1x08 : Non, je ne me souviens plus du nom du bal perdu
Musique/Vidéo : Richard Sanderson - Reality
Lorsque je me réveille le lendemain matin, je mets quelques secondes à me souvenir pourquoi je suis si malheureuse, alors même que je suis supposée filer le parfait amour avec Arnaud. Puis ce qui s'est passé la veille avec lui revient dans ma tête. Dans mon estomac, ce qui reste des spaghettis paraissent proches de remonter.
En un coup justement, j'ai basculé du bonheur à la honte. Qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi ai-je fait cela alors que je ne voulais pas ? A croire qu'entre l'envie des sentiments et l'envie personnelle, il n'y a qu'un seul petit pas...
J'ai fait de mon mieux pour sécher mes larmes et j'ai fait tout mon possible pour ne rien laisser paraître. Il ne faut surtout pas qu'ils aient le moindre soupçon. Je ne me sens pas capable de répondre aux questions et encore moins d'affronter le regard de ma mère.
Je n'ai pas osé contacter Arnaud ni par sms ni sur les réseaux sociaux et lui-même ne m'a envoyé aucun message depuis que je suis partie de chez lui. La réalité nous frappant de plein fouet, nous avons trop honte de ce que nous avons fait.
Preuve en est, je n'ai même pas le courage d'en parler à ma meilleure amie à qui je peux pourtant tout dire sans exception. Je préfère attendre son retour au lycée pour lui en parler de vive voix. Par message privé, je ne m'en sens pas capable.
C'est pourquoi pour la première fois, je n'éprouve aucune joie en voyant Arnaud. Et lui non plus ne me sourit pas. On n'ose même pas se toucher ni s'embrasser. Comme si, en brisant une barrière interdite, une autre plus grande encore s'est forgée entre nous.
Tout au long de cette journée et durant les jours suivants, nous faisons mine devant les autres que tout va bien. Mais nous savons que plus rien ne sera désormais pareil. Ce qui est arrivé est irréparable. Il va nous falloir apprendre à vivre avec. Je peux considérer cela comme une sanction pour avoir trahie ma propre parole.
Quand Élise, enfin guérie de la covid, revient au lycée une semaine plus tard, elle remarque tout de suite que quelque chose a changé entre moi et Arnaud. Faire semblant est inutile avec ma meilleure amie, elle voit tout.
- Qu'est-ce qui vous arrive, tout les deux ? nous demande Élise avec inquiétude. Vous avez l'air bizarre.
Je lui adresse un regard pour lui faire comprendre que je lui en parlerai plus tard en privé et Élise n'insiste pas.
Pour être honnête, je suis impatiente de trouver enfin le courage de lui en parler. Ce secret, accompagné par une culpabilité qui me ronge, est devenu trop lourd à porter, j'ai grand besoin de m'en libérer. C'est pourquoi, contrairement à d'habitude, j'écoute à peine le cours de Madame Osaka sur les Rougon-Macquart. Ma seule envie est d'avoir une discussion seule à seule avec ma meilleure amie. Je n'ai pas du tout la tête à me soucier des intrigues d'Émile Zola.
Quand la récréation arrive enfin, j'échange un regard avec Arnaud pour lui faire comprendre que je souhaite parler en privée avec Élise. Compréhensif, Arnaud s'éloigne et nous nous rendons dans le coin habituel.
Je ne sais par où commencer. Pour la première fois, j'ai du mal à trouver les mots pour parler à Élise. Comment lui révéler ce qui est impensable pour quiconque connait Mathilde Clémentine ? Sera-t-elle très déçue de moi ? Après une longue réflexion, je décide d'employer la prudence en commençant sur un tout autre sujet.
- Tu vas mieux, ma belle ? demandé-je.
- Oui beaucoup mieux, cette fichue covid m'a bien assommée. Mais dis-moi ce qui se passe, Mathilde. Tu es toute pâle... tu n'as pas le covid toi aussi ? Tu as fait un test PCR ? Tu sais que le gouvernement recommande toujours de se faire tester au moindre doute.
Je vous l'ai dit que rien n'échappe à ma meilleure amie. Elle a très bien compris pourquoi j'ai parlé d'elle avant moi.
- Non non ne t'en fais pas, je me sens bien. Je suis certaine de ne pas avoir la covid.
- Mais alors, que se passe-t-il ? Je vois bien que tu es toute triste. Il y a un problème avec Arnaud ? Vous vous êtes disputés ?
- Non non pas du tout...
- Vous n'avez pas rompu quand même ?
- Non bien sûr que non...
- Mais alors quoi ? Dis-moi !
Je fixe le sol. Regarder ma meilleure amie droit dans les yeux est tout aussi difficile qu'avec mon amoureux. J'ai tellement honte.
- Onlafait, baragouiné-je de manière inintelligible.
- Quoi ?
- On... On l'a fait...
- Vous l'avez fait... qu'est-ce que tu veux dire par...
Élise comprend enfin et ouvre grand la bouche et secoue la tête comme si elle pensait être en train de rêver.
- Non... Vous n'avez quand même pas... Mathilde, non, ce... ce n'est pas ce que je pense ? Rassure-moi, dis-moi que tu n'as pas fait ça...
- Si... c'est bien ce que tu penses, dis-je, toujours sans quitter le sol des yeux, lesquels s'embuent de larmes.
Élise est aussi choquée que si je venais de lui annoncer que je ne pourrais plus jamais la regarder dans les yeux.
- Oh non... mais pourquoi ? Pourquoi, ma belle, pourquoi ? Tu avais pourtant affirmé haut et fort que ça n'arriverait pas. Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Je... je ne sais pas... dis-je, ne pouvant plus retenir mes pleurs, on a... on a eu... une tension soudaine, je... je ne peux pas l'expliquer... on a essayé de lutter, j'ai essayé de lutter mais...
- Oh Mathilde...
Élise me prend dans ses bras pour me réconforter. Dans mon chagrin, j'ai plus que jamais besoin de ma meilleure amie. Jamais elle ne me jugera ni ne me blâmera.
- Ce qui est fait est fait, chuchote-t-elle. Vous êtes juste des humains, vous avez eu soudainement l'envie et vous ne pouviez pas lutter contre.
- Oui, c'est vrai...
- Est-ce que vous vous êtes protégés au moins ? me demande-t-elle avec calme.
- Oui. Il a mis une capote et j'ai été prendre la pilule du lendemain à la pharmacie...
- Bon c'est au moins ça. Tu sais, ma belle, chuchote-t-elle avec douceur à mon oreille, au fond ce n'est pas si grave. Tu as couché avec lui soit. Tu n'es juste plus vierge, c'est tout.
- Mais justement ma belle, dis-je en levant enfin les yeux vers elle car maintenant que j'en ai parlé, je me suis réellement libérée d'un poids lourd, tu n'imagines pas à quel point on regrette lui et moi. On s'en veut tellement, c'est pour ça que l'on n'ose plus se regarder ni même se parler depuis une semaine.
- Je comprends... mais je te l'ai dit, ce n'est pas si honteux...
- Quand même, il nous faut du temps, au moins pour nous en remettre. Et jamais, plus jamais je ne recommencerai. Si je dois coucher, c'est en étant préparée, pas en cédant à l'envie.
- Allez, ça va aller. Il faut repartir de l'avant maintenant.
Malgré moi, je fais ce qu'elle me dit et essuie les larmes de mes yeux. Comme je l'ai espéré, parler à Élise me fait du bien. Je peux être heureuse d'avoir une amie fidèle comme elle.
- Mathilde ?
- Oui ?
- Je suis désolée, je dois te poser la question car elle me brûle les lèvres : est-ce que ça fait mal ?
Pour la première fois depuis ce qui est arrivé, j'ai un sourire quoique faible.
- Un peu mais moins que les règles cela dit.
- Pour cette séquence consacrée à la littérature jeunesse, nous allons étudier une œuvre littéraire que, je pense, vous connaissez tous. Je veux parler d'Alice au Pays des Merveilles.
Le lendemain et s'il est encore présent, le malaise entre moi et Arnaud s'est un peu apaisé. Après ma conversation avec Élise, je me sens déjà mieux. Nous recommençons à nous parler et à nous enlacer – un peu tout du moins –, et nous nous sommes mis d'accord pour faire comme si rien ne s'était passé, du moins de ne plus en parler. L'idée de coucher ensemble est rangée dans un placard pour très longtemps. Les bisous et les câlins nous suffisent amplement.
Et l'imminence du fameux bal d'Halloween, qui doit avoir lieu le samedi suivant, va être le moment parfait pour ressouder notre couple.
Ayant pris rapidement la pilule du lendemain ajoutée à l'usage du préservatif, j'ai rapidement cessé de me soucier d'éventuelles conséquences.
Cependant, alors que j'écoute Madame Osaka nous expliquer ce que représente symboliquement le personnage de la Reine de Cœur, je réalise que je me sens mal à l'aise, comme si j'avais mangé un aliment avarié. Pourtant avant le début du cours, j'ai été en pleine forme. Je lève une main.
- Oui, mademoiselle Clémentine ? demande Madame Osaka en levant les yeux de son exemplaire d'Alice.
- Puis-je aller aux toilettes s'il vous plaît, madame ? demandé-je, un peu embarrassée.
Madame Osaka me regarde avec des yeux perçants.
- Vous auriez dû y aller pendant la récréation, mademoiselle, dit-elle avec un léger reproche dans sa voix. C'est vraiment urgent ?
- Oui vraiment, dis-je, rouge comme une tomate tant je suis gênée.
- Bon très bien, c'est d'accord pour cette fois. Allez-y mais ne mettez pas trop longtemps.
Je suis blanche comme un navet et de toute évidence Madame Osaka l'a remarqué. Sous les regards inquiets d'Élise et d'Arnaud, je quitte rapidement la classe. Une fois dans la cour, je sens une forte montée venir depuis le creux de mon ventre. Heureusement, les toilettes des filles ne sont pas très loin de là. Je m'y précipite.
J'arrive juste à temps. A peine ouvert la porte d'une des cabines des toilettes que je vide en trois temps tout le contenu de mon estomac dans la cuvette.
Je me dis tout d'abord qu'il s'agit simplement d'un petit-déjeuner mal digéré, bien que celui-ci ait été habituel – des biscottes beurrées et du lait chocolaté – et que d'ordinaire, il ne me donne pas mal au cœur. D'ailleurs, je retourne en classe en me sentant déjà beaucoup mieux.
Mais lorsque vers la fin du cours, je ressens de nouveau l'envie de vomir, je n'attends pas cette fois la permission de Madame Osaka pour courir jusqu'aux toilettes où, de nouveau, je crache dans la même cuvette.
Cette fois j'en suis certaine, ce n'est pas une indigestion. Je n'ai jamais eu de problème avec mon petit-déjeuner. Or, voilà que je viens de vomir deux fois en à peine une demi-heure.
Mais qu'est-ce donc alors ? Il y a trois causes connues pour des vomissements : une indigestion donc, une gastro-entérite mais j'écarte également cette hypothèse car je serais bien plus malade encore. Et la troisième c'est...
Non. Non. Pas ça. Pas possible. Ce ne peut pas arriver. Arnaud a pensé à la capote, j'ai bien pris la pilule du lendemain...
Puis il me revient en tête qu'aucune contraception n'est fiable à cent pour cent. Elles réduisent les risques mais cela peut arriver malgré tout...
Alors que je ne parviens pas à lever les yeux de la cuvette, comme si son contenu était aussi fascinant qu'un trésor, j'entends quelqu'un entrer dans les toilettes. Les pas et le souffle me sont familiers et viennent de la dernière personne que j'ai envie de voir dans l'état où je suis.
Ces dernières semaines, plus encore depuis le jour où elle m'a rejetée, Myriam a fait comme si elle avait totalement oubliée mon existence. Tout à coup, mes oreilles sont alertées. J'entends des reniflements, la porte de la cabine voisine s'ouvrir et comprends que Myriam pleure. Comme l'autre fois.
Malgré moi, et tout en sachant bien qu'elle va certainement m'envoyer balader, je sors de ma cabine et frappe à la porte de la sienne. Je me rends compte alors qu'elle ne l'a pas verrouillée. Je l'ouvre tout doucement.
En voyant ce que je découvre, je manque de vomir à nouveau.
Myriam, le visage inondé par les larmes, tient un canif dans sa main droite. Son bras droit est couvert de cicatrices. Il y a du sang partout autour de la cuvette où elle est assise.
Je manque de pousser un cri d'horreur face à cette vision effroyable. Myriam, qui parait à peine consciente, ne semble même pas avoir remarquée que j'ai ouvert la porte. Il me faut plusieurs minutes pour reprendre mes esprits. Je me lève, fais face à Myriam, et lui dis avec douceur :
- Myriam, pourquoi tu fais ça ?
Myriam réalise enfin que je suis là, comme si elle se réveillait d'une longue léthargie. Et comme la dernière fois, elle réagit avec fureur :
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? Je t'ai demandé pourquoi tu vomis dans les toilettes ?
- Myriam, il faut que tu ailles à l'infirmerie, tu ne peux pas continuer à...
Je m'interromps. Myriam me regarde pendant plusieurs secondes. Puit tout à coup, elle m'attrape par le col de mon pull. Myriam me fait très peur. Elle a un tel regard de rage, de fureur. Je me demande si elle ne serait pas capable de me tuer.
- Je te préviens, Clémentine, si tu répètes à qui que ce soit ce que tu viens de voir, je te jure que je te massacre !!
- D'accord, d'accord, je ne dirai rien à personne promis, dis-je en déglutissant avec difficulté.
Myriam me lâche et après m'avoir lancé des éclairs, elle quitte rapidement les toilettes. Quant à moi, il me faut plusieurs secondes pour réussir enfin à arracher mes yeux de l'horrible vision du sang.
Je ne peux cependant pas tenir ma promesse. Car il m'est d'autant plus impossible de ne pas en parler à Elise que je reste très choquée. Pourquoi Myriam s'inflige-t-elle un tel mal ? Est-elle donc si dépressive à ce point ?
Après avoir – autant que possible – nettoyé le sang avec du papier toilette, je fuis l'endroit en me promettant de ne jamais y retourner – tant que je peux l'éviter du moins...
- Tu dis qu'elle se... qu'elle se taille les veines avec un canif ? bougonne Élise, aussi horrifiée que si elle avait été témoin elle aussi.
- C'était horrible. Elle a des cicatrices partout sur le bras. On dirait que ça fait des semaines qu'elle se fait ça. Voilà donc pourquoi elle n'est plus la même depuis la rentrée.
Élise est toute aussi sous le choc. Elle déteste autant Myriam mais pas plus que moi ne lui souhaiterait autant de malheurs.
- Mais pourquoi elle se fait ça ? Je sais que tout le monde la déteste mais quand même...
- Quand je lui ai demandé, elle a dit que ça ne me regarde pas et elle m'a bien fait comprendre qu'elle m'écorcherait vive si j'insistais. Mais j'aimerais savoir. Je veux dire après avoir vu ça...
Curieusement, je remarque qu'Élise détourne le regard pendant que je dis cela mais ce sont probablement mes yeux qui ont du mal à se remettre d'une telle vision.
- Et toi alors, comment te sens-tu ? me demande Élise.
Je n'ai pas besoin de lui demander de quoi elle parle ni pourquoi elle change de sujet.
- Pas terrible. Pas bien même...
- Pourquoi ?
- Je...
Même à ma meilleure amie, parler de cela est difficile voire très difficile. Que Myriam se blesse est impensable en soit, ce qui m'arrive l'est tout autant quand on me connait...
- Je ne pense pas que mes envies de vomir soient dues à une indigestion...
- Comment ça ? dit Élise avec inquiétude.
- Ma belle, dis-je ne pouvant pas plus la regarder que quand je lui ai avoué ce qui est arrivé avec mon amoureux, je pense que la pilule du lendemain n'a pas marché, pas plus que la capote...
Élise comprend ce que je veux dire et de nouveau parait choquée.
- Quoi ? Mais alors tu veux dire que...
Élise se penche vers moi et chuchote comme si elle pensait que ce serait plus facile de prononcer les mots :
- Tu penses que tu es...
Élise ne parvient pas à dire le mot ultime et j'en suis à moitié soulagée. De toute façon Arnaud me rejoint et il ne doit rien soupçonner, pour le moment. Et puis, un peu de réconfort de mon amoureux va m'aider à penser à autre chose. Entre ça et la dépression de Myriam, ma seule hâte est que cette journée se termine.
- Ça va mieux, mon cœur ? demande Arnaud avec inquiétude.
- Oui on fait aller. Juste un peu patraque mais c'est tout.
Nous y sommes enfin. Le soir du tant attendu bal d'Halloween est arrivé.
Et depuis le difficile aveu à ma meilleure amie, les choses se sont réellement améliorées. Je n'ai pas eu d'autres nausées et j'ai fini par me convaincre que c'était bien une indigestion passagère (et ce bien que je commence à remarquer un retard inquiétant de mes règles). Quant à Myriam, elle n'a montré aucun signe indiquant que l'on a discuté dans les toilettes. Une nouvelle fois, elle semble avoir effacée mon existence de sa mémoire. J'ai toutefois remarqué qu'elle porte maintenant des manches longues et il est évident – pour moi – que ce n'est pas uniquement à cause du froid.
Nous avons vite choisi nos costumes. Je vais me rendre au bal déguisée en Hermione Granger tandis qu'Élise a choisit de se costumer en Nicole Haught de la série Wynonna Earp. Elle porte une perruque rousse bien assortie avec un chapeau texan de cow-girl. On aurait dit ma sœur jumelle.
- J'avoue que l'on est classe, me dit Élise avec fierté.
- C'est vrai : moi en miss-je-sais-tout et toi en cow-girl ça nous va à merveille.
- Tu aurais fait une belle Ginny avec les cheveux roux, me dit Élise avec un clin d'œil.
- Oui c'est vrai mais ça aurait été trop évident comme déguisement. Il me faut une autre couleur de cheveux.
- Donc, c'est Monsieur Dubonpied qui vous ramène, c'est bien cela ? dit papa.
- Oui comme prévu, dis-je.
- N'oublie pas, chérie : si pour une raison quelconque tu restes au-delà de minuit, appelle-nous, prévient fermement maman.
Je sais qu'elle est toujours réticente quant à cette soirée mais il n'est plus possible de faire marche arrière.
- Oui ne t'en fais pas, maman, dis-je.
Je m'apprête à vivre une belle soirée, le moment n'est pas venue pour moi de subir un sermon.
- Et je n'ai pas besoin de te rappeler que...
- Oui je sais, maman, je te rassure encore une fois, il ne se passera rien avec Arnaud, dis-je avec un léger soupir, espérant tellement qu'elle n'apprendrait jamais ce qui s'est passé une semaine plus tôt...
- Gisèle faites-lui donc confiance pour une fois, dit grand-mère sur un ton de reproche et je la remercie de son intervention car maman se tait.
- Alors amusez-vous bien, les filles, nous dit papa.
- Bonne soirée, chérie, bonne soirée, Élise, nous dit maman.
- Merci beaucoup, madame Clémentine, répond chaleureusement Élise.
Nous sortons de la maison et attendons devant l'entrée l'arrivée de M. Dubonpied. Pas question, même pour un court trajet, de marcher seule dans la rue en étant costumées. Surtout pour Élise qui, avec son costume de cow-girl est particulièrement exposée aux harceleurs de rue.
Monsieur Dubonpied arrive avec sa voiture cinq minutes après.
Il m'arrive parfois d'envier Élise d'avoir un père comme lui. C'est un homme joyeux et tolérant qui considére pleinement sa fille pour son âge et qui accepte sans problème son accoutrement gothique et l'idée qu'elle puisse s'intéresser aux garçons – bien que cela ne soit pas encore arrivé cela dit. Fille et père se ressemblent beaucoup : mêmes cheveux noirs – coupés court pour Monsieur Dubonpied – et mêmes yeux noisette. Il est un modeste plombier ne gagnant pas un salaire mirobolant mais cela, cumulé à la paie que gagne Madame Dubonpied en tant qu'infirmère, suffit à offrir un toit aux trois Dubonpied et à garder leur frigo rempli.
- Bonsoir, les filles, dit joyeusement Patrick Dubonpied. Alors prête pour la soirée ? Juste par curiosité, tu es déguisée en quoi, Mathilde ?
- En Hermione, c'est un personnage de Harry Potter, répondis-je.
- Ah oui c'est vrai, cela dit je ne connais pas plus que ça. Ce sont plutôt Sandrine (le prénom de son épouse) et Élise qui sont fans. Moi je suis plutôt branché Star Wars.
- Alors, ma belle, prête à attraper le gros lot ? me chuchote Élise qui prend place à côté de son père.
- Ouép. Et le plus drôle, c'est que c'est moi la rouquine...
- Avec une perruque Hermione, termine Élise et nous éclatons de rire.
- Toi aussi tu as des atouts, officière Nicole Haught.
- C'est vrai. Même si je viens surtout pour m'amuser, je ne pense pas trouver ma Waverly Earp ce soir...
Élise se met soudain à regarder la vitre de la portière et je décide de ne pas poursuivre le sujet même si je commence à comprendre.
Lorsque nous arrivons devant l'entrée du lycée, Arnaud est là pour nous accueillir, déguisé en Spiderman avec le masque à la main. Je suis clairement l'invitée qu'il attendait avec le plus d'impatience. Quoi de plus logique vous me direz puisque je suis sa copine.
- Bonne soirée, les filles ! nous dit Monsieur Dubonpied. A minuit, Élise, on est d'accord ?
- A minuit comme prévu, papa.
- Très bien. Alors à tout à l'heure.
Et, après nous avoir salué de la main, il repart.
Arnaud enfile le masque prenant ainsi entièrement l'apparence de l'homme-araignée puis me prend la main et nous entrons ensemble dans le lycée, Élise trottant à nos côtés. Nous nous dirigeons vers le gymnase où nous savons que se déroulera la soirée.
Assurément pour l'occasion, il ne ressemble plus du tout à un gymnase. Les buts de football ont été retirés et les paniers de baskets ont été relevés. Une grande table avec tout un tas de bouteille et d'apéritifs sont disposée contre les gradins sur un tapis assez vieux et rapiécé. D'autres tables pour les invités ont été placés là où se tient habituellement le but sur la droite. Un grand espace a été laissé au beau milieu du gymnase assurément pour la danse. Près de la table à apéritifs se trouve une autre petite table où le surveillant Marcus, un gros casque pourpre sur les oreilles, s'occupe d'assurer l'ambiance musicale avec des platines.
- Avant de devenir surveillant dans ce lycée, j'ai travaillé comme disc-jockey en discothèque, nous explique-t-il en voyant nos regards curieux. Il m'arrive encore de faire des soirées pour joindre les deux bouts, j'ai une passion pour les platines et la techno.
L'habituel surveillant intransigeant est clairement en mode festif. Coiffé d'une perruque qui le fait se ressembler à s'y méprendre à David Guetta, on peut voir que cet homme est cool en dehors de son travail.
- Simple curiosité, pourquoi avoir quitté votre travail comme DJ pour devenir surveillant de lycée ? demande Arnaud. Aucun jugement bien entendu.
- J'ai deux enfants en bas-âge, j'ai donc décidé de prendre un travail de jour pour mieux m'occuper d'eux. Mais je n'abandonne pas les platines pour autant. Une passion est une passion.
- J'ai faim, je mangerais bien quelques apéritifs, me dit Élise en regardant avec envie un bol rempli de cacahuètes.
- Sers-toi donc, ma belle, dis-je avec un grand sourire, la main autour de la taille d'Arnaud.
- Allez, les amoureux, éclatez-vous, dit-elle en regardant le vide à sa droite. Ne vous en faites pas pour moi,
- Tu es sûre, Elise ? dis-je, inquiète de laisser ma meilleure amie seule pour la soirée.
- Mais oui. Profitez-en. C'est aussi pour... oublier.
Je vois bien qu'Élise est préoccupée par quelque chose mais elle a raison, cette soirée est faite avant tout pour ne pas penser au quotidien pendant quelques heures. Et je sais de quoi je parle...
Coïncidence – ou pas – Marcus lance le premier slow de la soirée avec la célèbre musique du film La Boum. Aussitôt, Arnaud m'enlace et je me laisse faire. Je me sens si bien, dansant blottie dans les bras mon amoureux. Je me sens emporter ailleurs. Tout le reste apparait virtuellement oublié. Même ce qui est arrivé entre nous n'a plus la moindre importance.
- Mathilde, mon cœur, je suis tellement heureux que tu sois là, me chuchote-t-il alors que raisonne le refrain « Dreams are my reality, the only kind of reality. ».
- Moi aussi. Je ne pourrais pas être plus heureuse qu'en ce instant.
- Cela fait à peine deux mois on s'est rencontré mais je sais que tu es la plus belle rencontre de ma vie. Mathilde ?
- Oui ?
- Je t'aime.
C'est la deuxième fois qu'il me le dit et je suis encore plus touchée. Moi aussi, après deux mois, je sais que je n'ai jamais autant aimée quelqu'un. C'est donc finalement l'Amour avec un grand « A »...
- Moi aussi. Je t'aime tellement.
La soirée se passe jusque-là merveille. Après le slow, Marcus, comme pour prouver qu'il maitrise effectivement à merveille les platines, décide de nous faire bouger davantage avec une série de chansons dansantes de divers styles de musique, allant du Bal Masqué de la Compagnie Créole – logique pour une soirée d'Halloween – à du disco avec Born to be alive. Puis il nous propose une nouvelle détente avec un autre slow. De nouveau je me laisse emporter dans les bras de mon amoureux.
Je me sens tellement, tellement bien. Je voudrais que l'on reste ainsi enlacé pour l'éternité...
Je vis le plus bel instant de ma vie. Je vis un rêve, un rêve si beau. Que peut espérer une fille de mon âge de mieux que d'être là, dans les bras amoureux de son chéri ? Je voudrais qu'il dure encore et encore... c'est ce que nous voudrions tous les deux...
Et c'est là qu'ils reviennent.
- Que se passe-t-il ? demande Arnaud avec inquiétude en voyant que je suis devenue blanche comme un navet.
- Je... je ne me sens pas bien, j'ai... j'ai mal au cœur...
Un peu plus loin, Élise, qui danse sans enthousiasme avec un garçon inconnu costumé en Batman, me lance un regard inquiet.
- Tu as mal au cœur ? Tu as avalé quelque chose de travers ? Ce sont peut-être les cacahuètes, elles ont un goût bizarre.
- Oui enfin non ce ne sont pas les cacahuètes... je... désolé, mon chéri, mais il faut vraiment que j'aille aux toilettes...
- Je peux t'accompagner si tu...
Mais je ne laisse pas le temps à Arnaud. Prêtant à peine attention aux quelques regards curieux, je me rue vers les toilettes des filles, celles que je me suis jurée d'éviter autant que possible. Haletante, j'arrive juste à temps dans une cabine pour tout cracher dans la cuvette.
Il me faut au moins cinq minutes pour reprendre réellement mes esprits et pour que les brûlures dans ma gorge disparaissent. Cinq minutes où je suis passée d'un rêve à un cauchemar éveillé. Soudainement, le bal d'Halloween ne présente plus aucun intérêt. Ma seule envie à l'instant est de rentrer chez moi et de me coucher.
La mine déconfite, je retire la perruque d'Hermione. Je suis en sueur.
Je dois me rendre à l'évidence. Ces vomissements ne sont pas causés par une mauvaise digestion ou des cacahuètes de mauvais goût.
Il n'y a qu'une seule cause possible. Parce que j'ai couché avec Arnaud Leroc, voilà la conséquence inéluctable.
Cinq minutes passent encore et je n'ai toujours pas la force de quitter cette cabine. C'est à ce moment-là que j'entends quelqu'un frapper à la porte et je n'ai pas besoin d'entendre le son de sa voix pour comprendre qu'il s'agit d'Élise.
- Mathilde ? Tout va bien ?
Le réconfort que peut m'offrir ma meilleure amie me donne assez de courage. J'ouvre donc la porte et je me jette dans ses bras, les larmes aux yeux.
Élise me berce. Elle ne dit rien, elle a bien compris. Dans des moments comme ça, un simple câlin suffit. Il me faut encore plusieurs minutes pour me calmer pour de bon et je dis alors en un murmure et avec tristesse :
- Demain j'irai à la pharmacie acheter un test de grossesse.
Élise hoche la tête. Comme moi, elle sait que l'on ne peut plus fermer les yeux. Car je prends conscience cette fois qu'en plus des nausées, mes règles ont deux semaines de retard. Et mon cycle étant habituellement régulier, cela n'a rien d'anodin. C'est un symptôme évident.
Il est temps de savoir si la catastrophe est belle et bien confirmée.
En revenant dans le gymnase, je regarde Arnaud sans prononcer un mot pour lui faire comprendre que je souhaite rentrer. Compréhensif, mon copain ne proteste pas tandis qu'Élise sont son téléphone pour appeler son père. Elle prétexte que j'ai un mal de crâne soudain pour justifier le fait de nous ramener avec deux heures d'avance.
Sur le trajet du retour, lequel ne pourrait pas être plus différent que l'aller, ni moi ni Élise ne prononçons un mot. Je me sens tellement mal, tellement honteuse. Je n'arrive pas à croire que, moins d'une heure plus tôt, j'étais si heureuse dans les bras du garçon que j'aime. A présent, le bonheur a laissé toute place à l'angoisse au fond de ma poitrine.
Ma vie est sur le point de basculer.
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