1x11 : Les malheurs de Myriam

Musique/Vidéo : Billie Eilish - No Time to Die

- Mathilde, tu penses vraiment que l'on peut se fier à l'expérience personnelle de cette fille Clarisse ? me questionne Élise quand nous sortons de l'hôpital.

Le docteur Mitose a accepté mon choix sans broncher mais a tout de même tenu à me mettre en garde :

- Il faut que tu en parles à tes parents. Tu es mineure, tu es donc sous leur responsabilité. Ce n'est pas pour te mettre la pression, Mathilde, c'est uniquement pour ton bien. Si vraiment tu souhaites garder ton bébé, il est impératif qu'ils soient mis au courant le plus tôt possible.

Quant à ma meilleure amie, elle aussi bien sûr me soutient mais là encore cela n'empêche pas les questions. Je renonce à l'avortement, il faut à présent me préparer aux conséquences.

- Je pense, lui répondis-je. Elle a eu l'air sérieuse, elle devrait s'en sortir grâce au soutien de sa famille.

- Oui... ma foi, tu as raison sur ce point. Mais d'abord elle n'a pas eu le choix souviens-toi, dans son cas c'est un déni. Toi tu l'as le choix, tu l'as fait et je respecte. Mais parlons du fait que ton corps ne sera plus le même d'ici quelques mois et surtout, et surtout, la question que je me pose c'est : es-tu certaine de pouvoir assumer ? Je veux dire, quand le bébé sera né.

Je réfléchis un moment. Je comprends les mots d'Élise. Ai-je vraiment conscience des conséquences sur ma vie qui vont découler de mon choix ? Peut-être pas du moins pas pour tout. Je sais oui qu'en décidant d'aller au terme, ma vie sera bouleversée à jamais. Je resterai pour l'éternité une femme qui aura accouchée à l'adolescence. Mais mon cœur parle. Or, mon cœur me dit que je ne peux faire autrement, que je ne peux pas me séparer de mon bébé.

Mon bébé, pour la première fois, je pense à lui comme en étant mien. C'est mon bébé que je vais porter, que je vais mettre au monde dans neuf mois...

- Vraiment, Élise, je ne peux pas changer d'avis. Je n'avorterai pas. Beaucoup vont dire que je suis en train de commettre la plus grave erreur de ma vie et ils auront peut-être raison. Mais vraiment je ne peux pas, tu comprends...

- Justement, Mathilde, il y a une autre option...

- Laquelle ?

- C'est okay si tu souhaites aller au bout. Mais est-ce que tu as pensé qu'ensuite, peut-être...

- Quoi ? Dis-moi donc, dis-je avec impatience.

- Peut-être le faire... adopter, dit ma meilleure amie avec prudence comme si elle craignait que le mot « adopter » me mette en rogne. Tu as parlé d'Elliot Page, de Juno, tu peux peut-être faire comme dans le film où il décide de faire adopter le bébé...

Je réalise que je n'avais pas pensé à cette alternative et je reconnais qu'elle se défend. Nous savons toutes les deux - ça au moins j'en suis consciente - que je n'ai pas du tout ni l'âge ni les moyens d'être mère. Et j'anticipe déjà la question que me posera maman quand elle apprendra : comment vais-je gérer par rapport au lycée ? Car jamais mes parents ne voudront que j'abandonne le lycée et je n'en ai de toutes manières pas la moindre intention.

Et puis, ne serait-ce pas une manière de réparer ma bêtise en offrant au bébé une chance de vivre heureux ou heureuse avec des parents prêts à l'aimer et surtout, qui ont les moyens de l'élever ?

Mais encore une fois, mon cœur me fait comprendre que ce ne sera pas aussi simple. Que je le garde ou non, ce sera à tout jamais mon bébé, il ou elle portera mes gènes, de près ou de loin je sentirai toujours sa présence en moi...

- C'est vrai que ce serait le plus raisonnable, de faire comme dans Juno en faisant adopter le bébé, dis-je. Mais, ma belle, je sais que je ne peux pas. Peut-être je penserai autrement dans neuf mois quand je serai devenue éléphante mais...

Comme pour me rassurer de son soutien sans faille, Élise me prend dans ses bras et chuchote :

- C'est courageux ce que tu fais, ma belle, chuchote Élise avec douceur. Tu sais, ce n'est pas pour t'embêter si l'on se pose de telles questions, c'est pour ton bien et celui du bébé à naître.

- Je le sais, ma belle. Et du courage j'en ai grand besoin car maintenant, il va me falloir affronter la colère de ma mère.

- Tu vas lui dire maintenant ?

- Non surtout pas. Pas sans préparation. Je n'ose pas imaginer comment elle va me le faire payer, même si papa et grand-mère essaieront probablement de la calmer un peu. J'espère qu'ils arriveront à la retenir.

- Et Arnaud ?

- Pareil, je dois me préparer car il aura un grand choc, cela le concerne lui aussi. Mais je suis sûre qu'il me soutiendra.

Tout à coup un horrible doute surgit. Et si justement Arnaud refuse de me soutenir ? Et s'il se sent tellement coupable qu'il me fuit définitivement et met un terme à notre histoire ?

- N'empêche, ajoute Élise avec un grand sourire, j'ai encore du mal à y croire. Ma meilleure amie est enceinte !

Elle rit et je ne peux m'empêcher de rire aussi, bien qu'un peu faiblement. Je comprends qu'Élise tente de détendre l'atmosphère.

- La vie est faite de surprise, plus ou moins bonne, dis-je.

Je fais de mon mieux durant les trois semaines suivantes pour ne rien laisser paraitre, et ce malgré ces horribles nausées qui persistent et que je cache tant bien que mal. Grand-mère me regarde souvent et je sais qu'elle se demande quand je vais en parler. Mes seules réponses sont des haussements d'épaules.

De même, mon secret est très proche d'être dévoilé le jour où je reçois un appel du docteur Mitose, une semaine après l'avoir consulté. Car il appelle directement sur notre téléphone fixe et tombe bien entendu sur maman.

- Allo ?

- Madame Clémentine ? C'est le docteur Mitose à l'appareil. Je voudrais parler à votre fille s'il vous plaît.

Maman ayant mis le haut-parleur, j'entends tout. Je retiens mon souffle et réalise que j'ai commis une grave erreur. Pourquoi n'ai-je pas anticipé que le médecin allait appeler directement chez nous ?

- A ma fille ? Bien sûr mais c'est à quel sujet ?

Roulement de tambour, roulement de tambour...

- Oh... juste pour un petit rappel concernant la pilule ne vous en faites pas...

Ouf. De toute évidence, le docteur Mitose a compris que ma mère n'est pas au courant et que dans mon cas, la pilule n'a plus aucune utilité. A mon grand soulagement, maman le croit.

- Oh je vois. Très bien, je vous la passe alors. Mathilde, ramène-toi ! Le docteur Mitose voudrait te parler au sujet de la pilule.

A moitié soulagée, je m'avance vers maman qui me passe le combiné sans un sourire. J'ignore si elle a des soupçons mais peu importe, au moins mon secret reste encore secret, pour l'instant. J'attends d'être dans ma chambre afin de pouvoir lui parler en privé.

Ce qui n'empêche pas Mitose d'être clair :

- Tu n'as toujours rien dit à tes parents ? me dit Mitose avec un léger reproche dans la voix.

- Je vais leur en parler, docteur, promis, assuré-je, mal à l'aise.

- Je te conseille de ne pas tarder. D'abord parce qu'ils finiront par le savoir un moment ou un autre, ensuite parce que je ne peux prendre aucun autre rendez-vous sans leur accord. La loi rozane ne permet une échographie pour les mineures sans autorisation parentale.

Une échographie. Voilà un truc auquel je n'ai même pas pensé jusqu'à présent...

- Oui bien sûr, je comprends...

- Dis-leur le plus tôt possible, Mathilde. C'est vraiment pour toi, au moins tu seras soulagée. Appelle-moi quand ce sera fait.

Le docteur Mitose a raison. Je ne peux pas garder éternellement ce secret qui, en effet, ne serait bientôt plus un secret de toutes manières. Il est grand temps de se jeter à l'eau et d'avouer ce qui m'arrive aux personnes concernées et à mon entourage.

Et je vais commencer avec ma famille.

Après avoir dit au revoir à Élise, je marche vers la porte de la maison en réfléchissant bien aux mots que je vais employer, à comment me préparer à gérer leurs probables réactions, de la déception de papa aux sévères remontrances de maman. Je franchis donc la porte en m'efforçant de paraître confiante.

J'ai la surprise de découvrir que mon père est rentré avec deux heures d'avance de son travail de menuisier. Il est assis dans son habituel fauteuil du salon. L'occasion aurait été bonne pour lui dire sauf qu'il n'est pas seul.

Il discute avec un homme que je ne connais pas. Celui-ci a une carrure imposante, le crâne totalement chauve, un costume-cravate de belle taille et tient un porte-document sous la main droite.

- Ah c'est toi, Mathilde ? dit jovialement papa. Monsieur Manguier, je vous présente Mathilde, ma fille aînée.

- Enchanté, jeune fille, dit Monsieur Manguier en tendant une main que je serre poliment.

- Monsieur Manguier est le chef de mon entreprise de menuiserie, explique papa. C'est grâce à son soutien que je trouve les meilleurs clients.

- C'est bien ça, dis-je, ne sachant pas trop quoi répondre.

- Sa fille Myriam est aussi élève au lycée Simone de Beauvoir, dit papa. Tu la connais je crois.

Monsieur Manguier arbore un grand sourire. Pendant un instant, je me demande s'il sait que sa fille est en pleine déprime mais je m'abstiens de lui poser la question.

- Oh ! Heu oui bien sûr, dis-je, perplexe.

J'ignorais que le père de Myriam était le patron de mon père. Il faut dire que ce dernier ne parle presque jamais de son travail, disant toujours qu'il ne souhaite pas mélanger professionnel et privé.

- Bon, je vais aller faire mes devoirs, dis-je.

- Bien sûr. Travaille bien, ma chérie.

Prenant congée d'eux, je monte dans ma chambre en regrettant que la présence de Monsieur Manguier ait gâché une occasion pour enfin libérer mon secret.

Une fois entrée, je jette un œil à mon ventre encore plat dans le miroir et j'ai un faible sourire en pensant que je vais bientôt perdre cette minceur pour plusieurs mois. Cela parait irréel. Une vie va-t-elle vraiment se développer en moi ? Bien sûr, je sais ce qu'est une grossesse, nous avons eu toute une séquence sur le sujet en Biologie quand j'étais en Cinquième. Mais là c'est du concret : je vais en vivre une.

La sonnerie de mon téléphone. Un texto d'Élise me demandant :

- Alors, tu leur as dit ?

J'hésite un moment avant de lui répondre. Dois-je lui parler de la présence de Monsieur Manguier ? Je décide que oui, bien que cela n'ait en soit que peu d'importance. Après tout, il est normal que papa s'efforce d'entretenir des relations cordiales avec son supérieur.

- En rentrant, j'ai surpris mon père qui discute avec son patron et devine quoi : c'est le père de Myriam.

- Le père de Myriam est le patron de ton père ? Que fait-il chez toi ?

- J'imagine que mon père l'a invité pour parler boulot.

- Tu crois que son père sait que Myriam se fait du mal ?

- Aucune idée. Je n'ai pas vraiment discuté avec cet homme.

Juste après avoir envoyé ce dernier texto, j'ai de nouveau mal au cœur et je cours jusqu'aux toilettes.

En sortant, je jette un coup d'œil inquiet au salon, craignant d'avoir été entendue. Mais papa et monsieur Manguier sont toujours plongés dans leur conversation professionnelle et n'ont rien remarqué.

Les nausées, elles, sont plus présentes que jamais. Je me rends encore trois autres fois aux toilettes dans les deux heures qui suivent. À chaque fois, je parviens à rester incognito, mais je me sens de plus en plus mal. Il est grand temps que je parle à ma famille.

Seuls les textos d'Élise et de mon amoureux me réconfortent. Comme prévu, je n'ai encore rien dit à mon amoureux, j'attends de le voir. Il m'est impensable de lui annoncer une telle nouvelle par texto ou message privé. Ses mots doux tels que « je t'aime » font du bien à mon cœur.

A un moment, une nouvelle fois par instinct, je pose une main sur mon ventre et murmure :

- Puisque, semble-t-il, nous allons cohabiter ensemble pour les huit prochains mois, autant que nous nous entendions.

Je suis certaine à présent que, malgré les conséquences très lourdes, je l'aurais regretté si j'avais avorté.

De ce fait, je n'ai pas le choix. Je dois rapidement l'annoncer à mon entourage. C'est un secret qui sera très vite polichinelle aussi ferais-je aussi bien de m'en débarrasser dès maintenant. Et puisque je n'ai pas eu la possibilité là avec mon père, je change d'avis et décide d'en parler en premier à Arnaud. Il est le père biologique de l'enfant. Nous devons affronter cette épreuve ensemble.

J'attends la pause récréation du matin. En arrivant au lycée, Arnaud remarque mon air préoccupé mais en croisant mon regard, il ne me pose aucune question. Il comprend que je lui parlerai le moment venu.

Pendant la récréation donc, on se met comme d'habitude à l'écart. Certes, cette précaution est inutile car personne ne nous prête attention. Pour autant, nous savons tous que les murs ont des oreilles alors mieux vaut être prudent.

- Mon chéri, je dois te parler, dis-je d'une voix faible.

- Que se passe-t-il, mon cœur ? demande-t-il.

- Et bien, je...

C'est tellement difficile. Comment annoncer à son amoureux de quinze ans qu'il va être père, à un âge où une telle idée est proprement impensable pour un garçon, autant que pour une fille ? Dans le creux de mon ventre, j'ai l'estomac qui se contracte comme si je n'avais rien avalée depuis des jours. Je me sens si coupable, j'ai si peur qu'à cause de moi, sa vie soit gâchée. Je me sens mal de lui imposer cela...

- Il est arrivé quelque chose, répondis-je, la peur très audible dans ma voix. Quelque chose de grave...

- Quoi donc ?

- Je... enfin je...

- Tu es gravement malade ?

- Oui enfin non pas exactement, balbutié-je. Disons ce n'est pas exactement ça...

- Tu vas partir loin ? Tu souhaites rompre avec moi ?

- Non pas du tout je ne déménage pas et rompre avec toi est la dernière chose dont j'ai envie. Mais je comprendrais si toi tu...

- Alors, c'est quoi ? encourage Arnaud, inquiet. Dis-moi, mon cœur.

Il prend mes mains et chuchote avec douceur :

- Je peux tout entendre. Peu importe ce qui t'arrive, je suis là.

Il me serre les mains pour m'encourager. Je respire un grand coup et me prépare à plonger.

- Tu te souviens... quand on l'a fait...

- Comment aurais-je pu oublier ? dit-il avec un petit rire.

- Et bien en fait après... ça...

Je lui pose sa main sur mon ventre.

Et je vois dans ses yeux qu'il comprend la vérité.

Il recule soudainement. La stupéfaction envahit son visage. Il semble se demander si ce n'est pas une blague. Il lui faut plusieurs secondes pour retrouver l'usage de la parole. Je me mets à sa place. Se sentant déjà coupable pour l'acte, il se dit là que l'on a vraiment provoqué une catastrophe.

- Non, non ce n'est pas vrai...

- Si, j'ai bien peur que si, mon chéri...

- Mathilde, est-ce que tu es vraiment...

Je confirme d'un signe de tête.

Arnaud se laisse tombe contre le mur et s'assoit, sous le choc. Cela me fait mal au cœur de le voir ainsi. Et d'un autre côté, je suis soulagé d'avoir pu enfin le dire. Au moins maintenant c'est sorti.

Lentement, mon amoureux se relève, me regarde droit dans les yeux et dit à voix basse :

- Qu'est-ce que l'on va faire ?

- Tu ne m'en veux pas ?... dis-je timidement.

- T'en vouloir ? Comment pourrais-je t'en vouloir ? Je suis aussi responsable que toi. Mais je ne comprends pas, j'ai pourtant utilisé la capote...

- Les protections ne sont pas fiables à cent pour cent, répondis-je. Et malheureusement dans notre cas, c'est passé quand même...

- Merde alors !

Arnaud n'est pas celui à se mettre facilement en colère mais il semble à peine se retenir de mettre un coup de pied dans le mur. Je comprends qu'il se blâme autant que moi pour cette situation.

- C'est de ma faute ! s'exclame-t-il. J'aurais dû faire plus attention !

- Non, ne dit pas ça. C'est de notre faute à tout les deux...

- J'aurais dû m'arrêter ! J'aurais dû dire que c'est une erreur ! Que nous ne devions pas le faire ! Nous n'aurions pas dû...

- Mon chéri, arrête !

Arnaud cesse de marmonner et me regarde avec désarroi.

- Nous sommes tout les deux responsables. Moi aussi j'aurais dû m'arrêter, moi aussi je sais que c'était une erreur. Mais on n'a pas de DeLorean pour revenir en arrière. On doit maintenant réfléchir pour la suite.

- Oui, oui tu as raison...

Mon amoureux s'avance vers moi. Même dans une scène aussi difficile, je constate à quel point ses yeux sont magnifiques, des yeux pleins d'amour que même notre « problème » ne diminuera pas. Sur ce point au moins je suis rassurée. Quoi qu'il arrive, Arnaud ne me laissera pas tomber.

- Tu as déjà réfléchi à quoi faire ? me demande-t-il. Est-ce que tu as pensé à.. à...

- A avorter ?

- Oui.

- C'est la première chose que je voulais faire dès que j'ai vu mon test positif mais...

Je lui raconte le passage dans la salle d'attente du bureau de Mitose et comment ma rencontre avec Clarisse, ainsi que le début d'un certain instinct maternel, m'ont finalement décidé à renoncer à l'avortement.

Arnaud ne dit rien. Il me regarde d'un air si triste que j'ai l'impression d'avoir le cœur percé par la pointe d'une perceuse. Je lui dis en un murmure :

- Je comprendrais que tu ne veuilles pas assumer, que tu veuilles rompre, que tu ne veuilles pas avoir en permanence sous tes yeux la preuve qu'on l'a fait...

- Mathilde ! coupe-t-il d'une voix forte.

- Oui.

- Si tu penses que cela me fait de la peine, tu as raison. Si tu penses que je suis bouleversé, là aussi tu as raison. Tu n'avorteras pas donc ?

- Oui. J'ai mûrement réfléchi crois-moi. Et de plus en plus, je me suis posé la question de ce qui pourrait arriver si je le gardais. J'ai compris alors que c'est ce que je voulais. Mais je te jure que je ne t'oblige à rien...

- Très honnêtement, je ne sais pas ce que l'on va faire ni ce que l'on va devenir. Mais il y a une chose dont je suis sûr et dont tu peux être sûre : quoi que tu décides, je serai avec toi. Et si en effet tu décides de le garder, alors j'assumerai. Et tu sais pourquoi ?

- Oui ?

- Parce que depuis trois mois que l'on se connaît, tu es la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie. Parce que tu as une grande place dans mon cœur. Parce que je t'aime tout simplement. Est-ce que l'on est en train de faire une vraie connerie ? Peut-être oui. Mais la plus grande connerie de ma vie serait de ne plus être avec toi. Donc oui, Mathilde, si tu assumes alors moi aussi j'assumerai et je reconnaîtrais ce bébé. Parce que tu es la fille que j'aime et mon cœur ne supporterait pas de te perdre.

J'en ai les larmes aux yeux. Il vient tout simplement de me faire une magnifique déclaration d'amour ! Il a dit exactement les mots justes et que je ne pensais pas entendre dans une telle situation. C'est juste... beau.

- Je t'aime, dis-je.

- Je t'aime aussi. Je peux ?

- Oui bien sûr.

Cette fois c'est Arnaud qui prend l'initiative de poser une main sur mon ventre. Avec un sourire chaleureux il me dit :

- C'est incroyable. Imaginer qu'y a quelque chose là-dedans c'est un truc complètement dingue.

- Pour le moment je ne sens rien, il est encore trop petit, dis-je. Mais oui, moi aussi j'ai encore du mal à y croire.

Tout à coup, mon amoureux écarte la main et reprend un air sérieux.

- Tu en as parlé à tes parents ? demande-t-il.

- Pas encore mais maintenant que je l'ai dit à toi, je dois leur dire à eux. Je ne peux plus reculer.

- J'en parlerai à ma mère, dit-il. Elle sera choquée mais elle me soutiendra. Tu veux que je vienne avec toi ?

- Non, mon chéri. Pour cette fois, je dois les affronter seule. De plus, ma mère voudra te tuer sur-le-champ, il vaut mieux te protéger, dis-je avec un petit rire.

Malgré le soutien d'Arnaud, je ne retrouve pas le moral pour autant. D'abord parce que l'annoncer à ma famille sera encore plus difficile. Ensuite parce que je sais que, malgré ses mots d'amour, il reste bouleversé et va beaucoup souffrir et se sentir coupable.

Notre monde d'innocence s'écroule à petits feux. Tout cela parce qu'une fois, une seule unique fois, nous avons eu l'envie de nous déshabiller. Je ne lui en aurais aucunement voulu si Arnaud m'avait rejeté, cela aurait été compréhensible. Je ne peux pas lui demander de renoncer à sa liberté d'adolescent de quinze ans pour un être qui n'est pas censé arriver aussi tôt dans nos vies. Et c'est un garçon, ce n'est pas lui qui subit les nausées ni ne connaîtra les changements de poids et tout ce qui va suivre.

Mais je sais qu'Arnaud est sincère. Il sera avec moi parce qu'il m'aime. Et c'est la plus belle preuve d'amour que je puisse avoir.

Quant à moi, j'ai l'impression de ne plus être la même personne. C'est comme si mon âme avait été réincarnée dans un autre corps. Un corps habité par deux êtres. L'ancienne Mathilde Clémentine n'existe plus. En décidant de ne pas me faire avorter, je fais basculer mon destin. Il me faudra vivre avec le statut de « mère adolescente ».

- Bon et bien c'est déjà ça si Arnaud te soutient, me dit Élise cet après-midi là alors que l'on se dirige vers la classe pour le cours de Maths.

- C'est vrai, cela m'a touchée qu'il veuille m'aider. Mais ce n'est pas le moment de se réjouir. Il reste à affronter ma famille.

Cinq minutes passent et alors que le professeur de Maths commence à peine son cours sur le théorème de Thalès, un cri venant d'une élève se fait soudain entendre, tellement fort qu'il fait sursauter tout le monde comme si elle parlait dans un mégaphone :

- MYRIAM MANGUIER EST MORTE !! MYRIAM MANGUIER EST MORTE !! DU SANG PARTOUT DANS LES TOILETTES !! MYRIAM MANGUIER MORTE DANS LES TOILETTES DES FILLES !!

D'un coup, toute la classe se lève en même temps et se précipite dans le couloir. Le professeur de Maths n'essaie même pas d'appeler au calme et préfère suivre la foule.

Clairement, tout le lycée a entendu les cris car c'est un véritable charivari qui éclate. Le surveillant Marcus et quelques enseignants tentent bien de ramener l'ordre mais personne n'écoute. Tout le monde court en masse vers les toilettes des filles.

Ce n'est justement que lorsque l'on y arrive que le silence retombe.

Rarement ai-je vu quelque chose d'aussi sinistre. En fait, c'est encore pire que la dernière fois. En réalité, Myriam n'est pas morte mais elle pourrait tout aussi bien être morte. Son corps git dans une mare de sang qui me donne une nausée aussi désagréable que celles de ma grossesse. Dans sa main droite elle tient un couteau de boucher, couteau que Myriam a certainement dérobé dans les cuisines du lycée.

Essoufflé comme s'il avait couru un Marathon, le directeur Monsieur Grand arrive et d'une voix forte, il dit :

- Tout le monde, retournez en classe ! Les cours sont suspendus, vous allez recevoir l'intervention d'une psychologue scolaire. J'ai prévenu les Urgences et le père de mademoiselle Manguier. Elle va être transportée à l'Hôpital des Lilas.

Tout le monde obéit en silence. C'est une bonne chose que les cours soient suspendus car je ne vois pas comment l'on pourrait se concentrer après une aussi terrible découverte. Madame Osaka arrive en tant que professeur principale et pas plus que les autres ne semble capable de prononcer le moindre mot. Je remarque cependant que, si ce qui vient de se passer alimente toutes les conversations, pas grand monde ne semble réellement attristé pour Myriam. Cela me permet de clarifier quelque chose.

- Tu sais quoi, Élise ?

- Hmm, marmonne-t-elle.

Ma meilleure amie m'écoute à peine, sans doute trop choquée et il y a de quoi. Néanmoins je continue :

- Je crois que Myriam est une fille malheureuse.

Élise, qui regarde ailleurs, met du temps à réagir.

- Quoi ? Qu'est-ce que tu dis, ma belle ? marmonne Élise, les larmes aux yeux.

- Je disais que Myriam est malheureuse. Elle est seule c'est évident. Tout le monde est choqué par ce qu'elle a fait mais personne n'est vraiment peiné pour elle.

- Oui et c'est normal. Tout le monde la déteste et Sissi et Bibi ont finit par la laisser tomber. Et il faut bien dire qu'elle a tout fait pour ça.

- Je veux dire, elle n'a aucun ami, aucun confident. Je pense que sous sa méchanceté, elle est surtout quelqu'un de triste.

- Tu crois que c'est pour ça qu'elle a essayé de... ?

Prononcer le mot « tuer » semble être au-dessus des forces de ma meilleure amie.

- C'est bien possible mais pas seulement. Tu le sais pour l'avoir entendue mais ça fait des semaines qu'elle passe son temps à pleurer aux toilettes. Et je ne t'ai rien dit car elle a promis de me réduire en bouillie si j'en parlais mais je l'ai surprise en train de se faire du mal. Et là appelons un chat un chat : elle a fait une tentative de suicide. Elle va très mal. Quelque chose fait qu'elle est en pleine déprime.

- Peut-être. Mais tu sais, ma belle, ça ne me touche pas plus que cela. Je veux dire, c'est triste ce qu'elle a fait mais c'est Myriam quoi...

Mais pourquoi suis-je certaine qu'Élise ment ? Pourquoi ai-je l'impression qu'elle me fuit du regard et qu'elle ne pense pas un mot de ce qu'elle dit ?

Car de mon côté, elle a beau être ma pire ennemie depuis toujours, jamais je n'aurais souhaité de tels malheurs à Myriam. Et je sais qu'Élise non plus.

Je décide de prendre le risque.

- Ma belle ? dis-je.

- Oui ?

- Tu ne me cacherais pas quelque chose par hasard ?

- Pardon ?

- Tu as l'air bizarre quand je te parle de Myriam. Il y a un truc que je ne sais pas ?

- Quoi ? Pas du tout, que vas-tu imaginer ? réplique Élise sur un ton sec qu'elle n'emploie jamais d'ordinaire avec moi. Je hais cette pouffe par-dessus tout, elle ne représente rien pour moi ! D'accord c'est affreux ce qu'elle vient de faire mais voilà quoi...

Mais définitivement, Élise me fuit et il n'est pas difficile de comprendre qu'elle ne souhaite pas poursuivre sur le sujet. Je n'insiste pas.

Environ une demi-heure plus tard, une ambulance de l'hôpital et un fourgon de police arrivent dans le lycée. Aidés par Monsieur Grand et Monsieur Marcus, des infirmiers transportent le corps inerte de Myriam sur une civière. Si tout les élèves ont l'ordre de rester confinés en classe, tout le monde se lève pour observer à la fenêtre, ce à quoi Madame Osaka, qui parait avoir la tête ailleurs, ne s'oppose pas. Les policiers se rendent dans les toilettes, sans doute pour examiner les traces de sang et le couteau dont Myriam s'est servie. Monsieur Grand discute avec le chef de la police et celui des cuisines. D'après ce que l'on entend, ce dernier affirme qu'il n'a vu personne entrer personnes d'autres que les cuisiniers et n'a aucune idée de comment Myriam aurait pu y voler un couteau de boucher, sachant que c'est lui le chef des cuisines qui en possède les clés. D'après lui, elle a forcément introduit elle-même le couteau dans le lycée.

Par la suite, un autre homme arrive au lycée et aborde le directeur, et je reconnais aussitôt la carrure imposante et le crâne chauve du père de Myriam. S'il a paru plutôt calme et bienveillant chez moi, cette fois-ci il est tellement en colère que j'ai un peu de mal à croire qu'il s'agit du même homme.

- Monsieur Grand, j'exige des explications sur cette catastrophe !

- Monsieur Manguier, nous souhaitons vous assurer que nous sommes sincèrement désolés que...

- Vous vous rendez compte ? Une tentative de suicide dans votre établissement ? Vous savez que j'ai des liens avec l'Académie, Monsieur Grand. Je pourrais mettre votre poste en péril !

- Monsieur, votre fille vient d'être transféré à l'hôpital... intervient le chef de la police mais Monsieur Manguier l'ignore.

- CET INCIDENT NE RESTERA PAS IMPUNI ! VOUS AUREZ DES COMPTES A RENDRE, C'EST MOI QUI VOUS LE DIT !

- Monsieur, calmez-vous, votre fille...

- JE VOUS PREVIENS, MONSIEUR GRAND, QUE JE VAIS...

- MONSIEUR MANGUIER !!!

L'échange est très musclé et j'ai comme l'étrange impression que le père de Myriam semble plus soucieux de s'en prendre à Monsieur Grand que du triste sort de sa fille qu'il ne mentionne même pas. De plus, je ne saurais l'expliquer mais je n'aime pas beaucoup son air suffisant.

- Tout ça pour dire que nous n'en restons pas là, dit-il plus calme mais avec un air supérieur. Sur ce à très bientôt.

Toute la classe se rassoit sans un mot. Je n'oublierais pas de sitôt cette improbable journée. Impossible de croire qu'une heure plus tôt, j'ai annoncé au garçon que j'aime que j'attends un enfant de lui.

- Il n'a pas l'air commode ce type, me chuchote Élise.

- C'est le père de Myriam. C'est normal qu'il soit furieux après ce qui s'est passé, dis-je tout en partageant ses doutes.

- Mais justement, ma belle, il n'avait pas l'air tellement préoccupé par elle, il est surtout venu prendre le directeur pour un punching-ball. C'est limite s'il s'en fichait que sa fille a été transportée dans l'ambulance.

Des nouvelles rassurantes de Myriam arrivent trois jours après. De ce que nous dit Monsieur Marcus, son état est jugé sérieux mais ses jours ne sont plus en danger. Et nous apprenons aussi de bouche à oreille qu'elle n'a pas reçu la moindre visite depuis l'incident, ce qui renforce nos soupçons au sujet de son père.

- Cela veut donc dire qu'il n'est pas venu la voir, dis-je.

- Oui, dit ma meilleure amie. J'ai donc raison, il s'en fiche d'elle. On commence à comprendre pourquoi Myriam ne va pas bien. Ça a l'air d'être un gros...

- Attention, ma belle, c'est aussi le patron de mon père.

Mais cela me fait prendre ma décision : je vais aller voir Myriam. Je sais que cette fois, elle ne me rejettera pas. Mais avant, je dois me débarrasser d'un poids, d'un poids lourd.

Car cet incident a fait repousser le moment tant redouté où je dois révéler ma grossesse à ma famille. Or ce soir, on est en weekend. Et je sais qu'il n'est plus possible de reculer. Il faut parler.

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