CHAPITRE 43

C'était absolument étrange de voir son appartement plongé dans le noir, comme s'il n'y avait pas mis les pieds depuis des années. Pourtant, lorsque la lumière jaillit, son petit nid douillet prenait des airs de tranquillité. Mais là, maintenant, il n'avait plus envie de rentrer seul. Surtout qu'il avait déposé Archie et Noora chez eux avant de rentrer. Après deux semaines à passer tout le temps ensemble, la séparation avait un goût amer.

C'était absolument étrange.

Il n'y avait pas Noora qui babillait. Il n'y avait pas Archibald qui déposait ses chaussures dans l'entrée alors qu'il jetait sa veste sur le canapé d'un geste machinal. Il n'y avait pas ces éclats de joie et ces rires à cause d'une maladresse quelconque. Comment pouvait-il continuer à être seul dans ce silence total ? Il s'empressa de mettre la musique, ne voulant pas s'enfoncer dans des pensées qu'il essayait de chasser comme il le pouvait.

Demain, il allait retourner au travail.

Demain, son incroyable parenthèse prenait fin.

Demain était une nouvelle journée.

Et quelle journée ! Il voyait déjà les réunions pour deux ou trois bricoles arriver au triple galop. Ils seraient tous entassés dans la salle des professeurs, faisant tourner des tasses de café à ceux qui étaient trop fatigués pour tenir debout encore quelques heures. Comme toujours, le proviseur baragouinerait longtemps pour l'introduction. Ils auraient peut-être la chance de partager un apéritif léger.

Le châtain bailla alors que ses paupières se faisaient lourdes. Décidément, les trajets en avion avaient un effet soporifique sur lui. A l'aller, il avait dormi tout le temps pour se remettre de sa grippe, alors qu'au retour, il avait plongé dans le sommeil alors que l'avion décollait à peine. Il fallait dire qu'il avait couru partout depuis le matin.

Il passa près de la table de la cuisine et y déposa son sac à dos. Il n'avait pas encore le courage de ranger ses affaires. Cela pourrait attendre le lendemain, même voir les jours suivants. Personne ne serait présent pour lui dire de tout ordonner. Archie n'était pas maniaque et respectait ses façons de procéder.

Il bouda le frigidaire, son estomac étant encore tiraillé de son repas de midi.

[20 : 41] Morgan : Alors, tu es rentré en un seul morceau ?

[21 : 12] Elijah : En vie, mais je suis hyper fatigué.

[21 : 13] Morgan : Quoi ? L'inarrêtable Elijah Lempereur est fatigué ? Purée, il va falloir que je remercie Archie d'avoir réussi par le plus grand des miracles à user tes batteries ! Bon, va te coucher, on en parle demain ?

[21 : 16] Elijah : Connard va ! Ouais, on en parle plus tard. Bonne nuit !

La politesse lui fut retournée lorsqu'il se brossa les dents. Le reflet que lui renvoyait le miroir était incroyablement fatigué. Des cernes cerclaient le bas de ses yeux alors que sa peau était un peu pâle. Le changement d'eau avait un peu asséché la pointe de ses cheveux, même s'il appliquait des soins au monoï. Il fallait avouer qu'il avait une sale tête. Derrière lui, la paroi de la douche encombrait un coin. Le châtain n'eut pas le courage de s'y faufiler, si bien qu'il alla directement s'écrouler dans son lit avec seulement un caleçon sur les fesses.

Il vérifia que son réveil était bien enclenché avant de rejoindre Morphée.

***

— J'ai envie de crever.

— C'est d'une telle délicatesse, soupira Archibald.

— Sérieusement, il me saoule avec ses grands discours...

Orianne leva les yeux au ciel en agitant ses mains, désespérée. Elle s'indignait depuis une bonne trentaine de minutes alors qu'ils patientaient sur le parking. Elijah s'était vu accosté par l'une des infirmières scolaires. Elle l'avait alpagué dans le couloir en criant à l'urgence. Ils étaient le mardi cinq mai, et cela semblait être l'apocalypse au lycée. Le BAC arrivait à grand pas, les élèves se mettaient une pression monstrueuse, si bien que certains craquaient et arrivaient à l'infirmerie. Ils passaient dans les mains d'Elijah pour voir si tout irait bien quand même, malgré le stress et la peur d'échouer pour la plupart des jeunes.

— Bon alors, votre voyage ? Je n'ai pas eu le temps de vous voir, hier.

— C'était tout simplement incroyable !

— Vous vous êtes balader, de ce que m'a dit Eli ?

— Oui, principalement, pour lui montrer la ville et ses alentours. Nous avons passé beaucoup de temps avec ma famille, et quelques jours avec mes amis. Je crois que ça lui a vraiment plu, car il m'a fait promettre d'y retourner ! avoua le blond, heureux de lui expliquer tout cela. Et je crois que Noora est conquise par ce premier voyage. Elle s'entend super bien avec ma mère.

— C'est super ! Et du coup, avec tes parents... ?

— Impeccable. Je pensais qu'ils crieraient ou qu'ils ne voudraient pas de moi, j'avais même un plan de repli pour loger chez un ami, mais ils nous ont accueilli les bras ouverts en rattrapant le temps perdu. C'était comme si je n'étais jamais parti, pour tout te dire. Ma chambre n'a même pas bougé.

— Peut-être qu'ils espéraient ton retour ?

— Sincèrement, je pense que oui.

Ses yeux clairs s'assombrirent. Il n'avait pas été à la hauteur car il avait écouté sa peur et non sa raison. Maintenant, il se demandait pourquoi il avait fui sa famille et leur soutien. Ce n'était en rien une erreur, bien au contraire, car il avait su se construire et parer aux épreuves, mais il avait voulu leur en parler de nombreuses fois. Souvent, le téléphone posé à côté de lui le narguait. Dorénavant, il avait qu'il pouvait composer le numéro comme bon lui semblait.

— Quitte cet air triste, murmura Orianne.

— Je ne suis pas triste !

— Alors pourquoi j'ai l'impression que la Terre va s'effondrer en te regardant ?

Il lui tira la langue dans un geste tout à fait enfantin. La porte devant laquelle ils attendaient claqua. La tête châtain d'Elijah apparu, grimaçant alors que ses doigts massaient péniblement ses tempes. Son sac sur l'épaule, il était prêt à débaucher. Le psychologue soupira de bien être lorsqu'il ferma les yeux pour essayer de faire taire cette douleur sourde qui se propageait dans tous les recoins de son crâne.

— Je vous avais dit de partir sans moi ! bougonna-t-il.

— Nous n'avons rien de mieux à faire, assura Orianne.

— Et Noora ? Elle attend à la garderie ! s'offusqua le psychologue.

— Elle saura attendre une demi-heure de plus, affirma Archibald.

Elijah lui offrit une moue dubitative avant de se pencher pour effleurer ses lèvres des siennes. Sur leur lieu de travail, ils n'étaient pas du tout démonstratifs. Une petite attention par-ci par-là durant la pause du déjeuner, dans le bureau fermé.

— Mmh... Merci de m'avoir attendu, en tout cas !

— Nous sommes les meilleurs, c'est tout !

— Ce n'est pas modestie qui t'étouffe toi, ricana Elijah.

La jeune femme rit avant de les saluer pour monter dans sa petite voiture blanche. Les phares s'allumèrent et s'éteignirent presque immédiatement, signe qu'Orianne était en automatique et qu'elle venait seulement de s'en rendre compte. Après un signe de main, elle s'engagea vers la sortie du parking, les vitres baissées et la musique beaucoup trop forte pour sa propre santé.

— C'est quand même un sacré morceau, cette Orianne, soupira le châtain.

— Je ne te le fais pas dire ! s'amusa Archie en montant sur la place conductrice.

Le plus vieux jeta presque ses affaires au sol alors que le blond vérifiait qu'il avait bien ses papiers pour ne pas être un hors-la-loi. C'était presque un toc chez lui. Il ne démarrait pas tant qu'il ne les avait pas vu de ses propres yeux. Avec le temps, Elijah s'en était accommodé et vérifiait même leur emplacement dès qu'ils revenaient dans la voiture familiale.

— Tu viens à la maison ce soir ?

— Je ne sais pas, on mange quoi ?

— Il est possible de commander des pizzas, si tu veux ?

Le visage d'Elijah s'illumina immédiatement, ravi. Son ventre gargouilla de gratitude à cette idée. Quelques gouttes s'échouaient sur le pare-brise, mais les essuie-glaces qui les évacuaient étaient trop vieux et couinaient atrocement.

— C'est de la torture ces trucs, annonça Elijah.

— On s'y fait à la longue.

— Ha bon ? Je n'entends que ça.

— Regarde, une solution miracle !

Le blond fourragea ses doigts sur le poste du tableau de bord. Il y brancha une clef USB qui contenait une bonne centaine de musiques. Il y eut quelques secondes de flottement avant que le message de connexion parvienne à leurs yeux. La voiture était un vieille, donc les connectiques marchaient seulement quand il faisait beau.

— Quoi, tu écoutes ça ? s'indigna Elijah.

Ilona est intemporelle voyons !

— Mais, tu t'ambiances vraiment dessus ? s'étonna le châtain.

Archibald arbora un sourire candide avant de tourner le bouton du volume sonore du poste. Elijah grimaça en entendant la voix de la chanteuse en beaucoup plus fort, mais il devait avouer qu'il y avait bien deux avantages : il n'entendait plus le grincement des essuie-glaces et il pouvait admirer Archibald chanter. Sa tonalité grave prenait aux tripes, même quand il se trompait dans les paroles et quand il adressait un regard désolé à son copilote.

— Ose me dire que ce n'est pas super, tu dodelines de la tête !

— Non, c'est parce que je suis fatigué !

— n'importe quoi, tu fredonnes, argua une nouvelle fois le blond.

Elijah éclata de rire avant d'abdiquer devant cette accusation. Il leva les mains au ciel, comme pour montrer sa bonne fois, et lorsque la chanson se termina, Archie la remit à son début. Le châtain lui adressa un regard suppliant.

— C'est ta sentence pour t'être moqué de mes goûts musicaux.

— Ho, grand Dieu ! Epargne moi ! Je t'en supplie, je ferai tout ce que tu veux !

— Vraiment ?

Au feu rouge, Archibald tourna sa tête vers son compagnon, un sourire beaucoup trop coquin pour la santé mentale d'Elijah. Ce dernier murmura un « Oui, tout ce que tu voudras » et la chanson démarra de nouveau.

« Que quelqu'un me sorte de là, je vous en prie ! »

Ce matin j'imagine un dessin sans nuage avec quelques couleurs comme vient mon pinceau. Du bleu, du rouge je me sens comme une image avec quelques maisons et quelques animaux...

Ce matin j'imagine un pays sans nuage... grogna le plus vieux.

Il se fit la promesse de ne plus jamais froisser Archibald concernant la musique qu'il écoutait. Mais à l'avenir, s'il pouvait être à plusieurs pâtées de maisons de lui durant ces moments d'égarements, il le ferait volontiers.

Alors qu'il tournait dans une rue en sens unique, Archie posa sa main sur la cuisse drapée d'un jean clair. Elijah s'empressa presque de la saisir. C'était absolument dingue de voir à quel point il avait besoin de toucher son compagnon pour se sentir complet. Avec le temps, les deux se s'étaient plus posés de questions et laissaient faire les choses entre eux.

Leurs doigts se nouèrent avec tendresse. Le pouce caressa le dos de la main.

Ils n'avaient plus que quelques minutes de silence et d'intimité.

Deux rues les séparaient d'une tornade qui se nommait Noora.

— Pendant que je vais la chercher, tu passes la commande ? demanda Archie.

— D'accord, je le fais où ?

— Surprend moi...

Bon sang, Elijah commençait à se demander si son côté mutin n'avait pas déteint sur celui de son partenaire. Il se souvenait de cet Archibald timide, en début d'année. Il n'osait même pas rentrer dans une conversation et restait dans son coin pendant les pauses. Il n'avait pas vraiment fait d'effort pour s'intégrer, laissant les autres venir à lui quand ils s'intéressaient au nouveau professeur. Il était « le remplaçant de Francis », l'ancien enseignant d'anglais depuis des dizaines d'années. Il n'était pas vraiment reconnu comme quelqu'un de compétent, avec son jeune âge qui voulait clairement dire inexpérimenté pour beaucoup.

S'ils savaient !

Archibald von Østergaard était apprécié de ses élèves car il se rapprochait beaucoup d'eux au niveau mentalité et pédagogie. Il se souvenait que trop bien des heures qu'il avait passé à cirer les bancs de l'université, alors il se mettait souvent à leur place lorsque l'ennui ou le manque d'enthousiasme les guettait. Il savait dynamiser les exercices et chercher les élèves les plus timides.

Avec du recul, Elijah était immensément fier de lui.

— Qu'est-ce qu'il te fait sourire ? demanda l'objet de ses pensées.

— Tu as fait du chemin depuis la rentrée.

— Tu trouves ? s'étonna le blond.

— Bien sûr. Tu es exceptionnel !

— Tout de même pas. Je n'en suis rien...

— Si je te le dis, c'est que c'est vrai ! Allez, file voir ta fille.

Un baiser avant de quitter la voiture.

Elijah saisit son téléphone avant de chercher le numéro de la pizzeria sur internet. Il en connaissait une qui faisait de très bons mets car ils y allaient souvent avec Arthur et Morgan lorsqu'ils se partageaient encore un appartement. Lorsque la flemme venait toquer à leur porte, ils trouvaient des solutions radicales.

Deux sonneries dans le vide.

RoyalePizza bonjour, que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour ! Je voudrais commander trois pizzas s'il vous plaît !

Parfait, vous savez quelles sortes prendre ?

— Ce serait pour une quatre fromages, une tartiflette et une savoyarde.

D'accord, c'est noté ! Pour quand voudriez-vous votre commande ?

— Dix-neuf heures, ce serait possible ?

— Bien sûr ! Pouvez-vous me donner votre nom ?

— Lempereur.

Tout est OK. Merci, et à tout à l'heure monsieur.

L'homme à l'autre bout du fil raccrocha bien vite, certainement qu'il était fort occupé à prendre d'autres commandes. Elijah souffla en reposant sa tête contre le dossier du siège. Il avait envie de faire ce genre de soirées encore et encore. Un peu plus loin, Noora et Archibald s'avançaient vers la voiture, main dans la main.

Quand et où pouvait-il signer pour vivre encore longtemps avec eux ?

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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