1x10 : Tu ferais une super maman mais pas maintenant

Musique/Vidéo : Ariane Moffatt - Poussière d'ange

Je ne sais combien de temps je reste là désemparée. Bien sûr je m'en suis douté. Pouvait-il vraiment en être autrement ? Mais la différence est énorme entre la crainte et la réalité.

Ce n'est juste pas possible. J'essaie de me dire que ce n'est qu'un cauchemar, que je vais me réveiller mais non, c'est bel et bien vrai. Et désormais, je dois me résoudre à dire le mot fatidique.

Moi, Mathilde Clémentine, adolescente de bientôt seize ans jusque-là sans histoire, je suis enceinte.

Invraisemblable, impensable. Non, pas possible, pas moi, non.

Qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi ai-je fait cela ? Pourquoi ai-je couché avec Arnaud alors que je m'étais jurée de ne pas le faire avant d'être prête ? Je n'ai pas cessé de le répéter à ma mère pour calmer ses réticences. C'est parce que j'ai été clair sur ce sujet que Marc m'a quitté. Clairement, j'ai trahie maman. Je me suis trahie. Et voilà les conséquences très lourdes de ce qui est la pire bêtise de ma vie.

Inévitablement, je pose une main sur mon ventre. Je n'arrive pas à croire qu'en ce moment, un embryon se développe à l'intérieur même de mon utérus. Un embryon qui, si l'on en croit les sciences naturelles, deviendra fœtus puis finalement un être humain qui forcera la sortie d'ici neuf mois.

Des coups frappés à la porte de la cabine. Élise s'inquiète évidemment de ne pas me voir sortir et doit se douter qu'il se passe quelque chose de grave. Je n'ai pas rejeté un œil à mon téléphone mais ça doit faire maintenant plus d'une demi-heure que je suis enfermée dans les toilettes de la pharmacie. Je suis tellement sous le choc que je n'ai même pas la force de me lever du siège.

- Mathilde ? Tout va bien ? demande Élise à travers la porte.

Je sais que je peux tout aussi bien lui ouvrir, mes larmes ont tué tout suspens.

- Ouvre s'il te plaît, insiste Élise.

Finalement je consens, la mort dans l'âme. J'ai versé tant de larmes que l'on pourrait penser que je viens de plonger la tête entière dans un seau d'eau.

- Alors ? Que dit le test ? demande Élise tout en sachant très bien la réponse.

Je le lui passe en tremblant avec le même désarroi que le roi Triton contraint de céder son trident à Ursula. Je suis incapable de prononcer le résultat à haute voix.

Élise lit le mot sur l'écran du test. Quand elle lève les yeux vers moi, elle me regarde avec peine. Jamais ma meilleure amie n'a été si peu souriante en ma présence.

Ni elle ni moi ne disons mot. Que dire de plus de toute façon ? La réalité est bien là, sous nos yeux, marqué d'un mot qui restera probablement logé dans le creux de mon cerveau pour le restant de mes jours.

Élise fait alors la seule chose que puisse faire une meilleure amie face à une telle détresse : me prendre dans ses bras et me bercer pour me consoler.

- Ma belle, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? marmonné-je. Pourquoi moi ? Pourquoi ça m'arrive à moi ?

- Ce sont des choses qui arrivent, chuchote Élise avec douceur. Ce qui est fait est fait.

- Je ne comprends pas. On s'est protégé avec Arnaud, j'ai bien pris la pilule du lendemain...

- Tu l'as dit toi-même, malgré les protections, il y a une petite chance pour que ça se produise. Ma belle, il faut maintenant réfléchir. Qu'est-ce que tu comptes faire ?

Mon choix est vite fait.

- C'est évident non ? grogné-je. J'aurai seize ans le 8 mars prochain, je suis bien trop jeune pour être mère. Tu me vois sérieusement avec un bébé ? Donner le biberon, se réveiller en pleine nuit et... changer la couche ?

Un bébé. Un bébé qui grandit à l'intérieur de moi, une idée tellement inimaginable...

- Non. Dit comme ça c'est sûr que non, me répond Élise.

Puis après une minute de silence, elle dit :

- Tu vas en parler à Arnaud ?

- Pour lui dire quoi ? dis-je avec un faible rire. Que je l'ai vu à poil et lui aussi et voilà le résultat ? Non, je ne peux pas lui faire subir ça. Déjà qu'il s'en veut pour ce que l'on a fait...

Je pense alors aux réactions probables de ma famille s'ils apprenaient pour ma grossesse. Papa serait très déçu mais l'accepterait (je pense). Grand-mère, comme elle l'a montré ce matin, me soutiendrait. Lili serait intriguée mais ne me jugerait pas du haut de ses cinq ans. Elle aurait simplement la même réaction que si c'était maman qui annonçait être enceinte.

Et justement, maman... sans doute la réaction que je crains le plus dans ma famille. Outre le fait qu'elle se sentirait trahie, elle serait tellement déçue et furieuse contre moi qu'elle ne voudrait probablement plus jamais m'adresser la parole. Et je pourrais définitivement faire une croix sur Arnaud car il y aurait de fortes chances pour qu'elle le bannisse de la maison...

Quant au lycée, n'en parlons même pas. C'est l'endroit où les réactions seraient les plus catastrophées. Ma réputation serait définitivement ruinée. Tout le monde se souviendrait de moi comme la fille de Seconde qui aura couchée avec son mec en portant la preuve sous son pull-over.

- Je veux vite m'en débarrasser, dis-je.

- Tu vas avorter donc ?

- Oui, dis-je sans hésitation. C'est une erreur, une punition pour avoir rompue ma promesse de ne pas coucher avec mon mec. Je ne récupèrerai jamais ma virginité, elle est partie pour toujours. Mais en mettant fin à... ça, on pourra reprendre notre vie comme si rien ne s'était passé. Juste que je retiendrais la leçon.

- Oui... tu as sans doute raison.

- Il faut vite que je prenne rendez-vous.

Maintenant que le choc est passé, je suis déterminée. Je suis enceinte, c'est un fait. Il faut maintenant réagir.

- Tu veux que j'appelle l'hôpital ? propose Élise.

- Non merci, ma belle, ça va aller, je m'en charge. Mais tu pourras m'accompagner ?

- Bien sûr. Je serai toujours avec toi tu le sais et quoi que tu décides.

Après avoir essuyée tout mon visage pour ne rien laisser paraître, je rentre à la maison. Personne n'est présent, ce qui me convient. Je monte donc tranquillement dans ma chambre, pressée d'obtenir un rendez-vous pour vite en finir.

En entrant dans ma chambre, je réalise que le test est toujours dans la poche de mon pantalon. Je suis tentée pendant une seconde de le jeter dans la corbeille puis me ravise. Je ne veux pas risquer que quelqu'un, par exemple ma mère, n'entre dans ma chambre et ne tombe dessus. Je le jetterai simplement dans la grande poubelle à ordures.

Mes yeux se posent alors sur le miroir. Je ne sais si c'est d'instinct mais je ne peux m'empêcher de gonfler le ventre pour voir à quoi je ressemblerais, en gros, si je décidais de mener la grossesse à terme.

Et à ma grande surprise, je ne suis pas choquée au contraire. Je trouve ça beau, imaginer un être grandissant dans un ventre arrondi...

Je m'efforce de revenir à la réalité. Non vraiment, je ne peux pas vivre ça. Je vais bientôt avoir seize ans, il est impensable que je puisse de front aller au lycée et m'occuper d'un bébé . Je dois vite arrêter cela et reprendre une vie normale, ou le plus proche possible de la normale du moins.

Je prends mon smartphone. Après une rapide recherche sur Google, je trouve le numéro du grand hôpital universitaire de Lucieville. Je tape le numéro. Après trois sonneries, une dame répond.

- Hôpital des Lilas, bonjour.

- Bonjour, madame, je... je voudrais prendre un rendez-vous pour une IVG.

- Ok. Votre nom, votre âge, la date de vos dernières règles, s'il vous plaît.

- Mathilde Clémentine, quinze ans et demi et deux semaines en gros. Je... je n'ai eu qu'un seul rapport.

- Ok. Je vais voir tout de suite pour un horaire disponible. Ne quittez pas.

- Merci.

Je réalise que c'est un peu moins gênant d'en parler par téléphone que de demander un test à une pharmacienne snobinarde.

Pendant le silence qui suit, une pensée angoissante survient. Et s'il n'y avait aucun créneau avant plusieurs semaines, sachant qu'en Rozanie, la limite pour avorter est de quatorze semaines ? Bien sûr, j'ai du temps, je ne suis finalement qu'au tout début de ma grossesse. Mais sûrement est-ce la panique qui me fait avoir ces pensées désagréables...

Enfin, au bout de trois trop longues minutes, la dame me reparle.

- Mademoiselle ?

- Oui ?

- Je vous propose un rendez-vous jeudi prochain à quinze heures avec le docteur Mitose. Cela vous convient-il, mademoiselle ?

Je réfléchis quelques secondes. Le jeudi... oui le jeudi c'est bon. Nous serons en vacances scolaires, il me suffira de dire à mes parents que je vais chez Élise, ils ne soupçonneront rien. De plus, le docteur Mitose est le médecin de famille des Clémentine, je peux donc compter sur son soutien et sa confidence.

- Jeudi à quinze heures, c'est parfait.

- D'accord. Avez-vous des questions ?

Là encore, je mets quelques secondes à répondre. Des questions, j'en ai au moins des centaines qui défilent dans ma tête.

- Est-ce... est-ce que ça fait mal ?

- Le docteur Mitose vous en parlera mais ne vous inquiétez pas, tout se passera bien et ce sera rapide.

- D'accord, je vous remercie, madame. Au revoir.

- Au revoir, mademoiselle.

Je range mon téléphone dans la poche et me rallonge, rassurée et redevenue parfaitement calme.

Jeudi, soit dans deux jours, tout sera terminé. Arnaud et Élise seront les seuls à savoir que j'ai eu un rapport. Tout ce désagrément sera vite oublié.

Par un étrange phénomène, lorsque l'on attend quelque chose avec impatience, le temps parait avancer avec la lenteur d'un escargot - l'inverse est vrai aussi. J'ai tellement hâte d'être à jeudi, d'en finir au plus vite avec ce « petit problème » et de ranger ce souvenir d'adolescence au fin fond d'une malle.

Entre temps, je fais de mon mieux pour ne laisser paraître aucun soupçon, ce qui s'avère compliqué à cause des nausées qui me surprennent à n'importe quel instant. Vivement que j'en sois débarrassée.

À un moment, alors que je courrais de ma chambre jusqu'aux toilettes, j'ai cru voir se poser le regard soupçonneux de maman mais heureusement, elle ne m'a rien dit.

Avec Arnaud, cela va un peu mieux : éloignés l'un de l'autre depuis ce qui s'est passé chez lui, mon copain me manque et je sais que je lui manque beaucoup aussi. Je veux reprendre notre histoire.

Le mardi, pour la première fois depuis la peu mémorable soirée d'anniversaire, je retourne dans notre coin où il s'est assis comme à son habitude. On se regarde pendant une minute puis on s'enlace.

Cela nous fait tant de bien de nous retrouver. La chaleur de son corps, de ses bras, de son cœur m'ont tellement, tellement manqué. Je me rends compte à quel point Arnaud est devenu indispensable dans ma vie. Je l'aime tout simplement.

La période difficile que nous venons de vivre m'a au moins permis d'avoir une certitude : maintenant que j'ai rencontré l'amour, il n'est plus possible de m'en passer. Marc est définitivement rangé tout au fond d'un poussiéreux placard. Je suis follement amoureuse d'Arnaud Leroc et je ne peux pas imaginer ma vie sans lui.

- Je ne suis rien sans toi, chuchoté-je à son oreille alors qu'il me berçait.

Arnaud ne répond rien mais je n'ai pas besoin de mots. Son contact, sa chaleur, sa tendresse me suffisent.

Après quelques minutes passées à se câliner silencieusement, Arnaud met les mains sur mes joues avec ma tendresse. D'une petite voix, il me dit :

- Je suis désolé.

- De quoi ?

- De ce qui s'est passé. C'est de ma faute...

Je le regarde, les larmes aux yeux. Il est si touchant quand il montre son humanité.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Je te l'ai prise. J'aurais dû m'arrêter, me retenir, te dire que l'on ne doit pas le faire, que l'on est trop jeune...

- Arrête s'il te plaît... dis-je et je mets un doigt sur ses lèvres pour le faire taire.

Arnaud se tait et me regarde, les larmes aux yeux. Il est si touchant, si sensible. C'est peut-être bien cela finalement qui fait que je l'aime.

- Nous sommes tous les deux responsables. Après tout c'est moi la première à avoir fait un striptease, dis-je en riant.

- C'est sûr dit comme ça, dit Arnaud en riant.

- Cela pour dire que c'est fait, dis-je. On ne peut pas revenir en arrière. Il faut vivre avec. Et surtout, ne te sens pas coupable, on l'a fait à deux.

- Pour le moment, il vaut mieux pas recommencer...

- On est très bien ainsi.

Nous restons là, blottis l'un contre l'autre, jusqu'à la fin de la récréation. Si ce moment pouvait durer éternellement...

Lorsque je me réveille le jeudi matin, je suis plus anxieuse que jamais. Pour me rassurer, je me dis que, d'ici l'après-midi, tout sera terminé.

Je me rends en autobus à l'hôpital, accompagnée d'Élise. Je suis silencieuse et elle aussi, ayant simplement la hâte d'en finir.

Arrivées à l'accueil de l'hôpital des Lilas, on s'adresse à la réceptionniste, une dame aux cheveux gris et avec des lunettes carrés.

- J'ai un rendez-vous avec le docteur Mitose, s'il vous plaît, dis-je.

- Votre nom ? dit la réceptionniste d'un ton neutre.

- Clémentine, Mathilde.

La dame jette un œil à son ordinateur.

- C'est pour un avortement ? dit-elle.

- Oui.

- Troisième étage, le couloir sur votre gauche.

- Merci.

Après être montées au troisième étage par l'ascenseur derrière l'accueil, nous pénétrons dans la salle d'attente du bureau du médecin. Nous prenons place sans un mot sur un petit sofa libre.

Je me sens alors parfaitement détendue. Il y a juste à attendre et ensuite faire ce qu'il faut.

À part nous, trois autres personnes sont présentes. Et aucune d'entre elles ne vient clairement pour un avortement. À ma gauche, un homme est assis seul et lit un des nombreux magazines disposés sur la grande table ronde nous entourant. La femme en face de moi ne doit pas avoir plus de trente ans et est proche du terme à en juger par son ventre gonflé comme un ballon. Et à ma droite est assise une fille de mon âge, dont la rondeur ventrale ne laisse planer aucun doute possible sur son état.

Peut-être a-t-elle compris ma situation personnelle. En tout cas, la fille se penche vers moi et me dit :

- Salut. Toi aussi ça t'est arrivée ?

La femme proche de l'accouchement fronce légèrement les sourcils. Sûrement, comme la pharmacienne, a-t-elle son opinion personnelle sur les adolescentes enceintes. La fille l'ignore et me dit :

- Je m'appelle Clarisse Lambert. J'ai quinze ans et je suis enceinte de huit mois.

- Mathilde Clémentine. Je viens d'apprendre que je suis enceinte.

- Et tu es de combien ?

- C'était il y a deux semaines, dis-je, un peu gênée.

- Ah oui, tu viens juste de t'en rendre compte.

Je lui souris faiblement. Je ne sais pas trop quoi dire. Je n'ai jamais rencontré de filles dans cette situation et à aucun moment, en quinze années de vie, je n'aurais imaginé en faire partie. À côté de moi, Élise lui jette un regard perçant.

- Moi, c'était avec un garçon rencontré un soir pendant une fête, explique Clarisse. Je ne l'ai jamais revu. J'ai découvert que j'étais enceinte à six mois.

- Six mois ? dit Élise, choquée.

- Oui. J'ai fait un déni de grossesse. Du jour au lendemain, mon ventre a triplé de volume, je n'en croyais pas mes yeux.

Je ressens une certaine peine pour elle. Clarisse s'est rendu compte trop tard de sa grossesse et n'a donc d'autres choix que d'aller au bout. Pourtant, à la façon dont elle raconte son histoire, elle ne parait pas malheureuse.

- Au début, comme vous pouvez imaginer, j'ai eu un grand choc. Non seulement je ne pensais pas que ça m'arriverait mais j'ai eu mes règles quelques jours après l'avoir fait. C'était clairement un déni. Dans mon entourage, tout ceux qui se disaient mes amis m'ont laissé tomber et au lycée, tout le monde me regarde de travers et m'insulte. Mais mes parents et ma famille me soutiennent et pour moi, c'est ce qui compte. Grâce à eux, j'ai pris ma décision et je vais élever mon bébé seule.

Je suis touchée par le courage de Clarisse. Malgré la désapprobation de tout son entourage, elle a décidé d'assumer contre vents et marées. De plus, sa famille la soutient quand de mon côté, les seuls soutiens dont je suis assurée sont ceux d'Élise et de grand-mère...

- Tout ça pour te dire, Mathilde, que ce n'est pas un drame si tu es tombée enceinte aussi jeune. Le plus important, c'est d'être sûre de ce que tu comptes faire. Si tu veux garder ton bébé, garde-le. Si tu ne veux pas, ne le garde pas. Toi seule décide.

La femme enceinte a un rictus et lorsqu'on la regarde, elle trouve un soudain intérêt pour le plafond. L'homme qui lit le magazine se montre quant à lui totalement indifférent à notre conversation. Il pourrait tout aussi bien être sourd.

- On se revoit la semaine prochaine pour prescrire la pilule, Émilie, dit le docteur Mitose en sortant de son bureau après une fille à peine plus jeune que moi. L'homme, qui doit être son père, repose le magazine sur le tas de la table et s'en va avec elle.

- Clarisse, c'est à toi, appelle le docteur.

- Bonne chance, Mathilde, me dit Clarisse.

- Merci beaucoup, Clarisse, dis-je en affichant ce qui est mon premier vrai sourire depuis que j'ai appris ma grossesse.

Les mots et la confiance de Clarisse me font beaucoup réfléchir. Malgré moi, je me laisse poser une main sur mon ventre encore plat, du même instinct que lorsque je me suis regardée dans le miroir. Je suis enceinte de deux semaines. Je suis au tout, tout début de la grossesse, ce qui est à l'intérieur à coup sûr est minuscule. En avortant maintenant, personne, exceptée Élise et grand-mère, ne saurait que j'ai été enceinte à quinze ans.

Mais ai-je vraiment envie d'avorter finalement ?

Je réfléchis à ce que je devrais affronter si je n'avortais pas. Je deviendrais énorme et à cause de cela serais la risée du lycée. Papa et grand-mère, je l'ai dit, me soutiendraient bien que déçus et maman serait folle de rage. Lili, elle, ne comprendrait pas. Et Arnaud... comment réagirait-il ? Me soutiendrait-il ou préfèrerait-il me quitter, n'ayant pas le courage d'assumer ?

Tout cela a de quoi faire pencher la balance vers le choix de l'avortement. Mais est-ce que je le désire au fond ? Vais-je prendre réellement une mauvaise décision si je fais un autre choix ? Maintenant que le choc d'apprendre ma grossesse s'est un peu atténué, je n'en suis plus aussi certaine.

Mais non, me dis-je, comment puis-je avoir de telles pensées ? Je suis venue ici avec l'intention de me faire avorter. Le garder serait déraisonnable. L'ordre normale des choses, c'est d'étudier, obtenir de quoi gagner ma vie et après en effet avoir des enfants. Mais la vue de cette femme enceinte et les paroles encourageantes de Clarisse remettent toutes mes certitudes en cause... et puis, peut-être qu'au fond ne serais-je pas si laide enceinte...

Et je ne suis pas seule... je ne sais pas comment Arnaud va réagir mais s'il me soutient, on aura de meilleures chances de s'en sortir à deux... à trois même si on ajoute Élise...

Ma décision est prise lorsque Clarisse sort du bureau et m'adresse un grand sourire.

- A quoi tu penses, ma belle ? chuchote ma meilleure amie.

- Et bien... je suis en plein doute. Je me pose des questions au sujet du...

- Au sujet du bébé ?

- Oui. Tu sais, ma belle, j'ai réagi sous le choc et c'est normal, quelle fille ne serait pas choquée d'apprendre être enceinte à quinze ans ? Mais maintenant c'est passé et je me dis...

- Oui ?

- Et si je le gardais ?

Élise me lance un regard dur à interpréter. Je ne sais trop si elle pense que j'ai perdue la raison ou si elle est simplement inquiète.

- Mais tu sais ce que ça voudra dire si tu le gardes ?

- Crois-moi, j'en ai pleinement conscience. Je vais subir des moqueries, on va me pointer du doigt quand je serai comme Elliott Page dans Juno, ma mère voudra m'étrangler mais...

Élise me regarde droit dans les yeux, paraissant elle aussi peser le pour et le contre. Finalement, elle soupire et me dit avec un petit sourire :

- Tu es la seule qui décide. Et je vais être honnête avec toi, je pense que ce n'est pas raisonnable mais c'est ta décision et je te soutiendrai car tu es ma meilleure amie. On doit toujours soutenir sa meilleure amie.

Touchée, je me lève et prends Élise dans mes bras. S'il y a au moins une chose pour laquelle je peux remercier la vie, c'est de m'avoir offert si une bonne amie, une capable de mettre ses doutes de côté pour penser à l'autre.

On s'écarte, toutes deux une larme à l'œil, et Élise murmure avec douceur :

- Alors c'est sûr ? Tu le gardes ?

- Oui. Je vais dire au docteur Mitose que je n'avorterai pas.

Le médecin justement sort après la femme enceinte. Je me rends compte à cet instant qu'ayant pris ma décision, je me sens mieux. Je sais que je m'apprête à affronter des mois difficiles, que je devrai subir de lourds jugements, mais je vais y faire face. Car Élise - et Arnaud aussi j'espère - sera là, je ne serai pas seule quoi qu'il arrive.

C'est donc avec un moral un peu meilleur que je pénètre dans le bureau du docteur Mitose, prête à me jeter à l'eau.

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