CHAPITRE 6

La porte était bloquée.

Encore une fois.

Elijah patientait devant l'immeuble de Morgan, serrant son manteau contre lui. Il était passé chez lui pour prendre quelque chose à manger, et était venu à pied, mais lorsqu'il avait poussé la porte, le digicode avait émis un drôle de bruit. La combinaison de chiffres avait changé une nouvelle fois, et son meilleur ami avait oublié de l'en informer. De toute manière, il allait bientôt rentrer du travail.

— Tu as l'intention de mourir par hypothermie ?

Quand on parlait du loup...

— Hilarant, vraiment. Tu as oublié de me filer le nouveau code.

— Il a changé ce matin, pardon.

Morgan était toujours fidèle à lui-même. Ses Dr Marten's aux pieds, son long manteau noir et une chemise qui se voyait par le col clair. Ses cheveux bruns avaient un peu poussé, mais sa barbe de trois jours restait la même. Entre ses doigts, une cigarette pendait. Elle était bientôt terminée, si bien qu'il s'adossa à l'immeuble pour tirer ses dernières taffes.

— Tu as l'air fatigué. C'était la course à l'hôpital ?

— Oui, j'ai dû faire un remplacement. Eva était au bloc.

— Toujours pas de nouveau médecin à l'horizon je suppose ?

Le brun n'eut pas besoin de répondre. Il haussa simplement les épaules.

Une fois la cigarette écrasée dans le cendrier, les deux hommes pénétrèrent dans le hall. Il était toujours aussi grand. Par les portes vitrées, ils ne voyaient presque plus rien de la rue. Le soleil se couchait encore tôt sur le monde. Une fois dans l'ascenseur, Morgan appuya fortement sur le bouton de son étage. La voix mécanique retentit alors que les portes se fermaient.

— Andy n'est pas là ? demanda le médecin.

— Je sais pas, pourquoi ?

— T'attends souvent les gens dehors alors qu'on pourrait t'ouvrir de l'intérieur ?

Les yeux bruns de son meilleur ami pétillèrent. Elijah se sentit incroyablement bête devant cette constatation. Il aurait pu tout simplement appeler l'appartement du couple pour savoir s'il y avait quelqu'un dedans. Il soupira, vaincu par son côté illogique un peu trop présent ces derniers temps.

— Non, j'avoue, je n'y avais pas pensé...

Morgan lâcha un rire lorsqu'ils eurent atteint le couloir de l'appartement. Dans la serrure, la clef tourna avec une facilité déconcertante. Le propriétaire avait huilé toutes les serrures, car certains locataires se plaignaient de leur rugosité.

— Allez entre, tu as le nez tout rouge.

— Gniagniagnia... grommela le châtain avec un immense sourire aux lèvres.

Les deux hommes enlevèrent certaines couches de vêtements alors qu'ils se chamaillaient comme des enfants de maternelle. Un peu plus loin, de la musique anglaise sortait de dessous une porte. Amadeus déboula dans l'entrée, ravi de voir le deuxième humain qui s'occupait de lui. Morgan flatta la tête du chat avant de le porter.

— Tu n'as pas besoin d'altères, avec ce bestiau !

— Ne le dis pas trop fort, Andy va encore répliquer « Il est à son poids parfait ! » mais je t'avoue que je le trouve un peu gras. Pas vrai grosse vache ? demanda Morgan au chat noir qui tentait de monter sur l'une de ses épaules. Holà non ! Tu n'es plus un chaton, je ne vais pas pouvoir te porter comme ça.

— Qui aurait cru que tu parlerais un jour à un chat ?

— Les gens changent mon cher !

J'ai vu ça, oui.

— Mon cœur, je suis rentré ! cria presque Morgan. Et j'ai ramené un SDF !

Des bruits de pas. Quelque chose tomba au sol, puis la musique s'éteignit brusquement. Un « Aï-heuuuuu » perça les cloisons, sous le rire des deux hommes. Il y eut un moment de latence, puis la porte du bureau s'ouvrit à la volée.

Amadeus sauta des bras de Morgan pour aller voir son humain préféré.

— Je trouve qu'il y a du favoritisme dans cette maison.

— En dessous d'une épaisse couche de connerie, ouais.

Les deux hommes s'adressèrent un regard complice avant de voir émerger un objet non identifié du couloir. Andy, les cheveux en pagaille relevés en chignon, était en train de regarder un peu partout pour découvrir l'inconnu.

— Ouf, c'est qu'Elijah... soupira-t-il.

— Merci pour l'accueil, p'tite tête, grogna le concerné.

Andy rougit immédiatement.

— Non ! Non, pas dans ce sens ! Mais, faire entrer un inconnu, c'est...

— J'avais compris, ne t'en fais pas.

Le soulagement emplit les traits du plus jeune. Un peu de peinture colorait sa joue droite. Il dû se mettre sur la pointe des pieds pour embrasser les lèvres de son compagnon. Ils échangèrent un long sourire tendre. Il n'en fallait pas plus pour que le psychologue devine qu'il y avait une montagne de sentiments dessous. Il aimait les regarder, car l'amour prenait une nouvelle forme, au creux de leurs mains.

— Je vais à la douche, annonça-t-il finalement.

— Allez viens, on va préparer à manger.

— Ha ! J'ai pris un peu d'apéro chez moi. Je me suis dit : pourquoi pas ?

— C'était pâtes au saumon ce soir, de toute façon. Un peu plus ou un peu moins, soupira Morgan pour la forme. Oui, tu vas me dire que c'est pas équilibré, mais en rentrant du boulot, je n'ai clairement pas à tête à faire autre chose.

— J'ai rien dit ! se défendit immédiatement le châtain.

— Tu l'as pensé si fort que je l'ai entendu.

Elijah ria franchement. Bon sang, son meilleur ami lui avait manqué. Ces petites querelles au quotidien ponctuaient ces journées où il n'y voyait rien. Il vida le contenu de son sac sur le comptoir pour en découvrir un paquet de chips et des carottes. Un peu de guacamole trainait au fond.

— Tu veux me dire ce qui t'amène ?

Morgan était de dos, si bien que c'était plus facile pour parler. C'était tout de même un comble, pour un psychologue. Elijah était doué pour se faire confier les autres, mais dès que cela le touchait de près ou de loin, il n'y avait plus personne pour faire des phrases compréhensibles. Pourtant, à cet instant, il avait besoin de faire le tri dans ses pensées emmêlées.

— Je crois qu'Archie a trouvé quelqu'un.

Voilà, c'était sorti. Là, comme cela, comme on crachait du venin.

Le brun se retourna, interdit. Il ouvrit la bouche pour riposter, mais la referma.

— Il y a une femme au lycée, Lison, qui le colle tout le temps. Ils font pas mal d'activités ensemble apparemment, et Noora l'adore. Ils vont à la fête foraine ce week-end. Je voulais les emmener, mais Archie m'a dit qu'il ne pouvait pas. Alors...

Sa voix était un peu faible, par rapport à d'habitude.

— Je ne sais pas s'il est amoureux. Enfin non, je ne veux pas le savoir. Mais quand ils sont tous les deux, il ne voit qu'elle. Comme ce midi. Je me suis senti totalement inutile. L'homme que j'aime se fait avoir par un fucking serpent !

Il avait les dents serrées et le cœur qui battait vite. L'admettre à voix haute était encore plus douloureux. De plus, heureusement qu'il n'y avait pas d'enfant dans les parages, car son vocabulaire aurait pu les heurter.

— Tu es certain de ce que tu dis ? Ils sont peut-être justes amis ?

— Tu mets souvent ta main sur les avants bras de tes amis ?

Elijah avait des arguments aussi durs que de la pierre. Morgan s'inclina devant sa logique imparable. Le châtain posa ses hanches contre le comptoir de la cuisine, les bras croisés sur son torse. Il ne comprenait pas où la situation lui avait échappée. Il avait toujours eu peur de le perdre en tant qu'amis, alors il lui témoignait des discrètes attentions. Comme aller chercher sa fille à l'école. Comme lui prendre son dessert préféré lorsque la cantine le proposait. Comme être présent lorsque cela n'allait pas du tout. Comme toutes les fois où il avait couru chez lui, car il craquait.

Un simple ami ne ferait pas cela, n'est-ce pas ?

Il s'était fait balader sur toute la ligne.

— Peut-être que vous devriez parler ? tenta tout de même le médecin.

— L'espoir est une chose dangereuse.

— Je pense qu'il n'a pas conscience de tout ça. Explique-lui, et avisez.

— Je le sens mal, ton conseil.

— Certes, mais sinon, tu n'en auras jamais le cœur net, je te connais.

— Tu m'énerves à avoir raison Caméléon.

Ledit Caméléon lui offrit un sourire supérieur. Il ne fallait pas douter d'une seconde qu'il était conscient qu'il avait raison. Elijah lui envoya doucement son coude dans les côtes pour lui dire d'enlever cet air sur son visage.

— Si ça foire, ce sera de ta faute.

— Je suis prêt à recevoir les foudres du grand Elijah ! ricana l'autre.

— Je mets l'option sur une bonne tarte dans ta face, alors !

Les deux hommes rirent un instant avant qu'Andy ne déboule dans la cuisine. Ses longs cheveux blonds s'égouttaient doucement sur la chemise qu'il portait. Ses yeux pétillants passèrent de l'un à l'autre.

— Ça ne va pas être possible ! scanda-t-il.

— Et pour quelle raison ? le titilla Elijah.

— Parce que je l'ai décidé. Personne ne lui fait du mal.

Il avait un air bougon tout à fait charmant. Morgan souffla un rire avant de l'enlacer par la taille. Il posa son menton sur son épaule osseuse et offrit un sourire à son meilleur ami. La partie était terminée.

— Si tu le dis, abdiqua le châtain.

Les trois hommes préparèrent le repas. L'un cuisait les pâtes, tandis que l'autre préparait l'apéritif alors que le dernier coupait en petits morceaux les tranches de saumon fumé. Ils échangèrent des blagues et des piques. A un moment donné, Elijah se retrouva avec un peu de sauce roquefort sur le nez. Il cria au meurtre alors que Morgan s'enfuyait pour sauver sa peau. Andy regardait tout ce beau monde s'agiter, dérangeant Amadeus dans sa sieste du soir. Le couple redoubla d'efforts pour sortir le psychologue de ses pensées noires.

— Tu peignais tout à l'heure ? s'intéressa Elijah.

— Oui, mon prof a donné un nouveau sujet.

— Je croyais que tu travaillais en silence ?

— Ho ? Tu... te souviens de ça ? demanda timidement le blond.

— Je retiens bien les choses, oui.

Plus loin, Morgan était en train de dresser les assiettes. Il se battait férocement avec les tagliatelles qui ne voulaient pas se discipliner. L'une d'elle tomba sur le parquet, mais il n'eut pas le temps de l'enlever que le Maine Coon l'avait déjà gobé.

— C'est heu... Je dois représenter une chanson. Je... Je l'écoute en boucle.

— Et c'est laquelle ?

You Are The Reason deCalum Scott, tu connais ?

— Oui, je l'aime beaucoup. Elle est belle, je trouve.

Elijah avait déjà regardé les paroles sur internet, et elle était vraiment poignante. Il aimait beaucoup la voix de ce chanteur. Ses textes étaient beaux et la mélodie douce. Cela avait été une belle découverte, lorsqu'il s'était perdu sur Spotify. Il errait souvent sur cette application, car il préférait avoir du bruit autour de lui.

— Voilà pour ces messieurs. J'espère que les pâtes auront la bonne cuisson.

Devant lui, une montagne s'était formée. Ils avaient acheté les ingrédients pour tout un régiment ou quoi ? Elijah s'amusa de sa pensée avant d'attraper sa fourchette pour la planter avec envie dans cette colline de gluten. Il y avait ce genre de repas, simple et efficace. Il était en train de vivre l'un deux, avec les deux autres hommes en face de lui. De plus, ce qu'il appréciait, c'était qu'ils ne dégoulinaient pas d'amour. Ils prenaient en compte sa tristesse et composaient avec.

— J'ai envie de churros, déclara soudainement Elijah. Au Nutella.

Alors qu'Andy débarrassait la table pour faire la vaisselle, il se retourna pour dévisager le psychologue. Il avait l'air tout à fait sérieux. Il était vingt heures, et il était prêt à sortir pour aller en acheter.

— Dans le centre, il y a un vendeur. Je ne sais pas s'il est encore ouvert.

Les yeux bleu-vert du châtain s'illuminèrent immédiatement.

— Je viens avec toi. On ne savait pas ce qui peut se passer à cette heure.

— Je ne suis pas une demoiselle en détresse ! rigola Eli.

— Ce serait insulter la gent féminine, renchérit son meilleur ami.

Elijah fit mine de s'offusquer alors que le brun était en train d'enrouler une écharpe autour de son cou. Décidément, il n'avait pas fallu longtemps pour le convaincre. Aurait-il également envie de sucre ?

— Tu t'habilles ? Je ne vais pas t'attendre trente-six ans !

Oui papa... soupira le châtain sur le ton de la raillerie.

— Sale gosse va !

Et la porte claqua.

La soirée d'Eli finirait mieux que sa journée.

L'ascenseur prit le sens inverse d'il y avait quelques minutes et ils sautèrent presque dans la foule humaine. Il y avait beaucoup moins de monde qu'en week-end, mais les gens se retrouvaient au restaurant, où ils sortaient entre amis au bar. L'heure était à la fête. Elijah aimait cette sensation de joie qui se dégageait des rues.

— J'espère qu'il est toujours là le vendeur, se plaignit-il.

— Double ration pour la grosse bouffe que tu es ? demanda Morgan.

— Quoi ? Pourquoi ?

— C'est moi qui offre.

— Tu me prends par les sentiments alors !

Décidément, Morgan était un sacré pansement sur les plaies de la tristesse.

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Un avis ?

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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