1x03 : Coup de foudre à Lucieville

Musique/Vidéo : Syd Matters - To All of You (BO "Life is Strange)

Le reste de la semaine ressemble au premier jour, à savoir ordinaire sans rien d'exceptionnel. Je me dis que finalement, ce n'est pas si terrible que cela le lycée.

Pour les cours, nous entrons rapidement dans le vif du sujet. Madame Osaka est décidée à nous mettre de suite au travail. Je l'apprécie. Elle est exigeante mais elle est clairement passionnée et je sais qu'elle veut notre bien. Je suis contente qu'elle soit notre prof principale.

Myriam, Sissi et Bibi ne sont pas revenues nous embêter. Curieusement, lorsqu'elle nous aperçoit moi et Élise, mon ennemie jurée détourne le regard et s'éloigne de nous comme si elle craignait d'attraper la Covid-19. Un changement d'attitude qui n'est pas pour déplaire cependant.

- Peut-être en a-t-elle marre tout simplement. Elle a passé tout le collège à nous tourmenter, elle doit se dire que l'on n'est plus si intéressantes, m'a dit ma meilleure amie à ce sujet.

Quant à Arnaud Leroc, son comportement ne change aucunement de toute la semaine. A chaque récréation, il va s'assoir seul dans un coin et je ne crois pas l'avoir entendu parler à qui que ce soit. Et en classe, on ne l'entend que si un enseignant l'interroge.

La deuxième semaine commence avec un cours d'Anglais enseigné par une Américaine, Mrs. Hart.

Je m'assois à ma place habituelle et au moment où Élise s'apprête à faire de même, quelqu'un la devance. Surprises, nous tournons notre regard vers l'intéressé.

Élise accepte d'aller prendre place seule, celle qu'Arnaud occupait jusque-là et ce dernier s'assoit à côté de moi.

Je le regarde avec curiosité. Je me demande d'où lui vient cette soudaine envie d'être mon voisin de table alors que durant toute la semaine précédente, il a agi comme un véritable fantôme.

La réponse à mon interrogation ne tarde pas. Tandis que Mrs. Hart entre en classe en saluant les élèves de son bel accent américain, Arnaud se penche vers moi et chuchote :

- Bonjour.

Je n'en reviens pas. C'est la toute première fois qu'il me parle directement - on ne peut guère compter le « bonjour » de l'autre fois qui n'était qu'une vague réponse à ma pauvre tentative de l'aborder – cette fois il s'agit bien d'un « bonjour » de sa propre volonté. Je me rends compte alors que je rougis. Jamais je n'ai été aussi troublée en présence d'un garçon.

- Heu... bonjour, répondis-je d'une voix faible.

- Désolé de prendre la place de ton amie, je voulais juste te parler, dit Arnaud d'un ton simple comme s'il s'agissait d'une banale discussion entre deux vieux amis d'enfance.

Je me demande sur le moment si je rêve. Après avoir été ermite pendant une semaine, Arnaud Leroc veut discuter avec moi ? Est-il réellement en train de faire ce que j'ai attendu désespérément depuis une semaine ?

- Cela ne te dérange pas au moins ? Si tu veux on peut se parler plus tard...

- Oh ! Non non pas du tout, assuré-je en forçant un sourire. Mais là le cours d'Anglais commence, enfin tu vois...

Je devrais me frapper à la tête avec un marteau. Quelle stupidité je viens de dire !

Toutefois, cela ne semble pas offenser Arnaud. Au contraire, il me dit en souriant :

- Retrouve-moi tout à l'heure pendant la récréation.

- D'accord.

Et il fait signe à Élise et chacun reprend sa place habituelle pendant que Mrs. Hart démarre son cours sur la biographie de Shakespeare.

Une heure plus tard, au moment où nous sortons dans la cour pour la récréation, ma meilleure amie me demande :

- Qu'est-ce qu'il te voulait ?

- Il... il a dit qu'il veut me parler...

- Sérieusement ? Mais c'est formidable ! s'exclame Élise avec joie. Cela veut donc dire qu'il t'a remarqué...

- Apparemment oui...

- C'est peut-être pour ça qu'il reste toujours dans son coin. Si ça se trouve il est très timide et ne sait pas comment t'aborder. Au final vous vous ressemblez un peu.

- Je vais voir ça, mais en fait...

- Mais en fait quoi ? dit Élise avec curiosité.

- C'est-à-dire... enfin voilà, et si c'est du pipeau ? Et s'il fait croire qu'il s'intéresse à moi et qu'ensuite il m'envoie balader...

- Franchement, ma belle, tu te poses trop de questions. Fais ce qu'il dit, va le voir, il n'y a qu'ainsi tu sauras. Et si c'est vraiment un crétin, tu lui colles une baffe et basta.

Je ris malgré moi.

- Tu as raison. Je suis bête...

- Mais non pas bête. Juste intimidée car un garçon mignon est venu te parler.

Je dois reconnaitre que je suis plutôt flattée. Depuis que je l'ai vu pour la première fois, je désire tellement faire sa connaissance. Or, voilà que cette opportunité se présente enfin. Dans ma poitrine, mon cœur se met à battre la chamade.

Arnaud est comme prévu assis seul dans son habituel coin de la cour. Mais pour la première fois, il ne fait pas mine d'être invisible. Je comprends qu'il m'attend par son regard.

Et je réalise qu'il me sourit. Et quel sourire, je n'en ai jamais vu d'aussi beau, d'aussi chaleureux...

Élise m'adresse de loin un regard d'encouragement et je le rejoins. Elle a décidé de rester à distance pour guetter au cas où l'envie reprendrait à Myriam de venir gâcher notre instant.

En m'approchant de lui, je devine qu'Arnaud est aussi tendu que moi. Élise a vu juste, peut-être bien voulait-il me parler depuis le début mais il n'osait pas par timidité ou parce qu'il ne trouvait pas les mots. C'est pour cela qu'il lui a fallu une semaine pour me dire un simple « bonjour »...

Qui plus est, nous restons là un moment à nous regarder sans qu'aucun de nous deux ne prononce le moindre mot, l'air de faire comme au téléphone « raccroche le premier ! ». Et maintenant que je fais face à lui, je réalise encore plus à quel point il est juste sublime. Ses yeux bleus océans sont si beaux que j'ai du mal à ne pas tourner la tête quand je les regarde.

Finalement après un interminable silence, c'est lui qui prend les devants. Il m'invite à m'assoir contre le mur et me dit :

- Je voulais te parler, depuis le premier jour. Mais je n'osais pas.

Et donc la preuve définitive que ma meilleure amie a raison.

- D'accord, dis-je puis estimant que je peux moi aussi me jeter à l'eau, j'ajoute : moi aussi, j'ai essayé de te parler. Enfin tu le sais...

Arnaud hoche la tête. Mais qu'est-ce qu'il est mignon. Pourtant je ne suis pas celle qui se fie en priorité au physique mais là disons-le clairement, il est canon. Je jette un œil du côté d'Élise. Elle lève un pouce pour m'encourager et me faire signe que tout va bien.

- Je ne me suis pas présenté, continue-t-il. Je m'appelle Arnaud, Arnaud Leroc.

- Je m'appelle Mathilde, Mathilde Clémentine.

Et de nouveau le silence pendant plusieurs minutes, nous ne faisons rien d'autre que nous regarder dans les yeux. Mon cœur bat maintenant tellement vite que l'on pourrait penser qu'il essaie de s'échapper de ma poitrine.

Mais je sais que l'on ne peut pas se contenter de se regarder. Il faut entamer absolument entamer la conversation...

- Et bien...

- Je veux te dire que je suis désolé, dit-il tout à coup.

Je le regarde avec étonnement. En quoi doit-il être désolé ?

- Pourquoi donc ? dis-je.

- Je veux dire, je suis désolé pour être resté aussi discret. Tu as dû penser que je t'ignorais volontairement

- Oh ! Ne t'excuse pas pour ça. Je comprends, tu sais. Moi aussi je suis très timide.

A nouveau le silence. Et le temps presse, la récréation est bientôt terminée et nous n'aurons plus l'occasion de nous parler avant la prochaine pause. Sans parler que le cours suivant est celui de Madame Osaka qui a bien fait comprendre qu'elle ne supporte aucun bavardage.

Cette fois, c'est moi qui brise le silence.

- Tu habites où ? demandé-je, posant la première question qui me passe en tête.

Je crains soudainement d'avoir été trop vite mais Arnaud ne parait pas dérangé.

- Je me suis installé à Lucieville il y a une semaine à pense. Ma mère est ATSEM et vient juste d'être mutée dans une école maternelle. C'est pour cela que j'ai été inscrit en dernière minute. Avant nous habitions en France à Grenoble mais ma mère souhaitait revenir vivre dans son pays natal.

- Tu veux dire que tu n'habites en Rozanie que depuis une semaine ?

- Oui. Je connaissais déjà un peu cette grande île, j'ai été en vacances à La Marine, la grande station balnéaire du sud. J'adore aller là-bas, c'est une ville magnifique.

- C'est vrai. Moi la France je ne connais que Paris, on y est allé plusieurs fois avec ma famille. Et un peu Disneyland aussi avec ma meilleure amie. Et ton père il fait quoi dans la vie ?

En voyant sa grimace, je comprends que je viens de poser une question très indiscrète et m'en mords les doigts.

- Oh ! Je suis désolée, je ne voulais pas t'offenser...

- Non ne t'en fais pas, tu ne pouvais pas savoir. C'est juste que... je ne sais pas qui c'est, je ne l'ai jamais connu. Ma mère m'élève seule depuis tout petit. Je sais juste qu'il est parti peu après ma naissance.

- Ta mère ne t'a jamais dit pourquoi il est parti ?

- Non. Mais ce n'est rien, tu sais, j'ai toujours vécu ainsi. Je ne cherche pas à savoir. Et toi ta famille ?

- Moi ? Disons que j'ai une famille... normale. Ma mère qui passe son temps à râler, mon père qui ne pense qu'à ses matchs de foot, ma petite sœur qui se prend pour Ladybug dans Miraculous, et ma grand-mère paternelle qui habite avec nous depuis un an et le décès de mon grand-père. C'est la seule aïeule encore en vie et sûrement celle que j'aime le plus dans ma famille.

- Et ils font quoi dans la vie tes parents ? demande Arnaud et je suis flattée de voir qu'il s'intéresse de plus en plus à moi et ma famille.

- Ma mère travaille à la mairie de Lucieville et mon père est menuisier, répondis-je.

J'ai alors dans la tête la réaction probable de mes parents s'ils apprennent que je m'intéresse à un garçon. Papa s'en ficherait probablement – il ne s'en est guère soucié quand j'étais avec Marc – mais Maman est terrifiée à l'idée que je puisse coucher, sérieusement. Je vous laisse imaginer sa réaction lorsque j'ai commencé à parler de pilules contraceptives ! Et elle n'a pas caché son soulagement lorsque mon histoire avec Marc s'est terminée. Finalement, seule grand-mère a été de bons conseils pour l'avant et l'après.

Le sujet famille étant clos, nous retombons à nouveau dans le silence. Puis la curiosité s'éveillant de nouveau, je lui pose la question qui désespérait de sortir de ma tête depuis la rentrée :

- Pourquoi aimes-tu être seul ?

- Pardon ? dit Arnaud.

- Pourquoi aimes-tu t'assoir seul contre ce mur ?

Arnaud met du temps à répondre. Il parait bien moins enclin à répondre à cette question qu'à celle sur son géniteur inconnu. Enfin il me dit :

- Un peu comme toi je dirais, plutôt timide. Je ne suis pas très à l'aise avec la foule. J'aime bien les lieux discrets où je n'attire pas l'attention.

Un coup d'œil à mon smartphone indique qu'il ne reste que trois minutes avant la fin de la récréation.

- Mathilde ?

- Oui ?

- Je suis heureux de te connaître.

Mon cœur s'accélère à nouveau. Je suis tellement touchée par ses mots...

- Moi aussi je suis heureuse de te connaître.

Je le regarde dans les yeux. Il me regarde dans les yeux. Ce que je ressens est si intense. Et quelle sensation ! Si je dois la décrire, je dirais que j'ai l'impression que des dizaines de papillons volent dans mon ventre. Et que dire de cette chaleur que provoquent les battements si rapides de mon cœur. Je ne crois pas qu'il existe de sensations plus agréables. Je suis comme émerveillée, comme sur un nuage...

Aucun doute possible. Avec Arnaud Leroc, c'est un vrai coup de foudre...

La cloche sonne. A mon plus grand regret car je voudrais que cet instant, assise là contre le mur du lycée avec Arnaud, dure encore et encore. Mais il nous faut bien retourner en cours.

Je jette un œil à sa main gauche. J'ai tellement mais tellement envie de la prendre. Mais je n'ose pas. Car si en effet je suis clairement amoureuse, j'ai peur d'aller trop vite. Si ça se trouve, je me fais des illusions. Peut-être veut-il simplement une amie, une amie qui serait une confidente pour lui. Peut-être que cela ne l'intéresse pas d'être en couple. Non pas que cette idée me dérangerait – je crois tout à fait à l'amitié fille-garçon – mais je sais tout de même qu'il y aurait alors une pointe de déception...

- Faut qu'on y aille, on a cours de Français avec Osaka, dis-je.

- On se reparle plus tard si tu veux, Mathilde, dit Arnaud en se levant. D'accord ?

J'avale ma salive en le regardant. Avoir eu notre toute première conversation ne m'a pas rendue moins timide envers lui.

- D'accord.

- Bon ben...

- Ben... à plus tard, Arnaud.

- A plus tard.

La chaleur de son sourire s'intensifie. Une petite voix à l'intérieur me supplie, « embrasse-le ! embrasse-le ! », mais là encore je ne peux pas. Pas maintenant c'est trop tôt. Si j'ai retenu une leçon de Marc, c'est qu'il ne faut rien précipiter mais au contraire laisser faire le temps.

Dans la classe, tandis que Madame Osaka s'apprête à commencer son cours sur Victor Hugo, Élise, restée tout ce temps en retrait, me pose la question qui brûle évidemment ses lèvres :

- Alors, ma belle, comment ça s'est passé ? Il est comment ? Raconte-moi tout !

- Il est... merveilleux. Il est beau, il est gentil, il a envie de s'intéresser à moi enfin tu vois quoi...

- Tu sais ce que ça veut dire, ma belle ? me dit ma meilleure amie avec émotion tant elle est heureuse pour moi.

- Oui. Je suis en train de tomber amoureuse.

Depuis que l'on a fait connaissance, Arnaud sommes devenus inséparables. Nous passons maintenant toutes les récrés ensemble et il n'a évidemment pas fallu longtemps pour que l'on s'échange nos numéros de smartphone ainsi que nos comptes Facebook et WhatsApp. Une grande amitié est née entre nous même si, je le sais, mon cœur aimerait secrètement aller plus loin...

Mon cœur, bien sûr, Élise y occupe toujours la place la plus grande. Je sais que même en couple, elle passerait toujours en premier et moi aussi. Élise et Arnaud s'entendent par ailleurs très bien et c'est ainsi que nous formons à présent un trio inséparable à la Harry, Ron et Hermione. Je m'assois tour à tour à côté d'Arnaud et d'Élise en classe, une sorte de partage qui nous convient à tous les trois.

Un trio d'amis qui nous aide également à tenir le rythme très intense des cours. Madame Osaka n'a pas bluffé en nous prévenant que cette année scolaire n'aura rien d'une rigolade. Nos compétences sont diverses mais pour le coup c'est un avantage : Arnaud est scientifique et excellent en Maths et Sciences Naturelles, tandis que mon profil est plutôt littéraire et que celui d'Élise est polyvalent, bien qu'elle soit moyenne en Maths et faible en Langues. Nous avons pris l'habitude d'aller travailler en Salle d'Études. Ainsi, nos premiers résultats sont bons et nous avons même les encouragements de Madame Osaka, très satisfaite de nos premiers efforts.

Et c'est pourquoi je m'habitue finalement assez vite à la vie au lycée. Le collège n'est désormais plus qu'un souvenir. Pour être franche, je n'en éprouve aucune nostalgie. Finalement j'ai changé d'avis : je suis contente d'être lycéenne. 


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