérieusement que l'on a les moyens d'engager une nounou ? s'exclame maman comme si je venais de raconter une mauvaise blague.

- Je ne trouve pas que ce soit une mauvaise idée, dit papa.

- Sérieusement, François ? On arrive déjà tout juste à payer les factures, l'abonnement Netflix de mademoiselle et ta chaîne de foot, on ne peut pas en plus ajouter les frais d'une nounou ! répond maman d'un ton sans réplique.

- Au pire, on s'arrangerait entre nous pour la journée, suggère Carole. Selon nos emplois du temps respectifs bien sûr.

- Et en rentrant du lycée, vous n'auriez plus à vous inquiéter, je m'en occuperais et Arnaud aussi, assuré-je.

- De toutes façons, pourquoi discutons-nous de tant d'hypothèses ? s'exclame maman. Nous savons très bien que l'option la plus raisonnable est que le bébé soit adopté. Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir sur ce cas de figure ?

- Je connais un couple d'amis qui souhaite adopter un bébé, dit Carole. Ils attendent depuis des années et je sais qu'ils feraient de merveilleux papa.

- Il vaut peut-être mieux attendre la naissance pour ne pas donner de faux espoirs à un éventuel couple, dit papa.

- C'est une évidence, dit grand-mère.

- Puis-je dire quelque chose ? dit Arnaud.

C'est la première fois qu'il prononce un mot depuis qu'il est arrivé avec sa mère. Elle et moi lui adressons un sourire d'encouragement.

- Allez-y, dit papa.

- Je voulais juste dire... que je suis prêt à assumer si Mathilde décide de garder l'enfant, dit-il d'une voix petite mais déterminé. Mathilde est la fille que j'aime et je ne veux pas la perdre. Je suis responsable tout comme elle.

- Il fallait peut-être y penser avant de la mettre en...

- Gisèle ! Vous ne pensez pas qu'il a suffisamment été blâmé ? coupe grand-mère sur un ton de reproche. Ce garçon a au moins le mérite de vouloir prendre ses responsabilités. D'autres que lui se seraient empressés de fuir, auraient été incapables de faire face à une telle situation. Personnellement, je suis fière de lui et fière que Mathilde ait quelqu'un comme lui dans sa vie.

Jamais je n'ai autant aimé ma grand-mère qu'en cet instant.

- Ma mère a raison tu sais, dit papa. Pardonnez mes paroles crues, madame Leroc, mais si votre fils s'était dégonflé, je l'aurais brisé en mille morceaux pour avoir humilié ma fille. Mais le fait qu'il souhaite être auprès d'elle et la soutienne, et bien il faut reconnaître que c'est une belle preuve d'amour.

- Et rien que pour ça, mon chéri, moi aussi je suis fière de toi, dit Carole à son fils et celui-ci affiche un petit sourire. Je ne suis pas plus heureuse que les parents de Mathilde de ce qui arrive mais au moins tu agis avec maturité.

- Bref, il est temps de conclure ce débat, dit grand-mère rapidement avant que maman ait pu dire un mot. Mathilde, c'est donc décidé : tu vas mettre l'enfant au monde ?

- Oui.

- Bon. Nous le répétons encore, nous serons tous là pour te soutenir. Ne le prenez pas mal, jeune homme, ajoute-t-elle à l'adresse d'Arnaud, mais c'est clairement ma petite-fille qui va souffrir le plus. Bientôt, tout le monde saura qu'elle est enceinte et même en Rozanie, les jeunes filles enceintes ne sont pas très bien vues. C'est elle aussi qui devra accoucher dans la souffrance.

- Mon fils aussi risque de subir des moqueries quand on saura que c'est lui le père, déclare Carole.

Ni moi ni Arnaud ne répondons. Oui nous le savons à l'avance, nous alimenterons les ragots lorsque tout le monde saura. Mais ensemble, j'en suis certaine, nous ferons face.

- Néanmoins les gens passent vite à autre chose, ajoute papa, accrochez-vous simplement et tout ira bien.

- Il faudra tout de même que j'en informe le directeur de Simone de Beauvoir, dit maman, parce que ça ne fera pas seulement parler que chez les ados, soyez-en certains.

- Et pour ce qui est de l'après, dit grand-mère, nous avons encore le temps d'y réfléchir mais une fois encore, c'est notre Mathilde qui aura le dernier mot.

- Sur ce, je pense que nous avons à peu près tout dit, dit papa. Et c'est parfait, il y a un match Real Madrid-Liverpool à la télévision.

Lorsque je m'allonge sur mon lit dix minutes après, je pose une nouvelle fois une main sur mon ventre. Et je parle à nouveau à mon futur bébé avec douceur :

- Pendant neuf mois, tu vas grandir en moi, mon bébé. Ensuite je ne sais pas si ce sera moi qui t'élèverai, mais sois déjà sûr d'une chose : c'est que je t'aime et que ton père t'aime aussi. Et si tu es élevé par d'autres personnes, je suis certaine qu'ils t'aimeront tout aussi fort. Je ne veux que ton bonheur.

Je me lève un instant pour me regarder dans le miroir, la main toujours sur le ventre. Je me rends compte qu'il est un peu moins plat. J'ai peut-être déjà pris un ou deux kilos. Un sourire apparait sur mon visage.

PDV : Élise

- Maman, papa, je dois vous dire quelque chose.

J'ai décidé enfin de me jeter à l'eau. Je ne peux plus garder le secret, je veux que mes parents sachent ce que je suis.

Je ne suis pas certaine de la réaction de mes parents. Je ne crois pas qu'ils aient le moindre problème concernant l'homosexualité mais je me rappelle comment ils avaient eu du mal à accepter mon look gothique et ma passion pour, comme dit mon père, « ce qui fait du bruit ». De ce fait, je ne peux m'empêcher d'être un peu stressée.

Aussi, c'est avec une boule au ventre que je décide de leur parler. Comme Mathilde au moment d'avouer être enceinte à ses parents, je suis très tendue mais au moins, je me dis, je serai débarrassée. Je leur ai demandé de s'assoir tout les deux sur le canapé. Je me tiens face à eux, aussi craintive que si je m'apprêtais à leur annoncer être en état d'arrestation.

- Alors que se passe-t-il, chérie ? dit papa.

- Ben voilà, je... je voulais vous parler de...

Mais pourquoi est-ce aussi dure ? Je sais maintenant ce qu'a pu ressentir ma meilleure amie.

- Parle-nous, encourage maman.

- Ben en fait voilà... j'ai une amie qui m'a dit que... enfin voilà, elle m'a dit qu'elle aime les filles.

Ils ne répondent rien. Ils se contentent de me regarder pour me dire de continuer.

- Je me demandais... comment je pourrais la conseiller ? Elle n'ose pas en parler et surtout pas à ses parents...

- Élise ?

- Oui, maman ?

- Cette fille c'est toi n'est-ce pas ?

- Non enfin si je... quoi ?

- Ma chérie, nous savons, dit papa avec un sourire chaleureux.

- Vous savez ?

Je n'en reviens toujours pas. Comment ont-ils pu... ?

- Et ça ne vous embête pas ? dis-je, tremblante comme une feuille.

- Pourquoi cela nous embêterait ? dit papa comme s'il n'y avait rien de plus étonnant.

- Je ne sais pas...

- Ma chérie, dit maman, nous t'aimons très fort. Tant que tu es heureuse c'est le principal, peu importe qui tu aimes.

- Ta mère a raison. Ce qui compte pour nous est que tu sois heureuse. Et si tu préfères les parties féminines, ça ne nous gêne pas du tout, ajoute papa en riant.

- Et si tu te demandes, bien sûr que cela ne nous empêchera pas d'être grands-parents le cas échéant, me dit maman.

Je ne peux m'empêcher de pousser un petit rire.

- Mais comment vous l'avez su ?

- Certaines choses se voient, répond papa. Et tu oublies parfois d'éteindre ton ordinateur avant de partir au lycée.

- Et nous avons compris pourquoi tu as tant insisté pour que l'on accueille Myriam, dit maman. Tu l'aimes n'est-ce pas ?

Je fais oui de la tête.

Je suis grandement soulagée. J'ai l'impression de m'être libérée d'un poids lourd. Mes parents ont toujours su... et surtout ils l'acceptent.

Je m'apprête à aller dans ma chambre pour envoyer un message à Mathilde quand on frappe à la porte...

PDV : Myriam

Je suis assez surprise par l'accueil des parents d'Élise. Sans doute ne suis-je pas habituée à autant de bienveillance. Et ce bien qu'Élise m'a assurée au moins dix fois que tout irait bien.

- Tu es comme chez toi, ma chérie, m'a dit Madame Dubonpied. Cette chambre est à toi aussi longtemps que tu voudras.

J'ai eu un faible sourire. Une chambre pour moi... ma chambre – enfin désormais mon ancienne chambre – était mon refuge pour échapper autant que possible à mon père.

- Souhaites-tu manger quelque chose, Myriam ? me demande Madame Dubonpied.

- Non merci, madame. Je n'ai pas très faim.

- D'accord. Mais si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas. Il y a une quiche lorraine dans le frigo.

Depuis cette chambre, allongée sur le lit, j'entends la voix d'Élise. Elle fait son coming-out à ses parents. J'ai toujours su qu'elle était lesbienne comme moi. Et j'avoue l'avoir jalousée car elle au moins a des parents qui l'aimeront toujours comme elle est.

J'entends ensuite des coups forts, je comprends que quelqu'un frappe à la porte. Ne pensant pas être concernée, je n'y prête pas d'attention. Jusqu'à ce que j'entende des cris soudain. Je me mets à trembler. Je reconnaîtrais cette voix partout.

Malgré moi, je mets l'oreille contre la porte pour entendre. Il n'est pas question que je sorte. Je ne veux pas retourner avec lui.

- J'exige de savoir ce que ma fille fiche ici, aboie la voix de mon père.

- Monsieur, je vous demanderai de faire preuve de politesse, répond calmement mais fermement le père d'Élise.

- Je ne m'en irai pas sans ma fille, je vous préviens tout de suite !

- Nous savons ce que vous faites subir à votre fille et il n'est pas question qu'elle subisse votre loi un instant de plus ! lance bravement Monsieur Dubonpied.

Même depuis ma chambre, cette voix me terrorise. J'entends un bruit de chaise renversé. Je devine qu'il a dû essayer de passer en force.

- Faire subir ? De quoi vous parlez ? Vous êtes fou de m'accuser comme ça ! C'est votre fille qui vous a...

- Laissez ma fille en dehors de ça et partez ! réplique sèchement Monsieur Dubonpied.

J'entends un soupir. Mon père renonce pour le moment mais je sais qu'il n'a pas dit son dernier mot.

- Très bien. Qu'elle reste chez vous si ça l'enchante mais ça ne se passera pas comme ça, c'est moi qui vous le dit ! Jusqu'à preuve du contraire je suis son père et la loi est de mon côté !

Il claque la porte si violemment qu'il en fait trembler toute la maison. J'attends une minute et je sors. Je descends jusqu'au salon et m'approche des trois Dubonpied.

Dès qu'elle me voit, Élise me prend dans ses bras et je me laisse faire. C'est la première fois que l'on échange un geste de tendresse. Ses parents nous regardent avec un sourire. Que n'aurais-je pas donné pour en avoir des comme eux ?

- Je te promets, Myriam, chuchote Élise à mon oreille. Je te promets que l'on te protègera des griffes de ce conn...

- Attention, Élise ! gronde sa mère.

- Ne vous en faites pas, je le hais plus que tout, dis-je. J'ai attendue toute ma vie de pouvoir me débarrasser de lui.


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