PDV Kan | J'ai les Crocs


Rejoindre l'Allemagne a été une vrai partie de plaisir. Nous avons méticuleusement respecté les règles, sagement. Aucune transformation superflue, aucune balade à quatre pattes sous la lune ou de dérapage.

En un sens, ce n'est pas une complication. Nous sommes des alphas. Si nous n'étions pas capable de contrôler nos Anam Cara, nous n'aurions pas été envoyé en soutien. Nous sommes supposé venir en aide à nos voisins européens, pas les traumatiser plus que nécessaire ou laisser des cadavres derrière nous.

Nous semons bel et bien des corps froids sur notre chemin, mais essentiellement des ennemis. Seulement des Boches, comme les appellent si froidement les grenouilles.

Lorsque nous avons débarqué à Dunkerque, notre petit commando est parvenu à se faufiler suffisamment discrètement dans les rangs pour qu'on ne nous interroge pas de trop. Les soldats sont de toute façon trop survoltés : si certains demeurent pessimistes, la majorité est gonflé par l'espoir. Un espoir qui pourrait faire chaud au cœur, mais qui me fait grincer des crocs. L'humain est faible émotionnellement. Il se lance dans des guerres qu'il ne peut assumer, condamné à quémander de l'aide aux bonnes âmes qui peuplent ce monde.

Nous sommes ces âmes. 

Nous n'aidons toutefois pas par pitié ni charité, mais par principe : par sécurité. Un taré à la tête d'une armée qui s'amuse à écraser les populations est un danger pour nous autres. A l'époque où l'humain se battait à armes égales avec nous, à coups d'épée et de torches enflammées, nous n'avions rien à craindre. Aujourd'hui, les armes à feu et la technologie dévastatrice de l'homme peuvent nous mener à notre perte. Leurs balles ne nous tuent pas, ou du moins, pas encore. Seuls les chasseurs connaissent notre secret de l'argent. Mais ces derniers sont trop occupé à sauver le monde.

Autrement dit, un peu comme nous.

Nous voilà donc, de l'autre côté de la manche, vandrouillant à travers les campagnes de la Belgique et des Pays-Bas. Sur les quelques jours passés dans ce coin de l'Europe, nous avons changé plusieurs fois de division. Le plus gros que nous ayons rejoint étant le 21e groupe d'armées britannique du Maréchal Montgomery, nous avons cru pouvoir rester un peu avec eux. Mais l'inconvénient en restant avec le gros des troupes est leur lenteur : impossible d'évoluer à notre rythme. Traîner et perdre du temps n'est pas vraiment dans nos plans ; notre but premier est d'avancer au plus rapidement vers le front, le doubler et marcher sur Berlin, massacrant au passage le plus d'Allemands possible.

L'avantage de notre commando spécial, c'est qu'il a été affublé d'un grade particulier qui nous permet de faire ce qu'il nous chante, peu importe la division que nous rejoignions. A ce niveau là, nos instances politiques et administratives ont fait un sacré boulot. De la sorte, chaque garou se portant volontaire a une marge de manœuvre plus élevée qu'un soldat classique.

Bien entendu, nous avons des commandos répartis un peu partout et nous recevons toujours des ordres de nos supérieurs. En nous mobilisant, nous avons tous accepté l'autorité d'un tiers, qui n'est pas notre Primum ou notre Prima. Je ne connais même pas le nom de celui qui nous dirige et valide nos missions, puisqu'on le nomme tous T-Marshal. T pour Thérianthrope, bien entendu.

Le contacter est assez simple dés l'instant où une unité de transmission est dans les parages. Nos communications sont impossible à comprendre pour un humain lambda puisqu'il est souvent question de mission suicide. Ou bien simplement de gagner une validation d'action. Ce qui, en soit, n'est pas bien complexe. Le T-Marshal fait confiance à ses troupes. Nous sommes des garous, après tout, et parmi chacun de nos commandos se trouvent un stratège trié sur le volet.

Dans mon équipe, le stratège est en réalité une tacticienne. Une tacticienne de génie, que mon père a spécifiquement choisie pour nous accompagner. Parfois, j'ai un mal fou à me taire face à elle. J'aurai aimé que ce soit un homme. Un mâle aurait été plus simple à gérer. Nos Anam Cara ne comprennent que la domination et la puissance ; alors, face à elle, je ne sais jamais où me mettre. Le démarrage pour me soumettre à ses ordres n'a pas été une partie de plaisir : j'ai eu droit à une sacré dose de raclée pour être remis à ma place. Mon égo en aurait probablement pris un coup si elle n'avait pas eu la bonté d'admettre qu'elle avait échappé au titre de Prima en partant vivre en Amérique.

Je me sais puissant, je me sais compétent : mais j'ai conscience de ma jeunesse, de mon inexpérience face aux plus âgés. J'admets aujourd'hui volontiers que j'ai un long chemin à parcourir avant de valoir mon père. Ou d'arriver à la cheville de mon frère...

 Alors pour l'instant, pourquoi ne pas me laisser former par une femme ?

Plus tard. Plus tard je deviendrai Primum. Plus tard, rien ne sera plus fort que moi. Encore moins une femme.

— Tu réalises que j'ai besoin de toi maintenant ? Et non dans cinq minutes.

Je lève mon unique œil vers le rejeton Egerton qui vient de me sortir de ma réflexion.

— Tu réalises que tu viens de briser une rêvasserie qui aurait fait rougir ta sœur ?

— Tes propos grivois ne m'atteignent pas, répond le lion avec un sourire moqueur. Tu as oublié Raad ?

Je pousse un grognement. Je trouvais ma répartie sympathique, mais c'était sans compter — effectivement — le jumeau de mon compère.

Je me détourne de lui pour focaliser mon attention sur la rue, de l'autre côté de la fenêtre crasseuse de l'escalier où nous nous trouvons. Rien ne bouge, tout est silencieux. Les Boches sont pas loin, je les sens. Un peu de patience. On les as pris pas surprise en surgissant devant eux pour nous abriter dans les maisons adjacentes aux leurs. Mais ils s'attendent à ce qu'on ressortent. Ils ne s'imaginent pas une seconde qu'on compte passer par les toits.

Ce sera leur perte.

— Louve a envoyé le signal, répète ce bon gros Ad'.

— Et bien qu'est-ce qu'on attend ? Allons-y, le pressé-je en affichant un immense sourire.

Le calme me rend malade. J'aime l'action, la baston, le sang. Mon Anam Cara rugit dans mes veines depuis des heures. L'excitation me parcoure depuis le bout de mes orteils jusqu'à la racine de mes cheveux. Je meurs d'envie d'en découdre, sentir les os craquer sous mes doigts. Des os qui ne soient pas les miens. Tout est bon pour oublier. Oublier que je suis un moins que rien, un faible. Un minable.

Je retire le bandeau qui couvre mon œil et le laisse pendre autour de mon cou. Aucun humain ne peut me voir ; ne peut le voir. Alors autant en profiter. Ce truc irrite, c'est une horreur. Être borgne est insupportable, je me sens réduit, quant bien même mes autres sens sont suffisamment sur-développés. Un chasseur avec une vision amputée n'est pas moins dangereux : juste moins efficace. En cet instant précis, je ne peux me permettre d'être fragilisé d'une quelconque façon que ce soit.

Machinalement, je frotte le tissu cicatriciel qui traverse mon sourcil et s'étend sur ma joue. Mon Anam Cara frissonne, gronde dans mon thorax et emplit mon esprit.

Je me sens enfin entier dés l'instant où j'ouvre la paupière qui enferme l'iris inhumain. Une pupille dilatée au contour sauvage, d'un ambre flamboyant.

L'œil du Tigre.

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