1x02 : Une rencontre à Simone de Beauvoir
Musique/Vidéo : Pomme - A Lonely One
Sur le chemin du lycée, Élise me raconte ses vacances d'été. Les plus belles, me dit-elle, qu'elle a passé de sa vie. Et je suis tellement heureuse pour elle.
Voyez-vous, les Dubonpied ont des revenus assez modestes et se contentent de vivre avec ce qu'ils ont. Mais ils ne s'en plaignent pas. Au contraire, ils sont très heureux ainsi et sont pour moi les trois personnes les plus charmantes que je connaisse. De la même façon qu'Élise me voit comme une sœur, ses parents me considèrent comme leur deuxième fille.
- C'était incroyable, dit Élise rêveuse en se remémorant ses vacances. Manhattan, Times Square, Central Park, la Statue de la Liberté, le Pont de Brooklyn, le Queens, le Bronx, et surtout et surtout...
- Et surtout ?
- Un grand magasin de hard-rock. Quand on l'a aperçu mon père et moi, on s'est précipité à l'intérieur. Ils avaient de ces grattes en stock. On n'avait pas les moyens d'en acheter mais ça faisait rêver.
J'ai un grand sourire. Élise n'est pas ma meilleure amie par hasard. Tout à coup, elle me regarde d'un air plus grave.
- On aurait dû t'emmener, dit-elle. Tu n'imagines pas à quel point tu m'as manquée pendant ces deux mois. Même si New York a été extraordinaire à visiter, ça aurait été deux fois plus beau avec toi.
Je m'apprête à lui rappeler que ses parents ont justement songé à m'inviter, mais ils n'avaient pas les moyens d'emmener une quatrième personne de plus. Et puis, c'était leurs vacances, un moment unique à passer entre eux trois. Ma place n'était pas parmi eux durant cet été.
- On s'est écrit toutes les semaines, ma belle. Et ce qui compte, c'est que tu ais passé des vacances de rêve. J'étais heureuse tant que je te savais heureuse.
- Je sais mais j'ai pensé à toi, qui est restée seule en Rozanie durant tout l'été...
Je reconnais pour le coup qu'Élise a raison : sans elle, je me suis d'autant plus ennuyée que j'ai passé toutes les vacances d'été à essayer de me remettre de ma rupture d'avec Marc qui, sans doute parce que c'est la première, m'a fait beaucoup de mal. Élise a d'ailleurs songé à renoncer aux vacances car elle ne voulait pas me laisser seule alors que j'étais en plein chagrin d'amour. Je n'ai pas perdu de temps à lui faire oublier cette bien mauvaise idée. Elle ne pouvait pas sérieusement passer à côté d'un voyage à New York juste parce que sa meilleure copine ne se remettait pas d'un chagrin d'amour.
- Allez, on s'offrira nos propres vacances l'été prochain, assuré-je d'une voix faible.
- Bien sûr ! De toute façon, on n'est pas près de retourner à New York. C'était un moment unique pour moi et mes parents. On songe à essayer l'Islande pour la prochaine fois, mais sans doute pas avant au moins dix ans...
- On n'aura qu'à se faire Disneyland Paris au pire. Ce n'est qu'à trois-quarts d'heure d'avion après tout...
- Ouép. Très bonne idée, ma belle, dit Élise, l'air rêveuse.
Nous arrivons devant l'entrée du lycée Simone de Beauvoir. Les lieux ne nous sont pas tout à fait inconnus, ayant fait une visite au mois de juin en tant que futurs nouveaux élèves. Nous n'en sommes pas moins impressionnées. Comparé à notre désormais ancien collège, ce lycée nous apparait aussi immense qu'une cathédrale.
- Bon ben nous y voilà, dit Élise avec un soupir. Il n'y a plus qu'à entrer.
Nous franchissons les portes ouvertes et pénétrons en ces lieux.
Bien qu'étant en avance de vingt minutes, de nombreux élèves sont déjà présents. La plupart des têtes nous sont inconnues mais nous reconnaissons aussi quelques connaissances du collège.
Manque de chance pour moi, la première que nous croisons est déplaisante. Il s'agit de Marc et celui-ci est aux bras de la fille aux formes généreuses avec laquelle il m'a vite remplacée. Je ne peux m'empêcher d'arborer un petit sourire. Cela fait combien... trois mois qu'ils sortent ensemble ? De la part de Marc, c'est un record du monde de longévité.
Je préfèrerais qu'il ne nous voie pas. Malheureusement je n'ai pas autant de chance et quand il m'aperçoit, il dit avec un sourire suffisant :
- Salut, Mathilde. Prête à commencer le lycée ?
- Salut, Marc.
Je n'ai pas plus envie de lui parler que de glisser une main dans un nid de guêpes.
- Tu sais, je ne ferme pas la porte, lance-t-il avec arrogance. Si tu as changé d'avis, je suis ton homme.
Sa copine ricane comme une parfaite idiote. Je lève les yeux au ciel. Sérieusement, quelle fille peut rigoler alors que son copain en drague ouvertement une autre sous ses yeux ?
- Ma belle, laisse-le, il n'en vaut pas la peine...
Élise a raison mais hélas, je ne peux résister à l'envie de répliquer à la provocation de mon ex.
- Notre rupture est la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie, lancé-je.
Mes mots ne font qu'élargir son sourire, très satisfait de m'avoir irritée.
- Allez, à plus et bon courage pour cette année, ma jolie. Bisous à toi aussi, Bella Swan, ajoute-t-il à l'adresse d'Élise.
- Bel... ?
Et après m'avoir fait un clin d'œil, il s'éloigne main dans la main avec sa copine.
- Ne l'écoute pas, ma belle, grogne Élise en jetant un regard noir au dos de Marc. Ce n'est qu'un abruti et un gros prétentieux. Ne le laisse pas te gâcher la rentrée.
- Comment ai-je pu tomber amoureuse d'un mec pareil ? marmonné-je.
- On ne choisit pas qui on aime, ma belle. Surtout, ne sois pas triste, c'est exactement ce qu'il cherche. Ce mec se pense tellement supérieur que pour lui, c'est la fille qui rate quelque chose en refusant de sortir avec lui. Il ne mérite pas que tu restes à pleurer au contraire.
- Je me demande si tous les garçons sont comme ça, dis-je.
- Bien sûr que non. Rappelle-toi le mec qui a révélé son homosexualité en Quatrième. Il était différent et il n'y avait pas de garçon plus gentil que lui.
- Oui c'est vrai. Mais il a été harcelé pour avoir embrassé son copain et a dû quitter le collège.
- Ouais, c'est bien triste, on penserait que ça n'arriverait plus. Après tout, nous sommes au XXIème siècle et surtout nous sommes des Rozans... Bon bref, on y va, la rentrée va commencer.
En entrant dans l'amphithéâtre où va se dérouler la rentrée, nous faisons une rencontre toute aussi désagréable que celle de Marc. Il s'agit cette fois de Myriam Manguier, ma pire ennemie, mon pire cauchemar dans la vie. Elle est accompagnée de ses acolytes, les jumelles Sophie et Béatrice Daubert, également connues sous les surnoms respectifs de Sissi et Bibi.
Myriam est aussi effrayante à l'extérieur qu'à l'intérieur. Corpulente, cheveux blonds tombant sur son dos, elle est dotée en outre d'une grande force physique et est capable d'assommer n'importe qui d'un simple coup de poing. Tout au long du collège, elle a agi en véritable terreur. Absolument tout le monde, et je dis bien tout le monde y compris les adultes, a peur d'elle. Toutefois, je reconnais sans prétention être la seule à lui avoir toujours tenu tête. C'est la raison pour laquelle Myriam n'a aucune autre obsession dans sa vie que de pourrir la mienne. Elle voit en moi celle qui lui résiste.
À côté d'elle, Sissi et Bibi jouent littéralement le rôle de Crabbe et Goyle avec les muscles en moins. Petites brunettes, on devine, quand on les voit, qu'elles pèsent à elle deux à peu près quarante kilos de moins que leur immense chef. Elles vouent une fidélité sans faille à Myriam à qui elles obéissent du doigt et à l'œil.
Élise et moi ne désirons rien d'autre que d'agir comme si elles n'étaient pas là mais voyez-vous, Myriam ne rate jamais une occasion de me railler. Aussi comme pour Marc, lorsqu'elle nous aperçoit, elle lance avec un grand sourire méprisant :
- Tiens, tiens, tiens, voyez qui voilà. Il semble que nous allons encore être camarades pour trois ans.
Sissi et Bibi rient jaunes. Toutes deux sont des filles impopulaires qui suivent Myriam pour se donner l'illusion d'exister. Je sais qu'en fait, elles ne sont pas vraiment méchantes et ont toutes deux autant peur de Myriam que les autres.
Nous soupirons et, comprenant que nous ne pouvons pas les éviter, je réplique à contrecoeur :
- Salut, Myriam.
Toujours déterminée à me faire la misère, Myriam passe d'entrée à l'action en lançant :
- J'ai entendu dire que tu as cassé avec Marc. Quel dommage vraiment. Mais je ne m'en fais pas pour lui, il trouvera sûrement beaucoup mieux que la cousine de Fifi Brindacier.
- En l'occurrence, c'est déjà fait, réplique Élise. Il en a trouvé une qui corresponde à ses critères, c'est-à-dire une fusion entre Pamela Anderson et Kim Kardashian.
- Evidemment, Dubonpied, tu te doutes bien qu'il ne sortirait pas avec ça (« ça », c'est ainsi qu'elle qualifie le look gothique d'Élise). Allez, les filles, laissons ces minables et allons découvrir notre future classe.
Sur ce, elle s'éloigne d'un pas trainant en essayant de se faire remarquer tandis que les deux autres la suivent comme des toutous obéissants. Clairement, Myriam est bien décidée à régner sans partage sur Simone de Beauvoir. Ça promet d'être amusant (non).
- Je la déteste, grogne Élise. Je te jure, ma belle. Un jour je te jure, je l'étranglerai de mes propres mains.
- Mieux vaut ne pas faire attention à elle, dis-je avec sagesse. Tu sais à quel point elle peut être très dangereuse quand elle s'y met.
- Au moins, on a déjà croisé les mauvaises personnes. La suite ne peut qu'être meilleure.
- Sûrement. Allez, on va s'assoir. Ça va commencer.
Juste au moment où nous prenons place dans la rangée du milieu- Myriam, Sissi, Bibi et Marc se sont assis au premier - Monsieur Grand, le directeur du lycée, arrive sur la scène. C'est lui qui nous a fait la visite de pré-rentrée. Grande taille, noir de peau, carrure imposante façon Lebron James, il a l'allure parfaite pour diriger un établissement scolaire. Preuve en est, il n'a pas besoin de demander le silence puisqu'il impose celui-ci rien qu'en se présentant devant le microphone au milieu.
- Bonjour à vous tous, dit-il d'une voix forte avec un accent africain prononcé. Bienvenue au lycée Simone de Beauvoir. Pour ceux qui ne me connaissent pas ou n'ont pas pris part à la visite de pré-rentrée, je m'appelle Serge Grand, je suis votre directeur.
« Cette année, je n'ai pas besoin de vous préciser à quel point elle est importante, autant dans votre vie que dans votre scolarité. La Seconde est une année décisive. C'est à la fin que vous choisirez une filière pour la Première et donc un chemin vers l'avenir. Pour cela, il n'y a pas de recette miracle : le travail ! Travaillez et réussissez ! Et bonne chance. Je conclus avec un mot sur la répartition : si vous êtes dans la même classe que vos meilleurs amis, c'est fait exprès. Si vous n'êtes pas dans la même classe que vos meilleurs amis. C'est fait exprès aussi ».
« Quand Monsieur Marcus, le surveillant général, appellera votre nom (il désigne à sa droite un petit homme d'âge mûr brun et trapu, sorte de George Clooney en moins séduisant tout de même), vous monterez vous mettre en rang sur la scène devant votre professeur principal. Je commence avec la Seconde A ».
A l'écoute de la conclusion de Monsieur Grand, une boule apparait soudainement dans le creux de mon estomac. Et si Élise et moi sommes séparées, chose qui ne nous est jamais arrivé depuis la Maternelle ? Pire, si je me retrouvais dans la même classe que Marc et Myriam ? J'essaie de me rassurer en me disant que, même si l'on n'est pas dans la même classe, on se verra toujours pendant la récréation et en-dehors du lycée. Il n'empêche qu'il me parait impensable d'imaginer que l'on puisse passer toute une année scolaire sans être ensemble. Je n'ai pas besoin de voir son regard pour comprendre qu'Élise ressent la même inquiétude.
Mini George Clooney... pardon Monsieur Marcus commence à appeler les élèves par ordre alphabétique. Le suspens, nous le savons, est de courte durée puisque nos noms de familles commencent tous deux par les premières lettres. Lorsque le surveillant passe directement de « B » à « D », ma tension s'intensifie. Heureusement, Élise n'est pas appelée non plus. Nous pouvons encore espérer.
L'appel de cette classe terminée, le rang d'élèves et le professeur quittent la scène sous les applaudissements. Une fois le silence revenu, Monsieur Marcus passe à la Seconde B et le même stress de l'attente remonte.
Et cette fois, le surveillant appelle haut et fort :
- Clémentine, Mathilde !
Je rejoins les autres élèves déjà appelés sur la scène sans oser jeter un œil en direction d'Élise. Je ne veux pas voir son regard si elle n'est pas appelée dans un instant. Heureusement, à peine ai-je atteint les marches pour monter sur la scène que Monsieur Marcus appelle :
- Dubonpied, Élise !
Le soulagement est immense. Je doute que Monsieur Grand sache que nous sommes les meilleures amies du monde, en tout cas il vient de nous libérer d'un poids qui aurait été bien difficile à supporter. Élise ne se fait pas prier pour me rejoindre. Avec ma meilleure copine, j'aborderai plus sereinement mes débuts au lycée. Et un bonheur n'arrivant jamais seul, ni Marc ni Myriam ne sont appelés dans notre classe. Au moins n'aurons-nous pas à subir les pires poisons.
Le professeur principal de notre classe est une femme, Madame Osaka.
- Suivez-moi, jeunes gens, dit-elle avec un léger accent japonais.
Madame Osaka nous fait monter au premier étage, celui où se trouvent les classes de Seconde. Celles-ci étant disposées par ordre numérique, la notre est donc la deuxième à gauche. Nous sommes dix-huit élèves au total dans notre classe, deux fois moins que pour la Seconde A qui est composée majoritairement d'élèves visant une filière scientifique.
Il va sans dire qu'Elise et moi nous empressons de nous assoir l'une à côté de l'autre, au premier bureau de la rangée de devant en partant de la droite.
Après avoir obtenu le silence, Madame Osaka parcoure brièvement les élèves des yeux et dit de son bel accent asiatique :
- Bienvenue. Je suis Hanako Osaka et je serai votre professeur de Français et votre professeur principal. Je ne vais pas vous répéter les mots de...
Elle allait prononcer le nom de Monsieur Grand quand celui-ci justement frappe à la porte. Par respect nous nous levons. Il est remarquable de voir à quel point il apparait plus imposant encore dans notre petite salle de classe. S'il avait été sur un ring de boxe, son adversaire comprendrait de suite que le combat était perdu d'avance.
- Bonjour, Monsieur Grand, dit poliment Madame Osaka avec un sourire.
- Bonjour, Madame Osaka. Pardonnez-moi de déjà vous interrompre mais nous avons un élève de dernière minute pour votre classe.
- Il n'y a pas de souci, Monsieur Grand. Faites-le donc entrer, s'il vous plaît.
- Monsieur Leroc, vous pouvez entrer, dit Monsieur Grand en s'écartant pour laisser passer le nouveau-venu.
Là, mes yeux s'illuminent et mon cœur se met à battre à toute vitesse dans ma poitrine. C'est une sublime apparition.
Après l'expérience malheureuse avec Marc, j'ai beau avoir jurée de ne plus me laisser avoir par un garçon physiquement, lorsque je le vois pour la première fois, le premier mot qui me vient en tête est « canon ». Il est grand, musclé, ténébreux, ses cheveux sont d'un noir de jais coupés impeccablement courts. Il porte un tee-shirt bleu marine et un pantalon-jean bleu Levi Strauss. Mais ce sont ses yeux qui me font chavirer. Ils sont d'un bleu clair pur comme l'océan et ils brillent d'éclats à la lumière du soleil traversant les vitres de la salle de classe.
Ayant retenu la leçon de Marc, lequel, tel Gaston dans La Belle et la Bête, est très séduisant à l'extérieur mais horrible à l'intérieur, je veux m'assurer que le cœur de ce garçon soit aussi beau que son physique avant d'envisager quoi que ce soit.
- Bonne rentrée, les jeunes. J'attends beaucoup de travail de votre part, dit Monsieur Grand avant de sortir et de refermer la porte derrière lui.
- Bien, dit Madame Osaka. Monsieur...
- Arnaud, madame. Arnaud Leroc.
- Monsieur Leroc, je vais ajouter votre nom à la liste. Prenez place... où vous voulez.
Toute la classe regarde Arnaud rejoindre la seule place vide au fond à ma droite. Je ne le quitte pas des yeux
Par la suite pourtant, son attitude est bien étrange.
Dès l'instant où il s'assoit, il joue littéralement le rôle de fantôme. Pas une seule fois pendant les deux heures suivantes, alors que Madame Osaka présente le déroulement de l'année et le programme de son cours, il ne pipe mot, pas même pour poser une quelconque question. En fait, il se fait tellement discret qu'il pourrait tout aussi bien ne pas être entré en classe.
Aborder Arnaud se révèle chose bien compliquée. Non pas par timidité – je n'ai jamais eu réellement de difficultés à parler aux garçons – le problème, c'est Arnaud lui-même.
Ce n'est pas seulement en classe qu'il adopte un comportement fantomatique. Après deux heures où Mme Osaka nous a présenté le programme de l'année et où elle s'est montrée claire avec nous (« beaucoup de travail et jamais de relâchement ou vous coulerez !), nous avons droit à une première pause récréation. Et non seulement Arnaud sort de la salle de classe sans parler à personne, mais il décide d'aller s'assoir contre un arbre au fond de la cour, toujours sans dire un seul mot.
- Tu le sais, ma belle, je n'aime pas les jugements hâtifs mais... il ne serait pas un peu bizarre comme mec ? me dit Élise en observant Arnaud avec curiosité.
Elle a raison. Il parait étrange à être assis là seul dans un coin comme un ermite. Paradoxalement, cela renforce mon intérêt pour lui. Et puis, il est tellement mignon... mon cœur bat si vite que j'ai l'impression qu'il s'efforce de sortir de ma poitrine. Je dois vraiment tenter ma chance
- Alors, Mathilde, on contemple les murs du lycée ? se moque Marc qui passe devant nous, les bras autour de la taille de sa bimbo.
Je ne lui prête aucune attention et continue de regarder Arnaud. Après deux minutes à rester plantée comme une statue, Élise me dit :
- Et bien, ma belle, va lui parler.
- Je... je n'ose pas...
- Comment ça ? s'étonne Élise. C'est juste un garçon, il ne va pas te dévorer.
- Je sais, mais je pense encore à Marc...
- Oh ! Sérieusement, ma belle, oublie cet abruti de Marc. La seule façon de savoir, c'est d'essayer. Et s'il t'ignore ou t'envoie promener, c'est qu'il n'en vaut pas la peine.
- Oui... oui, tu as raison. Je suis bête.
- Pas bête non. Je dirais juste que... il te plaît.
La boule au ventre, je m'approche doucement, très doucement d'Arnaud. Je ne me souviens pas avoir jamais éprouvé pareil stress à l'idée de parler à un garçon. C'est dire l'intensité du coup de foudre qui a frappé mon cœur.
Arnaud ne lève même pas les yeux vers moi. Il semble complètement plongé dans son propre monde. Je me retourne du côté d'Élise qui m'adresse un regard encourageant.
- Hmm hmm
Je me racle la gorge, seule solution qui me vient pour attirer son attention. Avec succès puisque, pour la première fois depuis son entrée en classe, il daigne enfin me regarder.
Difficile cependant de deviner l'expression de ses yeux. Impossible même de dire s'il est agacé ou flatté, il me regarde c'est tout. Estimant qu'il faut tenter quelque chose, je dis en me sentant parfaitement idiote :
- Bonjour.
- Bonjour, dit Arnaud toujours sans montrer aucun sentiment.
Maintenant que je suis lancée, autant me jeter à l'eau.
- Ben voilà, je... je suis désolée si je te dérange mais je... je voulais savoir si...
- Hé, Leroc, tu veux une meilleure offre ?
Oh non... pas elle, pas maintenant. Pourquoi ne peut-elle pas me laisser tranquille, bon sang ? Pourquoi faut-il que Myriam Manguier vienne constamment me gâcher la vie ?
Elle a réussi son coup, l'instant est brisé. Arnaud se lève et sans un regard, il s'éloigne à l'autre bout de la cour. Peu de temps après, il est à nouveau assis dans un coin comme s'il n'avait pas été dérangé.
Quant à l'autre cette fois, je me dis que je vais la tuer.
- C'est quoi ton problème, Manguier ? m'exclamé-je avec fureur en m'approchant d'elle et de ses deux comparses, toutes trois ricanant comme des hyènes. Tu m'as déjà pourri le collège, tu comptes aussi me pourrir le lycée ?
- Mon problème ? Ta simple existence est un problème, Clémentine, réplique-t-elle avec un horrible sourire goguenard.
- Et si tu allais embêter quelqu'un d'autre pour changer ? lancé-je.
- Désolé, Clémentine, mais je n'ai pas pu résister à l'envie en voyant que tu essayais de parler à Leroc. Pas vrai, les filles ?
Sissi et Bibi confirment en caquetant comme des poules. Sont-elles bêtes à ce point-là ?
- Ecoute, Manguier, dis-je en m'efforçant de rester calme, je sais que l'on se déteste depuis toujours. Tu ne crois pas que pour cette raison-là, on ferait aussi bien de s'éviter ?
Myriam fait celle qui réfléchit à une proposition intéressante avec une mine grotesque.
- Ce n'est pas faux, Clémentine. On pourrait s'éviter, tu ne vaux tellement rien. Le problème, c'est que je n'en ai pas envie. J'adore comme tu dis si bien te pourrir la vie.
- Tu n'as rien de mieux à faire dans la vie, sale connasse ? intervient Élise.
Myriam perd d'un coup son sourire suffisant. Élise ne s'est encore jamais opposé ainsi à elle. Souvenez-vous que Myriam me considère comme la seule rivale à sa hauteur. Myriam s'avance vers elle avec un regard terrifiant. Je dois dire que ma meilleure amie est courageuse, d'autres auraient vite pris la fuite.
- Qu'est-ce que tu viens de me dire, Dubonpied ? crache Myriam.
- Viens, Élise, on s'en va, elle n'en vaut pas la peine...
- Oh non, Clémentine, pas si vite, lance Myriam en se plaçant devant nous pour faire barrage. Pas avant que ta chère amie ait répété ce qu'elle m'a dit.
- Viens, Élise, on s'en va...
- Oh non, sûrement pas, réplique Myriam en se plaçant devant nous pour nous empêcher de partir. Je veux d'abord que ta copine répète comment elle m'a appelé.
- Elle a raison, ma belle, dit Élise avec beaucoup de bravoure en soutenant le regard de Myriam. Et je vais le répéter : oui, tu es une connasse.
La tension est alors palpable. Ma meilleure amie joue avec le feu en insultant Myriam. Comment va réagir cette dernière ? Va-t-elle la réduire en miette ? Elles restent à se regarder pendant un moment puis, contre toute attente, Myriam dit à ses amies :
- Allez, les filles, laissons ces minables.
Incroyable. N'importe qui d'autre aurait traité Myriam de connasse aurait été écrabouillé comme une crêpe. Mais Myriam n'a même pas levé le petit doigt sur Élise. En somme c'est un soulagement, mais étonnant tout de même.
- Tu peux dire tu as de la chance, ma belle, lui dis-je.
- Il n'est plus question de se laisser écraser par elle, dit Élise qui parait tout de même soulagée elle aussi.
Il ne se passe rien de particulier durant le reste de la journée. Myriam n'est pas revenue nous casser les pieds, ce qui n'est pas plus mal. Quant à Arnaud, il continue de rester à l'écart et de la journée, le seul mot que j'ai entendu de sa bouche est « bonjour ».
En rentrant ce soir-là chez moi, maman et grand-mère me demandent comment s'est passé ma rentrée. Pour ne rien laisser paraitre, je leur réponds « bien, en fait rien d'exceptionnel en soit pour être franche ». Et c'est vrai, finalement il n'y a rien eu de si mémorable durant cette première journée.
Et quand je m'allonge sur mon lit, une seule chose ou plutôt une seule personne occupe mes pensées : Arnaud Leroc. Son étrange attitude le rend plus fascinant encore. Peut-être est-ce mon cœur qui parle mais je suis déterminée à savoir. Déterminée à en découvrir plus sur ce garçon si mystérieux.
Demain je l'aborderai de nouveau.
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