1x01 : Bienvenue chez les Clémentine
Musique/Vidéo : Aldebert - Mathilde
Il est sept heures et demie du matin. J'ai dormi comme une souche, je ne me souviens même pas de quoi j'ai rêvé. Et j'aurais bien continué à dormir mais je suis réveillée, non seulement par le jingle de Radio Rozane raisonnant depuis mon radio-réveil, mais surtout par les cris pressants de ma mère depuis le salon.
- Mathilde Clémentine, lève-toi tout de suite ! Tu ne veux sûrement pas être en retard pour ton premier jour au lycée !
Mon premier jour de lycée. Un jour que j'ai à la fois attendu avec impatience et redouté. Or, j'y suis enfin.
Je m'appelle Mathilde Clémentine. J'ai quinze ans et je suis une fille comme les autres.
Je n'ai pas envie de me lever mais je sais qu'il est inutile d'insister. Lorsque maman m'ordonne sèchement de me lever, c'est que je dois me lever ou elle s'en chargera elle-même. Et croyez-moi, laisser faire ma mère est la dernière option à choisir. Aussi à contrecœur, je repousse la couverture, m'étire les bras et me lève.
J'allume mon smartphone et un petit sourire apparait sur mon visage en lisant le message envoyé sur WhatsApp par ma meilleure amie Élise :
- Alors, ma belle, tu es prête ?
On ne peut pas dire à proprement parler que je sois prête. Enfin pas vraiment quoi, vous comprenez ce que je veux dire. Je lui réponds :
- Heureusement que tu es là, ma belle. Ça va m'aider à me jeter à l'eau.
Et en effet, heureusement, Dieu merci, que j'ai Élise dans ma vie. Élise Dubonpied est ma meilleure amie depuis l'école maternelle. C'est bien simple, nous faisons absolument tout ensemble. Elle est fille unique et me considère comme la sœur qu'elle n'a jamais eu et réciproquement – bien que moi ne sois pas unique mais bref – et si ma vie est parfois une morne routine, elle est celle qui m'empêche littéralement de sombrer dans l'ennui. Nous sommes comme des sœurs jumelles. Nous nous confions tous et nous avons tellement fait des soirées pyjama chez elle et chez moi que nous n'avons même plus besoin de demander la permission à nos parents.
En bref vous l'aurez compris, Élise est mon rayon de soleil dans une vie jusque-là ordinaire.
Et quand je dis ordinaire je dis bien ordinaire, à commencer par mon physique. Petite, trop maigre, des cheveux roux genre Ginny Weasley un peu trop longs à mon goût, le visage bordé de taches de rousseur, une poitrine si petite qu'on la remarque à peine à vue d'œil. Les seules choses que j'aime vraiment de mon physique, ce sont mes yeux bleus.
En cela, j'envie Élise que je trouve très belle. Elle se distingue de la norme par son look plutôt sombre rappelant la sœur de Nick dans la série Heartstopper. Elle a les yeux maquillés de noir et eux-mêmes sont noirs, les lèvres en rouge magenta et elle se vêtit toujours en noir. Ses cheveux aussi sont d'un noir de jai. Comme elle dit souvent en riant, elle serait parfaite pour jouer le rôle de Mercredi Addams tout en estimant que jamais elle ne pourrait égaler Christina Ricci et Jenna Ortega.
Mais bien au-delà de son look, Élise est avant tout une amie fidèle et je sais que je peux compter sur son oreille lorsque je déprime et elle aussi.
J'ai craint pendant un temps que le passage du collège au lycée allait nous séparer. Par bonheur, Élise s'est inscrite dans le même lycée afin de rester avec moi. Affronter cette épreuve de la vie à deux sera plus facile.
Je me décide finalement à descendre dans la cuisine où ma mère a déjà préparé mon petit-déjeuner - un bol de chocolat chaud et un croissant. Mais c'est sa mauvaise humeur – rien d'inhabituel en soit – que je remarque en premier.
- Et bien, tu en as mis du temps ! lance maman. Et tu es encore en pyjama en plus. Allez, avale ton petit-déjeuner et ne traine pas.
Elle emploie ce ton à peu près chaque fois qu'elle m'adresse la parole, même si je lui dis que j'ai obtenu la meilleure note de la classe.
Je m'assois à table sans un mot et je commence à boire mon bol de chocolat chaud en y trempant le croissant.
Je fais une parenthèse afin de vous présenter ma famille.
Maman tout d'abord, Gisèle Clémentine née Renault. Bon comment dire, nos relations sont typiquement celles entre une mère et sa fille. Elles ont été parfaites durant toute mon enfance puis se sont progressivement dégradées quand la puberté est apparue et que j'ai commencé à vouloir me détacher de sa couverture. Ma mère veut absolument que tout soit parfait dans ma vie et n'hésite pas à me réprimander pour tout et n'importe quoi. Il est impensable d'imaginer que Gisèle Clémentine autorise sa fille à inviter un garçon dans sa chambre !
D'une certaine manière, je la comprends un peu. Je sais qu'elle est ainsi car elle a du mal à accepter que sa petite Mathilde grandisse. Je ne vous raconte pas sa réaction quand je lui ai annoncé que j'ai eu mes premières règles. C'est ce jour-là que, je pense, elle s'est rendue compte que je ne suis plus une enfant.
Si physiquement, Maman me ressemble beaucoup - nous avons les mêmes longs cheveux roux et les mêmes yeux bleus - les similitudes s'arrêtent là. Nos caractères sont totalement opposés. Maman travaille à l'accueil de la mairie de Lucieville. Son boulot et celui de papa suffisent tout juste à payer les factures, ce qu'elle ne manque jamais de me rappeler chaque fois que je lui réclame quelque chose. Je ne vous raconte pas le combat que j'ai dû mener quand, à onze ans, j'ai demandé à avoir mon premier smartphone. C'est tout juste si l'on n'en est pas venu aux mains tant nos querelles ont été virulentes sur ce sujet.
Mon père, François Clémentine, est tellement l'opposé de ma mère que je me demande parfois comment ils ont pu finir par sortir ensemble puis à se marier. Si ma mère tente de contrôler ma vie dans les moindres détails, mon père au contraire se montre indifférent. En fait, il n'y a quasiment aucune interaction entre lui et moi. Il travaille comme menuisier et c'est à peu près tout. Le reste du temps, il le passe à lire le journal assis dans son fauteuil du salon, à regarder les matchs de foot à la télévision ou à dormir dans sa chambre. Ce matin-là, étant de repos, il fait la grasse matinée. Il ne s'est même pas donné la peine de se lever pour m'encourager.
Physiquement, il est plutôt grand et chauve comme un œuf. Il ressemble un peu à Dwayne Johnson avec moins de musculature, ou disons que je ne l'imagine pas enchaîner les cascades.
Ensuite, il y a ma petite sœur Lili, cinq ans. Espiègle, innocente et rêveuse, je représente pour elle un modèle à suivre. Je l'adore et quand elle insiste pour que je joue à la poupée Barbie ou regarde Dora l'exploratrice avec elle, j'accepte pour lui faire plaisir. Aussi car cela me rappelle ma propre enfance où moi aussi je jouais à la poupée. Lili est adorable et exemplaire. Pour preuve, elle est la seule élève de son école Maternelle à n'avoir jamais reçu la moindre punition. Maman dit souvent que Lili est la fille dont elle a toujours rêvé, un sous-entendu qui m'énerve profondément. J'ai l'impression d'etre un fardeau qui la dérange.
Enfin, il y a Pierrette, ma grand-mère paternelle. Je l'adore autant que Lili. Alors que maman passe son temps à me rabrouer et que papa est à peine conscient de mon existence, grand-mère, elle, est une vraie grand-mère. Elle est toujours là pour la confidence et elle est certainement celle qui me comprend le mieux - Élise mise à part bien entendu. Peut-être est-ce parce qu'autrefois, elle a travaillé comme éducatrice pour adolescents en difficulté et connait donc parfaitement la psychologie des filles de quinze ans.
Grand-mère habite avec nous depuis un an. Après le décès de mon grand-père des suites d'un cancer de l'estomac, grand-mère, qui était tout juste retraitée, ne pouvait pas payer seule toutes les charges de sa maison où elle habitait depuis quarante-huit ans. Après beaucoup de querelles et de déchirement, grand-mère a fini par accepter la proposition de son fils de vendre la maison et de venir habiter chez nous. Lili et moi l'adorons et avons été enchantées. Maman un peu moins. Ses relations avec grand-mère ayant toujours été un peu froides - sur mon éducation entre autres.
Tout en avalant mon chocolat, j'essaie de me faire une idée dans ma tête de ce qui m'attend.
En quoi le lycée va être différent du collège ? Des professeurs plus exigeants et plus de travail scolaire ? Cela va sans dire. Les élèves plus matures ? Les lycéens ne peuvent pas être pires que les collégiens... normalement.
Après avoir fini mon chocolat, je retourne dans ma chambre pour m'habiller et finir de me préparer. Je jette un œil à mon téléphone. Élise m'a envoyé un autre texto pour me dire qu'elle arrive dans cinq minutes. Depuis la maternelle, nous avons toujours fait ensemble la route vers l'école.
Une fois mon sac prêt, je redescends, une boule dans le ventre. L'heure est venue de découvrir le lycée pour la première fois.
Papa s'est enfin levé. Il est assis dans la cuisine, occupé comme d'habitude à lire le journal tout en buvant sa tasse de café. Quand j'y entre, il ne se rend pas plus compte de ma présence que si j'avais été un fantôme. Il marmonne quelque chose à propos de la dernière recrue à plusieurs centaines de millions d'Euros du Real Madrid, complètement étranger à ce qui l'entoure.
Grand-mère aussi est à table mais contrairement à papa, elle me voit bien entrer et m'adresse un sourire d'encouragement.
- Alors prête, ma chérie ?
Essayant de paraitre la plus détendue possible, je réponds :
- Oui à peu près.
- Ne t'inquiète pas. Sois juste toi-même et tout ira bien. Tu as eu toujours eu de bonnes notes au collège, n'est-ce pas ?
Je ne demande qu'à la croire et je la crois. Grand-mère se trompe rarement sur ce genre de choses. C'est aussi pour ça que je l'aime beaucoup.
La sonnerie de la porte d'entrée se fait entendre.
- Ah voilà Élise, dis-je, enthousiaste de revoir ma meilleure amie après deux mois de vacances d'été sans se voir (elle est partie en vacances à New York avec ses parents).
Comme je vous l'ai dit, Élise assume parfaitement son look gothique et il n'y a aucune raison pour que le passage du collège au lycée ne la fasse changer. D'une manière générale, Élise ne se soucie pas de l'avis des autres, une autre qualité que j'admire chez elle. Mieux encore, elle a accentué son apparence en se maquillant le visage de blanc, en se mettant du rouge à lèvre pourpre plutôt que magenta et en s'étant coupé les cheveux courts.
- Alors, ma belle, tu es prête ? dit-elle, reprenant mot pour mot ce qu'elle m'a écrit en texto.
- Ouais si on veut, murmuré-je.
Si je m'efforce de paraitre confiante face à ma famille, face à Élise c'est inutile car elle comprend toujours ce que je ressens et moi aussi. C'est cet empathie réciproque qui fait de nous les meilleures copines du monde. Elle sait très bien que je ne suis pas aussi insouciante qu'elle.
Aussi, Élise tente comme grand-mère de me rassurer. Elle me dit avec un grand sourire :
- Ne t'en fais pas, tout va bien se passer. Le lycée, c'est autre chose que le collège.
- Je ne suis pas si sûre, dis-je. Je crois que Myriam et Marc se sont inscrits dans le même lycée.
- Le mieux est de les ignorer. Surtout ton ex. Tu es passée à autre chose maintenant.
- Oh ! Oui oui, bien sûr. Marc n'existe déjà plus pour moi.
C'est un mensonge. Élise, je le sais, n'est pas dupe mais n'ajoute rien sur ce sujet. Elle sait que c'est encore douloureux pour moi d'en parler.
Marc est le premier garçon avec qui je suis sortie, durant un mois l'année dernière en Troisième. Comme la plupart des filles, l'envie de connaître mon premier amour m'a fait naturellement flashée sur le garçon le plus beau et le plus populaire du collège. Malheureusement, Marc est aussi un vantard sûr de son pouvoir sur les filles et qui ne veut pas se contenter de baisers et de câlins, le genre qui ne passerait pas ses vacances avec les féministes et ne pourrait guère être fan de la chanson « Balance ton quoi ? ».
Face à ses avances de plus en plus pressantes, j'ai pris l'option de la franchise et lui ai dit ne pas être prête et préférer attendre. Suite à cela, il m'a largué sèchement et m'a remplacé, dès le lendemain, par celle qui était considérée comme la « bombe » du collège.
Maman apparait alors à mes côtés.
- Bonjour, Élise, dit-elle avec un rictus.
Maman ne le dit jamais ouvertement car elle sait qu'Élise est digne de confiance, mais je sais ce qu'elle pense de son style et à ses yeux, il est aussi impensable d'imaginer que je puisse adopter un look gothique que de lui demander de me payer une place pour un concert de Taylor Swift en Australie. Maman éprouve toutefois un certain respect pour Élise et ses parents. Et de sa part, c'est déjà beaucoup.
- Bon, on y va, dis-je.
- François, tu n'as pas quelque chose à dire à ta fille ? dit maman en jetant un œil sévère à papa.
Sans même lever les yeux de son journal, papa répond :
- Bon courage, ma fille.
- Merci, papa, répondis-je d'une voix faible.
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