Part 5 | À couteaux tirés
Ahuris par la découverte de l'énorme loup que les étrangers semblent suivre à travers bois, Pierre ne lâche pas son ami d'une semelle, trop inquiet à l'idée que d'autres canidés sauvages trainent dans les alentours ténébreux.
À coup d'œil nerveux, le français prend garde à vérifier régulièrement dans les ombres à sa suite pour vérifier qu'aucune créature ne s'apprête à lui sauter sur les vertèbres.
— Tu as vu, chuchote-t-il à Thierry. Ils parlent au loup !
Le belge sourit sans rien ajouter. Son expression traduit une certaine avidité, fasciné par les scènes qu'il ne cesse de découvrir.
— On va où tu crois ? poursuit Pierre.
— Aucune idée.
Les minutes se succèdent, s'allongent, puis se muent en heures. Les deux francophones n'en peuvent plus, ils baillent, se frottent les yeux, se soutiennent mutuellement, les pieds en compotes et le ventre creux. Mais, à plusieurs distances devant, les étrangers galopent, tels des hommes dépourvus du poids de leur corps et de leur matériel. Ils se moquent bien des petits mortels qui ne tiennent pas le rythme.
Tandis que Pierre s'apprête à rendre les armes, à crier grâce et à se laisser tomber contre le premier arbre venu, les étrangers ralentissent la cadence. La femme aboie des ordres brefs et l'équipe s'accroupit. Le blondinet à l'œil étrange s'élance dans la nuit, derrière le loup qui a pris de l'avance.
Anxieux et le corps tremblant de fatigue, Pierre écarquille ses yeux pour voir ce que l'obscurité lui masque. Il croit percevoir un bruit, bien plus loin d'eux, sans pouvoir saisir son origine, plusieurs minutes plus tard. Puis l'Irlandais refait son apparition, créature surnaturelle aux yeux flamboyant, deux prunelles de feux dans le noir.
Pierre frissonne. Il est fasciné par ces gars, et terrifié à l'idée de réaliser combien ils sont différents. S'il s'imaginait au début que ces étrangers étaient de simple guerrier d'élite venu d'un autre pays, il sait dorénavant qu'il avait tort. Pierre vient du peuple ouvrier, il n'a ni les connaissances de son ami Thierry, ni son ouverture d'esprit.
Pourtant, tout au fond de lui, il sait que ce qui se trame sous ses yeux est incroyable. Il y a un type dans son village, un Dubois, souvent considéré comme un fou parce qu'il pense que l'Homme n'est pas seul habitant de la planète, qui était fasciné par l'histoire de la Bête du Gévaudan. Pierre se rappelle brusquement sa folie en se disant que finalement, il n'était peut-être pas si dingue.
Au retour du blond, la petite troupe reprend la route, silencieuse et sur ses gardes. Rapidement, ils approchent de la lisière de la forêt et là, baigné par la lueur de la lune, un camp allemand se dresse sur une très large parcelle de terre battue, offrant ses sinistres clôtures de barbelés à la vue des militaires.
Pierre retient son souffle, son cœur proche de l'explosion dans sa pauvre carcasse épuisée.
— C'est le « Sternlager », le camp de Bergen-Belsen.
Pierre sursaute et se tourne vers Thierry qui ouvre des yeux emplis d'effrois.
— Comment tu sais ? l'interroge le français.
— J'ai entendu le Commandant en parler. C'était un camp de prisonnier de la première guerre mondiale. Ils l'ont transformé en camp de concentration en 43.
Les étrangers l'observent, mais Thierry ne se démonte pas et poursuit :
— Au début c'est là qu'ils envoient les enfants et femmes de prisonniers de guerre, mais je crois que ça fait longtemps qu'ils mélangent tous ceux qu'ils peuvent. Les Généraux pensent pouvoir libérer le Camp dans quelques semaines. C'est leur priorité ; ils sont plus de dix milles prisonniers là-dedans, et avec l'avancée du front, il paraît que le chiffre augmente sans arrêt car c'est là qu'ils déportent les détenus des autres camps...
Une brise glaciale vient cingler le visage du belge, qui écarquille les paupières avant de grimacer et de porter la main à son nez, imité par le jeune français.
— C'est quoi cette odeur ? s'horrifie Pierre.
— L'odeur de la mort, gronde un des étrangers, le grand brun.
Son grognement n'a rien d'humain : plus sauvage, plus profond, il dégringole dans la cage thoracique de la montagne de muscles comme si une bête sauvage s'y cache.
Pierre se met à claquer des dents.
— C'est ça que le loup veut nous montrer ? s'agace d'un ton très bas l'Irlandais en allumant une cigarette. Un camp mouroir ?
— Peut-être qu'il réclame notre aide pour libérer les détenus, s'avance la femme. Combien de veilleur as-tu tué ?
— Juste deux, ils dormaient plus qu'ils ne surveillaient. Ils ont de la chance, ils sont morts dans leur sommeil.
Le français donne un coup de coude à Thierry qui marmonne rapidement la traduction de leurs compatriotes. La panique s'empare du jeune ; il hallucine, ils ne vont tout de même pas se jeter dans la gueule du loup ?!
— Où est notre ami ?
— Je lui ai donné ma veste pour qu'il puisse... tu vois.
Les yeux du belges pétillent tandis qu'il traduit la suite à son ami qui ne comprend plus rien, mais fait comme si ça n'avait aucune espèce d'importance.
— Egerton, dit la commandante : fais le tour du camp pour compter le nombre de mirador et tue les sentinelles solitaires sur ton chemin sans te faire repérer.
— Ils seront alertés et renforceront leurs forces, relève le grand brun.
— C'est bien le dernier de nos soucis, siffle-t-elle. Le front marche sur eux, ils sont finis et ils le savent.
— No.
Pierre sursaute et se retourne, arme pointée et prête à faire feu lorsque, dans un geste fluide, l'asiatique du groupe lui retire des mains avant que la détonation ne s'enclenche. Le cœur au bord des lèvres, le français observe l'homme de taille standard qui vient d'apparaître, jambes et pied nus, portant la veste militaire de l'irlandais pour couvrir son entre-jambe. Ses cheveux sont plus longs que les normes actuelles chez les hommes et lui tombe dans les yeux, légèrement bouclés. Il doit avoir une petite trentaine et ses yeux bleus scintillent anormalement dans la nuit.
Personne ne semble surpris de son apparition, alors Pierre tente de jouer l'homme serein, malgré qu'il n'en mène pas large.
— Ce sera plus simple pour communiquer ainsi, dit la femme, traduit à Pierre par Thierry. Qui êtes-vous ?
— Je m'appelle Mirko. Mon anglais est mauvais, mon français aussi. Qui parle allemand ?
— Je parle allemand, répond Thierry aussitôt en levant la main.
Les britanniques se pivotent vers lui et la femme sourit.
— Parfait, joue les traducteurs alors. Demande lui ce qu'il fait ici et pourquoi il est venu nous chercher.
Thierry s'exécute et pierre s'agite, incapable de saisir un traitre mot. Il n'aime pas l'Allemand et ne compte jamais l'apprendre.
— Il vit dans le secteur. Il est anti-nazi, a fait la première guerre mondiale et vous demande de l'aider à sauver les prisonniers.
L'irlandais ricane.
— Rien que ça !
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